Il ne faut pas jouer avec la douleur/Ch. 8

Il ne faut pas jouer avec la douleur
Œuvres complètes de Delphine de GirardinHenri PlonTome III (p. 243-252).


VIII.


— Y a-t-il des lettres pour moi ? demanda Léontine aussitôt que sa femme de chambre entra chez elle, le matin.

— Oui, madame ; voici une lettre qu’on vient d’apporter à l’instant.

Et madame de Viremont, d’une main tremblante, prit un petit billet coquettement plié et doucement parfumé, qui ressemblait fort à un message d’élégant. Léontine attendit qu’elle fût seule pour lire ces tendres excuses. Elle ne connaissait point l’écriture de M. de Lusigny ; mais son cœur lui disait que cette lettre était de lui : le cœur a des instincts infaillibles ! Elle rompit le cachet avec une vive émotion, et lut ce qui suit :

« Madame,

« Nous devons, demain soir, chez moi, tirer une petite loterie en faveur d’une famille malheureuse à laquelle je m’intéresse. Vous seriez bien aimable de venir, etc.

 » Baronne de Marville. »

Léontine, désappointée, jeta l’invitation loin d’elle avec impatience ; puis elle se dit :

« C’est trop tôt ; il n’enverra pas chez moi avant midi… »

À midi, on lui apporta une autre lettre ; l’écriture de l’adresse était superbe ; le billet était un peu grand pour un billet doux ; cependant, si, comme le pensait Léontine, quelque accident était arrivé à M. de Lusigny, cette lettre pouvait avoir été dictée par lui à un chirurgien, à un secrétaire, à un ami ou même à un domestique. Cette supposition ajoutait encore à son inquiétude.

Elle prit donc avec une émotion toujours croissante cette lettre, qui commençait ainsi :

« Madame,

« L’immense succès qu’obtiennent dans le monde aristocratique mes sous-jupes en crino-zéphyr, m’encourage, etc.

Signé : « Oudinot-Lutel. »

Cette fois, malgré son dépit, Léontinè ne put s’empêcher de rire, mais elle n’en trouva pas moins que le silence de M. de Lusigny était inexplicable.

— Sans doute il viendra lui-même se justifier, pensa-t-elle.

Et elle se mit à sa toilette.

Comme sa femme de chambre était occupée à tresser ses beaux cheveux, on frappa à la porte.

— Qu’est-ce ?

— C’est une lettre qu’on a laissée chez le portier, et dont on viendra chercher la réponse dans un quart d’heure.

Madame de Viremont décacheta la lettre promptement et sans la regarder… On demande une réponse… c’est de lui !

« Madame la comtesse,

« Un bon cœur est l’apanage des grâces et de la beauté. Prenez pitié d’un ancien artiste dramatique, poursuivi par le sort, et que de nombreuses infirmités ont forcé de quitter trop tôt la carrière du théâtre ; je serais allé moi-même implorer votre bonté, mais… »

Léontine n’acheva pas de lire cette étrange complainte, elle prit l’argent qui était dans sa bourse etle le donna en disant :

— Voilà la réponse, c’est pour une quête.

Au même instant, sa belle-sœur entra, tenant un billet à la main ; elle le remit à Léontine :

— J’ai manqué de le décacheter, dit-elle ; cet étourdi de François me l’a apporté croyant qu’il était pour moi. Cependant votre nom est écrit bien lisiblement sur l’adresse : la comtesse Charles… on ne peut s’y tromper.

Enfin !… c’était une lettre de M. de Lusigny !… Mais quelle lettre ! tout ce qu’il y a de plus commun, de plus rebattu ; c’étaient des phrases telles que celles-ci : « Un malheur arrivé à une personne de ma famille m’oblige de quitter Paris à l’instant même ; je crains d’être absent plus longtemps que je ne le voudrais (Il voulait donc un peu être absent !) ; mais aussitôt mon retour, j’irai vous porter tous mes regrets. Croyez, madame, qu’il m’est bien pénible de partir aujourd’hui, et plaignez-moi… »

Cette lettre était datée de mercredi soir.

