Hommes illustres de la Renaissance - Thomas Morus/03



HOMMES ILLUSTRES
DE
LA RENAISSANCE.

ii.

THOMAS MORUS.


DERNIÈRE PARTIE.[1]

ix.
Les premières épreuves.

La pauvreté disperse les familles. Le projet de continuer à vivre en commun, proposé et agréé dans ce premier besoin de rapprochement qui suit les grandes calamités, ce projet facile et doux dans l’abondance de tous les biens, devenait impossible entre gens qui ne pouvaient plus s’aider que par des privations. On n’aime pas être pauvres en commun. Les enfans de Morus demandèrent à quitter Chelsea, et à se retirer chacun dans leur maison. Morus y consentit. La séparation se fit sans refroidissement. Les enfans continuèrent à venir voir leur beau-père dans sa maison, veuve de la famille qui l’animait, et dégarnie de tous ses meubles. Morus les avait vendus pour une somme de cent livres qu’il joignit à son revenu.

Quand il se vit seul dans cette maison désolée, il fut accablé un moment de toutes les terreurs de la solitude. Les premières nuits qu’il passa, non plus dans le lit séparé du chancelier, mais dans le lit commun, à côté de sa femme, furent pleines de trouble et de larmes. La chair, pour parler sa langue chrétienne, prenait le dessus sur l’esprit. Morus avait une grande appréhension de toutes les douleurs physiques, et surtout de la plus terrible et de la dernière de toutes, la mort. Il connaissait le roi ; il savait que sa tête allait être de moindre prix, n’étant plus couverte du bonnet de chancelier, et qu’aux yeux d’un tel prince, une disgrace recherchée était un plus grand crime qu’une disgrace reçue. Il n’avait pu retirer du monde que sa personne, il y avait laissé sa renommée, et il comprenait bien que c’était moins sa personne que sa renommée qui pouvait faire du mal au roi. L’homme qui, pour une ville de France, aurait fait tomber la tête d’un favori, pour la possession d’une maîtresse ménagerait-il une tête disgraciée ? Au bout de toutes ses perplexités, Morus voyait donc la mort, et tout son être frémissait, car, ainsi qu’il l’avouait lui-même, il aurait eu peur d’une chiquenaude[2]. Cependant l’ardeur de la prière finit par l’endurcir. À force d’exaltation religieuse, il en vint à ne plus craindre la mort ; plus tard, il la désira.

Toutes ses conversations avec ses enfans roulaient sur ce sujet. Il avait besoin d’en parler sans cesse, soit pour tromper la nature, qui a de si fréquens retours même chez les hommes les plus héroïques, soit pour y préparer peu à peu sa famille. Il les entretenait des joies ineffables du ciel et des peines de l’enfer, des vies des saints martyrs, de leur patience merveilleuse, et de leurs morts souffertes pour ne pas offenser Dieu ; il leur disait combien il était glorieux, pour l’amour de notre Seigneur Jésus-Christ, d’endurer la prison, la perte des biens et de la vie ; puis, quand il avait monté tout le monde par ces paroles ardentes, quittant les généralités, il s’ouvrait à ses enfans sur tous les malheurs qu’il prévoyait. C’était comme dans les premiers temps du christianisme, à l’approche des grandes persécutions, quand le chef de la famille préparait les siens aux calamités qui allaient fondre sur le troupeau de Dieu, et que toute la maison entonnait le chant du martyre.

Toutes les actions, toutes les paroles de Morus montraient cette double pensée de l’homme et du père de famille voulant se soutenir lui-même contre ses propres défaillances, et épuiser la sensibilité des siens sur les menaces du sort qui l’attendait, pour qu’ils fussent plus courageux, ou pour qu’il ne leur restât plus de larmes au moment suprême. C’est dans ce dessein qu’un jour il avait aposté un homme, en manière d’officier subalterne de la justice, lequel vint à l’improviste, pendant que la famille était à table, frapper brusquement à la porte, et sommer Morus, au nom du roi, de comparaître le lendemain devant les commissaires royaux. Ces fausses terreurs familiarisaient sa femme et ses enfans aux terreurs réelles qui leur étaient réservées. Singulier, mais touchant raffinement, qui faisait de la désolation et des angoisses une sorte d’habitude de la maison, et qui mettait d’avance la mort dans tous les cœurs pour leur éviter la transition de l’extrême sécurité à l’extrême désespoir ! Henry se hâta de faire le drame dont la pauvre famille jouait, sans le savoir, le lamentable prologue.

Après ce premier effroi, la justice du roi n’arrivant pas encore, Morus reprit sa polémique avec Frith. Un ton remarquable d’indulgence et d’aménité distingue cette polémique. Morus y traite Frith, qui était un jeune homme et qui fut brûlé plus tard, avec un mélange de raillerie aimable et de réprimande paternelle qui montrait un grand adoucissement dans ses antipathies religieuses. Le malheur faisait sur la fin de sa vie ce que le désintéressement d’esprit, les affaires, l’influence de la tolérance universelle, avaient fait vers le milieu. Les préoccupations du magistrat suprême ne se mêlaient plus aux spéculations de l’écrivain catholique. D’ailleurs, les persécuteurs avaient dégoûté Morus de la persécution. C’était une dure leçon de tolérance que ce roi, jadis antagoniste de Luther, qui l’était devenu du pape, et qui ne permettait plus la foi dans autrui, quand elle ne s’accommodait pas de l’obéissance. Morus en était venu où en viennent tous les honnêtes gens qui ont vu de grands scandales de religion, les adversaires devenir les amis, et toute foi être attaquée à titre de liberté ; il sentait plus le besoin d’être chrétien pour lui-même que contre les autres, et de prier que de menacer. Il avait quitté les rangs de l’église triomphante, et il discutait comme les pères des premiers âges qu’un édit de l’empereur pouvait, du jour au lendemain, livrer aux lions du cirque, et qui bénissaient plus qu’ils ne maudissaient. Il se sentait lié aux hérétiques par un lien qui amollit les plus inflexibles, par la menace d’un échafaud commun. Du reste, l’homme seul s’était radouci. Le dogmatiste restait le même. À la veille de recueillir l’héritage sacré, il n’en voulait pas abandonner la moindre partie. C’était toujours le chrétien fidèle à Grégoire VII, chef et fondateur de l’église d’Angleterre ; et dans un moment où l’on agitait la séparation de cette église d’avec le Saint-Siège, cette fidélité même avait un air de révolte qui devait aigrir profondément le roi, usurpateur de la souveraineté spirituelle de Grégoire VII.

Ce fut dans l’intervalle que le mariage d’Anne de Boleyn avec Henry fut résolu. Quand Morus apprit que la chose allait se faire, il dit tristement à Roper, son gendre : « Dieu veuille, fils, que dans peu ce mariage ne soit pas suivi de sermens ! » Roper, qui avait vu tant de fois ses prédictions réalisées, fut tout troublé par cette parole. Les choses se firent comme Morus l’avait prédit. Ses pressentimens ne manquaient jamais de s’accomplir, parce qu’ils lui venaient de la profonde connaissance qu’il avait du roi. Il montrait assez, en ne comptant plus que sur Dieu, ce qu’il fallait craindre de Henry.

