Chez l'auteur (p. 73-92).

RÉFLEXIONS


Quand on sème du blé on récolte du blé et quand on sème la haine on récolte la haine. Ainsi, les Alliés, les féroces hypocrites qui se proclament les apôtres de la paix et qui envoyaient par douzaines et par vingtaines leurs anciens adversaires à l’échafaud après de sinistres parodies de procès, qui ont réduit à l’esclavage des centaines de milliers de soldats prisonniers qu’ils forçaient à accomplir des besognes immondes, qui ont complètement pillé le pays des vaincus, ont jeté dans le cœur de millions d’hommes des ferments de haine qui germeront et provoqueront un jour des carnages et des massacres qui extermineront des peuples entiers et qui marqueront peut-être la fin de l’humanité.

Tu as été riche, tu as été pauvre, tu étais beau, tu étais laid, tu as été heureux tu as été misérable, tu as pratiqué toutes les vertus, tu as cédé tous tes instincts, indifférente à tout, la terre, après ton dernier soupir, t’accueille et t’accorde le repos éternel.

Quelque part une bande de cinq ou six chiens se battent furieusement. L’œil féroce, la gueule ouverte, ils bondissent les uns sur les autres : les dents mordent avec rage, les chairs sont déchirées, le sang coule. À quelque distance, un puissant dogue observe le carnage. Soudain, il s’élance dans la bataille. Ses formidables crocs s’enfoncent dans les corps pantelants, en arrachent des lambeaux, font couler des amas d’entrailles. Il est le plus fort, il est le vainqueur. Sous cette affabulation, il est facile de voir le colosse américain se jetant sans le moindre prétexte, simplement pour le sport, dans la deuxième guerre mondiale, l’une des plus terribles, des plus désastreuses qui aient jamais affligé l’humanité.

Le blâme pour cette stupide intervention des États-Unis dans un conflit qui ne les regardait en aucune façon doit être attribué à l’incommensurable bêtise de Franklyn Delano Roosevelt, président de la République qui voulait à tout prix jouer le premier rôle dans l’une des plus grandes tragédies de tous les temps.

Si un groupe de bandits puissamment armés entraient chez vous avec l’intention de vous massacrer vous et votre famille et que vous réussissiez à les réduire à l’impuissance, seriez-vous justifiable de leur faire subir le sort qu’ils vous ménageaient ? Sûrement que oui. Mais après la guerre, les Américains et les autres Alliés ont envoyé par centaines à l’échafaud des Allemands qui n’étaient coupables que d’avoir mis à mort les aviateurs tombés en leur puissance alors qu’ils arrivaient au-dessus des villes avec des cargaisons de bombes explosives et incendiaires qui devaient semer le carnage et la mort parmi la population civile. Est-ce là de la justice ou de la barbarie ? C’est la loi du plus fort. Vae victis !

Les Américains n’ont pas le monopole de la férocité et de la barbarie. Le ministre de la Justice du gouvernement de France a annoncé en effet que plus de 10,000 français ont été exécutés sommairement par les fanatiques patriotards de la Résistance. C’est l’acceptation de la dure réalité par les victimes qui a probablement sauvé Paris de la destruction. Charles Maurras qui a été emprisonné pendant une dizaine d’années accuse les Résistants d’avoir mis à mort non pas 10,000 mais 100,000 citoyens.

Souvent je songe que le plus grand acte de justice distributive de l’histoire a été l’exécution sommaire, l’extermination comme d’une bande de rats, de la famille impériale de Russie dans une cave de la Sibérie. Cela est une faible revanche des horribles massacres, des avalanches de coups de fouets et de la longue et odieuse exploitation des masses populaires ordonnés par ces dégénérés.

