Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/II/Vie Humaine

Vie hvmaine.


ON la repreſente par vne Femme veſtuë de verd, ayant ſur la teſte vne guirlande faite de l’herbe que l’on appelle Semperuiua, ou Touſiourſuiue, & au deſſus de cette guirlande vn Phenix ; outre qu’elle tient en ſa main droite vne Lyre auec vn archet, & en la gauche vne Couppe, dont elle ſe ſert à donner à boire à vn enfant.

Ce que l’on appelle viure à l’eſgard de l’homme, ſe nomme reuerdir à l’eſgard des plantes. Or eſt-il que la meſme proportion qu’il y a dans les paroles, ſe treuue encore dans les choſes qu’elles ſignifient. Ie dis donc conformément à cecy, que la vie de l’homme n’eſt autre choſe qu’vne verdure qui maintient la chaleur, le mouuement, & tout ce que les deux enſemble ont d’excellent & de beau. Comme nous voyons encore, que la verdure des plantes n’eſt pas trop mal appellée vie, qui venant à manquer, il faut que la nourriture, la chaleur, & l’embompoint manquent de meſme. A raiſon dequoy l’herbe dont cette Figure eſt couronnée, eſt dite Sempruiva : De meſme que l’aage de proſperité en l’homme ſe nomme verdure, du verbe Latin virer. Et pour cette raiſon auſſi, les hommes, principalement les vertueux, ſont appellez Viri ; Ce n’eſt donc pas ſans ſujet qu’on habille cette Figure de verd, & que pour vn ſymbole de vie l’on met ſur ſa guirlande vn Phenix, ſoit qu’il faille prendre ou pour vne Hiſtoire, ou pour vne Fable, ce que les Naturaliſtes rapportent de cét oiſeau.

Elle tient de la main droite vne Lyre, auec vn archet, ce que Pierieux Valerian veut eſtre entendu de l’ordre qui ſe rencontre dans la Vie humaine. En effet quelques-vns ayant trouué qu’il auoit en la Lyre ſept differences de voix, ont inſeré que cette meſme diuerſité ſe remarquoit dans l’eſtat dont la vie humaine eſt continuellement agitée. Et à vray dire, la ſeptieſme ſemaine apres la conception, le maſle eſt formé dans le ventre de la femme ; ſept heures apres ſon enfantement il donne des ſignes manifeſtes de vie & de mort ; Au premier ſeptenaire ſes premieres dents luy tombent, & il luy en vient d’autres plus fortes ; Au ſecond, commençant d’eſtre capable de generation, il s’achemine à la virilité. Au troiſieſme, vn poil follet luy couure le mention, & alors il ceſſe de croiſtre ; Au quatrieſme, il eſt en ſa pleine force, & dans vn parfait Lib. 7 de legib. embompoint ; Au cinquieſme, il entre dans l’aage où Platon veut qu’il ſoit marié ; Au ſixieſme, il prend le ſoin d’acquerir & de conſeruer les choſes acquiſes ; Au ſeptieſme, il diminuë de forces, mais il en augmente de raiſon & d’eſprit ; Au huictieſme, il a l’entendement ſolide au dernier point & tel qu’il le doit auoir ; Au neufieſme, il eſt traittable & obligeant envers le prochain ; Et pour concluſion, au dixieſme, il deuient ſi chagrin et ſi deplaiſant, qu’il ne demande qu’à eſtre hors du monde.

Pour le regard de l’Enfant à qui cette Femme donne à boire, cela veut dire, que ſans le breuuage & les aliments conuenables, il eſt impoſſible que la vie ſe maintienne, puiſque c’eſt la nourriture qui fortifie & conſerue la chaleur naturelle.