Impressions d’Afrique/Chapitre XXVI

A. Lemerre (p. 453-455).

XXVI


Depuis trois longues heures, le jeune Marseillais, par crainte d’une seconde punition, s’acharnait à répéter la Bataille du Tez, qu’il fredonnait maintenant d’une façon impeccable sans que je pusse relever la moindre faute sur le texte ombragé par les branches du sycomore.

Soudain Talou, apparaissant au loin, s’achemina vers nous accompagné de Sirdah.

L’empereur venait lui-même délivrer son merveilleux interprète, auquel il voulait faire subir sans retard un nouvel examen.

Enchanté d’être mis à l’épreuve en un moment où sa mémoire fraîchement exercée le rendait sûr de lui, Carmichaël, toujours fidèle au registre du soprano, se mit à chanter crânement son incompréhensible morceau, qu’il articula cette fois jusqu’au bout sans la plus minime erreur.

Ébloui par cette exécution parfaite, Talou reprit le chemin de la case impériale, après avoir chargé Sirdah d’exprimer à l’intéressé son entier contentement.

Rendu libre par cette agréable sentence, Carmichaël me prit des mains, pour le déchirer avec un joyeux empressement, le texte infernal qui lui rappelait tant d’heures de travail angoissantes et fastidieuses.

Après avoir approuvé en moi-même son geste d’innocente vengeance, je quittai avec lui la place des Trophées pour vaquer aux divers emballages, que rien ne retardait plus désormais.

Notre départ s’effectua le jour même, au début de l’après-midi. Les Montalescot s’étaient joints au cortège, qui, dirigé par Séil-kor entièrement guéri, se composait de tous les naufragés du Lyncée.

Talou avait mis à notre disposition un certain nombre d’indigènes chargés de porter nos vivres et les rares bagages qui nous étaient laissés.

Un brancard soulevé par quatre noirs fut réservé à Olga Tcherwonenkoff, qui souffrait toujours de son coup de fouet.


Dix jours de marche nous suffirent pour atteindre Porto-Novo ; là, comblé de remerciements bien mérités par ses loyaux services, Séil-kor nous dit adieu, afin de reprendre avec son escorte le chemin d’Éjur.

Le capitaine d’un grand navire en partance pour Marseille consentit à nous rapatrier. C’est en France que chacun avait hâte de se rendre, car, après d’aussi troublantes aventures, il n’était plus question de gagner directement l’Amérique.

La traversée s’accomplit sans incident, et le 19 juillet nous prîmes congé les uns des autres sur le quai de la Joliette, après un cordial échange de poignées de mains, auquel seul Tancrède Boucharessas dut rester étranger.