É. Challiot et Cie.

OPÉRETTE EN UN ACTE
Représentée pour la première fois à Paris, sur le théâtre des Bouffes-Parisiens le 18 janvier 1864.




DISTRIBUTION DE LA PIÈCE


BERTOLUCCI, amateur de musique 
MM.
Désiré.
Desmonts.
BACOLO, laquais de Bertolucci 
Pradeau.
GARAMELLO, antiquaire 
Edouard Georges.
FABRICIO, amant de Clorinda 
Mmes  Tostée.
CLORINDA, fille de Bertolucci 
Taffanel.
MOSCHETTA, soubrette 
Zulma Bouffar.


Le théâtre représente un salon bourgeois. – Aux murs sont pendus des cadres contenant des autographes.





Scène PREMIÈRE

BERTOLUCCI, CLORINDA, MOSCHETTA, BACOLO.
BERTOLUCCI. Il entre par le fond, une lettre à la main.

Il accourt, il approche, il arrive !
Ah ! que ma joie est vive !
Il accourt, il approche, il arrive,
Merci, mon Dieu, merci !

CLORINDA. Elle entre par la gauche, une lettre à la main.

Il accourt, il approche, il arrive,
M’apprend cette missive !
Il approche, il accourt, il arrive,
Mais qui donc vient ici ?

MOSCHETTA, Elle entre par la droite, une lettre à la main.

Il accourt, il approche, il arrive,
M’apprend cette missive.

BACOLO.

Il accourt, il approche, il arrive,
M’apprend ce billet-ci,
Après ça, qu’il arrive,
Quel bonheur !
Merci, mon Dieu, merci.

CLORINDA.

Mon père, expliquez-moi cette circulaire !

BERTOLUCCI.

La chose est bien claire
Sur l’honneur !

MOSCHETTA, à Bertolucci.

Vous voilà joyeux,
Si j’en crois vos yeux ;
Vous voilà joyeux,
Tout est pour le mieux.

BERTOLUCCI.

Que l’on prépare, vite, vite,
Tout ici pour le recevoir :

CLORINDA.

Mais quel est l’homme de mérite,
Mon père, que nous allons voir ?

MOSCHETTA et BACOLO.

Oui ! oui ! oui ! oui ! oui !
Qui ? qui ? qui ? qui ? qui ?

BERTOLUCCI.

Mais lui ! le signor Fagotto !

TOUS.

Qui, Fagotto ? qui, Fagotto ?

BERTOLUCCI.

Le grand, l’illustre maestro,
Qui nous arrive incognito.

REPRISE ENSEMBLE.

Il accourt, il approche, etc.

BERTOLUCCI, lisant sa lettre.

Au signor Bertolucci, à moi ! « Monsieur, il signor Fagotto a l’honneur de vous prévenir que désirant se soustraire aux émotions d’une ovation spontanée, il arrivera incognito chez son ami Bertolucci un jour ou l’autre. »

CLORINDA, lisant à son tour.

A mademoiselle Clorinda Bertolucci. « Monsieur, il signor Fagotto a l’honneur de vous prévenir… »

MOSCHETTA, lisant aussi.

A mademoiselle Moschetta, en service chez le signor Bertolucci. « Monsieur, il signor Fagotto… »

BACOLO, lisant aussi.

Au signor Bacolo,… car j’en ai une aussi. « Monsieur… »

BERTOLUCCI, l’interrompant.

Il t’écrit Monsieur,… à toi aussi ?…

BACOLO.

Mais à toute la ville… Y’ en avait haut comme çà à la poste…

BERTOLUCCI.

Enfin ce dieu de la musique se décide donc à venir goûter un jour ou l’autre mon fameux vin de Chypre de trois cent trente trois ans de bouteille !… Quand je pense que nous sommes intimes et que nous ne nous connaissons pas…

MOSCHETTA.

Ce que c’est que le fruit d’une admiration réciproque !

BERTOLUCCI.

Nous nous sommes liés par correspondance… une correspondance très-suivie…

BACOLO.

Soixante quinze lettres en un mois…

BERTOLUCCI.

Autant d’autographes qui ornent mon salon et que j’admire tous les matins avant de me faire la barbe… (Il parcourt les cadres.) Monsieur… cher monsieur,… cher ami !… tendre Ami !…

BACOLO.

Ma petite vieille…

BERTOLUCCI.

Quelle progression ! et tout cela sans nous connaître ; c’est inouï !…

BACOLO.

En voilà un qui vous fait payer des ports de lettres…

BERTOLUCCI.
Ah ! tu en sais quelque chose,… toi mon fidèle factotum, qui les met si religieusement à ta poste.
BACOLO, à part.

Compte là-dessus. (Haut.) Est-ce que réellement vous lui ferez goûter de votre fameux vin de trois cent trente trois ans de bouteille ?

BERTOLUCCI.

Bacolo ! je n’ai touché à ce vin-là que trois fois dans ma vie ; il m’en reste une bouteille et je te déclare que si l’illustre Fagotto franchit mon seuil, il la boira tout entière ! à lui tout seul !…

BACOLO.

A lui tout seul ! (Il fait claquer sa langue.)

BERTOLUCCI.

Et, avec çà, je lui ménage une surprise… et à vous autres aussi…

TOUS.

Quoi donc ?…

BERTOLUCCI.

Une noce ! une noce magnifique !

MOSCHETTA.

Une noce !

BERTOLUCCI.

Oui ! je veux qu’il signe au contrat de ma fille avec Caramello…

CLORINDA.

O ciel !

MOSCHETTA.

Caramello ! allons donc ! il est vieux, laid et antiquaire, trois vices rédhibitoires.

BERTOLUCCI.

C’est une célébrité en son genre ; il est membre de l’académie nationale des Amphores de Pompéïa.

BACOLO.