En Malaisie, les autorités britanniques ont envoyé dans un camp de concentration les 79 habitants d’un petit village et ont ordonné la destruction de celui-ci parce que ces pauvres habitants refusaient de se faire délateurs et de dénoncer une bande de malfaiteurs qui commettaient des actes de terreur. Cette triste mesure est bien dans la tradition britannique. Si vous n’avez rien à dire, si vous n’avez pas même un fœtus d’idée pourquoi écrivez-vous ? Pourquoi tenez-vous à répéter les lieux communs remâchés par les journaux et par tous les orateurs de la radio ?

Souvent je me dis : Heureux l’homme qui a goûté à la dure misère au temps de sa jeunesse, qui s’est parfois couché sans souper. Celui-là est plus apte que qui que ce soit à apprécier plus tard les bonnes choses de la vie, à en tirer la plus grande somme de jouissance et de contentement.

Lorsqu’on est seul en face de la nature, enveloppé de silence et de paix, c’est une joie de penser, de méditer, de passer les idées au crible. L’on se débarrasse ainsi d’une foule de dogmes officiels, de principes de pacotille colportés par les professeurs de philosophie et par les politiciens de profession qui s’efforcent de les faire gober par les ignorants.

À quoi bon écrire si c’est pour refléter l’opinion de tout le monde ? J’estime qu’il vaut mieux exprimer des idées personnelles moins correctement que d’aligner des phrases de lieux communs dans une langue impeccable.

La première qualité de l’écrivain, je parle d’un écrivain de talent, s’entend, c’est d’être sincère. Il serait absurde pour lui de renoncer à sa personnalité pour plaire à un ami, un parent, un critique ou au public. Qu’il dise franchement ce qu’il a à dire. Qu’il s’exprime lui-même. S’il abdique sa personnalité, il n’est qu’un opportuniste et ses écrits n’ont aucune valeur.

Le paternel gouvernement du pays a décidé d’encourager l’élevage du bétail humain et dans ce but, il distribue des allocations familiales. Comme conséquence, il devra maintenant agrandir les prisons et les pénitenciers.

La plupart de nos gouvernants, à en juger par leurs actes, donnent l’impression d’être des échappés d’un asile d’aliénés.

Il vous est parfaitement loisible d’acheter une ou deux bouteilles de whiskey et de vous saouler royalement. C’est votre privilège et votre droit. Mais si un pauvre chinois fatigué d’avoir lavé des chemises se repose dans son arrière boutique en fumant une pipée d’opium, il commet un crime — d’après les lois de notre pays — et est flanqué en prison.

Dans notre province de Québec, plus les gens sont pauvres, ignorants, misérables, vaseux, plus ils font d’enfants. Les organes sexuels et l’instinct animal leur tiennent lieu de jugement et de raison. Et le gouvernement désireux de s’assurer des électeurs bornés, encroûtés et ignares pour le maintenir au pouvoir, octroie généreusement avec l’argent du peuple des allocations familiales.

Et si les petits lancés aveuglement dans la vie meurent dans leur jeune âge, les parents inconscients déclarent candidement que ce sont des anges de plus au ciel.

Oui, parlons-en de nos belles familles canadiennes françaises. Souvent, la brute répugnante qui, pour sa satisfaction d’un moment, a lancé dix, douze, quinze, vingt enfants dans la vie, décide aussitôt que ceux-ci commencent à gagner, qu’il a assez travaillé, qu’il a fait sa part. Avec un aplomb inconcevable, il déclare que c’est maintenant aux siens de le nourrir et de l’entretenir. Il a accompli son devoir. D’un geste de satisfaction béate, il se pose sur la tête une imaginaire couronne, la glorieuse couronne des pères de nombreuses familles. Désormais il mène une vie de fainéantise et exige qu’on prenne soin de lui. Un écœurant que ses enfants devraient mettre dehors à grands coups de pied au derrière pour l’envoyer se chercher une job.

Et que dire de ces familles où frères et sœurs sont des féroces ennemis, jaloux, envieux les uns des autres, faisant tout pour se nuire, se réjouissant des épreuves et des malheurs qui arrivent à l’un d’entre eux. Ne vaudrait-il pas mille fois mieux, n’avoir ni frères, ni sœurs ?

