Imitation de Jésus-Christ/Livre 3/Chapitre 1

Traduction par Pierre Corneille.
Texte établi par Charles Marty-LaveauxHachette (p. 259-261).


CHAPITRE I.

de l’entretien intérieur de Jésus-Christ avec l’âme fidèle.


Je prêterai l’oreille à cette voix secrète
par qui le tout-puissant s’explique au fond du cœur :
je la veux écouter, cette aimable interprète
de ce qu’à ses élus demande le Seigneur.
Oh ! qu’heureuse est une âme alors qu’elle l’écoute !
Qu’elle devient savante à marcher dans sa route !
Qu’elle amasse de force à l’entendre parler !
Et que dans ses malheurs son bonheur est extrême,
quand de la bouche de Dieu même
sa misère reçoit de quoi se consoler !

Heureuses donc cent fois, heureuses les oreilles
qui s’ouvrent sans relâche à ses divins accents,
et pleines qu’elles sont de leurs hautes merveilles,

se ferment au tumulte et du monde et des sens !
Oui, je dirai cent fois ces oreilles heureuses
qui de la voix de Dieu saintement amoureuses,
méprisent ces faux tons qui font bruit au dehors,
pour entendre au dedans la vérité parlante,
de qui la parole instruisante
n’a pour se faire ouïr que de muets accords.

Heureux aussi les yeux que les objets sensibles
ne peuvent éblouir ni surprendre un moment !
Heureux ces mêmes yeux que les dons invisibles
tiennent sur leurs trésors fixés incessamment !
Heureux encor l’esprit que de saints exercices
préparent chaque jour par la fuite des vices
aux secrets que découvre un si doux entretien !
Heureux tout l’homme enfin que ces petits miracles
purgent si bien de tous obstacles,
qu’il n’écoute, hors Dieu, ne voit, ne cherche rien !

Prends-y garde, mon âme, et ferme bien la porte
aux plaisirs que tes sens refusent de bannir,
pour te mettre en état d’entendre en quelque sorte
ce dont ton bien-aimé te veut entretenir.
" Je suis, te dira-t-il, ton salut et ta vie :
si tu peux avec moi demeurer bien unie,

le vrai calme avec toi demeurera toujours :
renonce pour m’aimer aux douceurs temporelles ;
n’aspire plus qu’aux éternelles ;
et ce calme naîtra de nos saintes amours. "

Que peuvent après tout ces délices impures,
ces plaisirs passagers, que séduire ton cœur ?
De quoi te serviront toutes les créatures,
si tu perds une fois l’appui du créateur ?
Défais-toi, défais-toi de toute autre habitude ;
à ne plaire qu’à Dieu mets toute ton étude ;
porte-lui tous tes vœux avec fidélité :
tu trouveras ainsi la véritable joie,
tu trouveras ainsi la voie
qui seule peut conduire à la félicité.