Quelques jours avant le couronnement de la nouvelle reine, les évêques de Durham, de Winchester et de Bath, lui écrivirent de les y accompagner, et lui envoyèrent vingt livres pour s’acheter une robe. Morus reçut l’argent et le garda, mais il n’alla pas au couronnement. Ayant rencontré peu après les trois évêques, il leur dit gaiement que des deux choses qu’ils lui avaient demandées, il avait accepté l’une afin de pouvoir refuser l’autre. « Je n’ai eu aucune répugnance, ajouta-t-il, à prendre l’argent, parce que je sais que vous n’êtes pas pauvres, et que je connais trop bien que je ne suis pas riche. Pour l’autre demande, elle m’a rappelé cette loi d’un empereur qui punissait de mort un certain crime, je ne sais plus lequel, à moins que le coupable ne fût une vierge. Or, il arriva que le premier coupable fut précisément une vierge, ce qui embarrassa beaucoup l’empereur, lequel voulait un exemple. Son conseil assemblé, après de longues discussions, un membre se leva et dit : « À quoi bon tant de discours ? faites déshonorer la fille, et vous la condamnerez ensuite en toute conscience. » Ainsi, quoique vos seigneuries aient gardé jusqu’ici leur virginité dans tout ce qui touche le mariage du roi, qu’elles prennent soin de la bien défendre jusqu’à la fin ; car il s’en trouvera qui, après avoir obtenu de vous d’assister au couronnement, vous demanderont de parler en son honneur, puis d’écrire des livres pour le justifier, et qui, après vous avoir déshonorés, ne tarderont pas à vous perdre. Pour moi, dit-il en finissant, il n’est plus en mon pouvoir d’empêcher qu’ils me ruinent, mais ils ne me déshonoreront jamais, Dieu étant mon bon maître[3]. »

Après le mariage vint l’affaire des sermens, comme Morus l’avait prévu. On présenta au parlement un bill qui obligeait tous les sujets anglais à prêter serment de fidélité à la reine Anne et à ses descendans, et à reconnaître au roi le titre de chef spirituel de l’église d’Angleterre. C’était la conclusion de cette grande querelle qui occupait tous les théologiens de l’Europe depuis bientôt dix ans, et qui allait changer la religion du peuple anglais. Cette triple question, le divorce, le mariage et la suprématie, ou plutôt ces trois phases de la même question - car le divorce n’avait été agité que pour amener le mariage, et la suprématie que pour le ratifier à défaut du pape, — furent traitées successivement et avec un grand appareil de doctrine. N’était-ce donc, du côté du roi, qu’une longue comédie, jouée avec patience, par laquelle il avait voulu faire d’une intrigue galante une affaire de religion, soit pour en cacher le scandale aux yeux des peuples, soit pour conjurer l’empereur d’Allemagne, neveu de la reine divorcée, par l’apparence d’une nécessite religieuse ? Que son dégoût pour sa femme et sa passion pour Anne en aient été les seules causes, c’est ce qui n’est point douteux ; car si Henry eût pu changer impunément de femme, il n’eût pas changé de religion. Mais qu’il n’y ait eu que de l’hypocrisie dans sa conduite pendant ces dix années, que de sincères scrupules de religion ne se soient pas mêlés à ses intrigues et à ses violences, c’est ce qui n’est guère croyable d’un prince qui pouvait tout, et dans une époque où toute légitimité venait de Rome. Quoi qu’il en soit, c’est des deux beaux yeux d’une fille d’honneur qu’est née l’église anglicane, cette grave et forte église qui a fait depuis trois cents ans toutes les révolutions de la Grande-Bretagne. Il est très vrai qu’il ne faut pas mesurer l’importance des résultats d’après la petitesse de la cause, et c’était là le préjugé de l’école philosophique de Voltaire ; mais il est très vrai aussi qu’il ne faut pas élever la cause à la hauteur du résultat, ni couvrir toutes les petitesses humaines de l’excuse d’une fatalité supérieure ; comme cela paraît être le préjugé de l’école impartiale de notre époque.

Et de même, du côté des hommes religieux qui n’approuvaient pas le divorce, ni, à plus forte raison, tous les changemens qui en sortirent, n’y eut-il qu’une résistance morale d’honnêtes gens déguisée sous une opposition de doctrine religieuse ? Non sans doute. Aucun d’eux ne se trompa sur la vraie cause de la querelle ; mais tous, d’abord par la curiosité, ensuite par l’entraînement de la polémique, se trouvèrent engagés à leur insu à examiner sincèrement la doctrine de l’église sur ce point. Si ce fut là un calcul de la politique de Henry, il faut avouer que cette politique était habile, car il faisait de ses propres adversaires les garans de la sincérité de ses scrupules, et, par la gravité de la controverse, il cachait l’origine honteuse du litige. Et de même que, dans l’esprit du roi, les scrupules religieux s’affaiblirent à mesure que les désirs s’irritèrent, et qu’à l’idée de gagner la faveur du Saint-Siége, succéda celle de le dépouiller de tout ce qu’il tirait de l’Angleterre[4] ; de même, dans l’esprit des opposans au divorce, à la pensée de discuter à l’amiable, succéda celle de protester, soit par le silence, soit par une neutralité accusatrice. Quelques-uns brûlèrent leurs livres de controverse[5] et attendirent avec courage le ressentiment d’un prince qu’ils ne voulaient plus servir même par une opposition motivée.

Quant à Morus, dès le commencement de cette affaire, il avait déclaré au roi qu’il ne pouvait pas approuver le divorce. Morus n’était ni évêque ni théologien. Il jugeait la position de Catherine et de sa fille Marie, non d’après les contradictions du Lévitique et de saint Paul, mais avec son cœur d’époux et de père, et avec ses mœurs de famille. La première fois que le roi s’en ouvrit avec lui, c’était à Hampton-Court, à son retour d’une ambassade sur le continent[6]. Après quelques tours dans la galerie, Henry, l’attaquant brusquement sur le divorce, le mena devant une Bible ouverte, et lui montrant le passage du Lévitique, il lui prouva que son mariage ne violait pas seulement les lois écrites par Dieu même, mais les lois mêmes de la nature, contre lesquelles ne pouvait prévaloir aucune dispense de l’église. Il lut lui-même les versets qui l’avaient déterminé, lui et d’autres personnes instruites, à examiner la matière, et il engagea Morus à en faire autant. Morus dit au roi que, comme l’opinion de son pauvre esprit, dans une si grave question, ne devait pas faire que la chose parût à S. M. ni plus ni moins prouvée, il avait moins de scrupules à lui avouer que la Bible ne lui semblait pas condamner son mariage avec la reine. Henry ne prit pas mal sa franchise, mais lui recommanda d’aller voir son aumônier, lequel lui ferait lire un livre qu’on préparait sur la matière. Morus osa n’être pas de l’avis du livre, lequel déclarait que le roi faisait acte de sagesse en sollicitant un jugement de l’église universelle. Tant que le procès fut pendant devant la justice spirituelle, Morus s’en prévalut pour s’abstenir sans s’opposer ; il ne lui convenait pas, disait-il, de donner ni blâme ni approbation préalables. Devenu chancelier, et l’église s’étant prononcée, nous avons vu que le roi le mit en demeure de parler. Les choses alors avaient bien changé. Contredire le roi était lui résister. N’être pas de l’avis du Lévitique, c’était blâmer une longue suite d’actes qui, d’une question d’abord spéculative, au moins dans l’apparence, avaient fait tout un système politique. Morus prit l’engagement de méditer sur le sujet et s’il y trouvait quelque raison pour ou contre, d’en faire l’objet de conférences avec les membres du conseil, les archevêques de Cantorbéry et d’York, l’aumônier du roi et un moine italien, maître Nicolas, docteur en théologie. C’était reculer de quelques mois la difficulté. Après quelques inutiles conférences, Morus demanda au roi la faveur de se retirer du débat ; on se souvient qu’il l’obtint, et que ce fut comme un coupable qui avait obtenu sa condamnation.

