Imirce ou la Fille de la nature (éd. 1922)/01

J. Fort, éditeur (p. Frontisp.-15).

Illustrations pour Imirce ou la Fille de la nature
Illustrations pour Imirce ou la Fille de la nature

Dulaurens - Imirce, ou la Fille de la nature, 1922 - Bandeaux
Dulaurens - Imirce, ou la Fille de la nature, 1922 - Bandeaux


ÉPÎTRE DÉDICATOIRE À ZÉPHYRE


J’étais sans chausses, sans habits, sans chemises et sans pain, ma chère Zéphyre, quand je composai cet ouvrage. Il y avait à Clèves[1], capitale de la Westphalie, un serrurier français, nommé Jérôme. Il logeait chez Son Excellence Mme la douairière Fricau[2], femme pleine d’expérience, qui tenait des lits très malsains, pour les garçons serruriers, menuisiers et cordonniers, à cinq liards par tête. Jérôme fut touché par ma misère ; il me proposa la moitié de son grabat, s’accommoda avec l’hôtesse pour deux liards de plus ; il me procura l’avantage de coucher à ses côtés. M. Jérôme, le serrurier, n’était point appétissant ; au risque de faire beaucoup de tort à mon âme dans l’autre monde, et d’être un peu excommunié dans celui-ci, j’aurais préféré la couche délicieuse et les côtés recherchés de Mlle Hus[3].

M. Jérôme avait le bonheur d’être dans les bonnes grâces de Mme Fricau ; elle avait jeté un coup d’œil de sacrement sur ce monsieur, digne d’une duchesse ; aussi, était-il digne de la vieille veuve, qui, en sa considération, nous avait donné un coin distingué de son grenier. Je n’avais pas un sol pour avoir de la chandelle, les modiques journées de mon ami ne lui permettaient point de fournir à cette dépense ; que faire ? j’imaginai, ma chère Zéphyre, ce que tu vas lire.

Mon hôtesse avait un gros chat ; je fis de la bougie avec le matou. J’arrangeai, en conséquence, une planche sur ma table, où, par le mécanisme artificiel de deux morceaux de bois, je fixai la tête du chat à quatre pouces de mon papier ; ses yeux étincelants jetaient une lumière qui m’éclairait parfaitement.

Le matou, qui n’aimait pas à rendre service, comme les grands, s’avisa quelques jours après de fermer l’œil. Il fallut encore recourir à ma pauvre imagination. Le nécessité est la mère des cinq grosses fermes et de l’industrie[4] : je fichai à une petite distance du chat un morceau de bois d’où pendait une ficelle, au bout une balle de plomb ; et quand le matou s’avisait de fermer les yeux, je lui cognais la balle contre la physionomie ; ce qui lui fit perdre bientôt la mauvaise habitude de fermer l’œil. Avec un peu d’exercice, je vins à bout de styler si parfaitement le chat, qu’il tenait la tête raide et fière comme un échevin de Paris qui va en procession faire une neuvaine à Sainte-Geneviève pour avoir de la crotte.

Ce fut à la lueur de cette nouvelle bougie, ma chère Zéphyre, que je composai l’ouvrage que j’apporte à tes genoux. Je l’aurais sans doute perfectionné si mon boulanger n’était venu interrompre mes travaux littéraires. Cet homme effroyable est un vieux mortel, qui ignore absolument le ton de la bonne compagnie ; ses phrases sont d’une tournure qui ne décèle point le génie créateur ; c’est un misérable plagiaire qui copie mot pour mot tous les boulangers de l’univers. Il m’apporte tous les trente jours une feuille périodique que je lis avec autant d’humeur que l’Année littéraire. Juge, ma chère Zéphyre, du ton de ces ouvrages par la production ci-jointe.

MÉMOIRE

Du pain fait et fourni à M. Modeste Tranquille Xang-Xung, par Maître Honoré Durpetri, boulanger à la porte de La Haye, à Clèves.