Des Amphores ! qu’est-ce que c’est que çà ?

BERTOLUCCI.

Les vases dans lesquels les anciens mettaient le vin, l’huile ou la chartreuse de ce temps-là…

BACOLO.
Ah ! alors, dites cruche, monsieur ! on vous comprendra.
BERTOLUCCI.

Soit ! En outre, il a reconstitué, rien qu’avec une molaire du ténor qui la chantait il y a mille huit cents ans, une ode de Pindare, musique de Porphyre. Un tour de force ! Bref ! il a ma parole, et quand une fois j’ai donné ma parole…

BACOLO.

On n’a plus qu’à tirer son chapeau.

CLORINDA, à Moschetta.

Ah ! Moschetta, je suis perdue.

BACOLO, bas à Moscbetta.

Mam’zelle… si vous vouliez… Je me chargerai bien de rompre ce mariage-là.

MOSCHETTA, lui tournant le dos.

Allons donc ! est-ce que vous êtes bon à quelque chose ?…

BERTOLUCCI.

Et maintenant je vais répondre à la soixante-seizième lettre de mon illustre ami… Suis-moi… Bacolo… Tu mettras la lettre à la poste. Ne perdons pas un moment… (Il sort avec Bacolo.)


Scène II

CLORINDA, MOSCHETTA, FABRICIO.
CLORINDA.

Eh bien ! Moschetta ! que faire ?

MOSCHETTA.

Ma foi, mademoiselle, je ne sais… Votre père, avec sa passion pour la musique, devient plus fou de jour en jour…

CLORINDA.

Que dira Fabricio quand il apprendra la décision de mon père…

MOSCHETTA.
Tenez, je l’entends !
CLORINDA.

Ne lui disons rien…

FABRICIO, entrant.

Mademoiselle, je vous salue ! (Changeant de ton.) Votre père n’est pas là ? (Il lui embrasse la main vivement.)

CLORINDA.

Que faites vous ?

FABRICIO.

C’est bien assez de nous contraindre quand nous ne sommes pas seuls….

MOSCHETTA.

Oui… Mais monsieur n’est pas loin…

FABRICIO.

Ah ! chère Clorinda ! quand viendra, le jour où je pourrai librement vous dire que je vous aime…

CLORINDA.

Je ne sais…. mais ce jour là… me paraît encore bien loin de nous…

FABRlCIO.

Moins que vous ne croyez peut être ; j’ai un motif d’espérer. Vous savez bien que j’ai composé un opéra… J’en avais offert une copie à votre père… il ne l’a pas lue, il ne sait même pas ce qu’elle est devenue… Mais je ne me suis pas découragé et j’en ai envoyé l’original au grand Fagotto, ce musicien en qui votre père a toute confiance.

MOSCHETTA.

Nous l’attendons d’un jour à l’autre…

FABRICIO.

S’il est content de mon ouvrage, je suis sauvé….

CLORINDA.

Oh ! il ne pourra qu’en être satisfait.

VOIX DE BERTOLUCCI.

Moschetta ! Moschetta !

MOSCHETTA.
Méfiez vous ! voilà monsieur.

Scène III

Les Mêmes, BERTOLUCCI.
BERTOLUCCI, paraissant en déshabillé.

Moschetta je n’ai pas d’eau chaude pour me faire la barbe !

MOSCHETTA.

On y va, monsieur. (Elle sort.)

BERTOLUCCI, à Fabricio.

Ah ! ah ! mon jeune ami, vous voilà… Soignez les intonations de ma fille… j’aurai bientôt l’occasion de la faire briller.

FABRICIO.

Je ne néglige rien, monsieur, pour me faire bien comprendre de mademoiselle.

BERTOLUCCI.

C’est bien. Ma fille, travaille… travaille !…

TRIO et DUETTO.
BERTOLUCCI.

Je veux que ma fille
Par ses talents brille,
Qu’à son professeur
Elle fasse honneur.

CLORINDA et FABRICIO.

Il faut qu’une fille
Par ses talents brille,
Qu’à son professeur
Elle fasse honneur.

CLORINDA, à Bertolucci.

Je n’aime pas que l’on m’écoute,
Cela, me gêne en travaillant.

BERTOLUCCI.

Oui, cela vous gêne sans doute
Qu’on vous écoute en travaillant,
Mais je m’amuse en vous écoutant !

CLORINDA.

Mon cher papa, ne vous déplaise
Seule on est bien mieux à son aise
Oui, seule on travaille à son aille…

(Il entre à droite.)

FABRICIO, à Clorinda.

Allons, il faut que je vous donne
Votre leçon.

CLORINDA,

A vos conseils je m’abandonne.

FABRICIO.

Quoi ! tout de bon.

CLORINDA.

Ne suis-je pas votre écolière ?

FABRICIO.

Ah ! si j’osais…
Je sais bien de quel ton, ma chère,
Je chanterais !
Dans votre voix, plus de tendresse.

CLORINDA,

A mon maitre il faut obéir.

FABRICIO.

D’où vous vient cet air de tristesse ?

CLORINDA.

Hélas ! je ne saurais mentir,
Sachez le dessein de mon père,
A Caramello l’antiquaire,
Sans plus tarder, il veut m’unir.

FABRICIO.

A cette cruelle disgrâce,
Rien n’est égal.
Faudra-t-il donc céder la place
A ce rival ?

Il prétend vous prendre pour femme.
Ah ! si J’osais !
A lui, je sais bien quelle gamme
Je chanterais.

CLORINDA.

Ah ! prenez garde, car sans doute,
De sa chambre, mon père écoute.

BERTOLUCCI, paraissant une serviette autour du cou et repassant son rasoir.

Je n’entends rien !

FABRICIO.

Je n’entends rien ! Nous chantions bas.

CLORINDA, à Bertolucci.

