Imitation de Jésus-Christ/Livre 1/Chapitre 9

Traduction par Pierre Corneille.
Texte établi par Charles Marty-LaveauxHachette (p. 64-66).


CHAPITRE IX.

de l’obéissance et de la subjétion.


Qu’il fait bon obéir ! Que l’homme a de mérite
qui d’un supérieur aime à suivre les lois,
qui ne garde aucun droit dessus son propre choix,
qui l’immole à toute heure, et soi-même se quitte !
L’obéissance est douce, et son aveuglement
forme un chemin plus sûr que le commandement,
lorsque l’amour la fait, et non pas la contrainte ;
mais elle n’a qu’aigreur sans cette charité,
et c’est un long sujet de murmure et de plainte,
quand son joug n’est souffert que par nécessité.

Tous ces devoirs forcés où tout le cœur s’oppose
n’acquièrent à l’esprit ni liberté ni paix.

Aime qui te commande, ou n’y prétends jamais :
s’il n’est aimable en soi, c’est Dieu qui te l’impose.
Cours deçà, cours delà, change d’ordre ou de lieux :
si pour bien obéir tu ne fermes les yeux,
tu ne trouveras point ce repos salutaire ;
et tous ceux que chatouille un pareil changement
n’y rencontrent enfin qu’un bien imaginaire
dont la trompeuse idée échappe en un moment.

Il est vrai que chacun volontiers se conseille,
qu’il aime que son sens règle ses actions,
et tourne avec plaisir ses inclinations
vers ceux dont la pensée à la sienne est pareille ;
mais si le Dieu de paix règne au fond de nos cœurs,
il faut les arracher à toutes ces douceurs,
de tous nos sentiments soupçonner la foiblesse,
les dédire souvent, et pour mieux le pouvoir,
nous souvenir qu’en terre il n’est point de sagesse
qui sans aucune erreur puisse tout concevoir.

Ne prends donc pas aux tiens si pleine confiance
que tu n’ouvres l’oreille encore à ceux d’autrui ;

et quand tu te convaincs de juger mieux que lui
sacrifie à ton Dieu cette juste croyance.
Combattre une révolte où penche la raison,
pour donner au bon sens une injuste prison,
c’est se faire soi-même une sainte injustice ;
et pour en venir là plus tu t’es combattu,
plus ce Dieu qui regarde un si grand sacrifice
t’impute de mérite et t’avance en vertu.

On va d’un pas plus ferme à suivre qu’à conduire ;
l’avis est plus facile à prendre qu’à donner :
on peut mal obéir comme mal ordonner ;
mais il est bien plus sûr d’écouter que d’instruire.
Je sais que l’homme est libre, et que sa volonté,
entre deux sentiments d’une égale bonté,
peut avec fruit égal embrasser l’un ou l’autre ;
mais ne point déférer à celui du prochain,
quand l’ordre ou la raison parle contre le nôtre,
c’est montrer un esprit opiniâtre ou vain.