Sa manière de résister à Henry était pleine de réserve et de prudence ; il prodiguait les marques de déférence, les aveux d’humilité, et mettait aux pieds du roi ce pauvre esprit qui résistait à toutes ses séductions et à toute sa puissance. Nul homme sérieux ne va tête baissée au-devant de sa destinée, et il est rare qu’on ne conjure pas jusqu’au dernier moment la main qui va vous frapper. Morus ne pouvait pas faire que son refus d’adhérer ne fût pas de l’opposition ; il voulut du moins lui ôter l’air d’obstination et de mauvais vouloir que ses ennemis s’étaient hâtés d’y voir. Il ne prétendait pas mettre sa conscience au-dessus des lumières de tous les évêques consentant au divorce ; mais il demandait simplement la liberté de ne pas prendre parti par des actes publics, offrant de se laisser éclairer dans son privé, par tous ceux dont les consciences pouvaient n’être pas d’accord avec la sienne. C’est ainsi qu’il mit une certaine affectation à ne point lire les livres contraires au divorce, et à en lire qui l’approuvaient[7]. Mais malgré cette extrême prudence, et quoiqu’il s’abstînt sincèrement de sa personne de tout acte qui pût rendre gênante son opposition toute passive, sa réputation se jetait à la traverse de tout ce que voulaient Henry et sa maîtresse, et c’est moins par ses paroles que par son silence qu’il conspirait. Il fut donc résolu qu’on le déshonorerait, ou qu’on le ferait mourir. Mais comme il eût été monstrueux de s’en prendre au silence d’un homme, on fouilla dans sa vie privée pour y trouver quelque action équivoque sur laquelle on pût fonder une accusation capitale. Ni les gens du roi ne manquaient alors pour inventer des crimes, ni les juges pour les punir. On lui attribua des libelles injurieux, afin de le forcer à parler pour s’en défendre, et peut-être de trouver dans sa défense de quoi l’accuser de pis. Ce fut par une accusation de ce genre que ses épreuves commencèrent.

Le conseil avait fait imprimer un livre apologétique de la conduite du roi et de ses ministres dans l’affaire du nouveau mariage. Un matin, un des parens de Morus, William Krustal, reçut la visite d’un agent du secrétaire Cromwell, qui l’accusait d’avoir entre les mains une réponse à ce livre, composée, disait-il, par Morus. Celui-ci, averti par Krustal, écrivit à Cromwell, et donna des explications qui rendaient toute poursuite impossible. Il avait été chef de la justice criminelle et avocat supérieur ; dans ces deux emplois, il avait acquis une double expérience, celle des accusations sans preuves et celle des défenses habiles. Il savait éviter le piége qu’on lui tendait, sans s’offrir à celui qu’on n’avait pas pensé à lui tendre. Il écrivait de longues lettres sans donner prise à la moindre interprétation, et il défendait l’innocence d’un saint avec la profonde rouerie d’un homme de barreau[8]. Mais derrière toutes ses précautions, sous ce réseau de subtilités qu’il opposait à celles de ses ennemis, on apercevait toujours sa belle ame : ce que lui inspirait l’instinct de la conservation, naturel à tout homme, ne contredisait jamais sa conscience, et on ne pouvait pas plus lui faire commettre des imprudences que des lâchetés.

L’accusation ayant manqué de ce côté, on rechercha dans sa longue carrière judiciaire s’il n’avait pas reçu quelque présent d’une assez grande valeur pour justifier un procès de corruption ; mais Morus, avec un mot, une anecdote, une preuve fournie à propos, dissipait toutes ces charges, à la honte des plaignans apostés par la cour. Tantôt c’était une dame qui lui avait offert des gants et de l’argent ; oui, mais il n’avait pris que les gants, trouvant que c’eût été de mauvais goût de refuser un cadeau de dame. Tantôt c’était un client qui lui avait envoyé une coupe d’or richement ciselée ; — oui, mais il lui avait offert en retour une coupe d’une plus grande valeur, ne voulant pas recevoir de présens, mais n’ayant pu résister au plaisir de garder les ciselures. L’accusation la plus grave fut portée par un M. Parnell, soutenu dans cette affaire par le marquis de Wilshire, père d’Anne de Boleyn, l’ennemi mortel de Morus et l’instrument du roi, qui ne craignait pas de laisser voir sa main dans ce honteux échafaudage de justice rétroactive. Ce M. Parnell se plaignait amèrement d’avoir perdu un procès contre un M. Vaughan, dont la femme, prétendait-il, avait donné à Morus un magnifique vase en vermeil. Sir Thomas avoua le fait, ajoutant que le vase lui avait été offert long-temps après le procès, au nouvel an, comme cadeau d’étrennes, et qu’en effet il n’avait pas cru séant de résister aux instances de la dame. Sur quoi le marquis de Wilshire, s’étant tourné vers les juges d’un air de triomphe : « Ne vous l’avais je pas bien dit, milords, s’écria-t-il, que vous trouveriez cette accusation fondée ? » Les juges, qui attendaient leurs épices de la cour, s’étaient déjà levés pour condamner, quand Morus, prenant la parole : « Milords, dit-il humblement, puisque vos révérences ont bien voulu écouter la première partie de cette histoire, je les prie de daigner en entendre la fin. » Ceux-ci s’étant rassis, Morus raconta qu’après avoir reçu le vase, il l’avait fait remplir de vin par son sommelier, et l’avait vidé à la santé de la dame ; que la dame, à son tour, ayant bu à la sienne, il l’avait priée de reprendre le vase à titre d’étrennes, ce qu’elle avait consenti à faire, non sans résistance. En même temps il produisit des témoins à l’appui de sa déclaration. Les juges, le plaignant et le marquis furent confondus[9]. Morus n’avait pas résisté au plaisir de leur donner des espérances par son premier aveu pour les mieux confondre par ses explications. Ne retrouve-t-on pas là le tour d’esprit à la fois naïf et ironique du sous-shériff donnant une leçon au vieux juge, et du chancelier jugeant contre sa femme dans l’affaire du chien volé ?

Toutes ces accusations, dont la honte retombait sur la cour, augmentaient le danger de Morus ; car en faisant éclater son innocence, en relevant la gloire de sa vie passée, en popularisant son nom, elles aggravaient le tort de n’avoir pas pour soi un homme à qui même des juges gagnés ne pouvaient pas inventer de crimes. Henry VIII et Morus n’allaient plus pouvoir respirer le même air. Le plus fort hâta donc la perte du plus faible. Si les accusations ne réussissaient pas à le noircir, venant coup sur coup et sans relâche, elles pouvaient le lasser et le réduire, et peut-être l’amener à une transaction qui eût été le déshonneur préalable dont cet empereur avait besoin pour faire mourir légalement une vierge. Il y a des dégoûts dont on a plus peur que de la mort, et, pour certaines ames, une mort retardée offre plus de tentations et de périls qu’une mort soudaine. À force de persécutions de détail, de craintes présentées et retirées, de caresses et de menaces, de secousses réitérées, d’alternatives extrêmes, à force de ballotter cette victime illustre entre la promesse de faveurs inouies et l’échafaud, entre une place à côté du trône et un cachot dans la Tour, on espérait mettre Morus hors de lui-même, et le rendre indigne de sa mort.