Pour que vous ne vous coupiez pas.

FABRICIO et CLORINDA.

Do, si, la, do, si, la, la.
Do, si, la.

ENSEMBLE.
BERTOLUCCI.

Ah ! c’est très-bien,
Je n’ai plus rien
A dire.
Je me retire,
Je suis à deux pas,
Ne vous gênez pas.

CLORINDA et FABRICIO.

Solfions bien
Pour qu’il n’ait rien
A dire,
Ah ! quel martyre,
Mais causons plus bas,
Qu’il n’entende pas.

(Bertolucci rentre.)

FABRICIO.

A la beauté dont mon âme est ravie,
Rien ne saurait se comparer.

Plutôt cent fois perdre la vie
Que de cesser de l’adorer.

BERTOLUCCI, paraissant le visage plein de savon.

Que parlez-vous de l’adorer ?
Je viens d’entendre : l’adorer.

FABRICIO, solfiant.

Nous solfions !

CLORINDA.

Nous solfions ! Oui, je solfie.

ENSEMBLE.

La, do, ré
La, do, ré !

BERTOLUCCI.

Ah ! mais, avec vos ré, ré, fa ré,
Je vous trouve l’air effaré.

FABRICIO.

C’est que c’est l’air…

CLORINDA.

C’est que c’est l’air… Ré, ré, fa, ré.

REPRISE DE L’ENSEMBLE.
BERTOLUCCI.

Ah ! c’est très-bien, etc.

CLORINDA et FABRICIO.

Solfions bien, etc.

MOSCHETTA, annonçant.

Le seigneur Caramello.

BERTOLUCCI.
Je suis à lui, le temps de me débarbouiller. (Il sort.)

Scène IV

CLORINDA, FABRICIO, MOSCHETTA, CARAMELLO.

(Caramello a un costume prétentieux, il tient une lyre sous son bras.)

CARAMELLO.

Salut à la belle Clorinda… à la plus gracieuse… à la plus… la plus… Le mot me manque pour qualifier tant de… tant de… Le mot me manque.

MOSCHETTA, raillant.

On n’est pas plus galant…..

FABRICIO.

Et voilà le rival qu’on me préfère….

CLORINDA, bas à Fabricio.

Pas d’imprudence.

CARAMELLO.

Permettez-moi, divine Clorinde, de vous offrir cette lyre ! C’est une des plus précieuses reliques de l’antiquité… c’est la lyre de Pindare… Je l’ai retrouvée dans les fouilles de Pompeïa… J’aurai l’honneur de vous faire entendre sur cet instrument une mélopée antique des plus… des plus… Le mot me manque…

FABRICIO.

Des plus endormantes…

CARAMELLO.

Zendor !… Ah ! pardon, monsieur, je ne vous voyais pas.

FABRICIO, saluant.

Fabricio, Jeune compositeur… pas assez joué ou trop joué, comme il vous plaira de l’entendre.

CLORINDA, à Fabricio.
Soyez prudent !
CARAMELLO.

Monsieur n’apprécie pas comme moi les chefs-d’œuvre de l’antiquité.

FABRICIO.

Au contraire, monsieur, je les apprécie comme vous… et je fais aussi peu de cas de l’un que de l’autre.

CARAMELLO.

Monsieur, je ne comprends pas bien.

FABRICIO.

Je m’explique pourtant clairement.

CLORINDA.

De grâce…

CARAMELLO.

Rassurez-vous… le sage ne s’emporte jamais.

MOSCHETTA.

Voici monsieur…


Scène V

Les Mêmes, BERTOLUCCI.
CARAMELLO.

Cher beau père, recevez mes félicitations. Depuis longtemps vous passiez avec justice parmi vos concitoyens pour le plus grand…

MOSCHETTA, à part.

Imbécile !

CARAMELLO, continuant.

De la ville. Aujourd’hui c’est autre chose. Il est évident que puisque grâce à votre liaison avec cette homme illustre, nous allons le posséder dans nos murs…

BERTOLUCCI.
Ah ! bah ! vous savez déjà la nouvelle ?…
CARAMELLO.

Mais on ne parle que de cela dans toute la ville… l’autorité est prévenue ; on fait poser des affiches.

FABRICIO, bas à Clorinda.

Si j’ai son appui, nous sommes sauvés.

BERTOLUCCI, à Caramello.

Ah ! mon ami, surtout pas d’ovation ; que tout se passe en famille.

CARAMELLO.

J’aime mieux ça… Si nous faisions sonner les cloches ?

BERTOLUCCI.

C’est convenu ; j’ai envoyé tout à l’heure prévenir le sonneur.

FABRICIO, à Bertolucci.

Monsieur, ma présence peut-elle vous être utile ?

BERTOLUCCI.

Certainement, mon jeune ami… Vous viendrez aussi, Vous ne serez pas de trop dans cette solennité musicale ; vous tournerez les pages.

FABRICIO.

Mais monsieur !…

MOSCHETTA, bas.

Venez toujours… On ne sait pas ce qui peut arriver…

FABRICIO.

Je viendrai, monsieur. (A part.) Oh ! si rien ne change, c’est le Caramello que je retournerai. (Il sort.)

BERTOLUCCI, à Caramello.

Et maintenant, mon ami, venez avec ma fille dans mon cabinet nous allons régler les clauses du contrat de mariage.

CARAMELLO, donnant la main à Clorinda.
Mademoiselle, ce jour est le plus… le plus… Le mot me manque…

Scène VI

MOSCHETTA, puis BACOLO.
MOSCHETTA.

Ma foi ! je ne sais plus à quel saint me vouer… Comment triompher de l’entêtement de ce vieux mélomane… Oh ! je n’ai pas même une idée.

BACOLO, qui est entré sans bruit.

Vous cherchez une idée, mamzelle ?

