Chez l'auteur (p. 37-38).

VISION DEMONIAQUE


Dans une salle d’hôpital. Sur un lit, une effrayante forme humaine d’une maigreur squelettique s’agite, tressaute, se tord. Ses bras, ses jambes, sa tête sont comme tordus par un mécanisme invisible. C’est une convulsion qui fait frémir. Très pâle, la figure émaciée au possible est un masque effroyable. Les yeux sont clos presque constamment. Les doigts sont crochus, recourbés, remuant sans répit comme les orteils d’ailleurs. On a l’impression que le malade est à la torture et qu’il se démène désespérément en proie à une souffrance intolérable. Il ne peut dormir que par brefs intervalles, sous l’effet d’un calmant très puissant. Après l’absorption de la drogue, l’agitation se fait au ralenti, mais même alors, son corps continue de faire des gestes de forcéné. Lorsque la morphine paralyse moins ses membres, le mouvement spasmodique se précipite. Parfois l’homme laisse entendre un râle sourd comme s’il faisait un effort désespéré. Un filet de bave lui coule presque constamment de la bouche.

Cette étrange maladie est le résultat de la syphillis héréditaire. Le malheureux est ainsi depuis sa naissance. Il a commencé à s’agiter en sortant du ventre de sa mère et il continue depuis. Pendant près de vingt-six ans, la femme qui lui a donné naissance en a pris soin. Maintenant, elle est morte et il a échoué à l’hôpital.

Un pantin d’une maigreur squelettique qui tressaute frénétiquement, tel un épouvantail. On le nourrit d’aliments liquides au moyen d’un tube qu’on lui met dans la bouche. Sur sa couche, il est presque nu et, à voir ses bras, ses jambes, son corps, sa tête sans cesse en mouvement, qui dansent une danse fantastique, échevelée, une danse de fou furieux, on dirait une mécanique infernale. De solides liens le tiennent attaché à son lit, car sans cette précaution, il tomberait fatalement sur le plancher et se briserait quelque membre. A le voir se démener on a l’impression d’être la victime d’un affreux cauchemar.

Presque chaque jour, des médecins venus de tous les coins du continent s’arrêtent et discutent de ce cas étrange devant la couchette du pauvre pantin qui se démène frénétiquement.

Puis, un soir, comme si le ressort qui agitait la carcasse humaine s’était soudain cassé, l’homme, pour la première fois de sa vie s’arrête. Ses membres s’affaissent et il gît immobile sur son lit. Il était mort. Alors, on l’a mis dans un cercueil et on l’a conduit au cimetière où il repose enfin.