Du 1er avril 1762.
Liv. S. D.
Un pain d’une livre pâte ferme
0 2 6
Du 3, un pain d’une livre mollet
0 4
Du 7, deux pains à café
0 4
Du 10, un pain de quatre livres pâte molle
0 9
Du 15, idem
0 9
Du 18, un pain d’une demi-livre pâte molle
0 2
Du 20, un pain de quatre livres pâte ferme
0 8
Du 25, un pain de quatre livres bis blanc
0 6 6
Du 27, un pain à café
0 2
Du 30, un pain de deux livres
0 5
___________
Total  2 12 0

Qu’il est étonnant, ma chère Zéphyre, que les honnêtes gens n’aient point de crédit chez les boulangers ! Le premier de mai, M. Durpetri vint me demander de l’argent avec le ton d’un homme qui en voulait. Je dois donner, me dit-il, une garniture de blonde à Mme Durpetri ; dans notre métier nous sommes comme les procureurs, nous avons de grands travailleurs chez nous ; tandis que nous n’y sommes pas, on peut mettre la main à la pâte. Si je ne donne pas une garniture à Mme Durpetri, mon front sera aussi chaud que notre four ; il ne faut qu’un moment pour cela, et vous voyez que si ma femme manquait de vertu, je serais accablé d’ennui, et couvert de honte, à cause que j’aurais de la vertu tout seul.

Je parlai poliment à M. Durpetri ; je n’injurie point mes créanciers, c’est un talent réservé à la grandeur. Après beaucoup de raisonnements qui n’aboutissaient à rien, car je n’avais point d’argent, le boulanger, frappé de ma misère et de ma stupidité, me dit : « À quoi diable vous amusez-vous à noircir du papier ? j’aimerais mieux barbouiller des roues de carrosse : un métier qui ne nourrit pas son homme ne vaut point le gros son de ma farine, déchirez votre plume, laissez les hommes, ne songez pas à les corriger, la plupart ont besoin de rester sots, pour se croire heureux dans ce monde et dans l’autre. »

Cet homme, me prenant sans doute pour un chanoine de Notre-Dame, me fit des questions aussi naturelles que celles qu’on pourrait faire aux lâches soldats du Pape[5]. « Monsieur, me dit-il un peu rudement, pourriez-vous, par hasard, remuer le bras ? — Oui, assurément, lui dis-je. — Bon, bon ; pourriez-vous aussi lever le pied à une certaine hauteur ? — Oui, je trouve cela encore possible. — Eh bien… allons, levez le bras, haussez le pied. » Je fis l’un et l’autre ; les âmes honnêtes ont de la complaisance pour leurs créanciers.

Non content de ces questions, M. Durpetri me fit recommencer et répéter cinq à six fois cet exercice : alors il prit un manche à balai, me fit exécuter toutes les figures d’un homme qui bêche la terre. Satisfait de mes progrès, il me dit : « Bravo, suivez-moi, et je vous donnerai quittance. »

Mon boulanger me conduisit dans son jardin, et, me montrant la terre, il me dit : « Voici une bonne mère, elle nourrit tous ses enfants, caressez-la avec cette bêche, en remuant simplement vos bras, comme vous avez fait avec le manche du balai, le pain ne vous manquera jamais, et de la vie vous ne devrez rien aux boulangers. »

Je travaillai huit jours dans le jardin de M. Durpetri ; le samedi il me rendit le mémoire quittancé, et me crachant tout le latin qu’il avait retenu, il me dit : Disce, puer, virtutem, ex me, verumque laborem.

Cette semaine, occupée si utilement, me donna du goût pour le travail. J’admirais la nature, qui avait pourvu si abondamment aux besoins des hommes, en leur fournissant des bras. Frappé de cette attention, je me prosternai à terre et je m’écriai : « Ô Providence féconde, que tu aimes les mortels ! Comment, je n’ai qu’à remuer les bras, et rien ne manquera désormais à ma félicité ! » Je travaillai encore quelques jours chez le boulanger. Le hasard me procura la connaissance d’une dame française, qui m’offrit vingt arpents d’une terre inculte et une chaumière délabrée ; je courus habiter cette paisible retraite, et j’y trouvai ma subsistance. Un libraire d’Amsterdam, qui n’était point de ces durs libraires hollandais, m’envoya quelque argent pour acheter deux vaches, qui fournirent abondamment à mes besoins. Enchanté de mon nouvel état, jaloux de te faire part de mon bonheur, je t’écrivis, ma chère Zéphyre : « ô doux objet, que l’univers connaisse ton cœur ; il sera toujours plus cher à mon âme que ta beauté éclatante ».

