Hymnes profanes/VI/Après trois mois

Bibliothèque de La Plume (p. 71-73).




Après trois mois


L’escarpolette pend meurtrie et lamentable,
Le sol noir est jonché de feuilles, de débris
Et tout a pris un air de tristesse ineffable
Depuis que tu n’es plus la Reine du logis.

Te souvient-il parfois de nos joies enfantines,
Quand nous quittions Paris fiévreux et enflammé
Pour retrouver nos dahlias et nos glycines
Et ce coin de campagne où l’on pouvait aimer !

Aujourd’hui j’étais seul et l’hiver est venu,
Les dahlias sont morts et mortes les glycines,
Mort aussi ton amour qu’à peine j’ai connu
Et le vent pleure dans les branches orphelines !


J’ai vu les volets clos, les arbres dénudés,
Plus rien ! Plus un oiseau qui rompe le silence,
Et sur la grille, un écriteau, qui se balance,
Narquoise une épitaphe aux amours décédés.

Ne te souvient-il plus de la petite table
Transportée en riant sous le feuillage épais ?
Nous n’avions qu’une assiette et qu’un verre, j’aimais
Les raisins égrenés sur ta bouche adorable…

Sous la verte tonnelle où nous étions tapis,
Je te voulais toujours parer de roses blanches,
Et j’en allais cueillir par brassées et les branches
Faisaient autour de nous comme un épais tapis.

Mais toi, tu me tressais des couronnes de chêne,
Et j’évoquais Sardanapale ! ou pour un rien
Quelquefois nous partions de rire à perdre haleine
Et l’on était heureux parce qu’on s’aimait bien !

Or la tonnelle est là flétrie, abandonnée
Et plus ne chanteront les oiseaux alentour,
Les dahlias sont morts, la glycine est fanée,
Et plus ne fleurira notre si bel amour !


Insensé ! J’avais cru que dureraient toujours
Notre petit ménage et nos grandes amours,
Mais, l’hiver, les oiseaux s’enfuient à tire d’ailes
Et tu t’en es allée avec les hirondelles !