Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/II/Vie Courte

Vie covrte.


ELle peut auoir pour crayon vne ieune Femme, couronnée de fleurs & de fueilles differentes, ayant graué ſur le ſein vn petit animal qui a des aiſles, & qui eſt vne eſpece de mouche, appellée des Grecs Hemerrobium. En la main droite elle tient des Roſes, auec ces mots alentour, vna dies aperit, confict vna dies, qui ſignifient

Que comme en vn ſeul iour elles s’eſpanoüiſſent,
En vn ſeul iour außi leurs beautez, ſe fletriſſent.

C’eſt une choſe ſi naturelle à l’homme d’aimer la Vie, qu’il ſe plaint ordinairement qu’elle eſt trop courte. Nous liſons à ce propos, que Theophraſte auant que de mourir, peſta contre la Nature, diſant qu’il n’y auoit aucune apparence qu’elle fiſt viure ſi long-temps les Cerfs & les Corneilles, & ſi peu les Hommes, qui mouroient, diſoit-il, ſi toſt qu’ils commençoient de ſe rendre capables de diſciplines & de ſciences. Mais à ces 3. Tuſcul. paroles de Theophraſte rapportées par Ciceron, Saluſte s’oppoſe tout à fait, au commencement de la guerre de Iugurtha, où il dit que les Hommes ſe pleignent à tort contre leur propre nature, qui s’imaginent eſtre foible & trop peu durable, bien qu’il ſoyt vray neantmoins que l’induſtrie manque à la Nature humaine pluſtoſt que la force ny le temps. D’où il veut inferer que l’homme en a trop s’il le veut bien employer. Ce que le Prince des Philoſophes Moraux aduouë de meſme par ces paroles. Senec. lib. de vir. A quel propos nous plaignons-nous de la Nature ? Elle nous traitte aſſez doucement. Mais quoy qu’il en ſoit, nous deuons nous contenter du terme que le Souuerain Createur de toutes choſes a mis en nos iours, comme il ne fait rien qu’auecque poids & meſure, il veut que ſi noſtre Vie nous ſemble courte, nous faſſions noſtre profit de ſes momens, & ſoyons touſiours preſts à mourir, afin que par l’exercice des bonnes œuures, nous puiſſions meriter la Vie eternelle. Zenon dit à ce propos, que le temps eſt la choſe du monde dont nous auons plus de besoin ; Et le Pape Pie ſecond compare la vie de l’Homme à vn ſonge qui ne fait que paſſer, ou meſme au vent & à l’ombre.

Cette image de la Vie n’eſt pas ſans raiſon couronnée de fueilles, pour monſtrer que ſa vigueur ſe paſſe comme leur verdure, ainſi que le remarque Simonides dans ces vers.

Sous les efforts du temps tous les hommes ſuccombent,
Et leurs iours paſſagers ſont des fueilles qui tombent.

Pour mieux exprimer cette verité, on compare la Vie à bon droit à l’Hemorobion, animal volatile, qui a deux aiſles & quatre pieds, vn peu plus grand qu’vne groſſe mouche, & qui, ſelon Pline, meurt le meſme iour qu’il naiſt.

La Roſe eſt encore vn Hyeroglife de cette meſme fragilité Lib. 15 de nos iours : car, comme dit Ahenée, d’autant plus qu’elle est belle par deſſus les autres fleurs, d’autant plus viſte auſſi ſon eſclat & ſa beauté ſe paſſent.