Te souvient-il, Zéphyre, du moment fortuné où nos cœurs s’entr’ouvrirent ? Une tante avare et détestable t’appela du fond de la province à Paris ; son infâme avarice te sacrifia dès l’âge de quinze ans à l’inepte passion d’un riche publicain. Ce fermier t’accabla de richesses, de biens et de ses feux impudents : ton cœur, qui n’avait connu que l’innocence, gémissait dans ses bras coupables ; nous nous trouvâmes par hasard à Versailles ; tes yeux rencontrent les miens, une forte sympathie lia nos âmes, l’heure d’aimer te rendit sensible, tu me donnas ton cœur, tu reçus le mien : dans les moments délectables que je passais avec toi, je te parlais sans cesse des délices de la vie tranquille ; j’osai te la peindre au milieu du faste et des richesses de tes appartements. Ces images délicieuses pouvaient-elles s’imprimer dans ton âme ? Oui, tu m’aimais, ton goût était le mien, et tes désirs longtemps avant hâtaient l’instant de jouir de ce sort enchanteur.

Je quittai Paris, où le fanatisme me poursuivait ; je restai quelque temps chez un peuple dur, indigne des caresses de la nature ; aussi leur a-t-elle refusé ses bienfaits. Des hommes d’or et de boue, qui ne connaissent d’autres gentillesses que l’intérêt, peuvent-ils lui appartenir ? Je quittai ce pays barbare ; je vins me fixer sur ces bords isolés, où vingt arpents de terre, une chaumière obscure, une bêche, un ruisseau, sont tout mon bien. Je t’écrivis, ô fille aimable ! de venir embellir ce séjour ; tu n’y trouveras d’autre trésor que mon cœur ; je ne posséderai d’autres richesses que le tien : tu baises ma lettre, et tu t’arraches à l’instant des bras du publicain ; tu oublies la vie voluptueuse et inutile de la capitale ; tu voles dans ce coin heureux de la terre, où tu dois trouver ton amant et le bonheur.

À cent pas de ma chaumière, tu m’aperçois couvert d’une grosse étoffe, une bêche à la main, cultivant un champ encore ingrat. Je songeais à toi en ce moment, je comptais les minutes qui devaient précéder ta lettre ; c’était le lendemain que je devais la recevoir, et tu étais déjà arrivée ; tu sors subitement de ta voiture et, malgré la richesse de tes habits, tu te précipites dans mes bras, tu répands des larmes, ce sont celles de ton cœur, mes lèvres reconnaissantes les recueillent sur tes belles joues ; je te serre tendrement : c’est Zéphyre et la félicité que je fixais pour toujours dans mes bras.

Tu entres avec joie dans ma cabane obscure ; sa pauvreté ne refroidit pas tes transports, tu ne cherchais que mon cœur. La simplicité qui te frappe sous ce toit rustique est celle d’une âme qui est à toi : tu vois ma garde-robe étalée sur un bâton, une méchante paire de souliers, des chausses délabrées, deux chemises, une vieille perruque, qui, dans ses jours naissants, n’a jamais bien été qu’à l’air de mes souliers : quelques livres, une plume mal taillée, des bribes de papier, voilà les richesses de ton amant, mais il a ton cœur.

Nous soupons : ô Dieux ! c’est avec Zéphyre que je soupe ; nous élevons nos mains pures au Ciel ; il nous écoute toujours, puisqu’il nous a réunis ; du pain, des fruits, voilà les noces que ton amant t’apprête ; je t’embrasse, nous nous promettons une tendresse éternelle. Le Dieu de la Nature bénit nos saints nœuds. Je te conduis vers une couche que la candeur habitera désormais avec toi ; deux pieds de bois la soutiennent, un sac rempli de feuilles sèches est le trône tranquille de nos plaisirs ; ta tête repose sur mon sein, tandis que, dans un songe enchanteur, je cueille les lys et les roses que l’Amour a répandus si abondamment sur tes appas.