L’on a empoisonné mon enfance avec la crainte de l’enfer et des châtiments éternels. Aujourd’hui, toutefois, délivré de ces vaines terreurs, je peux vivre en paix les jours de ma vieillesse. Et j’ai renoncé sans regret aux célestes récompenses, aux chimériques paradis.

Aujourd’hui, il n’y a plus de mendiants, il y a seulement les rentiers de l’état.

Il y a deux sortes de millionnaires. Il y a ceux qui possèdent des industries colossales, d’immenses usines employant des armés d’ouvriers, qui ont des coffres-forts remplis d’actions de chemins de fer, de grandes lignes de navigation, de banques renommées et dont la prodigieuse richesse ne peut être évaluée. L’autre sorte de millionnaires se compose d’hommes n’ayant pas de fortune ni d’argent, mais doués d’une âme généreuse, vibrante, capable d’apprécier et de goûter les admirables spectacles que nous offre la nature et les manifestations artistiques : musique, tableaux, livres, statuaires, nobles cathédrales, ruines antiques. Ceux-là dont la vie est illuminée par la beauté et le sentiment, qui ont la faculté de s’enthousiasmer, sont les vrais riches. Les autres sont les faux riches. Leurs millions signifient néant. Ils n’ont pas plus de valeur que la fumée qui s’élève de la cheminée de ma petite maison de campagne.

En une occasion spéciale, j’ai vu le vide de cœur et d’imagination des faux riches. Je revenais d’Angleterre à bord du grand paquebot Empress of Britain qui faisait sa première traversée. Parmi les passagers se trouvaient une dizaine de millionnaires qui s’efforçaient de se distraire en jouant au shuffle board. Comme nous passions devant l’Île d’Orléans dont la côte était toute proche, l’on voyait sur le bord du fleuve les pittoresques et calmes demeures des fermiers, puis les vergers et les champs cultivés un peu en arrière et, plus loin, les montagnes fermant l’horizon. Le soleil couchant mettait sur ce paisible et bucolique paysage un rayonnement qui le faisait paraître dans toute sa beauté. Moi, simple journaliste, j’étais tout vibrant, ravi, transporté par cette admirable scène. Froids, imperturbables, les millionnaires, eux, poussaient avec un long bâton une rondelle de bois et tâchaient de la placer sur l’un des numéros d’un espace quadrillé sur le pont. Le grandiose spectacle qui s’offraient à eux, ils ne le voyaient pas. Ils étaient aveugles à cette vue enchanteresse. Moi, j’avais éprouvé une joie dont ils ne soupçonnaient même pas l’existence.

N’achetez pas les œuvres complètes d’un auteur. Vous ne les lirez jamais toutes. Faites l’acquisition d’un volume à la fois et vous le goûterez pleinement, complètement. En achetant toute la série de ses livres, vous meublerez votre bibliothèque, mais non votre cerveau.

Écrire des contes, c’est entrer de plain-pied dans la vie. Le récit doit être l’image des événements ou de l’existence des gens. Il y a un drame dans chaque maison, une tragédie derrière chaque porte. C’est à l’écrivain de deviner ou d’imaginer ce qu’ils peuvent être. Un regard jeté dans une fenêtre, une silhouette d’homme ou de femme dans la rue, la physionomie d’une demeure, une remarque entendue dans le tramway peuvent être le point de départ d’une histoire qui sera le reflet de la vie.

Je suis certain, lecteurs, qu’aucun de vous ne consentirait à revêtir des habits d’occasion, de vieux vêtements achetés chez le regrattier juif de la rue Craig. Cependant, dans la conversation, vous vous contentez d’idées de seconde main, empruntées à toutes les gazettes, à tous les annonceurs de la radio, à tous les gueulards de profession. Pourquoi cette différence ?

J’estime que l’étude du latin et du grec est du temps absolument perdu. Je considère qu’elle est aussi inutile que l’usage du ridicule et pompeux chapeau haut de forme.