C’est dans cette vue qu’on l’impliqua, sans le plus léger motif, dans le bill de conviction d’Élisabeth Barton et de ses complices. Cette Élisabeth Barton, appelée la sainte fille de Kent, était une fille sujette aux spasmes, qui débitait, dans un langage mêlé de vers et de prose, des paroles incohérentes dont quelques moines s’imaginèrent de faire des oracles. On lui fit prédire la ruine de l’Angleterre et la mort prochaine de Henry VIII, s’il consommait son mariage avec Anne de Boleyn. Cette fille avait écrit à Morus, alors chancelier ; mais Morus, sans vouloir l’entendre, lui avait conseillé de ne plus prédire et de se guérir. Questionné, dès le commencement, par le roi sur ce qu’était cette pauvre créature, il en avait parlé comme d’une fille simple et sans malice, dont les prédictions ressemblaient à toutes les folies qui peuvent sortir d’une tête malade. Depuis lors, dans le plan de destruction des monastères et des abbayes proposé par Cromwell, comme on eut besoin de trouver de grands coupables dans les personnes pour justifier la guerre contre les choses, on accusa de haute trahison les moines qui avaient exploité la fille de Kent, qui, peut-être, y avaient cru. Or dans le bill on comprit Fisher, parce qu’ayant écouté cette fille, il l’avait dû nécessairement souffler, et Morus, parce que ne lui ayant pas fait son procès, il s’était implicitement déclaré son complice.

Quelques jours avant la présentation du bill au parlement, Morus écrivit au secrétaire Cromwell, pour lui demander de vouloir bien en parler au roi, et obtenir que son nom fût rayé du bill. Il niait avec fermeté toute intelligence avec les rêveries de la prétendue prophétesse. Soit que Cromwell, qui ne voulait pas la perte de Morus, mais qui voulait encore moins déplaire au roi, y eût mis de la tiédeur, soit que tout conseil de douceur au sujet de Morus fût désormais offensant pour Henry, le nom de l’ancien chancelier fut maintenu sur le bill. Alors Morus s’adressa directement au roi, et, dans une lettre pleine d’humilité[10], prosterné à ses gracieux pieds, selon son humble manière, il le pria de ménager sa pauvre honnêteté, et de considérer, avec sa prudence et sa bonté accoutumées, une matière qu’il ne croyait pas convenable de discuter avec lui. Il insistait sur cette prière de bien considérer la chose, et c’était, sous une forme suppliante, un conseil blessant ; car à force de solliciter l’impartialité du roi, il paraissait la mettre en doute. Henri affecta de voir dans sa lettre l’acte d’un homme qui se refusait à la discussion par défaut de preuves. Il ordonna que le bill eût son plein effet.

Blessé de cette dureté, Morus put avoir l’idée de se venger du roi, en donnant le plus grand éclat à sa défense, et il demanda à la présenter lui-même au parlement. Sa demande fut rejetée. On le cita devant un conseil composé de l’archevêque de Cantorbéry, du lord chancelier, du duc de Norfolk et du lord secrétaire Cromwell. Morus devait penser qu’il allait y être question du bill ; mais, soit que les membres du conseil n’y missent pas la même importance que le roi, soit que ce bill ne fût qu’un prétexte pour faire venir régulièrement Morus, et pour agiter sa conscience par des interrogatoires plus généraux, il ne fut parlé ni de la fille de Kent, ni de ses complices. Le lord chancelier lui vanta longuement les anciennes bontés du roi, et toutes celles dont sa majesté se plairait à le combler de nouveau, pensant l’ébranler à la fois par la reconnaissance et par un reste d’ambition. Morus répondit avec beaucoup de douceur que nul n’était plus attaché que lui au roi, mais qu’il s’étonnait qu’on lui reparlât d’un sujet dont on lui avait promis de ne plus le troubler. Les lords, jusque-là polis et caressans, prirent alors le ton de la menace, et l’accusèrent avec véhémence d’avoir été l’auteur et le provocateur du livre de sa majesté sur les sept sacremens et sur le maintien de l’autorité du pape, et d’avoir poussé le roi à mettre dans les mains du Saint-Siége une épée qui devait être tournée contre lui.

Les menaces faisaient encore moins sur Morus que les caresses. Il dit que ces terreurs étaient tout au plus bonnes pour effrayer des enfans ; puis, venant au fait dont on l’accusait, il fit l’histoire de ce livre fameux, à la grande honte du roi, qui, pour charger Morus, consentait à se donner le ridicule d’avoir signé un livre qui n’était pas de lui. Personne ne pouvait dire plus de choses que Henry à la décharge de l’ancien chancelier. Morus n’avait point conseillé le livre, il n’avait fait que le débrouiller et mettre en ordre les principales matières dont il traitait. Quant aux doctrines qu’on y établissait sur l’autorité du pape, il avait vu avec inquiétude la part énorme qu’on faisait au Saint-Siége, et s’était permis de faire observer au roi que le pape pouvant, comme prince temporel, se liguer contre lui avec les autres princes de la chrétienté, il était imprudent de tant favoriser une puissance avec laquelle on pouvait avoir à rompre. Henry avait insisté pour que la doctrine restât entière, disant qu’il ne saurait trop honorer le Saint-Siége de Rome, auquel il devait tant. Morus lui avait rappelé les statuts particuliers du royaume, et notamment le statut de Proemunire, par lequel des bornes étaient mises à l’autorité spirituelle du pape ; mais le roi, tranchant la discussion, avait répondu que, tenant du Saint-Siége sa couronne royale, il n’était obstacle qui pût l’empêcher de proclamer cette autorité. C’est ainsi que les choses s’étaient passées, « et, dit Morus avec une noble fierté, j’espère que ces éclaircissemens étant rapportés au roi, si sa majesté veut bien se souvenir de ce que j’ai fait et dit dans cette affaire, elle n’en parlera plus, et me renverra elle-même de cette accusation. » Ce jour-là, comme il allait partir pour se rendre devant le conseil, Roper lui avait fait promettre qu’il s’expliquerait sur l’affaire de la fille de Kent, et se ferait rayer du bill. Après la séance, tous deux montèrent en bateau pour retourner à Chelsea. Morus paraissait très gai ; il parlait vivement et de toutes choses, et sur un ton auquel les siens n’étaient plus accoutumés. Roper, par une discrétion mêlée de crainte et d’espérance ne lui avait point parlé du bill ; mais le voyant pendant toute la route si gai et si libre d’esprit, il s’était plu à penser qu’il avait été mis hors de cause. Quand ils furent entrés dans le jardin : « Je pense, dit Roper, que tout va bien, puisque vous êtes si joyeux. — Oui, tout va bien, fils, et j’en rends graces à Dieu ! — Vous êtes donc délivré de ce malheureux bill ? — Par ma foi, je ne m’en suis pas même souvenu. — Quoi ! vous oubliez une chose qui vous touchait de si près ? Qu’il me chagrine de vous entendre parler ainsi, moi qui avais pensé, à votre visage, que c’était fini de ce bill ! — Voulez-vous savoir, fils, pourquoi je suis si joyeux ? De bonne foi, je me réjouis d’avoir fait faire une chute au diable, car j’ai été si loin avec ces lords, que je ne puis plus reculer sans la dernière honte. » Henry l’avait compris ainsi.

