Identification anthropométrique, instructions signalétiques/59

V. — La voix et le langage.

133. — 1° Le timbre de la voix est un des caractères les plus distinctifs de l’individualité. Chacun sait que nous reconnaissons nos parents, nos amis, toutes les personnes avec lesquelles nous sommes en rapport journalier, à distance, d’une pièce à une autre, rien qu’au son de leur voix. Malheureusement, le phonographe mis à part, aucun signe n’est plus difficile à noter.

134. — On signalera les voix particulièrement graves ou aiguës, la voix de fausset, la voix féminine chez l’homme et la voix masculine chez la femme.

Notons qu’on est souvent tenté d’attribuer à une particularité du timbre de la voix, ce qui n’est qu’un reste d’accent provincial ou étranger transmis par la famille.

135. — 2° Les principaux vices organiques d’articulation sont :

1° le zézaiement qui consiste en une assimilation de tous les S durs à des Z. Exemple : « je suis un bon citoyen — je zuis un bon zitoyen » ;

2° le chuintement qui fait prononcer les J et S de la même façon que les CH. Exemple : « che chuis un bon chitoyen » ;

3° le bégaiement qui résulte d’une hésitation nerveuse au commencement de certains mots, et du redoublement de certaines syllabes, etc. Il est plus ou moins accentué, et peut souvent être guéri.

4° le grasseyement qui consiste à prononcer les R de la gorge, au moyen de la luette, au lieu de les émettre à l’aide d’une vibration de l’extrémité de la langue contre le palais. C’est là une des caractéristiques de l’accent faubourien du gamin de Paris.

136. — 3° La connaissance raisonnée des différents accents qui caractérisent chacune des provinces de la France, serait certes d’une grande utilité pour l’identification des inconnus qui cachent leur nom, si en cette matière si délicate la théorie pouvait suppléer à la pratique.

Les renseignements de ce genre dont on serait certain ne devront être notés que quand il s’agira de sujets dissimulant manifestement leur état civil.

137. — Cette remarque s’applique également à l’observation de l’accent étranger. Il est évident, par exemple, qu’il serait oiseux de signaler comme ayant l’accent anglais, un sujet qui donnerait des preuves indiscutables de son origine britannique ; tandis que la mention : accent anglais ou absence d’accent anglais, ou encore simulation de l’accent anglais pourraient être des renseignements importants, à défaut d’autres, s’ils s’appliquaient à un inculpé qui prétendrait à cette nationalité et qui serait l’objet d’une enquête judiciaire.

138. — La distinction des principaux accents étrangers, pour peu qu’on ait eu l’occasion d’y familiariser son oreille, est certes plus aisée et plus tranchée que celle des accents provinciaux. Les remarques suivantes serviront, à tout le moins, à diriger l’observation et à fixer le souvenir ; elles sont basées sur cette donnée générale que chaque nationalité transporte dans sa manière de parler une langue étrangère, la prononciation, les règles de grammaire et les tournures de phrases usitées en sa propre langue.

Les Anglais changent la valeur des voyelles ; l’a est fréquemment prononcé comme é, et l’é comme i ; l’u très souvent prend les sons iou ou eu ; les sons nasaux an, in, on et un, qui sont particuliers à la langue française, sont prononcés par eux comme ann’ ou anngne, inne, ingn’, ogne, etc. ; enfin, point caractéristique, ils omettent les r à la fin des syllabes liquides comme ber, ter, por, en allongeant considérablement la voyelle. Exemples : pardon devient pâdonne, mercure devient mêkiouri.

139. — Les Allemands qui, dans leur langue, donnent presque la même valeur au b et au p, au d et au t, au g dur (épelé et toujours prononcé gué en allemand) et au k et surtout au v et à l’f, éprouvent une grande difficulté à modifier cette façon d’articuler lorsqu’ils parlent le français. Guéridon, par exemple, sera prononcé par eux presque comme kériton. De même notre j français, pour lequel la plupart des autres langues ne présentent pas d’articulation exactement équivalente, sera très souvent prononcé ch : le moi joie, par exemple, rappelle singulièrement en leur bouche le son du mot choix.

140. — L’Italien donnera aux mots commençant par un ch, prononcé k en italien, le son de cette dernière lettre, mais plus souvent encore celui de l’s ou du z. Exemple : charmant = sarmant ; chez moi = zé moi ; chaise = kaise. Le j français sera remplacé par un son approchant de z. Exemple : joli = zoli. En un mot l’italien trouve le moyen d’adoucir jusqu’aux consonnes douces.

141. — L’Espagnol, au contraire, arrive à durcir même les consonnes dures ; il prononcera ch comme tch ; z comme ts et donnera au j un son guttural que l’on pourrait qualifier d’y aspiré. Les Espagnols, à l’exception des Castillans, ne font généralement pas de distinction entre le b et le v et ont une tendance à prononcer plutôt b au lieu de v. On dit qu’un des mots français qui présente le maximum de difficulté pour l’Espagnol est celui de voyageur qui sera articulé approximativement comme : boa-ya-yhèr.

En résumé, le pronom je, par exemple, sera prononcé che par l’Allemand, par l’Italien et yhé par un Espagnol.

142. — Les Russes ne présentent pas de défaut d’articulation bien caractérisé, portant plus spécialement sur telle ou telle lettre ; ils se reconnaissent à leur intonation chantonnante.

Les Scandinaves, Suédois, Norvégiens et Danois, chantonnent quelque peu comme les Russes, tout en faisant subir aux consonnes, mais à un moindre degré, les altérations qui caractérisent l’accent teutonique.

143. — Le chantonnement dans l’élocution nous amène à dire quelques mots du rôle, dans parler des étrangers, de ce que les grammairiens appellent l’accent tonique. Tandis que les Français du nord de la France prononcent uniformément les mots de plusieurs syllabes, en faisant plutôt porter l’effort de la voix sur la syllabe finale, la plupart des étrangers accentuent fortement une ou plusieurs syllabes du milieu du mot aux dépens des autres, qui peuvent être atténuées au point de devenir imperceptibles pour nos oreilles. Le choix de la syllabe accentuée variera d’une nationalité à l’autre. Il n’est pas possible de donner à cet égard des règles bien déterminées.

144. — La présence dans le langage d’incorrections grammaticales d’origine étrangère, comme des fautes de genre et d’accord, l’emploi vicieux du mot que, des tournures de phrase baroques, etc., dénotent souvent beaucoup plus sûrement l’origine étrangère d’un individu que l’accent, qui peut être quelquefois atténué au point d’être assimilable et même inférieur à celui de beaucoup de nos départements frontières.

145. — Inversement la correction grammaticale, même jointe à un fort accent, devra toujours faire supposer, pour le moins un apprentissage approfondi de la langue commencé dès l’enfance.

C’est ainsi, par exemple, que bien des Alsaciens, tout en connaissant la langue française dans toutes ses finesses et la parlant dans leur famille depuis l’enfance, ont gardé un accent beaucoup plus prononcé que certains Bavarois ou Prussiens qui, n’étant arrivés à posséder notre langue qu’à la suite de longs efforts, ont souvent réussi, par suite même de leurs études méthodiquement poursuivies, à se préserver de bien des vices de prononciation.