C’est un beau samedi de juin. De l’autre côté de la rivière, je vois défiler trente-deux automobiles enguirlandées de blanc qui se dirigent vers l’église où se célébrera un mariage. Une heure plus tard, je les entends revenir de loin et je les vois passer. Trente-deux imbéciles au volant de leur voiture klaxonnent glorieusement, triomphalement, stupidement, pour annoncer à la population qu’une fille va se faire déviarger ce soir. (Elle l’est peut-être déjà depuis deux ou trois ans).

La faiblesse mentale, le cerveau rudimentaire de certains campagnards dépasse tout ce qu’on pourrait imaginer. J’en ai connu un — marié et père de famille — qui, par les beaux dimanches d’été, s’amusait pendant une longue après-midi à faire résonner aussi fort que possible le klaxon de son bazou. Et le bienveillant gouvernement lui paie des allocations familiales pour l’encourager à procréer des simples d’esprit comme lui.

Je ne crois pas aux grands mots, aux mots creux et vides, à ces mots qui sont comme des ballons en baudruche, ces ballons colorés que le marchand ambulant vend aux badauds les jours de grande célébration et qui éclatent et deviennent moins que rien lorsqu’on les presse. Je crois à la terre que j’ensemence, à la terre qui produit le blé, les fruits, les fleurs, les grands arbres, à la terre que me nourrit et dans laquelle je dormirai un jour.

La misère est laide, hideuse, haïssable, odieuse, vile. Au lieu de lui ériger un culte, on devrait s’efforcer de la bannir, de la faire disparaître. Au lieu de glorifier, d’exalter la misère, au lieu de dire la sainte misère, on devrait dire la maudite misère. Si l’on prêche aux gens que la misère patiemment soufferte est un capital pour l’autre monde, la misère ne fera qu’augmenter ; on l’endurera pour gagner les richesses éternelles.

Question — Si une abeille et le père de dix enfants étaient en train de se noyer, auquel des deux porteriez-vous secours ?

Réponse — Je sauverais promptement l’abeille et je laisserais le misérable père subir le sort qu’il a si richement mérité.

Un seul mot, bref, énergique, méprisant, brutal, aura plus fait pour perpétuer la mémoire du général Cambronne que s’il avait remporté vingt glorieuses victoires.

Parfois je songe au lamentable sort des aveugles de naissance qui n’ont jamais vu les roses et les lis, les grands vergers fleuris au printemps, les merveilleuses nuits étoilées, l’immense ciel bleu sur lequel voguent d’énormes nuages blancs aux formes fantastiques, le féérique feuillage d’automne dans les bois, qui n’ont jamais frémi d’admiration devant la splendeur du corps de la femme et qui n’ont jamais été ravis par l’adorable sourire d’un enfant. Que connaissent-ils de la vie ces infortunés ?

Aujourd’hui, pour réussir, me dit M. Cardinal, il faut être un peu fou. L’homme qui raisonne, qui pèse le pour et le contre, hésite trop à prendre une décision, à accepter les risques que comporte toute affaire. Le fou, lui, y va hardiment et souvent la fortune le favorise.

Causant de littérature, j’ai entendu un jeune journaliste ayant à peine six mois d’expérience déclarer : Chez nous, tout le monde fait de la critique littéraire. Le chef vous remet un livre en vous disant : Faites-moi un quart de colonne. Alors, n’importe quel fou, ignorant par surcroit, ainsi bombardé critique — le journaliste de par sa profession doit pouvoir écrire sur n’importe quel sujet — lira au hasard quelques pages du bouquin et pondra ensuite cent lignes, portant sur l’œuvre qu’un garçon de talent aura pris un an à écrire, un jugement qui sera gobé par le lecteur et considéré comme parole d’évangile.

