Impressions de mes voyages aux Indes/Kotah

Sturgis & Walton company (p. 33-40).

KOTAH


Nous sommes arrivés à Kotah dans l’après-midi avec une heure de retard. À la gare, nous fûmes reçus par S. A. Le Maharajah qui fut très aimable et très empressé.

Nous restâmes dans le club qui fut spécialement arrangé pour nous ayant tout autour un magnifique jardin, aux pelouses veloutées, d’un dessin très recherché, style tout-à-fait français. Nous eûmes tant de plaisir à nous trouver au milieu, de cette verdure et de savoir qu’un Français, au service du Maharajah, était en charge du jardin. Dans l’après-midi, nous sommes allés faire une promenade en automobile jusqu’au lac artificiel, qui est assez joli, mais petit. Il est entouré d’une jolie forêt où l’on chasse le léopard. Tous ces pays de Rajputana se ressemblent énormément par leur sécheresse et leur aridité.

Nous avons visité le palais de S. A. Le Maharajah, d’une installation moderne et hindoue. Il nous montra ses magnifiques peaux de tigres, tués par lui-même dans ses états. La chasse est son sport favori ; et tient un des plus grands records dans toute l’Inde. Le Maharajah est un homme très intelligent, aux idées très larges ; cependant, il est encore trop orthodoxe pour se mettre à table avec des personnages qui ne sont pas de sa caste.

Le lendemain, nous allâmes visiter la ville indigène, qui est d’une propreté exemplaire. Le vieux palais est situé au milieu de l’ancienne ville, c’est là que se passent les magnifiques fêtes de la cour et les grand durbars. Il renferme de superbes peintures anciennes et des miniatures faites sur ivoire, d’une très grande valeur, les murs y sont très richement décorés. Le Maharajah habite là quelquefois, il a fait faire ses appartements privés, d’un style absolument européen, ce qui est d’un grand contraste avec toutes ces antiquités. Notre étonnement fut très grand, en trouvant au bout de la galerie un coquet ascenseur tout vitré, qui nous descendît des cinq étages d’où nous étions. Tout en conservant les choses intactes de ses ancêtres, le Maharajah cherche à améliorer ses vieux palais, en y mettant le confort moderne. Aucun européen ou étranger n’a encore pénétré dans cet ancien palais et nous fûmes très privilégiés et honorés que Son Altesse elle-même qui nous le fit visiter particulièrement dans la plus grande intimité.

Dans son jardin, plusieurs cages énormes sont solidement construites, dans lesquelles quelques fauves y sont enfermés. Un tigre et un lion sont ses favoris, ils nous effrayèrent en arrivant, par leurs rugissements auxquels nous ne nous attendions pas. L’après-midi il organisa un combat spécial, entre un sanglier et une panthère, qui devait avoir lieu à quelques kilomètres de la ville.

Nous jouissions du spectacle du haut de la fosse, et à notre étonnement de voir le sanglier beaucoup plus fort que la panthère. La panthère l’attrapa à la gorge et le fit hurler d’une façon terrible, nous croyions qu’il était presque mort et priâmes qu’on le sépara, mais une fois lâché le sanglier rechargea sur la panthère avec une force extraordinaire, pourtant la panthère était d’une belle taille et paraissait formidable.

Je n’ai pas voulu voir la fin de ce combat qui était pour moi plutôt pénible qu’intéressant.

S. A. Le Maharajah aime beaucoup voir ce spectacle et son entourage s’y intéresse tellement que les officiers font souvent entre eux des paris sérieux.

Plus tard, nous devions aller chasser des animaux sauvages, chasse organisée d’avance en notre honneur et plutôt spéciale pour moi, Son Altesse le Maharajah ayant entendu dire dans notre conversation que je n’avais pas eu l’occasion de voir des chasses de fauves, depuis plusieurs années que je suis aux Indes.

Mon impatience et ma joie étaient indescriptibles, malgré ma frayeur et ma nervosité de me voir si près du danger, mais quelle ne fût pas ma joie, lorsqu’on nous fit descendre au bord d’une magnifique rivière, en nous priant de monter dans un coquet bateau à vapeur, où nous devions être plusieurs personnes. Je ne pouvais pas me rendre compte, que du bateau où nous étions on pouvait tirer, alors je vis qu’il n’y avait rien à craindre, que les animaux ne pouvaient pas nous attaquer, au cas où on les manquerait. Chaque jour à une certaine heure de la matinée ils descendent pour boire, à l’endroit même ou nous étions arrêtés, n’ayant pas d’autre issue dans les parages, pour venir se désaltérer.