Rien n’y manquait : le Je crains de, le Croyez que, et l’inévitable Plaignez-moi, l’éternel refrain de tous les absents coupables, qui sacrifient le bonheur de voir la femme qu’ils adorent à une partie de chasse, à un dîner de viveurs, ou à tout autre plaisir. N’est-ce pas cela qu’ils écrivent tous naïvement : « J’avais oublié de vous dire que c’est aujourd’hui notre ennuyeux dîner de bavards ; je ne vous verrai donc pas ce soir. Plaignez-moi… » À cette menteuse élégie, nous proposons de substituer cet avis bienveillant et loyal : « Je n’irai pas aujourd’hui chez vous, parce que je vais m’amuser ailleurs ; imitez-moi. »

Léontine, en lisant cette charmante lettre, éprouva le plus violent dépit. Pour cacher sa mauvaise humeur, elle demanda des nouvelles d’Hector.

— Il est beaucoup mieux, répondit madame Albert en s’efforçant de sourire ; il espère descendre ici un moment ce soir.

Ces mots devaient rassurer Léontine et l’empêcher de penser à soigner Hector.

Léontine passa une journée mortellement triste. Toutes les personnes qui vinrent la voir lui déplurent. Elle n’écoutait pas ce qu’on lui disait, et si par hasard elle l’avait entendu, elle comprenait le contraire et faisait des réponses folles. Vers la fin de la journée, on annonça M. T…, un jeune peintre fort distingué qui partait le soir même pour la Russie et qui venait lui faire ses adieux.

— J’ai plusieurs amies à Saint-Pétersbourg, dit Léontine, puis-je vous être utile auprès d’elles ?

M. T… remercia respectueusement madame de Viremont. — Il était déjà, disait-il, vivement recommandé aux personnes les plus influentes de la cour par M. de Lusigny, qui avait eu la bonté…

M. de… Lusigny ? interrompit Léontine.

— Oui, madame ; il vient de me donner ses commissions pour la Russie, et il a bien voulu…

— Vous venez de chez lui ?

— À l’instant même.

— Vous l’avez vu ?

— Je n’ai pas osé le déranger, ne pouvant rester qu’un moment, mais je l’ai prié de me faire remettre le paquet que je dois porter de sa part à la princesse W…, et il me l’a tout de suite envoyé, ainsi que plusieurs lettres de recommandation très-honorables et très-flatteuses pour moi.

— Il y a longtemps que votre voyage est décidé ?

— Le voyage est projeté depuis deux mois, mais le départ n’a été résolu que ce matin.

Il n’y avait plus moyen de se faire illusion : le mensonge était flagrant. Dès que Léontine fut seule, elle médita sur celle phrase : « Un malheur arrivé à une personne de ma famille m’oblige de quitter Paris à l’instant… » Or M. de Lusigny n’avait point quitté Paris, et certainement aucun malheur ne lui était arrivé, puisqu’il avait employé tranquillement sa matinée à écrire à des princesses russes. Ces gémissements, ce faux malheur n’étaient donc qu’un misérable prétexte, un mensonge cruel qui cachait un tort plus cruel encore sans doute ; il y avait derrière ce voile une trahison infâme, un mystère de perfidie qu’il fallait éclaircir à tout prix.

Malgré les conseils que lui dictait son orgueil, Léontine se décida à écrire à M. de Lusigny. Le style de son billet était fort laconique, et pourtant il disait trop peut-être :

« Vous n’êtes point parti ; vous m’avez trompée, pourquoi ? Répondez. Quelle que soit la vérité, je veux la savoir. »

M. de Lusigny répondit :

« La vérité ? je ne puis vous la dire ; je vous ai trompée pour vous épargner un chagrin ; mais ne me croyez pas coupable… oh ! ne m’accusez pas. »