Dans le vaste domaine des connaissances humaines nous héritons d’un lot d’idées et de notions qui nous sont transmises par nos aînés ou par de prétendus savants et de théologiens, que, sans les vérifier, nous acceptons comme articles de foi. Moi, j’ai voulu à la lueur de la raison et de mes connaissances juger par moi-même et j’ai par suite mis de côté un tas d’opinion léguées par des gens qui tirent leur autorité de notre paresse cérébrale et du fait qu’ils ont vécu des siècles avant nous.

« Ma grande joie, » déclare le soi-disant romancier X. « c’est de noircir du papier. » « Il n’a jamais dit si juste. » remarque le critique Z. « Il est comme un enfant qui barbouille des feuillets. Seulement, celui-ci est sans prétentions, tandis que X s’imagine faire de la littérature. »

Un dimanche à la porte de l’église, un habitant déclarait avec fierté à quelques paroissiens qu’il venait de faire baptiser son quinzième enfant.

— Quinze enfants ! En combien d’années ? interrogea l’un de ses auditeurs.

— En seize ans, répondit l’autre tout glorieux.

— En seize ans ! Ben, chez nous on avait un taureau qui nous donnait quinze beaux veaux chaque printemps, ricana le facétieux compère.

S. Pamphile-de-l’Islet, 6 mai. — Un cultivateur de cette paroisse, père de quatorze enfants, a été tué hier d’une ruade de son cheval, reçue en plein estomac.

Le brave cheval ! Il mériterait de recevoir sa pension de vieillesse avec trois bonnes terrinées d’avoine par jour et du foin plein sa crèche.

Mon coffret de sûreté est une armure qui me protège contre les coups que les fanatiques seraient tentés de me porter.

En battant son grain, un jeune habitant a eu les deux mains arrachées par le cylindre de sa machine. Il sera désormais incapable de travailler. L’accident ne l’a toutefois pas rendu impuissant et, même sans bras, il pourra faire l’élevage des enfants et recevoir les allocations familiales. Ainsi, il trouvera des compensations à son malheur.

Les journaux rapportent qu’un garçon de 24 ans, membre d’une famille de 22 enfants a été condamné à quatre ans de pénitencier pour vol. N’est-ce pas plutôt le père qui aurait dû être envoyé au bagne pour la vie et à recevoir en outre le fouet à la veille de chaque jour de l’an ?

Les Témoins de Jéhovah ne prêchent pas l’Évangile dans des temples de $400,000 à $500,000, ils n’habitent pas de luxueux presbytères. Simplement, ils vont de porte en porte dans les rues de la ville, expliquant la Bible et offrant des petits livres relatant les paroles du Christ. Cela, c’est un crime. La police soucieuse de faire respecter la loi et les bonnes mœurs, les arrête, les traîne devant les tribunaux qui en jettent quelques-uns en prison. Et il y a de bonnes âmes qui regrettent que l’on ne soit plus au temps de Néron ou de la sainte Inquisition, car alors, ces apôtres seraient livrés aux bêtes dans l’amphithéâtre du Stadium ou brûlés vifs sur le champ de Mars. Et les ignorants et les fanatiques accourraient pour assister à leur supplice.

Chaque printemps, la pelouse de mon petit coin de terre à la campagne, se couvre de fleurs de pissenlits. Et chaque matin, pendant tout le mois de mai, muni d’un couteau, je vais sur le terrain et, à chaque bouton jaune, j’enfonce la longue lame tranchante dans le sol et coupe la tige à sa racine, mais j’ai beau essayer de les détruire, chaque année, les pissenlits repoussent et reparaissent. Ils sont comme la vermine humaine que ni les guerres, ni les famines, ni les épidémies ne peuvent exterminer.

La pondération, l’équilibre, la mesure ont perdu leur valeur aujourd’hui. Ils sont démodés, ne sont plus de mise. C’est l’audace jointe à l’aplomb nécessaire pour la faire gober qui triomphe.

Du talent et de la sincérité, voilà les deux qualités que l’on doit exiger de l’écrivain.