Quand il sut le résultat de la conférence, il entra dans une violente colère, et dit qu’il entendait qu’on donnât suite au bill du parlement. On lui objecta la faveur que la chambre des lords montrait à Morus. Henry parla de s’y rendre en personne pour leur imposer le bill. Les membres du conseil se jetèrent à ses genoux, et lui représentèrent le danger qu’il courait de recevoir des démentis ; que Morus, loin d’être coupable dans l’affaire de Kent, n’avait mérité que des éloges. Le roi céda, mais avec un surcroît de haine contre l’homme dont l’innocence était plus forte que sa volonté.

Morus fut renvoyé de l’accusation : il n’y vit qu’une affaire ajournée. Quand on vint le lui annoncer : « Ce qui est différé n’est pas perdu, » dit-il ; comme si, à ce moment, il eût lu dans le cœur du roi[11].

Le duc de Norfolk, qui avait été son collègue dans l’administration précédente, et qui l’aimait, comme le secrétaire Cromwell, jusqu’au bon plaisir du roi, dont il était resté le ministre, le vint voir quelque temps après ; et, revenant sur la dernière affaire : « Par la messe ! monsieur Morus, lui dit-il, il est périlleux de lutter avec les princes. Je vous conseille donc, en bon ami, d’incliner au bon plaisir du roi : car, corps de Dieu ! monsieur Morus, l’indignation d’un prince est la mort[12]. — N’est-ce que cela, milord ? répondit Morus ; alors il n’y a d’autre différence entre vous et moi, sinon que je mourrai aujourd’hui et vous demain. Si donc la colère d’un prince ne peut donner qu’une mort temporelle, combien plus devons-nous craindre la mort éternelle où peut nous condamner le roi des cieux, si nous risquons de lui déplaire pour plaire à un roi terrestre ! »

C’est ce même duc de Norfolk qui, le trouvant un dimanche dans l’église de Chelsea, chantant la messe à pleine voix, et en surplis, lui avait dit qu’il dégradait par ces pratiques son office de chancelier d’Angleterre. C’était pourtant dans ces pratiques même, dans cette humilité de cœur et dans cette force de croyance, que Morus avait trouvé le secret de cette résistance aux colères des princes, que ne comprenait pas le duc, bon courtisan et médiocre chrétien.

x.
Le double Serment.

Ce fut le parlement de 1531 qui vota les bills d’allégeance aux descendans de la reine Anne, et de suprématie spirituelle du roi d’Angleterre. Sur tous les points du royaume ce double serment fut exigé de tous les sujets, et reçu par des commissaires royaux nommés à cet effet. Pour le clergé de Londres et de Westminster, la prestation du double serment se fit à Lambeth, sur la Tamise, dans le palais de l’archevêque de Cantorbéry, Cranmer, en présence de ce prélat, du lord chancelier Audley, du secrétaire Cromwell, de l’abbé de Westminster, assistés des commissaires royaux. Tous les évêques, abbés, prêtres, et un seul laïque, Thomas Morus, furent mandés à comparaître devant ce tribunal. Pour tout ce clergé, sauf Fisher, la séance était de pure formalité. Cet appareil de membres du conseil réunis aux commissaires n’avait pour objet que d’intimider les deux seuls récalcitrans, Fisher et Morus.

Le matin, avant de se rendre à Lambeth, il entendit la messe, et reçut le sacrement de l’eucharistie, comme c’était son usage dans les cas graves. Ses enfans et sa femme le reconduisaient d’ordinaire jusqu’au rivage, et ne le quittaient qu’après l’avoir vu monter dans le bateau ; ce jour-là, il voulut qu’ils demeurassent à la maison, et, fermant la porte derrière lui, il alla seul avec son gendre Roper. Quand il eut mis le pied dans le bateau, il dit à Roper, dans un mouvement de transport extatique : « Je remercie notre Seigneur, fils, le champ est gagné, » désignant par ce champ le ciel qu’il allait conquérir par le martyre. Roper, qui voulait toujours se tromper, interprétant cette parole en bien : « J’en suis charmé, monsieur, » dit-il. Peu après il comprit et s’attrista profondément.

Quand Morus fut arrivé devant les juges, il pria qu’on lui montrât la formule du serment. Après quelques momens de réflexion intérieure, il dit qu’il n’y trouvait rien à reprendre, et qu’il ne blâmait ni ceux qui l’avaient rédigée, ni ceux qui seraient disposés à s’y soumettre ; mais que, pour lui, il se regarderait comme en danger de mort éternelle s’il prêtait ce serment. On lui montra la liste de tous les grands personnages de la noblesse qui y avaient apposé leurs signatures. Il lut cette liste, mais ne changea rien à ses premières paroles. Alors on lui dit qu’il pouvait se promener dans le jardin ; pendant que le tribunal recevrait les sermens de toutes les personnes convoquées. On voulait lui donner le temps de se consulter.

On était en septembre, et il faisait une extrême chaleur. Morus, qui était d’une grande délicatesse de santé, aima mieux attendre dans une chambre du palais qui avait vue sur le jardin. Là, au lieu de délibérer, il se mit à regarder les nouveaux assermentés qui se promenaient dans les allées. Il les voyait sortir tout joyeux de la salle des commissaires, et marcher d’un pied léger dans le jardin, soit gaieté de gens indifférens, soit soulagement de gens timides, après un grand péril évité. Le plus gai de la troupe était le docteur Latimer, chapelain de l’archevêque de Cantorbéry, qui riait aux éclats avec quelques docteurs de ses amis, les prenant tour à tour par le cou, et les serrant si fort, « que si c’eût été des femmes, dit naïvement Morus, j’aurais pensé que Latimer était un grand libertin. » Vint ensuite le vicaire de Croydon, joyeux prêtre, suivi d’ecclésiastiques dont on n’avait pris le serment que pour la forme, « et à qui, dit Morus, on n’avait pas fait faire le pied de grue, comme c’est le lot des plaideurs. » Maître de Croydon, fort connu de l’archevêque, alla sans façon à l’office, et s’y fit servir un grand verre de bierre, qu’il but tout d’un trait[13]. La conscience n’était pas si exigeante chez le bon abbé que la soif. Morus, de sa fenêtre, notait ces petites circonstances, non sans quelque malice, et s’étonnant peut-être que ces gens prissent si gaiement une chose où il croyait ses deux vies engagées.

Quand tous les sermens furent reçus, on le rappela et on lui montra la liste des nouveaux noms. Il persista dans sa première déclaration, ne blâmant personne, mais ne voulant imiter personne. On lui reprocha son opiniâtreté, et on lui dit qu’il y avait un double crime à refuser le serment et à n’en pas donner de raisons. Il répondit que c’était assez de son refus pur et simple pour lui attirer l’indignation du roi et qu’il ne voulait pas l’aggraver en le motivant ; que, toutefois, si on pouvait l’assurer par de bonnes garanties que le développement de ses raisons n’irriterait pas davantage le roi, il s’empresserait de les donner, s’engageant, si à ces raisons on en pouvait opposer d’autres qui le satisfissent, à prêter le serment. Cranmer, raisonneur habile et qui connaissait Morus, comprit qu’on ne pouvait avoir de prise sur cet homme qu’en lui donnant des doutes sur son sens intérieur, et en opposant le devoir certain d’obéir au prince aux devoirs douteux de la conscience. Cet argument, venant avec tant d’autorité d’un personnage si considérable, frappa si vivement Morus, qu’il en fut d’abord interdit[14]. L’objection était embarrassante, sinon par sa propre force, du moins par le danger de la réponse. Après un moment de silence et de réflexion rapide, il répondit d’abord à Cranmer que « si l’autorité du roi était une raison concluante, il fallait que, sur son commandement, tout doute cessât entre les docteurs, dans quelque question que ce fût ; » puis à l’abbé de Westminster, qui avait renchéri sur l’archevêque : que « le témoignage de toute la chrétienté avait plus de force à ses yeux que l’opinion particulière d’un royaume. » Par cette réponse, il sauvait le droit de sa conscience sans augmenter son péril.