MOSCHETTA.

L’imbécile ! il m’a fait peur ! Est-ce que tu m’espionnes maintenant ?

BACOLO.

Oh ! non, mamzelle… mais j’ai du plaisir à être près de vous.

MOSCHETTA.

Eh bien ! ce plaisir n’est pas partagé. Bonsoir !

BACOLO, la retenant.

Vous savez bien que je veux me marier, et vous, mamzelle, quand est-ce que vous m’épousez ?

MOSCHETTA.

Jamais.

BACOLO.

C’est bien tard ! J’attendrai tout de même.

MOSCHETTA.

Mais, en vérité, ne faudrait-il pas se presser ?…

COUPLETS.
I

Quand j’achète fruit ou légume
Et gibier de poil et de plume,

Je reste longtemps à choisir !
L’homme est moins facile à connaitre,
Et vous prétendiez peut-être
Que l’on vous prit sans réfléchir ?

Vous êtes trop bête,
Voyez cette tête,
Quoi, ce monsieur-là
Croit qu’on l’aimera.
Modérez, de grâce,
Ces folles ardeurs,
Voyez-vous en face
Et cherchez ailleurs.

II

Il n’est pas besoin, pour me plaire,
D’être un homme extraordinaire,
D’esprit et de talents pétri ;
Mais j’exige, au moins, et pour cause,
Qu’on en ait suffisante dose,
Et même pour faire un mari :

Vous êtes trop bête, etc., etc.

BACOLO, avec calme.

C’est bon ! c’est bon ! on verra… En attendant, notre jeune maîtresse va épouser le vieil antiquaire au lieu de son jeune professeur.

MOSCHETTA.

Cela a l’air de te faire plaisir.

BACOLO.

Comme à vous ! Si vous vouliez être plus avenante avec moi, il y aurait peut-être moyen de rompre le mariage.

MOSCHETTA.
Oh ! celui qui ferait cela… foi de Moschetta, je l’épouserais de bon cœur.
BACOLO.

Vrai !

MOSCHETTA.

Quand ce serait toi, et ce n’est pas m’engager à grand’chose… car si nous n’avons pas d’autres auxiliaires… mademoiselle est bien sûre de son fait.

BACOLO.

On verra.

MOSCHETTA.

Et que peut-on voir avec toi… si ce n’est une sotte figure ?…

BACOLO.

C’est bon ! c’est bon ! voilà monsieur… Je vous laisse ; je vais porter sa réponse avec les autres. (Il sort.)


Scène VII

BERTOLUCCI, CARAMELLO, CLORINDA, MOSCHETTO.
BERTOLUCCI.

Voilà ! tout est parfaitement convenu ; nous vous compterons la dot après demain, vingt mille écus.

CARAMELLO.

Vingt mille écus, (A part.) Enfin je pourrai donc acheter cette collection de trombonnes cappadociens qui remontent à Mithridate.

BERTOLUCCI.

Vous dites.

CARAMELLO.

Rien, mon ami ! Je dis que l’intérêt n’est pas ce qui me guide.

BERTOLUCCI.
Je le sais ! Quel caractère antique ! Enfin nous touchons au moment, et peut-être avant vingt-quatre heures.

Scène VIII

Les Mêmes, BACOLO.
BACOLO.

Monsieur ! monsieur, c’est la journée aux lettres… encore une autre. (Il sort.)

BERTOLUCCI.

Dieu ! l’écriture de Fagotto.

TOUS.

Ouvrez !

MOSCHETTA.

Y aurait-il contr’ordre ?… ne viendrait-il pas ?

BERTOLUCCI, lisant.

Ah ! mon Dieu ! il arrive à l’instant ! aujourd’hui !

TOUS.

Ciel !

BERTOLUCCI.

Et qu’ai-je vu ? un post-scriptum. Ça ne vous concerne pas… allez regarder les autographes. (Il lit bas.) « On m’a dit que vous aviez une fille, je ne vous connais pas, mais si elle vous ressemble, je l’épouse !… » Dieu ! qu’allais-je faire ?

CLORINDA, revenant.

Mon père ! quelle émotion !

BERTOLUCCI.

On en aurait à moins.

CARAMELLO.

Il sera là pour signer au contrat de mariage ?

BERTOLUCCI.

Le mariage… le mariage…

CARAMELLO.
N’est-ce pas demain ?
BERTOLUCCI.

Demain… après demain, dans six mois !

CARAMELLO.

Hein ! mais on dirait que vous me renvoyez aux calendes grecques ?

MOSCHETTA.

Eh bien ! en votre qualité d’antiquaille.

BERTOLUCCI.

On ne dit pas caille… on dit quaire…

MOSCHETTA.

Moi je dis caille…

BERTOLUCCI.

Ah ! oui comme cuisinière, elle dit caille… mais on dit quaire… Ne faites pas attention, mon ami… Vous comprenez qu’au moment de recevoir Fagotto, je suis tout entier à la préoccupation de son arrivée.

MOSCHETTA, bas à Clorinda.

Mademoiselle, je crois qu’il y a du nouveau,

BERTOLUCCI, à la cantonnade, au fond.

Bacolo ! cours chez le traiteur commander le festin….. Caramello, vous lui chanterez votre ode pindarique, puis vous ferez battre le rappel. Pas d’ovation… une simple fêle de famille.. Toi, ma fille, hâte-toi de t’habiller en muse…

CLORINDA.

Moi ! mon père…

BERTOLUCCI.

Oui ma fille… Jamais la muse de la musique n’aura été plus jolie ! Je sais ce que je fais. A partir d’aujourd’hui, tu te vêtiras tous les matins en muse. (A Moschetta.) Et toi aussi, je veux que tu t’habilles en buse… en muse.

MOSCHETTA.
Je ne veux pas…
BERTOLUCCI.

