Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/I/Vergongne honneſte


Vergongne honneste. CLXV.


NOvs la figurons par vne fille fort agreable, qui a les yeux panchez en bas, les joües vermeilles, vne Robe rouge, vne teſte d’Elephant pour coëffure, vn Faucon en la main droite, & en la gauche vn Rouleau, où ſont eſcrits ces deux mots, Dysoria procvl.

Bien que l’honneſte Vergongne, ou la Pudeur ne paſſe point pour Vertu dans l’eſprit de quelques-vns ; elle ne laiſſe pas toutefois d’eſtre fort loüée par Ariſtote, qui luy fait tenir vn milieu entre l’effronterie & la peur ; & la definit vne certaine faſcherie de l’eſprit, née de l’apprehenſion des maux, que nous croyons pouuoir chocquer noſtre honneur ; A quoy s’accomode à peu prés le ſentiment de quelques Poëtes Italiens, qui l’appellent vne loüable modeſtie entre ieunes gens, qui de peur qu’ils ont de faire quelque inciuilité n’oſent point parler ny paroiſtre en compagnie. D’autres la definiſſent, vne douleur interieure, & vn ſecret repentir que nous auons des choſes mal faites. Mais cette derniere ſorte de Vergongne que l’on s’abſtient de faillir de peur d’en eſtre blaſmé, ce qui eſt vne demonſtration de cette vertu, que S. Ambroiſe appelle compagne de la Pudicité, au lieu que l’autre eſt en quelque façon la creature du vice, qui eſt ſuiuy de la Repentance.

Or ce n’eſt pas ſans raiſon que nous peignons l’honneſte Vergongne auec vn viſage modeſte, & les yeux baiſſez, puiſque, In Cant. ſer. 33. ſelon S. Bernard, elle adjouſte beaucoup à la grace, & rend la perſonne plus aimable : ce qui ſe remarque particulierement dans les yeux, où elle a ſon ſiege, comme dit Ariſtote. Pline neantmoins veut qu’elle l’ait dans les joües, à cauſe de la rougeur que nous voyons s’y eſpandre d’ordinaire.

Pour que cette meſme cauſe nous luy donnons vne Robe rouge ; couleur que la belle Pythias, fille d’Ariſtote, diſoit eſtre la mieux ſeante aux ieunes filles. C’eſtoit le ſentiment qu’auoient encore Caton & Menandre ; dont l’vn loüoit plus les ieunes gens qui rougiſſoient, que ceux qui deuenoient paſles ; & l’autre prenoit la rougeur en vne perſonne, pour une infaillible marque de probité.

Elle a pour coëffure la teſte d’vn Elephant, pource qu’au Lib. 8. c. 5. rapport de Pline, c’eſt celuy de tous les animaux qui eſt le plus honteaux : iuſques-là meſme, Qu’ayant à s’accoupler à ſa femelle, il s’égare dans les foreſts, & cherche les lieux qui luy ſemblent les plus deſerts, Ce qui nous apprend, comme dit Pythagore, à ne faire iamais rien de deshonneſte, & à rougir de nos propres fautes pluſtoſt que de celles d’autruy.

A l’exemple de l’Elephant l’on peut ioindre celuy du Faucon, dont le courage eſt ſi noble, qu’il aime mieux endurer la

faim que de ſe repaiſtre de charongne. Que s’il s’en va fondre ſur quelque oyſeau qu’il manque de prendre, il ſe rebute à l’inſtant, ſi honteux il eſt : & l’on a bien de la peine à le faire reuenir ſur le poing de celuy qui le reclame.

Or d’autant que tous excez ſont ordinairement vicieux, c’eſt pour cela que cette figure porte en ſa main gauche ces deux paroles eſcrites, Dysoria procvl, c’eſt à dire, Que nous ne deuons pas eſtre honteux iuſques à ce poinct, que nous en ayons le courage & les yeux abbatus enſemble ; Car comme l’on appelle Cateſie, vn ſecret chagrin, qui nous oſte la hardieſſe de regarder les perſonnes au viſage ; Ainſi par le mot de Disorie s’entend cette laſche Vergongne, qui aboutiſſant à vne extreme baſſeſſe de cœur, empeſche que ceux qui en ſont ſaiſis ne puiſſent faire en public aucune action qui ſoit honneſte & loüable : Adiouſtons à ce propos, qu’Isocrate fameux Orateur Athenien, ſouloit dire de Theopompe & d’Ephore les Escoliers, qu’il vſoit du frain pour retenir la hardieſſe de l’vn, & de l’eſperon pour chaſtier l’humeur trop honteuſe de l’autre : Ce qu’il ne faiſoit ſans doute qu’auec beaucoup de raiſon, puiſque l’experience monſtre tous les iours, Qu’il n’y a, comme l’on dit, que les honteux qui le perdent, Qu’vne humeur trop retenuë degenere quelquefois en ſotiſe, & que la fortune reſſemble à ſes femmes ruſées, qui veulent bien qu’il paroiſſe qu’on les force, quoy que neantmoins elles ne laiſſent pas d’en eſtre contentes.