Illusion (Verhaeren)

Poèmes (IIe série)Société du Mercure de France (p. 33-34).
◄  TOURMENT

ILLUSION


Droite, sur le pignon, une cigogne, l’une
Patte levée et l’autre en tige de roseaux,
Et le bec large ouvert, ainsi que des ciseaux
De pâle argent, pour découper le clair de lune,

Pour découper le pâle argent du clair de lune
Et ses moires et ses velours, ou bien encor
Happer les feux de nacre et les étoiles d’or
Qui s’éveillent avec les sylphes de la brune,


Les feux de nacre et les feux d’or, qui dans la brune
Peuplent, multipliés, les glauques infinis
Et les golfes lointains et les grands lacs unis
De nos rêves, miroirs de gloire et de fortune ;

Et l’on se laisse au songe aller — et la fortune
Habille de chimère et de voiles le soir
Et notre âme se meut en ce clair nonchaloir,
Illuminé comme un rivage de lagune.