Je t’ai prise pour tout faire. Tu t’habilleras en muse, avec une lyre sur la tête et des fleurs sous les bras… Non, je me trompe… avec des fleurs sur la tête et une lyre sous les bras ! ne la laisse pas tomber dans le pot au feu, c’est tout ce que je demande.

MIOSCHETTA.

Ah ! mais ça devient de la frénésie.

BERTOLUCCI

C’est le mot ! Il n’y en avait qu’un ! tu l’as trouvé !

MOSCHETTA

Ah ! mais c’est que le mot ne me manque, pas à moi…

BERTOLUCCI

Au contraire. Enfin… je prétends qu’on l’accueille avec délire… Je sais ce que je fais ! Allez ! allez, ne perdons pas un moment. (Ils sortent tous dans des directions différentes.)


Scène IX

BERTOLUCCI, puis MOSCHETTA.
BERTOLUCCI, il tourne tout autour du théâtre comme un insensé.

Ah ! quel jour ! Tais-toi, mon cœur ! Contiens-ton ivresse ! Lui l’époux de ma fille ! mon gendre, presque mon fils !… Ah ! ah ! Moschetta ! Moschetta !

MOSCHETTA, au dehors.

Quoi ! encore.

BERTOLUCCI

Sais-tu où sont les boîtes à musique que j’ai fait venir de Genève ?

MOSCHETTA, au dehors.
Dans le placard !
BERTOLUCCI.

Et mon discours qui n’est pas prêt… Reste !… (A lui-même.) Type véritable d’hôte illustre ! (Il ouvre le placard.) Moschetta, je ne les vois pas.

MOSCHETTA, au dehors.

Mettez vos lunettes !

BERTOLUCCI.

Reste !… Les voici… Autant de surprises auxquelles il sera sensible… Type véritable d’hôte illustre… Celle-ci, c’est la tabatière… Il doit priser… Dans ma poche… Table d’hôte illustre !… Celle-là avec le même air. Introduisons-là sous le coussin du fauteuil que je lui destine… Table d’hôte illustre… Ces deux autres… où les mettre ?… dans son lit ! l’une aux pieds… l’autre à la tête… Quant à cette dernière… Moschetta !

MOSCHETTA.

Ah ! que c’est ennuyeux !

BERTOLUCCI.

Je ne sais comment employer la dernière…


Scène X

BERTOLUCCI, CLORINDA en Muse, MOSCHETTA en Muse, puis CARAMELLO et FABRICIO.
CLORINDA.

Eh bien ! mon père, suis-je à votre goût !

BERTOLUCCI.

Ah ! magnifique ! magnifique !

MOSCHETTA.

Et moi, monsieur ?

BERTOLUCCI.
Pas mal ; tu as l’air de quelque chose.

Scène X.

CARAMELLO, arrivant, apercevant les jeunes filles.

Que vois-je ! deux muses charmantes ! Euterpe et Terpsichore. (A Moschetta lui offrant un bouquet.) Mademoiselle !

MOSCHETTA.

Qu’est-ce cela ?

CARAMELLO.

Pardon ! je me trompe… Mademoiselle !… C’est une pétrification !…

FABRICIO, arrivant.

Monsieur ! monsieur !!

BERTOLUCCI.

Qu’est-ce encore ?

FABRICIO.

Écoutez au loin… C’est lui !

BERTOLUCCI.

Vite à nos places, à droite et à gauche.

CLORINDA, à Moschetta.

Mets-toi devant moi…

BERTOLUCCI.

Non pas comme ça, les deux muses de chaque côté en avant.

FABRICIO.

Il monte l’escalier !

CARAMELLO.

Courez donc au-devant de lui, c’est à vous !

BERTOLUCCI.

Impossible !… je n’ai plus de jambes… c’est pourtant un homme simple… Vous allez voir quel simple homme…

FABRICIO.

Le voici.

BERTOLUCCI, aux muses.
Pincez vos lyres. (A tous). Saluons ! (Ils s’inclinent profondément.)

Scène XI

Les Mêmes, BACOLO.
Bacolo apparait, sous un costume excentrique. Il est méconnaissable, il a un casque, un manteau romain, un sabre antique, etc.
BACOLO.

Compositor mouzicien,
Dans l’art de sarmer les oreilles,
Véritable mazicien,
Mes opéras sont des merveilles.
Regardez-moi bien,
Ça ne coûte rien.
Touchez mon casque et mon manteau,
Je souis le signor Fagotto,
Je souis l’illustre Fagotto.

Dans la musique imitative,
Je suis surtout
D’une force superlative
J’imite tout,
Tout, tout, tout, tout.

Peins-je une scène d’intérieur ?
C’est là que je souis supérieur.
Vi dire tout ce que z’imite,
Le coq, le çien et le matou !
Je vous fais çanter la marmite,
Z’imire la cuisson du çou !
Z’imite même l’acazou.

Compositor mousicien, etc.

D’un opéra que j’ai conçu,
Je vous apporte un aperçu,
Œuvre admirable et saisissante ;
En voici les rôles entiers.
Le dernier acte représente
L’école des arts et métiers.
On les entend tous à la fois :

C’est l’un qui scie un cent de bois.

(Il imite successivement tous les bruits.)

Un autre, la varlope en main,
Accompagne ainsi son refrain.
Un feu d’artifice au final
Couronne ce bruit infernal.
On entend les fusées,
Les voyez-vous lancées ?
Et les soleils en feu,
Écoutez-les un peu.
C’est ravissant,
Eblouissant,
Assourdissant,
Etourdissant.

REPRISE.

Compositor mouzicien, etc.

FABRICIO, à part.

C’est drôle, je me le figurais tout autre.

BERTOLUCCI.

Donnez-vous la peine de vous asseoir Des sièges ! Bacolo ! Bacolo !

