Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/I/Doctrine


Doctrine. XVII.


CEtte Femme d’vn aage deſia meur, & modeſtement veſtuë, a les bras ouuerts, pour accueillir tous ceux qui meritent de l’aborder. Elle tient de la main gauche vne maniere de Sceptre, au deſſus duquel eſt vn Soleil ; & en ſon giron vn Liure ouuert ; tandis que d’vn Ciel agreable & ſerein il tombe ſur elle vne grande quantité de roſée.

La maturité de ſon aage monſtre, Qu’il faut employer beaucoup de temps, pour apprendre les ſecrets & les merueilles de cette deeſſe ; Son habit honneſte, Que la modeſtie ſiet touſiours bien à ſes fauoris ; Son Liure & ſes bras ouuerts, Qu’elle ſe communique liberalement à ceux qui s’en rendent dignes ; Et ſon Sceptre, où brille vn Soleil, Que ſon Empire eſt de grande eſtenduë, & ſa lumiere ſi forte & ſi uiue, que donnant dans les nuages de l’ignorance, elle les perce auſſitoſt, & deffait entierement les Monſtres & les Chimeres qu’elle produit.

Et d’autant que la Doctrine ou la Science eſt vne habitude de l’entendement ſpeculatif, par qui nous conſiderons & connoiſſons les choſes par leurs cauſes ; Quelques autres pour donner à connoiſtre cela, ſe ſont aduiſez de la peindre auec des aiſles au chef, vn Miroir en la main droite, & en la gauche vne Boule ſous vn Triangle.

Par les aiſles, il eſt monſtré, Qu’il n’eſt point de Science où la contemplation ne puiſſe eſleuer l’eſprit. Par le Miroir, Que c’eſt l’abſtraction qui la forme, pource qu’en matiere de conceuoir les accidens, le ſens fournit à l’entendement des ſubstances Ideales, tout de meſme qu’en voyant dans vn Miroir la forme accidentale des choſes exiſtentes, l’on en conſidere l’eſſence. Par la Boule, Que comme en ſa figure ronde, elle ne peut ſouffrir de contrarieté de mouuement, la Science n’en ſouffre non plus, en matiere d’opinions. Et par le Triangle, Que dans les propoſitions il y a trois termes, qui produiſent la demonſtration de la Science ; tout ainſi que de trois angles eſgaux, vne ſeule figure ſe forme.

I’obmets qu’il y a d’autres peintures de cette Deeſſe, qui la repreſentent auec vn Trepied d’or à la teſte, & vn Liure en main ; Poſſible pour faire voir, qu’encore que la voix du Maiſtre ſerue grandement à l’Eſcolier, ſi eſt-ce que s’il n’y adjouſte la lecture des bons Liures, il peut difficilement comprendre & retenir cette grande abondance de choſes, qui engendre la Science en nous à force d’eſtudier.

Le Trepied d’or eſt pareillement vn ſymbole de cecy, ſoit pour la nobleſſe de ce metail, qui ſert d’ornement aux plus belles choſes ; ſoit pour la perfection du nombre ternaire, à qui Ariſtote donne l’aduantage ſur tous les autres nombres. La Science de meſme l’emporte par deſſus tout ce qu’il y a de plus exquis en la Nature : puiſque c’eſt elle qui ſert à perfectionner noſtre ame, & qui l’eſleue à la connoiſſance des myſteres diuins. Dequoy le ſage Socrate nous aduiſe prudemment dans Plutarque, où il dit, Que c’eſt beaucoup d’en acquerir quelque eſchantillon icy bas, puis qu’il n’appartient qu’à Dieu ſeulement de ſçauoir toutes choſes, & de penetrer dans la connoiſſance de toutes leurs cauſes.