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HorizonsEugène Fasquelle (p. 156-163).
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VITRES

À Mademoiselle E. G. Grimblot.

I
DE PRINTEMPS


Je sens mon âme obscure en moi comme la nuit.
Ne suis-je pas morte, aujourd’hui !
Nul désir, nul instinct, rien ne me sollicite…
— Et puis ensuite ?

La fenêtre de verre incolore et de bois
Est pleine des premiers lilas,
Comme les feuilles, cette année, ont poussé vite !…
— Et puis ensuite ?


Il semble que plus rien ne saurait m’arriver,
Qu’aujourd’hui tout est achevé.
Et pourtant il faudra vivre toute la suite…
Et puis ensuite ?

II
D’ÉTÉ


Le jardin vague et vert contre la vitre aqueuse
Y figure un immense et trouble aquarium
Qui contient l’océan du ciel ; et l’onduleuse
Frondaison où s’étoile un vif géranium
Y berce des rameaux avec toutes leurs ombres
Au rythme submergé des madrépores sombres…

Prise par l’attirante illusion des eaux,
Je poserai mon front sur la vitre marine
Et serai la sirène enroulée aux coraux
Noués par mille bras à sa pâle poitrine,

Qui, prisonnière, rêve à la félicité
D’avoir royalement troué l’immensité,
Pour surgir au soleil couchant qu’elle salue
D’un signe de sa tête humide et chevelue.

III
D’AUTOMNE


Regardant s’effeuiller la suite des jardins
Contre la vitre trouble où je rêve et chantonne,
J’ai vu paraître et fuir le passage soudain
De quelques œgipans échappés de l’automne.

L’un d’entre eux s’attarda, seul dans l’ombre et dans l’or,
Et longtemps, de profil, émurent les allées
Son œil en feu de bête et sa corne enroulée…
Voulait-il que mes pas le suivissent dehors ?


Bientôt, le dernier cri du soleil dut se taire.
— Or, quand le jour mourut dévoré par la nuit,
Je compris tristement qu’au choc de quelque bruit
L’œgipan repartait sans moi vers les mystères.

IV
D’HIVER


Ici, tiédeur de l’air, coussins, branches de roses,
Là, paysage blanc et noir, neige et bois mort.
Seule, la vitre scinde et sépare ces choses,
Clair obstacle, et qu’un doigt étoile sans effort.

Chaude, l’haleine en feu sur la vitre gelée,
Tant que dure le jour j’occupe un lent regard
À voir quelques flocons tomber, tourner l’allée,
Pointer l’herbe, un oiseau s’abattre quelque part.


Or, la nuit vient… En proie à l’intime Norvège
De mon cœur, mon regard se perd je ne sais où :
Attardée au lever d’une lune de neige,
J’écoute au loin l’hiver s’avancer comme un loup.