M. Laberge, La Presse ne veut pas faire de peine à personne, me déclarait le sénateur du Tremblay, me dictant ainsi la ligne de conduite à suivre dans ma page de son journal. S’appliquer chaque jour à ne pas écrire une ligne ou un mot susceptible de faire de la peine à quelqu’un, quel idéal élevé pour un journaliste ! Autant être vidangeur ou policeman.

Alors que j’étais jeune garçon et que je récitais des Pater et des Ave en travaillant, je me disais que si je devenais prêtre un jour, puis évêque, je ferais ma tournée pastorale à pieds, avec une branche d’arbre en guise de crosse, que j’arrêterais à midi dans une maison et prierais qu’on me donne une croûte de pain pour apaiser ma faim et demanderais le soir la permission de coucher dans une grange. Et je jeûnerais tous les matins de l’année et coucherais sur le plancher nu de ma chambre. Mais les ans ont passé et je ne suis devenu ni prêtre ni évêque. Je prends trois bons repas par jour et me couche sur un matelas mœlleux. Mais si j’avais réalisé le rêve de ma jeunesse, l’on m’aurait sûrement arrêté et interné dans un asile d’aliénés. Le temps des saints est passé.

À la suite de l’emprisonnement d’un évêque en Autriche, le Canada s’est mis à japper contre ce pays. Mais que dire de la féroce persécution dont les Témoins de Jéhovah sont victimes dans la province de Québec ?

En trois ans, la guerre de Corée a coûté quinze milliards aux États-Unis. Et ce même conflit a en plus fait 2,300,000 tués et blessés chez les Alliés et les Coréens du Nord et les Chinois. Voilà le résultat de l’intervention du stupide Truman dans une dispute qui ne le regardait nullement.

Dans une petite campagne du Québec une femme mère de treize enfants qui reçoit les allocations familiales s’est adressée au député de son comté pour obtenir en plus les allocations aux mères nécessiteuses. Elle allègue que son mari est malade depuis deux ans et ne gagne aucun argent. Oui, le sans cœur est trop faible pour aller le matin au travail, mais avec le concours de sa complaisante compagne il fait un petit chaque année. Et sa grosse paillasse demande au gouvernement de les faire vivre. Tas de répugnants !

— Quoi, pas de tabac, pas d’alcools, pas de jeu de cartes, pas de clubs, pas de drogues, pas de cinéma, pas d’automobile, vous ne vivez donc pas ?

— Et le travail, la lecture, la nature, la méditation, ce n’est rien ? Ça ne compte pas ?

Ce qui empêche certains écrivains de talent de s’imposer, de faire prévaloir leurs idées, c’est qu’ils sont trop polis, trop raffinés, trop distingués, trop délicats pour énoncer une vérité toute crue avec le mot brutal qui l’enfonce dans la tête et la mémoire du lecteur.

Oui, il y a de la misère, mais c’est parce que les gens ont couru après. La vie vous donne des claques, mais vous devriez vous garer, tâcher de les éviter et non vous planter devant elle pour les recevoir.

Il faut aimer la justice d’un amour platonique car elle n’existe pas sur la terre. Elle n’est qu’un nom.

Cueillir à l’arbre des prunes bien mûres dans un vieux verger à l’abandon, par une chaude et calme après-midi d’août et là, dans la solitude et le silence apaisant, savourer les fruits juteux, sucrés, qui fondent dans la bouche, me semble un incomparable régal.

Aujourd’hui que je suis arrivé pour ainsi dire au terme de mes jours et que je jette un regard en arrière sur ma vie, je me plais à reconnaître que le talent et les dons dont la nature m’a gratifié, que l’amour du beau, la sensibilité et la faculté d’enthousiasme qu’elle a mis en moi, m’ont procuré plus de contentement et de joie que n’auraient pu m’en donner tous les millions de la terre. Réellement, j’ai été un mortel privilégié qui peut se dire satisfait de son destin.

Se promener le soir au soleil couchant dans le jardin de l’hospitalière demeure où s’achèvent vos jours et respirer le parfum des lis est une sensation d’infinie douceur.