Ce peu de mots suffisaient pour mettre à la torture l’esprit d’une pauvre femme ; ils produisirent leur effet. Léontine manqua en devenir folle d’inquiétude ; il y avait là de quoi donner de l’imagination à la femme la plus froide ; toutes les catastrophes qui peuvent menacer l’existence d’un homme d’honneur lui vinrent à la pensée ; elle rêva tous les tourments, toutes les humiliations dont un noble cœur peut souffrir. Pendant deux longs jours et deux éternelles nuits, elle vécut de ces horribles suppositions. Un moment elle crut avoir deviné ce fatal secret ; un fabricant de fausses nouvelles, un bavard parasite, jeta dans la conversation que, la veille, à un cercle ou à un club qu’il nomma, un jeune homme avait perdu au jeu trois cent mille francs… « C’est lui ! » pensa tout de suite Léontine. Car pour une femme qui aime ou qui croit aimer, ce qui est la même chose, si ce n’est davantage, il n’existe qu’un seul être sur la terre ; tout le reste de la race humaine est immédiatement supprimé ; l’homme adoré est seul chargé de supporter tous les événements qui arrivent. Quelqu’un a fait une chute de cheval… c’est lui ! — Un jeune homme s’est battu en duel… c’est lui ! — Le tonnerre est tombé sur un voyageur… c’est lui ! — Hélas ! on a raison de craindre pour ce qu’on aime follement ; toute personne trop aimée est par cela même en danger ; l’idolâtrie porte malheur.

Persuadée que le secret qui la séparait de M. de Lusigny était un désastre de fortune, Léontine se décida de nouveau à lui écrire. Cette seconde épître ne ressemblait en rien à la première. Elle était longue, entortillée, embrouillée, mais le sens en était fort clair. Ce galimatias de délicatesse pouvait se traduire par ces simples mots : « Ne vous affligez pas, je suis riche pour deux. »

M. de Lusigny répondit courrier par courrier vingt phrases non moins délicates qui rassuraient Léontine à ce sujet et qui la remerciaient avec tendresse de ses sentiments généreux.

Il fallait donc chercher une autre explication à ce mystère, et vivre au milieu du monde avec ces tourments. Pour supporter un malheur dont on connaît toute l’étendue, on a besoin de solitude et de silence ; mais pour lutter avec l’inquiétude, pour assouvir une curiosité dévorante et douloureuse, on a besoin de mouvement et de bruit. On accueille tous ceux que d’ordinaire on fuit, ceux qui parlent, ceux qui savent, et même ceux qui inventent ; il n’est plus de bavards, plus d’imposteurs. Bien loin de redouter ces impitoyables commères dont les propos empoisonnés sont si dangereux, dont le bavardage innocent distille à travers mille charmantes plaisanteries la ruine, le déshonneur et la mort, on court au-devant d’elles avec impatience, on excite leur ingénieuse méchanceté, on la bénit presque dans sa folie, tant on est avide d’apprendre le secret qui doit déchirer le cœur.

Madame de X… est une de ces femmes-là, épouvantables, exécrables, mais on ne saurait plus amusantes. C’est une Gazette des Tribunaux en capote rose et en souliers de satin blanc. Elle excelle à traduire en crime tout événement extraordinaire : à ses yeux, un enfant posthume est toujours un enfant supposé ; un veuvage opportun est un empoisonnement certain ; il n’est pas une de ses historiettes piquantes qui ne soit une agacerie directe à M. le procureur du roi.

Eh bien, Léontine, qui détestait cette femme, éprouvait alors le plus vif désir de la voir ! Elle arriva précisément, mais cette visite n’était point l’effet du hasard. Madame de X… savait que M. de Lusigny était très-occupé de Léontine, elle savait aussi qu’avant de la connaître, l’hiver dernier, il avait rendu des soins empressés à une autre jeune femme qui passait pour l’avoir assez bien traité ; et madame de X…, dans son zèle toujours charitable, accourait apprendre à Léontine que cette jeune femme, sa rivale, absente depuis deux mois, venait d’arriver à Paris.

— Elle n’a pas pu y tenir, ajoutait-elle, elle a laissé dans son vieux château son vieux mari, et, sous prétexte de consulter toute la Faculté pour un enfant malade, elle est venue ici ; mais vous pensez bien que la maladie de l’enfant va traîner en longueur ; on ne lui permettra pas de guérir avant l’automne.

