Hymnes profanes/VIII/Épilogue symbolique

Bibliothèque de La Plume (p. 89-92).




Épilogue symbolique


Pour Charles Droulers.


            Comme Siegfried ou Parsifal,
            Pour conquérir le Saint-Ciboire,
            Vers un Mont Salvat illusoire
            J’ai marché d’un pas triomphal.

Pour parvenir au temple incertain de mon rêve,
Dans la forêt hantée où bruissaient des voix
Qui chuchotaient dans le silence : « Espère et Crois »,
Le cœur joyeux, j’ai chevauché, seul et sans trêve.


Or le cœur bondissant d’une joie éphémère,
Enfin sur le sommet des monts illuminés
J’ai vu le temple où les poètes prosternés
Dressent pour ostensoir l’éternelle Chimère !

Des cierges brasillaient dans leur gaîne de cuivre,
L’encens montait jusqu’aux volutes des arceaux
Et sur le front des saints perdus dans les vitraux,
Par moments il tremblait des couronnes de givre.

Le tabernacle étincelait hors du retable
Et sur les marches de l’autel inviolé,
Un prêtre énigmatique en robe d’or filé
Tendait les bras vers la Chimère impitoyable !




C’était un Paradis irréel, insensé,
Mais où le fier poète évadé de la vie,
Du moins pouvait aimer de douces Ophélie
Des Salammbô, des Cléopâtre et des Circé !


C’est là que je t’aimai pour la première fois.
Vierge, tu t’avançais en ta tunique blanche,
Tes cheveux blonds nimbés de candide pervenche
Et le lys symbolique entre tes frêles doigts :

Les orgues sanglotaient la prière d’Elsa,
Tandis que tes yeux bleus cherchaient, dans la pénombre,
Le Lohengrin, éblouissant, surgi de l’ombre
Pour t’emporter vers les splendeurs du Walhala !

J’étais ce Lohengrin et te tendis la main.
Un mystique baiser scella nos accordailles,
Et seuls, dans la langueur du chant des fiançailles,
Nous prîmes notre essor vers un ciel surhumain !




Ma chapelle aujourd’hui n’est plus qu’un cimetière
Où sont ensevelis mes rêves les plus beaux,
Le sol où tu marchais s’est pavé de tombeaux
Et j’ai prié sur eux ma dernière prière.


Plus rien n’est demeuré de ce temple mystique,
Les cierges se sont clos, l’autel s’est écroulé,
L’encens ne monte plus vers le chœur constellé
Et la mousse envahit les dalles du portique.

Ta pure vision repose inanimée,
La robe virginale a servi de linceul,
Et ton cher souvenir me laisse triste et seul
Dans ce cloître où jadis je t’avais tant aimée !

Dans les bénitiers morts les oiseaux viennent boire,
Les statuettes d’or gisent sur le parvis,
Le Doute a dispersé mes prêtres en surplis,
Et le temple du Rêve est veuf de St-Ciboire.

            Cependant comme Parsifal,
            Vers un grâl d’amour et de rêve,
            Je chevauchais sans peur ni trêve,
            Chantant un hymne triomphal !

      Avril 1893.