S’asseoir par une journée ensoleillée d’automne sur un vieux banc de marbre près d’un laurier en fleurs, dans un petit parc de Rome, savourer la douceur de l’air, goûter le silence, la paix, le charme du moment fugitif, m’apparaît comme l’une des belles heures de la vie.

Le discret sourire d’une passante croisée une fin d’après-midi dans un parc vous suit et vous accompagne comme un léger parfum dans votre promenade vagabonde.

Alors qu’à l’âge de quinze ans, je revenais en sleigh du village de Beauharnois je fis monter dans ma voiture un piéton qui pataugeait dans la neige. Tout en causant, il me déclara : « Je n’échangerais pas mon instruction pour la plus belle terre de la paroisse ». À mon tour, je peux proclamer aujourd’hui que je ne donnerais pas la mienne pour la plus riche banque du Canada.

Allant porter un manuscrit à l’imprimeur, un employé supérieur voulant se montrer aimable m’interrogea ainsi : « Écrire des livres, c’est votre hobby, n’est-ce pas ? ».

Deux jours plus tard, un autre membre du personnel de l’imprimerie remarqua candidement : « Lorsqu’on n’a rien à faire, écrire est une bonne distraction, j’en suis sûr. »

Parlant d’un sénateur de Montréal bien connu dans les cercles sportifs décédé il y a quelques années, l’un de ses collègues me déclarait : « Les seules fois en douze ans où je l’ai vu ouvrir la bouche c’était pour bailler. »

« Je travaillerai pendant vingt-cinq ans s’il le faut, mais je l’aurai le ruban rouge » (la légion d’honneur) annonçait un jour un camarade du journal.

— Ce serait si simple et bien plus rapide d’aller en acheter une verge au magasin Dupuis Frères et elle ne coûterait que dix sous, riposta le pince-sans-rire qu’était Paul de Martigny.

« Le plus beau jour de ma vie est celui où j’ai voulu tuer mon père », me confiait un soir un poète membre de l’École Littéraire.

Quelques jours après la mort du peintre J.-C. Franchère, l’un de ses proches, gros industriel, visitant l’atelier du défunt s’exclamait sur un ton de profonde commisération : « Et dire que le pauvre garçon a passé sa vie à faire des images ».

« Ça fait quinze ans que je pioche Marcel Proust », me déclarait un jour un camarade du journal. Mais voilà que depuis deux ans, il est condamné au repos. Comme moi, il aurait dû employer son temps à lire Renan, Guyan, Anatole France, Maupassant, Pierre Louys, Zola, Loti, Daudet, Jules Renard, Mirbeau, etc.

Au Canada comme partout ailleurs, un homme qui tue son voisin ou qui met le feu à sa maison est arrêté, jugé et condamné au pénitencier ou à être pendu, selon le cas, mais si ce même homme au lieu de commettre ses crimes dans sa paroisse déclare qu’il veut aller massacrer des Coréens, incendier leurs villages et détruire tout ce qu’il pourra dans leur pays, au lieu de l’emprisonner on lui donnera un uniforme, un fusil, on le nourrira et on lui donnera un salaire.

Les pertes totales du Canada dans la guerre de Corée ont été de 1,438 hommes tués ou blessés. Voilà des jeunes gens qui ont payé bien cher la folie qu’ils ont commise en partant de chez eux pour aller tuer les Coréens et ravager leur pays.

Lorsqu’en 1837, les Patriotes prirent les armes contre les Anglais pour secouer l’oppression dont ils étaient victimes et pour défendre leurs droits, l’évêque d’alors, Mgr  Lartigue, les excommunia, ordonna à ses prêtres de leur refuser l’absolution et, en cas de mort, de ne pas les enterrer en terre sainte, mais lorsque les jeunes Canadiens partirent pour aller ravager la Corée et massacrer ses habitants qui ne leur avaient rien fait, ils étaient accompagnés de dévoués aumôniers chargés de leur prodiguer tous les secours de la religion. Tirez vos conclusions.