À cette nouvelle, qui expliquait tout, Léontine devint pâle comme une statue. Elle voulut parler pour cacher son trouble, mais elle n’avait plus de voix. Madame de X… la regardait avec une joie infernale. Léontine, que cette joie révoltait, essaya encore de se vaincre et de repousser, au moins avec dignité, le coup qu’on lui portait avec tant d’audace ; mais elle pensa que le seul moyen d’apaiser ces sortes de vampires, c’est de leur laisser complaisamment boire tout le sang de sa blessure ; et elle se résigna, dédaignant toute hypocrisie, à souffrir devant son ennemi loyalement et bravement.

Madame de X… ayant dit ce qu’elle avait à dire, s’en alla semer ailleurs d’autres nouvelles agréables autant que celle-là.

Léontine, passionnément aimée de son mari, n’avait jamais été jalouse. Pour la première fois, elle éprouvait cette affreuse rage de cœur, ces convulsions d’amour-propre, cette épilepsie morale dont les accès ont l’avantage de durer des jours entiers, cette démence pleine de raison qu’on appelle la jalousie. Elle souffrait horriblement ; elle ressentait à la fois toutes les amertumes de la haine et tous les chagrins de l’amour, et cependant sa douleur n’était rien auprès de la douleur d’Hector. La jalousie de l’orgueil, cette révolte superbe d’un être doué qui se croit méconnu, est moins cruelle, moins poignante que la jalousie de l’humilité… L’une est pleine d’avenir ; elle peut rêver la vengeance ; mais l’autre, qui naît d’un excès de modestie et du dégoût de soi-même, n’a ni avenir ni espoir. Comment celui qu’elle torture pourrait-il encore espérer ? Qu’oserait-il rêver, le malheureux ? Il se croit indigne de ce qu’il désire !

« Voilà donc pourquoi il n’est pas venu !… pensait Léontine ; et pendant que je l’attendais avec tant d’émotion, il était auprès d’une autre femme, riant peut-être avec elle de l’inquiétude qu’il me causait ; et il m’a sacrifiée, gaiement sacrifiée, à une ancienne intrigue !… Il faut que cette femme ait sur lui bien de l’empire pour le contraindre à renoncer à un mariage qu’il paraissait vouloir si vivement. Elle aura sans doute appris ses projets par quelque charitable correspondance, et c’est pour empêcher un mariage qu’elle est accourue à Paris ; et lui… il tremble devant elle… il n’ose plus venir chez moi ; il craint un esclandre. Cette femme s’amuse à le menacer de mille folies ; elle joue la passion pour le captiver… Et il la console, il la rassure en disant qu’il ne m’aime pas ! »

Oh ! comme alors elle se repentait de lui avoir écrit, comme elle se reprochait d’être tombée dans le piège et d’avoir si candidement avoué toutes les inquiétudes, toutes les faiblesses de son cœur. Elle se rappelait une à une les phrases de sa lettre, ces détours de générosité qui lui semblent si ridicules maintenant. Elle maudissait la noblesse incorrigible de son caractère qui l’entraînait toujours à être dupe ; et puis elle pleurait amèrement ; rougir de ses pensées les plus nobles, c’est si triste ; être toujours puni de ses sacrifices les plus purs, c’est si révoltant !

À force de se tourmenter, de s’indigner, de se désoler, Léontine se rendit malade ; elle fut forcée de rester au lit pendant trois jours. Sa belle-sœur, inquiète, voulut absolument lui amener le médecin qui soignait Hector. Mais avant de le conduire chez Léontine, madame Albert recommanda bien au médecin de ne pas l’effrayer en lui parlant de l’état où se trouvait Hector. Madame Albert espérait chaque jour que son frère serait moins souffrant le lendemain, et qu’il reprendrait un peu de courage en s’accoutumant à son chagrin. Pour lui donner de l’espoir, elle répétait sans cesse que M. de Lusigny n’était pas venu depuis très-longtemps, que Léontine ne semblait pas du tout s’occuper de lui ; Hector répondait :

— Tu dis cela pour me consoler, mais moi je sens bien qu’elle l’aime.