On lui demanda s’il voulait prêter serment d’allégeance à la reine Anne. « Volontiers, dit-il, mais à condition que ce soit dans de tels termes que je puisse le prêter sans parjure. » C’était le refuser indirectement.

Les quatre jours qui suivirent, il fut enfermé à Westminster sous la garde particulière de l’abbé. Pendant ce temps, le roi consulta ses ministres sur le parti qu’il fallait prendre. Le conseil fut d’avis qu’on devait se contenter d’un serment quelconque. C’était l’avis de Cranmer et surtout de Cromwell, qui, à l’issue de la séance de Lambeth, avait dit et affirmé sur son honneur qu’il aimerait mieux que son fils unique, — jeune homme de grande promesse, — fut mort, que de voir Morus refuser le serment. La nouvelle reine ne voulut pas consentir à cette transaction. On représenta donc derechef le même serment à Morus, qui le refusa encore, mais cette fois avec des formes si discrètes et si atténuantes, qu’avec de la politique on n’eût pas poussé les choses plus loin. Mais la reine, devenue mère, y mettait une double passion : l’amour maternel, et le ressentiment d’une femme qui, sans le serment, n’était plus qu’une concubine. Morus fut condamné à la prison perpétuelle, et conduit immédiatement à la Tour.

Quand il eut passé la porte d’entrée, le gardien lui demanda son vêtement de dessus. « Le voici, dit Morus, ôtant sa cape ; je suis fâché pour vous qu’elle ne soit pas plus neuve. » — « Ce n’est pas tout, dit le gardien, il me faut encore votre robe ; c’est l’usage. » Morus s’en dépouilla et la lui remit. On l’enferma dans une des chambres de la Tour, et on lui donna, pour le servir, John Vood, l’un de ses gens, auquel on fit jurer de dénoncer tout ce qu’il pourrait écrire ou dire contre le roi.

Quelques jours après il écrivit, avec du charbon, sur un bout de papier, la lettre touchante qu’on va lire. Elle est adressée à sa fille, Marguerite Roper, qui fut, pendant toute sa captivité, l’intermédiaire de cœur entre l’illustre prisonnier et sa famille.

« Ma chère bonne fille, grace à notre Seigneur, je suis en bonne santé, et, j’espère, en pleine tranquillité d’esprit ; et de tous les biens du monde, je n’en désire pas plus que ce que j’en possède. Je supplie notre Seigneur de vous rendre tous joyeux dans l’espoir du ciel. Il y a bien des choses que j’aurais envie de vous dire touchant la vie éternelle : puisse-t-il vous les enseigner lui-même, comme j’espère qu’il le fait, et mieux que moi, par son saint esprit ! Puisse-t-il vous conserver et vous bénir tous !

« Écrit au charbon par votre tendre et affectueux père, qui, dans ses pauvres prières, n’oublie aucun de vous, ni vos babes (petits enfans), ni vos nourrices, ni les méchantes petites femmes de vos maris, ni la femme de votre père, ni vos autres amis. Et adieu de tout mon cœur ; le papier me manque[15]. »

xi.
La Prison.

Marguerite avait obtenu la permission de le voir à la Tour. La première fois qu’elle y vint, le père et sa fille bien-aimée se mirent à genoux et récitèrent les sept psaumes et les litanies, et, avant tout épanchement, rendirent grâces à Dieu. Morus parla ensuite de sa prison, et dit qu’il considérait comme une faveur spéciale du ciel d’être enfermé dans cette étroite chambre ; que Dieu l’avait pris et bercé sur ses genoux[16] comme il avait fait pour ses meilleurs amis, saint Jean-Baptiste, Pierre et Paul. C’était par des prières et des discours de ce genre que commençaient toujours les longs entretiens du père et de la fille ; puis l’exaltation passée, la conversation prenait un ton gai. Morus demandait des nouvelles de Chelsea. On parlait des enfans, de leur mère, de la bonne conduite du fils et de ses sœurs[17], qui tous travaillaient de plus en plus à mépriser le monde et à se réfugier en Dieu, des amis de la famille, des voisins, dont aucun n’oubliait le pauvre prisonnier dans ses prières. Morus était attendri par ces souvenirs de tous les biens qu’il n’avait plus. C’est alors que Marguerite hasardait de timides conseils sur ce fatal serment qui le séparait pour jamais des siens. Mais Morus, souriant au piége que lui tendait madame Ève, comme il appelait Marguerite, repoussait avec force la tentation, « prêt à partir le lendemain, disait-il, s’il plaisait à Dieu de l’appeler[18]. » Et Marguerite, qui approuvait dans son cœur la conduite de son père, gagnée peu à peu à son enthousiasme, versait d’ardentes larmes, et n’avait plus la force de lui disputer la gloire de mourir.

Il lui venait des avis détournés de quelques membres du conseil, et, entre autres, du lord chancelier et de Cromwell, qui l’honoraient pour sa vertu, n’ayant pas à craindre son ambition. Le premier, successeur de Morus était allé, non sans dessein, chasser le chevreuil dans le parc du mari d’Alice, belle-fille de Morus[19]. Il la fit prier de le venir voir le lendemain. Alice s’y rendit de bonne heure, toute joyeuse, et s’attendant à quelque bonne nouvelle pour celui qu’elle appelait son père. Après des protestations d’amitié pour Morus, le chancelier lui dit qu’il s’étonnait beaucoup de l’entêtement de son père dans ses idées, quand tout le monde s’arrangeait du contraire, excepté l’évêque aveugle (Fisher). « Et en vérité, ajouta-t-il, je me félicite de n’avoir point d’instruction, si ce n’est pour me rappeler deux ou trois fables d’Ésope, et celle-ci entre autres : Il y avait un pays dont tous les habitans, sauf quelques sages, étaient fous. Ces sages, prévoyant par leur science qu’il devait tomber une grande pluie qui rendrait fous tous ceux qui en seraient mouillés, se creusèrent des cavernes sous terre, où ils attendirent que la pluie fût passée. Alors ils reparurent au jour, pensant bien qu’ils allaient faire des fous tout ce qu’ils voudraient. Mais ceux-ci les repoussèrent et, s’obstinèrent à se gouverner eux-mêmes. Alors les sages se repentirent, mais trop tard, de ne pas s’être laissé mouiller comme tous les autres. » Alice, qui ne pouvait guère se tromper sur le sens de cette fable, demanda au lord chancelier si elle devait douter qu’il se montrât, dans l’occasion, bon ami pour son père ; Audley, pour toute réponse, lui conta une autre fable.