BACOLO, reprenant sa vraie voix.

Voilà !

BERTOLUCCI.

Eh bien ! où donc est-il ? Ah ! mon discours. O type véritable… (Considérant le faux Fagotto.) Qu’il est grand ! qu’il est beau ! O type véritable d’homme illustre… permettez-moi de vous présenter ma fille…

BACOLO.

Ze vi le permets… Ma… D’abord ze vi poserai une question : la signora est-elle mouzicienne ?

BERTOLUCCI.

Elle l’est…

BACOLO.

Que zé l’embrasse. (Il embrasse Moschetta.)

MOSCHETTA.

Mais il se trompe…

BERTOLUCCI.

O type véritable d’hôte illustre… table d’hôte illustre !

BACOLO.

Pourquoi s’obstine-t-il à m’appeler table d’hôte ?

BERTOLUCCI.

Permettez-moi de vous présenter mon ami le seigneur Caramello !

BACOLO.

Ze vi le permets ! Ma… Je vous poserai une question… le signor est il mousicien ?

BERTOLUCCI.

S’il l’est ? Comme feu Orphée.

BACOLO.

Alors ! que zé l’embrasse ! (Il embrasse Moschetta.)

MOSCRETTA.

Il se trompe encore… Aïe, vous allez m’étouffer.

BACOLO.

Ça m’est arrivé une fois… On est artiste ou on ne l’est pas. Un peu d’enthousiasme est bien permis.

BERTOLUCCI.

Tout vous est permis… Un homme comme vous…

FABRICIO.

Et moi aussi, je demande à être présenté au maestro comme un de ses plus chauds admirateurs.

BACOLO.

Le signor ?…

BERTOLUCCI.

Un petit compositeur qui fait de la musique gaie… amusante..

BACOLO.

Della mousiquetta…

BERTOLUCCI.
Oui… moi je préfère la grande musique…
BACOLO.

Della mousica à larza !

BERTOLUCCI.

Oui, à l’orgeat !… Enfin nous pouvons nous étreindre !

BACOLO.

Cer ami, ne parlons pas de moi ! vi blesseriez ma modestie… Parlons de vous, de votre intéressante famille… Ze remarque que vous remarquez ce petit cimeterre : il ma été donné par la sénéçale de Poméranie, à la suite d’un concert monstre pour cent quarante-sept clarinettes.

BERTOLUCCI.

Cent quarante-sept clarinettes !

CARAMELLO.

Que vous conduisiez ?

BACOLO.

Clarinettement… ma ! ne parlons pas de moi ! parlons de vous, de votre intéressante famille. Z’ai en horreur les zens qui parlent d’eux… rien que d’eux… Ze remarque que vi remarquez ce couasque…

BERTOLUCCI.

Couasque vous dites ?…

BACOLO.

Il m’a été donné par le landgrave de Schlsplhsansen. (Ouvrant son habit.) Ces bretelles ont été brodées par la baronne de Campo-Formio. Ces jarretières (Il va pour défaire sa culotté.) Non… zene les ai pas sur moi… Ze vi les montrerai une autre fois.

MOSCHETTA.

C’est heureux !

BERTOLUCCI.

Oui, car vous resterez longtemps avec nous, maintenant que nous vous tenons… Le jour est donc arrivé où mes oreilles avides de sons pourront vous entendre et boire ces flots de mélodie.

BACOLO.
Si ! Si ! ottimamente ! Ma… Avant d’exécuter un morceau je ne serai pas façé d’en mettre un sous la dent.
BERTOLUCCI.

Que ne le disiez-vous ! Nous allons avancer l’heure du festin ! (Appelant.) Bacolo ! (Il va avancer l’heure de la pendule.)

BACOLO, répondant avec sa vraie voix.

Voilà ! voilà !

BERTOLUCCI.

Hein ? où donc est-il ? Toujours invisible !… Caramello, vous le remplacerez. Allez chez le pâtissier et rapportez le vol-au-vent, qui tarde bien à venir… Allons ! allons !… Moschetta, à vos fourneaux et préparez ensuite les fleurs qui doivent orner la salle du festin ! Toi, Clorinda ! tu mettras le couvert tout en tenant compagnie à l’illustre maestro… Moi, je vais tout organiser pour le concert… A bientôt, grand homme… colosse… puits d’harmonie… source de mélodie… Troyen… à bientôt.


Scène XII

BACOLO, MOSCHETTA, CLORINDA.
BACOLO.

Ne vi pressez pas ! j’ai tout le temps d’attendre en compagnie de votre sarmante fille. (Il embrasse la main de Moschetta.)

MOSCHETTA.

Mais, mademoiselle, il se trompe toujours…

CLORINDA.

Laisse-le faire… Moschetta… j’aime bien mieux cela !…

BACOLO.

Mettez-vi là, de grâce, et parlons mouzique.

MOSCHETTA, à Clorinda.

Mais, mademoiselle, ma cuisine va brûler !

CLORINDA, bas.
J’y vais ; je me charge de tout.

Scène XIII

BACOLO, MOSCHETTA.
BACOLO, à part.

Profitons de mon costume pour la fasciner… A nous deux…

DUO.
BACOLO.

Nous voilà seuls, vive le tête à tête,
Pour s’expliquer en liberté.
Quand jé té vis, charmante déité,
Ze me souis dit : Ah ! mon affaire est faite !

MOSCHETTA.

Si j’étais simple soubrette,
Vous ne m’en diriez pas tant.

BACOLO.

Si vraiment,
Tout autant.

MOSCHETTA.

Quoi ! vraiment, je pourrais vous plaire ?
Même si j’étais cuisinière.

BACOLO.

Cuisinière !

(Parlé.) Écoute !