Quand Léontine demandait de ses nouvelles, on lui promettait qu’elle le verrait le soir même. Et le soir, comme elle s’étonnait qu’il ne fût pas venu, on prétendait qu’il n’avait pas voulu descendre dans le salon parce qu’il y avait du monde et qu’il lui aurait fallu s’habiller.

Léontine ne s’alarmait donc nullement de cette maladie qui paraissait n’inquiéter personne, et dont la cause lui semblait fort peu intéressante.

Le médecin trouva Léontine très-affectée, et il ordonna pour cette affection improvisée qu’il reconnut sans hésiter, et qu’il baptisa d’un nom scientifique très-élégant, toutes sortes de potions, de lotions et de décoctions que Léontine se promit aussitôt de ne pas prendre. Quand il eut écrit, signé et parafé son ordonnance, il se mit à exercer son métier de docteur à la mode : il raconta des histoires charmantes, il se montra plein d’esprit et d’originalité, il fut brillant, sémillant, très-savamment mondain et très-coquettement érudit ; aussi voyait-il avec orgueil, avec plaisir, sa belle malade se ranimer à ses discours. En effet, depuis un moment Léontine avait retrouvé ses fraîches couleurs, son sourire n’était plus nerveux et triste ; un peu d’espérance venait de rentrer dans son cœur. Le secret de ce changement le voici : après une demi-douzaine d’anecdotes plus piquantes les unes que les autres, l’aimable docteur avait raconté une cure merveilleuse, opérée par Pétroz sur un sujet dont toute la Faculté avait désespéré. Il s’agissait d’une petite fille, belle comme un ange, défigurée par un mal affreux, et que le célèbre docteur avait guérie avec ses poudres, sans opération et, pour ainsi dire, par miracle. Comme Léontine et sa belle-sœur s’étonnaient à ce récit, le bienfaisant conteur ajouta :

— Mais vous saurez cela mieux que moi, mesdames ; vous devez connaître cet enfant, ou du moins sa mère…

Et il nomma justement cette jeune femme qu’on accusait d’être venue à Paris pour voir M. de Lusigny.

— Elle est repartie ce matin, continua le docteur, pour aller rejoindre son mari, toute fière, toute joyeuse ; et les homéopathes triomphent, et ils nous disent des injures pour nous convaincre de la supériorité de leur système.

Léontine sourit. Son cœur était soulagé d’un poids énorme.

— Ah ! vous triomphez aussi, madame… je sais que vous avez un faible pour les doctrines nouvelles ; admirez-les, soit, mais quand vous vous portez bien. Nous n’avons pas de prétentions aux miracles, nous autres ; nous guérissons, et voilà tout.

La joie que ressentit Léontine en reconnaissant que madame de X… l’avait trompée ne dura que peu de temps. D’autres soupçons vinrent bientôt l’agiter. Elle s’imagina que M. de Lusigny s’était battu en duel, qu’il était blessé, et que, pour se soustraire aux rigueurs de la nouvelle loi, il gardait sur cette affaire un secret profond. Cette idée lui vint au milieu de la nuit, après plusieurs jours d’une diète absolue, c’est-à-dire dans la meilleure disposition pour imaginer un coup de tête ; elle attendit le lever du jour avec impatience pour exécuter le projet qu’elle méditait. Le jour parut : avant de rien entreprendre, elle envoya chez M. de Lusigny demander de ses nouvelles ; on fit dire que M. de Lusigny était à la campagne depuis trois semaines. Cette réponse, que Léontine savait être un mensonge, la confirma dans ses soupçons. « Il se cache, il est blessé ; il faut qu’il soit très-mal, puisqu’il ne m’écrit pas. Peut-être a-t-il été obligé de quitter la France, pour n’être pas arrêté ; peut-être est-il parti mourant… Ah ! cette idée est affreuse ; je ne puis vivre dans cette incertitude ; ce supplice est trop long ; je ne veux pas le subir une heure de plus… aujourd’hui !… aujourd’hui même je saurai la vérité. »

Léontine mit à la hâte son chapeau, son mantelet ; et, pâle de crainte, ivre d’inquiétude, elle sortit de l’hôtel de Viremont sans donner d’ordre, sans dire à quelle heure elle rentrerait et sans demander des nouvelles d’Hector.