Il s’agissait cette fois d’un lion, d’un âne et d’un loup qui étaient allés se confesser. Le lion dit qu’il avait dévoré tous les animaux qui s’étaient trouvés sur son chemin. « Vous êtes tout pardonné, dit le confesseur, parce que vous êtes roi et que votre naturel vous poussait à cela. » L’âne vint ensuite, d’un pas humble, et dit qu’un jour, mourant de faim, il avait mangé un brin de la paille des souliers de son maître, et qu’il craignait que cela n’eût contribué à enrhumer celui-ci. Le confesseur se déclara incompétent pour prononcer sur un si grand crime, et renvoya le coupable devant l’évêque. Ce fut ensuite le tour du loup, qui reçut, pour toute pénitence, l’ordre formel de ne jamais faire de repas qui coûtât plus de six sous. Après quelques jours de ce régime, pressé par la faim ; il voit passer une vache et son veau. L’eau lui en vint à la bouche, mais la crainte de son confesseur le retenait. À la fin, il résolut de prendre sa conscience pour juge du cas. L’ayant donc interrogée, il lui fut répondu que la vache ne valait certainement pas plus de quatre sous, et, qu’en estimant le veau à moitié prix, le tout ne dépasserait pas la somme fixée par son confesseur. Et il les mangea tous deux, et il fut fort en paix avec sa conscience. » Alice ne comprit que trop le sens de cette autre fable, et elle fut si attristée qu’elle ne sut que répondre. Par la fable des fous et des sages, Audley voulait-il toucher l’humilité de Morus en lui faisant craindre que son dissentiment avec tout le monde ne fût qu’une prétention orgueilleuse ? Et par celle des cas de conscience du loup, voulait-il le mettre en défiance contre cette voix intérieure qui ne dit à tant de gens que ce que lui soufflent leurs appétits ? Du reste, le lord chancelier avait du moins le mérite, étant du côté des fous et des loups, de ne pas affecter, comme le roi son maître, l’infaillibilité ni les scrupules.

Alice écrivait ces choses à Marguerite sa sœur, qui les rapportait à Morus. C’était le sujet de conversations douces, mais tristes, entre le prisonnier et sa fille. La fable de la pluie qui rend fous tous ceux qu’elle mouille était un dicton de Wolsey que le lord Audley, peu riche de son fonds, avait trouvé dans les traditions de la chancellerie. Morus, s’appliquant la fable avec bonne grace, en faisait un commentaire plein de sens et de haute philosophie. « Si les sages, remarquait-il, au sortir de leur trou, désiraient de devenir fous, par dépit que les fous ne se laissassent pas gouverner par eux, ces sages avaient dû recevoir quelques gouttes de pluie jusque dans leurs cachettes souterraines, car comment pouvaient-ils penser qu’on les eût plus tolérés sages que fous ? » Et il ajoutait : « Quant à ceux que milord veut désigner par les fous et par les sages, je ne les connais pas, et je ne suis pas propre à deviner des énigmes ; car, comme Davus dit dans Térence : Non sum Œdipus, je puis dire de moi : Non sum Œdipus, sed Morus ; ce que ce dernier nom signifie en grec, je n’ai pas besoin de vous le dire. Toutefois, j’espère que lord Audley m’aura compté parmi les fous, au nombre desquels je me range moi-même, et où me place mon nom en grec. Et il est très vrai que Dieu et ma conscience savent combien je mérite peu d’être compris parmi ceux qui désirent tant de gouverner les autres. »

Il se faisait sa part dans l’autre fable avec la même bonne grâce. Sans chercher à deviner quels personnages cachaient ce lion qui mangeait toutes les bêtes sur son passage, et ce loup qui n’était que le lion devenu casuiste, ni ce que pouvait être ce confesseur qui se montrait si doux aux grands et si dur aux petits, il se reconnaissait dans ce pauvre âne si scrupuleux, si inquiet, sans doute par défaut de lumières, et qui attachait tant d’importance à ce que les habiles eussent regardé comme une puérilité ; mais, disait-il, dût lord Rochester, son ami, sa seconde conscience, l’en blâmer, il n’eût pas changé son rôle d’âne contre celui d’aucun des trois autres personnages de la fable, ni son innocence de captif contre le savoir-vivre de l’homme puissant d’où lui venaient ces honteux conseils sous forme d’apologues.

Dans un de ces entretiens si doux et si tristes, à cause de la pensée de mort qui était au fond, Marguerite essayait timidement de justifier ceux des amis de Morus qui inclinaient vers le parti d’une transaction. « Ce n’est pas, remarqua-t-elle, pour vous faire rentrer dans la vie publique qu’ils cherchent à ébranler votre conscience ; c’est qu’étant hommes de bien et de grandes lumières, comme ils n’ont point cru mettre leur ame en danger en prêtant le serment, ils se demandaient pourquoi vous ne faites pas comme eux. »

« Ma petite Marguerite, répondit le prisonnier, vous ne jouez pas mal votre rôle : mais, de grace, écoutez-moi. » Et il lui montra, avec une grande abondance de preuves et de citations, dans quel cas on pouvait ne pas prêter serment à des lois émanées des hommes. Quant à l’opinion des doctes, que lui opposait Marguerite : « J’en sais beaucoup, dit-il, qui, après avoir blâmé le divorce et le mariage, s’en sont déclarés partisans. Est-ce pour plaire au prince, ou par la crainte de l’irriter, de perdre leurs biens, d’attirer des malheurs sur leurs familles et leurs amis ? J’espère que leurs motifs sont plus courageux ; mais je ne veux point les imiter, étant aussi sûr de bien faire en refusant le serment, que je le suis que Dieu existe. »

Marguerite, le voyant si ferme dans son dessein, baissa la tête, le cœur gros de larmes, pensant au danger, non de son ame, mais de son corps.

— « Eh bien ! mère Ève, dit Morus, que faites-vous là ? Sans doute vous couvez dans votre sein quelque autre serpent, qui va vous persuader encore une fois d’offrir la pomme au père Adam ?

— En vérité, reprit Marguerite, je ne sais plus que dire, et me voilà, comme Cressida dans Chaucer, au bout de mon esprit. Car, puisque les exemples de tant d’hommes éminens ne vous peuvent pas ébranler, que puis-je ajouter, ô mon père ! à moins de vous dire comme votre fou, maître Patenson, lequel demandant à l’un de nos gens où vous étiez, entra dans une grande colère, et dit : « Qui l’empêche donc de prêter serment ? moi, je l’ai bien prêté ! » Et moi aussi, je ne puis vous dire que cela : J’ai prêté ce serment[20].

— Eh bien ! dit Morus, c’est une ressemblance de plus avec la mère Ève, laquelle n’offrait de si mauvais fruit à Adam qu’elle n’en eût auparavant mangé[21]. »

Ces entrevues avec Marguerite n’étaient pas la seule liberté qu’on lui eût laissée dans sa prison. Outre sa fille, il recevait tous ceux de sa famille ; il entendait la messe dans la chapelle ; il pouvait descendre et se promener dans le jardin de la Tour[22]. Ses longues journées se passaient à prier, à méditer, à écrire des traités spirituels, tantôt à la plume, tantôt au charbon, selon que les ordres du roi étaient au relâchement ou à la rigueur. C’est au charbon que furent écrits, en grande partie, les trois livres du Comfort in tribulation, espèce d’ouvrage allégorique, où, sous le nom de deux interlocuteurs hongrois, qui, à l’approche d’une irruption des Turcs dans leur pays, se préparent à le défendre et à périr, Morus peint le danger de l’Angleterre menacée par l’hérésie, et montre comment les bons catholiques doivent se préparer à perdre leur liberté, leurs biens et leur vie pour leur foi. C’est encore au charbon que furent écrits ces vers à la fortune[23], inspirés, dit son petit-fils, par une visite du secrétaire Cromwell, qui lui avait parlé d’un retour possible du roi :

« Allons, caressante fortune, bien que tu ne m’aies jamais paru si belle, ni souri plus doucement, comme si tu voulais réparer tous mes malheurs, désormais tu ne me tromperas plus ; car j’ai l’espoir que Dieu me fera bientôt entrer dans le port sûr et immuable de son ciel :

