Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/I/Benignité


Benignité. XXII.


CEtte belle Dame, dont le viſage eſt ſi charmant, a toutes les marques d’vne parfaite Benignité. Ses cheueux blonds ſont ornez d’vne Couronne d’or, l’eſclat de laquelle ſe redouble par celuy d’vn beau Soleil, qui rayonne ſur ſa teſte. Elle eſt habillée d’vne riche robe, & de la façon qu’elle tient les bras ouuerts, il ſemble qu’elle ne demande pas mieux que d’accueillir fauorablement tout le monde. En ſa main droite elle porte vne branche de Pin, ayant vne chairre à ſon coſté gauche, & vn Elephant derriere elle.

Auant qu’expliquer cette Figure, il eſt à propos que nous donnions la definition de la Vertu qu’elle repreſente. La Benignité Eth. l. 4 n’eſt dont autre choſe, ſelon Ariſtote, Qu’vne affection, ou ſi l’on veut, vne inclination, qui porte naturellement vne perſonne genereuſe & magnanime, à eſtimer l’honneur qu’elle reçoit des honneſtes gens, & particulierement de ceux qui luy ſont inferieurs. Par où l’on peut voir, qu’à proprement parler, cette Vertu n’appartient qu’aux ames genereuſes, qui ont toutes les bonnes qualitez neceſſaires à la bien cultiuer. Or comme il eſt veritable que l’honneur eſt immediatement l’objet de la Benignité, il s’enſuit de là, qu’elle eſt la plus noble Vertu que puiſſe auoir vn genereux Prince.

De ce que ie viens de dire eſt vne preuue bien manifeſte l’extreme douceur qui ſe remarque dans le viſage de cette Dame ; qui n’a les bras ouuerts que pour donner vn libre accez à ceux qui l’abordent, & leur teſmoigner par ſon action combien elle merite d’eſtre aimée : Auſſi eſt-elle ſi aimable,

Qu’on dit que ſa beauté, qui n’a point de pareille,
Peut enchanter les cœurs d’amour & de merueille.

Et d’autant que ſa grande modeſtie eſt accompagnée d’vne Majeſté Royale, elle a pour cét effet vne Couronne d’or ſur la teſte.

Ce n’eſt pas encore ſans vn myſtere particulier qu’elle tient en ſa main droite vn rameau de Pin, vray ſymbole de Benignité. Car bien que cét arbre ſoit haut, & ſon ombre fort grande, ſi eſt-ce que les plantes qui ſont en bas n’en reçoiuent que de l’vtilité, comme le remarque Theophraſte. Ce qui nous apprend, Qu’vn homme de haute naiſſance & d’illuſtre tyge, n’eſt iamais nuiſible à ceux qui ſont au deſſous de luy, & que ſa protection leur eſt comme vne ombre, pour les mettre à couuert de la violence des meſchans.

L’on adiouſte icy pour vn autre ſymbole de la Benignité des Princes & des Seigneurs, le plus grand & le plus noble de tous les animaux, qui eſt l’Elephant : Dequoy les Naturaliſtes attribuent la cauſe à ce qu’il n’a point de fiel : mais l’on peut Lib. 8. cap. I. dire de plus auec Pline, que cét animal a de merueilleuſes lumieres d’eſprit, & des ſentimens qui approchent fort de ceux des creatures humaines. Cette preuue que l’on en donne n’eſt pas des moindres ; à ſçauoir, que ſi dans quelque deſert il rencontre vne perſonne eſgarée, pour ne la point effrayer il s’en eſcarte d’abord ; puis pour luy donner courage, il marche deuant, & luy ſert de guide, iuſques à ce qu’il l’ai remiſe peu à peu dans le grand chemin. Apres vne action ſi remarquable, que peut-on dire autre choſe, ſinon que c’eſt vn prodigieux effet de la bonté de cét animal, qui pouuant nuire ne le veut pas, & ne ſe plaiſt qu’à faire du bien. De ce meſme naturel ſont les bons Princes, qui par vne inclination genereuſe aſſiſtent leurs pauures ſujets, les redreſſent quand ils ſont fouruoyez, & leur donnent des azyles ſalutaires contre les perſecutions de ceux qui les veulent opprimer. Que ſi l’on fueillette bien l’ancienne Hiſtoire, l’on y trouuera ſans doute, Que par des actions de Clemence & de Bonté, les Alexandres & les Ceſars ont plus cueilly de Lauriers, que par leurs plus memorables faits d’armes.