L’aurore paraît, elle t’éveille, tu souris de te retrouver dans mes bras, un songe t’en avait assurée ; ton cœur, pour la première fois, est enchanté que tes songes ne soient plus trompeurs ; tu te lèves, je vais te montrer nos richesses ; ce sont deux vaches, que je remets à tes soins. Nous partons pour la ville voisine, tu vends tes habits précieux, tu troques les autres contre des vêtements simples. La magnificence des premiers cachait tes appas, les derniers te les rendent ; as-tu besoin d’autre parure que tes charmes ? Je cultive pour toi d’innocentes fleurs, les vents favorables de Paphos verseront sur leurs calices le baume et l’encens qu’on offre au Dieu qui nous enflamme ! que ces bouquets sentiront bon ! ils auront l’odeur délectable de ton cœur. Douces fleurs ! baume de la nature ! que vous serez heureuses ! vous ornerez le sein délicieux de Zéphyre, ma main vous arrangera autour de son corset ; semblables à la robe légère du printemps, les zéphyrs vous agiteront, mais son beau sein ne s’agitera que pour moi.

Tu es déjà accoutumée dans ma chaumière, tu n’as plus de désirs ; nous nous possédons ; échappée des bras d’un sultan orgueilleux, tu ne gémis plus sur les coussins d’or de la richesse ; tes doigts, qui n’avaient touché que des roses, ne sont point étonnés de presser les flancs d’une vache pour en extraire le lait : j’en goûterai, cet espoir a déjà payé tes peines.

Tandis que je suis à défricher mon champ, tu prépares notre nourriture ; à neuf heures, tu accours, tu souris, tu vas me revoir. Dans une corbeille de jonc que nos mains ont formée, tu m’apportes du pain et des fruits ; tu viens me les offrir comme la récompense de mon amour et de mon travail… Assis sous l’ombre du même hêtre, nous mangeons ce pain ensemble ; qu’il est savoureux ! c’est Zéphyre qui l’a fait, et Zéphyre est à mon côté.

Tu retournes à la maison, en regardant à chaque instant derrière toi ; tu marches avec lenteur, jusqu’à ce que tu m’aies perdu de vue. Le corps nonchalamment appuyé sur ma bêche, mes yeux suivent tes pas ; je te vois encore, je te perds, je te revois ; une colline plus haute te montre encore à mes yeux et te dérobe enfin à mes regards ; à midi je reverrai Zéphyre : cet espoir ranime mes forces, je reprends mon travail.

Sans le secours de ces magnifiques babioles qui enrichissent Julien Leroi[6], je t’appris à connaître le cours d’un astre que tu redoutais à Paris. Dans le court espace du temps qui s’envole, nous n’avons que deux instants qui nous intéressent, le midi et le soir ; moments désirés qui doivent me ramener dans tes bras ; je t’ai montré que le soleil paraissait à midi sur le seuil de la porte de notre chaumière, que le soir ses rayons courbés annonçaient le retour de la nuit ; mon travail est l’aiguille d’un cadran qui trace sur mes sillons le temps où je vais te revoir ; j’avance, je découvre notre demeure, et je t’ai déjà vue ; j’arrive, tes bras sont ouverts ; Zéphyre, que nous sommes heureux !

Sur un simple tréteau tu as posé la soupe que tes mains appétissantes ont apprêtée ; nous bénissons le ciel de notre riche médiocrité et de notre amour, le plus grand de ses bienfaits ; tes charmes assaisonnent les mets que tu me présentes ; c’est pour nous aimer davantage que nous prenons cette salutaire nourriture. Le soleil est arrivé au pied du tréteau, c’est le moment qui me rappelle au travail. Je pars, je suis triste, mes derniers regards restent sur toi, je ne puis prononcer qu’à ce soir.

Le soleil change chaque jour le moment de son coucher, ton impatience compte les minutes ; tu te trompes toujours, et c’est pour me rejoindre plus tôt. Je crois voir ses derniers rayons te ramener à mon champ. De loin j’ai déjà vu une ombre descendre de la colline ; je suis ému, je veux m’appuyer sur ma bêche pour mieux fixer l’objet, m’assurer si c’est toi : tu approches, je te reconnais, ma bêche tombe, mon travail est fini, mes bras fatigués s’ouvrent encore, mais c’est pour les délasser en les entrelaçant dans les tiens. Je reviens avec toi, nous marchons lentement ; pourquoi cette lenteur, Zéphyre ? ne souperons-nous point ensemble ? ne serai-je point toujours avec toi ?

Un repas frugal est bientôt pris ; nous allons dans le bois : tu chantes ; Philomèle, qui connaît ta voix, te répond déjà ; il t’attendait, il sait l’heure où tu viens chanter, rival tendre, il t’accompagne, non pour embellir la douceur de ta voix, mais pour l’ajouter à la sienne ; tu l’as vaincu, il est glorieux ; tes chants mélodieux ont enivré mon âme, le feu de tes accords a remué ma veine, je compose une chanson aussi gaie que ton cœur ; l’écho la répète, et les bois retentissent de mes vers et de nos feux.