Tant de grâce,
Teint vermeil,
Qui dépasse
Le soleil,
L’étincelle
De tes yeux
Éteint celle
De mes feux.

(Parlé.) Réponds !
MOSCHETTA.

Cuisinière,
Cordon bleu,
Je suis fière
D’être au feu !
Qui rissole ?
C’est le four ;
Qui console ?
C’est l’amour.

BACOLO.

(Parlé.) Çàrmant ! A moi !

En musique.
En ragoûts,
Ze m’explique
Tous les goûts ;
Dis, quel homme
N’aime les
Pois qu’on nomme
Flazeolets ?

(Parlé.) Réponds encore !

MOSCHETTA.

Vos paroles
Valent mes
Casseroles,
Je le sais !
Par cet homme,
Mon cœur pris
Se sent comme
Sur le gril.

BACOLO.

Ah ! tiens, femme sensible,
Tu viens de m’embraser.
M’éteindre est impossible,
Je voudrais t’épouser.

En musique, on commence andante,
Et pouis, s’echauffant un poco.

On souit une marche croissante
Qui vous mène à l’allegretto
Que couronne alors le presto !
Presto ! presto !
Prestissimo !….

ENSEMBLE.
BACOLO.

Chanter la musique,
Non, rien n’est plus doux,
Art divin, magique,
Qui nous çarme tous.
Çantons-la toujours,
Çantons mes amours.

MOSCHETTA.

Chanter la cuisine,
Non, rien n’est plus doux,
Science divine
Que nous aimons tous.
Chantons-la toujours,
Chantons mes amours.


Scène XIV

Les Mêmes, BERTOLUCCI, puis CLORINDA, CARAMELLO, FABRICIO.
BERTOLUCCI.

Lui aux pieds de ma fille ! ô bonheur ! (Il embrasse Moschetta et s’apperçoit de l’erreur.) Eh ! mais, c’est Moschetta !… Que je suis donc fâché de l’avoir mise en muse… A ta cuisine. (Mosehetta sort.) A nous deux à présent ! (Offrant une prise à Bacolo.) En usez-vous ? (La tabatière joue.)

BACOLO.

Quesaco ?

BERTOLUCCI.
Un air de vous… une façon de vous prouver que nous prisons votre musique.
BACOLO.

Çarmant.

CLORINDA.

Mon père, tout est prêt…

BERTOLUCCI.

Que l’on serve… (Marche. Après la musique. ) Donnez-vous donc la peine de vous asseoir ! (Bacolo s’asseoit ; une boîte à musique placée sous le coussin part aussitôt.)

BACOLO.

Corpo di Bacco !

BERTOLUCCI.

Une attention délicate en votre honneur ; vous voyez que vos mélodies ne nous sortent pas de la tête.

BACOLO.

Je comprends l’allousion ! (Il s’assied de nouveau, ça joue encore). Ah ! mais !…

BERTOLUCCI.

C’est ce qui restait de l’air… (Cette fois Bacolo s’assied.) Voici le moment solennel de goûter le fameux vin de trois cent trente trois ans de bouteille !

BACOLO.

Una question ?… vous n’avez pas mis de mousique là-dedans ?

BERTOLUCCI.

Je n’ai pas pu… sans cela… (A Bacolo) Débouchons et versons avec toutes les précautions nécessaires.

BACOLO.

Ah ! je suis ému ! (Il tend son verre. Bertolucci débouche et verse très-lentement ; il incline toujours la bouteille ; rien ne sort. Il regarde au travers.) O prodige ! (Bertolucci frappe le goulot sur sa main ; de la poussière s’en échappe. – Tous éternuent.)

BERTOLUCCI.

Séché à force de vieillir !

BACOLO, à part.
Je sais bien qui l’a séché…
BERTOLUCCI.

On n’a jamais vu ça !… Enfin vous l’avez vu.

BACOLO, à part.

Et bu !

BERTOLUCCI.

Pour réparer ce petit accident, notre ami Caramello va nous exécuter son ode pindarique.

CARAMELLO.

Volontiers ! Une lyre, s’il vous plaît, une lyre.

BACOLO.

Je vis écoute…

CARAMELLO.

Mille huit cents ans ! quelle musique !

Oïa ! Oïa !
Esbroufalaïa !
Poluflamboïos !
Télétalassos !
Pamegredossa !
Télétalassa !

La nymphe aux yeux glauques
Apprit ces vers légers
Aux bergers,
Qui, de leurs voix rauques,..
Ont depuis chaque été
Répété…

Oïa ! oïa !

BERTOLUCCI.

Ah ! que c’est beau ! bravo ! bravo !
Voilà du rare et du nouveau.

FABRICIO.

Mais, c’est affreux !

BERTOLUCCI.

Mais, c’est affreux ! Perds-tu les sens ?
Des accents

De mil huit cents ans.
Bravo ! bravo !
C’est du nouveau.

CARAMELLO.

C’est du Pindare.

BACOLO.

C’est du barbare.

BERTOLUCCI.

Que dites-vous ?

BACOLO.

Que dites-vous ? Mon sentiment,
Ze me fice bien du classique
Sur les instruments de mousique.
Voici mon avis, carrément.

(Parlé.) Escouta :

I

Les instruments à corde,
Sont pis qu’ ceux à tuyau,
Basses, lyr’s, tétracordes,
Tout ça, c’est du boyau.
La harpe des d’moiselles,
Le violon charmant,
Pour moi, c’est des ficelles,
Voilà mon sentiment.

Rien de mieux, de plus beau
Qu’ les instruments en peau,

Et boum ! et boum ! et boum !
En musique,
Et boum ! et boum ! et plan !
Rataplan.
Rien comme effet physique,
N’est plus beau
Qu’ les instruments en peau.

