Imitation de Jésus-Christ/Livre 3/Chapitre 4


CHAPITRE IV.

qu’il faut marcher devant Dieu en esprit de vérité et d’humilité.


Marche devant mes yeux en droite vérité,
cherche partout ma vue avec simplicité,
fais que ces deux vertus te soient inséparables,
qu’elles soient en tous lieux les guides de tes pas ;
et leurs forces incomparables
contre tous ennemis sauront t’armer le bras.

Oui, quelques ennemis qui s’osent présenter,
qui marche en vérité n’a rien à redouter ;
il se trouve à couvert des rencontres funestes :
c’est un contre-poison contre les séducteurs,

qui dissipe toutes leurs pestes,
et confond tout l’effort des plus noirs détracteurs.

Si cette vérité t’en délivre une fois,
tu seras vraiment libre, et sous mes seules lois,
qui font la liberté par un doux esclavage ;
et tous les vains discours de ces lâches esprits
ne feront naître en ton courage
que la noble fierté d’un généreux mépris.

C’est là tout le bien où j’aspire,
c’est là mon unique souhait ;
ainsi que tu daignes le dire,
ainsi, Seigneur, me soit-il fait !

Que ta vérité salutaire
m’enseigne quel est ton chemin ;
qu’elle m’y préserve et m’éclaire
jusqu’à la bienheureuse fin.

Qu’elle purge toute mon âme
de toute impure affection,
et de tout ce désordre infâme
que fait naître la passion.

Ainsi cheminant dans ta voie

sous cette même vérité,
je goûterai la pleine joie
et la parfaite liberté.

Je t’enseignerai donc toutes mes vérités ;
je t’illuminerai de toutes mes clartés,
pour ne te rien cacher de ce qui peut me plaire.
Tu verras les sentiers que doit suivre ta foi,
tu verras tout ce qu’il faut faire,
et si tu ne le fais, il ne tiendra qu’à toi.

Pense à tous tes péchés avec un plein regret,
avec un déplaisir et profond et secret ;
le repentir du cœur me tient lieu de victime :
dans le bien que tu fais, fuis la présomption,
et garde que la propre estime
ne corrompe le fruit de ta bonne action.

Tu n’es rien qu’un pécheur, dont la fragilité,
sujette aux passions, prend leur malignité,
et n’a jamais de soi que le néant pour terme :
elle y penche, elle y glisse, elle y tombe aisément ;
et plus ta ferveur se croit ferme,
plus prompte est sa défaite ou son relâchement.


Non, tu n’as rien en toi qui puisse avec raison
enfler de quelque orgueil la gloire de ton nom,
tu n’as que des sujets de mépris légitime :
tes défauts sont trop grands pour en rien présumer,
et ta foiblesse ne s’exprime
que par un humble aveu qu’on ne peut l’exprimer.

Ne fais donc point d’état de tout ce que tu fais ;
ne range aucune chose entre les grands effets ;
ne crois rien précieux, ne crois rien admirable,
rien noble, rien enfin dans la solidité,
rien vraiment haut, rien desirable,
que ce qui doit aller jusqu’à l’éternité.

De cette éternité le caractère saint,
que sur mes vérités ma main toujours empreint,
doit plaire à tes desirs par-dessus toute chose ;
et rien ne doit jamais enfler tes déplaisirs
à l’égal des maux où t’expose
le vil abaissement de ces mêmes desirs.

Tu n’as rien tant à craindre et rien tant à blâmer
que l’appas du péché qui cherche à te charmer,

et par qui des enfers les portes sont ouvertes :
fuis-le comme un extrême et souverain malheur ;
l’homme ne peut faire de pertes
qu’il ne doive souffrir avec moins de douleur.

Il est quelques esprits dont l’orgueil curieux
jusques à mes secrets les plus mystérieux
tâche à guinder l’essor de leur intelligence :
bouffis de leur superbe, ils en font tout leur but,
et laissent à leur négligence
étouffer les soucis de leur propre salut.

Comme ils n’ont point d’amour ni de sincérité,
comme ils ne sont qu’audace et que témérité,
moi-même j’y résiste, et j’aime à les confondre ;
et l’ordinaire effet de leur ambition,
c’est de n’y voir enfin répondre
que le péché, le trouble, ou la tentation.

N’en use pas comme eux, prends d’autres sentiments,
redoute ma colère, et crains mes jugements,
sans vouloir du très-haut pénétrer la sagesse :
au lieu de mon ouvrage examine le tien,
et revois ce que ta foiblesse

aura commis de mal, ou négligé de bien.

Il est d’autres esprits dont la dévotion
attache à des livrets toute son action,
s’applique à des tableaux, s’arrête à des images ;
et leur zèle, amoureux des marques du dehors,
en sème tant sur leurs visages,
qu’il laisse l’âme vide aux appétits du corps.

D’autres parlent de moi si magnifiquement,
avec tant de chaleur, avec tant d’ornement,
qu’il semble qu’en effet mon service les touche ;
mais souvent leur discours n’est qu’un discours moqueur,
et s’ils ont mon nom à la bouche,
ce n’est pas pour m’ouvrir les portes de leur cœur.

Il est d’autres esprits enfin bien éclairés,
de qui tous les desirs dignement épurés
de l’éternité seule aspirent aux délices :
la terre n’a pour eux ni plaisirs ni trésors,
et leur zèle prend pour supplices
tous ces soins importuns que l’âme doit au corps.

Ceux-là sentent en eux l’esprit de vérité
leur prêcher cette heureuse et vive éternité,
et suivant cet esprit ils dédaignent la terre :

ils ferment pour le monde et l’oreille et les yeux,
ils se font une sainte guerre,
et poussent jour et nuit leurs souhaits jusqu’aux cieux.