Que tu m’intéresses, Zéphyre… tu gémis… je tremble… Dieux ! quelle pâleur se répand sur ton teint ! la mort… va-t-elle m’ôter la vie avec tes jours ! La douleur t’arrache des cris, que la douceur de tes humides regards veulent rendre moins sensibles à mon cœur… Ciel ! je vais perdre Zéphyre… Ô Dieu de la nature, ne l’as-tu faite si belle et si constante, que pour la montrer un instant à ma flamme !… Ô jour heureux !… quelle joie ineffable enchante mon âme ! tu viens de mettre au monde un tendre fruit de nos amours ; c’est ton image, j’y reconnais ces traits que ta beauté a gravés dans mon cœur, je l’embrasse mille fois, cette chère fille, c’est Zéphyre multipliée… Comment, tu n’es pas seule dans mon cœur, tu te plais de voir mon âme partagée, tu t’applaudis de ces nouveaux sentiments ? Zéphyre, à ta joie, je reconnais une mère.

Voilà, chère Zéphyre, l’histoire de nos cœurs ; que la simplicité et l’ardeur de nos jours sereins passent comme les plus longues journées de l’été, pour revenir encore ! Puissions-nous les voir ainsi pendant soixante automnes ; après cet âge, finir au premier printemps, comme Philémon et Baucis !

Ô bonheur ! ô félicité que j’ai cherchée si longtemps, je ne vous dois pas à Jean-Jacques, au sage Adisson, au fou de Pascal, ni au frère Croiset de la Compagnie de Jésus ; c’est à toi seul que je la dois, brutal Durpetri, dont la voix baroque et barbare a servi d’organe, à la nature. Ô mon boulanger, ô mes bras, que je vous ai d’obligation ! ô intelligence, dans laquelle je cherchais mon bonheur, que m’avais-tu inspiré ? quel bien-être pouvais-tu m’offrir dans l’arrangement bizarre de quelques rimes stériles et ingrates ? L’exil, l’emprisonnement et la haine des sots ont couronné mes premiers vers.

Chenilles de Versailles, vers-luisants de Paris, gros limaçons de province, aurez-vous le génie de jalouser mon bonheur ? Vos cœurs, agités par l’intérêt ou la faveur, le cherchent en vain dans ces palais somptueux, dans ces spectacles puérils, dans ces coteries plates et tumultueuses ; remuez vos bras, refluez dans les campagnes ; c’est dans le cœur de ces hommes rustiques que vous trouverez le bonheur ; rapprochez-vous de la Nature, répondez à ses vœux, remuez vos bras, et vous verrez naître aussitôt le jour de la félicité.

Ô chère Zéphyre, c’est à tes pieds que j’apporte cet ouvrage : je le consacre à tes charmes, et le nom de Zéphyre sera pour lui comme l’éclat naissant d’un beau matin qui annonce une belle journée.

Je suis,

Chère Zéphyre,
Ton ami,
Modeste-Tranquille-Xang-Xung.

Edertal, près de Berlin,
ce premier mai 1765.


Dulaurens - Imirce, ou la Fille de la nature, 1922 - Vignette
Dulaurens - Imirce, ou la Fille de la nature, 1922 - Vignette

  1. Méchante ville très malpropre, mais ornée des plus magnifiques dehors.
  2. Madame était une place qui ne tenait pas longtemps l’ennemi. Elle était veuve d’un trompette, d’un fifre, d’un tambour, d’un chaudronnier, et en cinquièmes noces de Jean Triboule, sonneur de la paroisse de Clèves.
  3. La plus jolie vierge du Théâtre-Français, mais la plus médiocre artiste après la détestable Mme Le Kain.
  4. Droit singulier imaginé exprès pour décourager les artistes qui font, à Paris, avec quelques onces d’or, un commerce de tabatières, d’éventails, de mode et de colifichets, plus considérable et plus certain que celui de nos colonies. Pourquoi engourdir les bras, taxer les talents, dîmer sur l’habileté, et rogner les ailes de l’imagination et de l’industrie.
  5. J’entends les militaires à la solde de Rome.
  6. Fameux horloger.