Et boum ! et boum ! et boum !
Et ran ! plan ! plan !
Voilà de la musique !
Et boum ! et boum ! boum !
Et ran ! plan ! plan !
Qui n’ reste pas en plan.

FABRICIO, parlé, à part.

Mais, c’est ma musique !

BACOLO.
II

L’instrument à vent ronfle,
Souffler n’est pas zouer ;
Il vous rend laid, vous gonfle,
Il faut le sécouer.
Il serait bon, peut-être,
S’il n’était constamment
Altéré comme son maître,
Voilà mon sentiment.
Rien de mieux, de plus beau
Qu’ les instruments en peau, etc.

BERTOLUCCI.

Oh ! c’est splendide ! Moschetta ! as-tu des lauriers ?

MOSCHETTA.

Monsieur, ils sont dans la sauce…

BERTOLUCCI.

Retire-les, nous en ferons une couronne. Voilà de la musique, voilà de la vraie musique !… C’est de vous, ça !…

BACOLO.

Certainement.

FABRICIO, à Bacolo.

Cependant.

BACOLO, d’un air d’intelligence.
Ce n’est rien que ça ; c’est le final de mon grand opéra qu’il faut entendre.
BERTOLUCCI.

Et boum ! et boum !

FABRICIO, à Moschetta.

Je comprends, il est pour moi.

BERTOLUCCI.

Ah ! quelle musique ! elle ne me sort pas de la tête.

CARAMELLO.

Profanation !

BERTOLUCCI.

Et plan ! et plan ! comme çà vous enlève !…

CARAMELLO.

Allez ! allez, vous trouvez cela joli, c’est honteux.

BACOLO.

Per Bacco ! faites-en de la pareille !

BERTOLUCCI.

C’est qu’elle se chante toute seule… et dzing et boum !… malgré soi.

CARAMELLO.

Tu quoque ! Apprenez que la grande, la vraie musique se dit quelque fois… elle ne se chante jamais…

BACOLO.

Vous êtes un sot !

CARAMELLO.

Qu’a-t-il dit ?

FABRICIO.

Il a dit sot !

CARAMELLO.

Vous êtes un âne !

BACOLO.

Hein ?

CLORINDA.
Il a dit âne !
BERTOLUCCI.

Messieurs d’accord !…

CARAMELLO.

Vieux mirliton.

BACOLO.

Vieille tête de pavot !…

CARAMELLO.

Vous le prenez sur un ton…

BACOLO.

Sur le ton qu’il vous plaira… bécarre, bémol ou dièze.

BERTOLUCCI.

Que c’est beau un tournoi lyrique ; la dispute des caramellistes et des fagottistes.

CARAMELLO.

Vieille guimbarde !

BACOLO.

Vieille serinette ! (Ils se bousculent. Bertolucci placé entre eux deux, reçoit les coups. Au millieu du tumulte, la perruque de Bacolo tombe.)

TOUS.

Bacolo !


Scène DERNIÈRE

Les Mêmes, MOSCHETTA
MOSCHETTA.

Monsieur, voilà les lauriers…

BERTOLUCCI.

Il n’en faut plus, (Il les jette à la tête de Caramello.)

MOSCHETTA, apercevant Bacolo.
Ah ! Bacolo…
BERTOLUCCI.

Oui, Bacolo !… Comment, misérable… c’est toi qui t’es joué de moi à ce point… et mes lettres… mes lettres au grand Fagotto, tu ne les avais donc pas mises à la poste ?…

BACOLO, sortant, un tas de lettres.

Les voilà, monsieur, je les avais mises à la poche.

BERTOLUCCI.

Et les réponses ?

BACOLO.

De moi, monsieur !

BERTOLUCCI.

Infamie ! (A Fabricio.) Et vous monsieur, vous étiez sans doute complice de cette mystification ?

FABRICIO.

Moi ?… monsieur…

BACOLO.

Non, il n’en savait. rien… mais ça n’empêche pas que grâce à moi vous venez d’applaudir sa musique…

BERTOLUCCI.

Quelle musique ?

BACOLO.

Boum ! boum ! boum !

BERTOLUCCI.

Comment, c’est de lui ?

FABRICIO.

Mais oui, monsieur.

BACOLO.
Voilà pourquoi j’avais chippé sa partition ; je ne voulais pas autre chose… et sans moi vous ne l’auriez pas entendue.
BERTOLUCCI.

C’est possible ! En sa faveur, je te pardonne, à condition que tu ne répandras pas mon aventure.

CARAMELLA.

Et ma collection de trombonnes ?

BERTOLUCCI.

Taisez-vous aussi ; je vous en paierai la moitié.

CLORINDA.

Et moi, mon père ?

BERTOLUCCI.

Épouse-le… Qu’est-ce que je voulais, moi ? te marier à une célébrité. Soyez unis et faites beaucoup… de partitions ! (A Bacolo.) Quant à toi, quand je te donnerai des lettres à mettre à la poste, je t’accompagnerai…

BACOLO.

Et vous les mettrez vous-même dans la botte… (A Moschetta.) Et bien, Mademoiselle, me trouvez-vous toujours aussi bête ?

MOSCHETTA.

Non, mon petit Bacolo… tu es bien gentil… Nous ferons les deux noces ensemble.

FINAL.
MOSCHETTA.

Messieurs, par un ensemble,
Pour finir bruyamment,
Il faudrait, ce me semble,
Vous joindre à nous gaiment.

BACOLO.

La nature si sage,
En nous donnant deux mains

Vous offre à cet usage
Deux instruments romains.

Ah ! bravo !
Ah ! brava !
Quand baisse le rideau
Rien n’est plus mélodique
Que le bruit d’un bravo !
Rien ne vaut,
En musique,
Cet écho sympathique :
Brava ! brava ! brava !
Le nouveau ni l’antique
N’ont rien qui vaille ça :.
Ah ! brava !



FIN.