Là il y a des tigres, mais la panthère domine davantage, et cet endroit choisi pour la chasse est des plus sauvages par sa magnifique nature, pierreuse et accidentée. Notre bateau avançait lentement et malgré la quantité de personnes qui était avec nous, il régnait un profond silence, car le moindre bruit aurait effrayé les animaux qui se seraient aventurés. On ne percevait par instants que le gazouillement des oiseaux, dans cette atmosphère tiède que la brise du matin rendait fraîche et légère.

Tout nous semblait calme et serein, c’était à se demander si vraiment il existait des êtres vivants dans cette campagne solitaire et paisible. Nous conservions consciencieusement la même attitude, le regard fixé dans la même direction ; chaque mouvement de feuille nous faisait tressaillir et par un signe nous nous transmettions les uns les autres notre sensation visuelle et notre anxiété qui était à son comble.

La rivière large et profonde se trouvait encaissée entre deux murailles naturelles couvertes de mousse et de plantes sauvages ; elle serpentait, en nous faisant jouir à chaque tournant, de nouveaux panoramas, d’une beauté saisissante, par tous ces jolis tons de couleur changeante, du vert le plus tendre au vert le plus foncé, dont l’eau avec tous ses jolis reflets au soleil, avait le ton d’émeraude. Après un quart d’heure d’attente fiévreuse, nous entendîmes enfin le bruit des rabatteurs qui se rapprochait, tachant de faire descendre l’animal au bord de la rivière. Subitement, le bateau s’arrêta, après un signal silencieux des rabatteurs, qui arborèrent silencieusement un petit drapeau jaune.

Tout-à-coup, nous vîmes les yeux brillants d’une panthère qui descendait lentement du haut du rocher, très tranquille, et fière, elle marchait avec précision, tout en ayant l’oreille au guet. Subitement, elle s’arrêta pour nous regarder, sans aucune frayeur elle se décida à continuer son chemin sans plus se préoccuper de nous.

Au geste des tireurs, elle se mit à bondir, puis, se perdit dans les buissons, mais dans ce rapide mouvement, S. A. Le Maharajah de Karputhala la tira et plusieurs autres coups suivirent. Alors chacun ignora quel en était le résultat, car la bête avait disparu à nos yeux, sans aucun rugissement ou plainte, pour faire penser à nos chasseurs qu’elle n’avait pas été touchée.

Les rabatteurs qui suivaient sa trace du haut des murailles, en la voyant disparaître firent un certain signal convenu, pour que le bateau continue dans la même direction, afin de pouvoir suivre la panthère, craignant qu’elle ne fut déjà remontée.

Nous attendîmes quelques minutes de grande anxiété, toujours prêts à tirer en la voyant surgir, car c’était la dernière chance qu’avaient nos chasseurs pour avoir sa peau.

Soudainement, des cris de tous cotés nous effrayèrent en pensant que peut-être un des hommes avait été attaqué par la panthère, chose fréquente dans ces grandes parties de chasse. Mais quelle ne fut pas notre joie lorsque nous apprîmes qu’on venait de la trouver morte, elle était tombée net frappée en plein cœur, par la seconde balle du Maharajah, au moment où elle disparaissait dans la broussaille. L’émotion de son Altesse était indescriptible et la joie des rabatteurs à son comble, à un tel point qu’ils lui baisaient les pieds.

Trente hommes faisaient un bruit infernal pour apporter et charger la panthère sur notre bateau, c’était une bête superbe qu’il eut été dommage de manquer ou de laisser la chance à un autre. Nous étions tous ravis du succès de Son Altesse et c’est en chantant que nous remontâmes la rivière qui était de plus en plus jolie, pour renter au club et déjeuner.

Dans l’après-midi, nous quittions avec émotion ce charmant endroit, où nous avions été si bien accueillis par le Maharajah. Il eut l’amabilité de venir à la gare nous faire ses adieux, puis nous offrit selon l’usage, de ravissantes et odorantes guirlandes de fleurs. Notre première étape devait être Bikaner.