« Ô fortune ! après ton calme, j’entrevois toujours une tempête[24]. »

La première fois que sa femme vint le voir, moitié de son propre mouvement, moitié par le conseil indirect de la cour, qui avait compté parmi ses moyens d’influence l’importunité d’une femme dont la tendresse et l’humeur avaient quelque empire sur Morus, elle l’aborda par des reproches : « Qu’était-ce donc qu’un prétendu sage qui se résignait à vivre enfermé dans la compagnie des rats, quand il pouvait recouvrer sa liberté et revoir sa jolie maison de Chelsea, sa bibliothèque, sa galerie, son jardin, son verger, sa femme et ses enfans, pour peu qu’il voulût faire ce que tous les hommes instruits de l’Angleterre avaient fait ? » Après un peu de silence : — « Dites-moi, dame Alice, dites-moi une seule chose. Quoi ? dit-elle. — Cette maison n’est-elle pas aussi près du ciel que ma jolie maison de Chelsea ? » La bonne dame s’emporta : — «  Chansons ! dit-elle. — Je ne sais pas, reprit Morus, pourquoi je tiendrais tant à ma maison et à tout ce qui s’y trouve ; car si, après avoir été six ans sous terre, je sortais de ma tombe et revenais à Chelsea, je ne manquerais pas d’y trouver des gens qui me mettraient à la porte, et qui me diraient que ma maison n’est pas à moi. Pourquoi donc, encore une fois, aimerais-je tant une maison qui oublierait si tôt son maître ? Voyons, dame Alice, continua-t-il, combien me donnez-vous d’années à vivre et à jouir encore de Chelsea ? — Vingt ans, dit-elle. — En vérité, reprit-il, si c’était mille, il y aurait à y regarder. Et encore serait-ce un mauvais marché que de perdre l’éternité pour mille années. Mais combien pire serait le marché, s’il est vrai que nous ne sommes pas sûrs d’un jour[25] ! »

Le plan du roi, qui avait plus besoin de son parjure que de sa vie, avait été, dans le commencement, de le prendre par les affections de famille, et de le mettre aux prises avec les regrets, les reproches, les prières, les larmes, les souvenirs de la liberté perdue, rendus si vifs par la présence de ceux au milieu desquels il avait vécu libre. Mais toute la famille ayant échoué contre l’homme à qui sa foi commandait de mettre le Christ avant les siens, on lui ôta brusquement toutes ces petites consolations, et la rigueur succéda aux ménagemens. On l’attaquait par tous les points. Tantôt on répandait le bruit qu’il avait prêté serment, et on lui ôtait ainsi l’appui de l’opinion dont l’homme le plus ferme a besoin[26] ; tantôt les agens royaux investissaient sa maison sous prétexte de sommes cachées, et fouillaient sa noble pauvreté comme ils eussent fait des coffres de quelque exacteur du dernier roi. Morus, dans une lettre à ce sujet, témoigne l’espoir que le roi ne prendra pas la ceinture et le collier d’or de sa femme, et ne touchera pas à sa garderobe[27]. Tantôt on parlait de lui arracher le serment par des tortures[28]. Tantôt c’était quelque affidé qui lui reprochait de n’avoir pas écrit au roi depuis qu’il était en prison, comme s’il avait pu le faire sans se démentir ou sans l’irriter davantage[29] !

Un moyen de terreur plus significatif, ce fut l’exécution du prieur des trois chartreuses, d’un prêtre et de quatre moines, qui furent pendus à Tyburn, puis décrochés vivans du gibet, démembrés, et leurs entrailles arrachées du ventre et dispersées[30]. Il fut appelé devant le conseil sous l’impression de ces supplices, et pendant que le sang des victimes fumait encore ; mais il ne fléchit pas. Sa famille avait pris l’épouvante. Il lui écrivit pour la rassurer. Il ne voulait pas qu’ils eussent plus de craintes, hélas ! ni plus d’espérance qu’ils n’en avaient sujet[31].

Ce conseil eut lieu le dernier jour d’avril 1535, un vendredi après midi. Morus alla changer de robe pour paraître plus convenablement devant les personnes qui le composaient, et se rendit dans la galerie, où il se trouva entouré de gens de connaissance et d’inconnus. On le pria de s’asseoir ; mais il resta debout, soit par humilité, soit pour montrer que désormais aucune conférence ne pouvait plus être longue avec lui. On lui parla des nouveaux statuts du parlement, qu’il déclara n’avoir lus qu’avec peu d’attention. On lui demanda s’il n’avait pas lu celui qui conférait au roi le titre de chef de l’église d’Angleterre, et, sur sa réponse qu’il l’avait lu, le secrétaire Cromwell l’invita obligeamment à dire ce qu’il en pensait. « À présent, dit Morus, que j’ai mis mon esprit en repos sur ces matières, je ne suis plus d’humeur à discuter les titres des rois et des papes. Mais je suis et veux être le fidèle sujet du roi, et chaque jour je prie pour lui et pour tout ce qui lui appartient et pour tous ceux qui composent son honorable conseil, et pour tout le royaume ; et hors cela, je ne me mêlerai plus de rien. — Cela ne satisfera pas le roi, répondit Cromwell ; il veut une réponse plus précise. C’est d’ailleurs, ajouta-t-il, un prince bon et pitoyable, prêt à pardonner des actes d’obstination suivis de repentir, et qui désire en particulier vous voir rentrer dans le monde parmi les autres hommes. — Le monde ! dit vivement Morus, jouant sur le mot ; je n’y voudrais pas rentrer, dût-on me le donner tout entier[32]. » Puis, continuant, il déclara qu’il ne voulait plus se mêler de rien, mais qu’il allait passer ses jours à méditer sur la passion du Christ et sur son propre passage dans l’autre monde. On le fit retirer un moment pour concerter ce qu’il fallait lui demander.

Appelé de nouveau devant le conseil, on lui dit que sa condamnation à la prison perpétuelle ne le dispensait pas d’obéir, et que le roi pouvait lui imposer le statut aux mêmes peines qu’à tous ses autres sujets. Morus ne le nia pas. Cromwell lui parla de l’influence qu’allait avoir son exemple. « Que veut-on de moi ? répondit Morus ; je ne fais pas de mal, je ne dis pas de mal, je ne pense pas de mal ; si cela n’est pas assez pour garder un homme en vie, eh bien ! je ne désire pas de vivre plus long-temps. D’ailleurs je suis déjà mourant, et depuis que je suis entré ici, j’ai dû penser plusieurs fois que je n’avais pas une heure à vivre. Mon pauvre corps est à la disposition du roi. Dieu veuille que ma mort lui fasse du bien ! » Le conseil, que ces belles paroles embarrassaient cruellement, voulut rentrer dans la question ; mais Morus s’y refusa, déclarant qu’il ne parlerait plus. Alors Cromwell leva la séance, après lui avoir promis de ne pas prendre avantage de ses dernières paroles. On fit appeler le lieutenant, et on lui remit le prisonnier qu’il ramena dans sa chambre.

Le roi voulait que Morus se prononçât pour ou contre le statut. Les mêmes personnages revinrent donc à la Tour, quelques jours après, pour l’interroger de nouveau. C’étaient milord de Cantorbéry, le lord chancelier, lord Suffolk, lord Wilshire, et le secrétaire Cromwell, l’ame de ces interrogatoires, et, de tous les membres du conseil, le mieux disposé pour Morus.

On lui déclara quelle était la volonté du roi. Morus rappela encore une fois le conseil de Henry : « Servez Dieu d’abord, et le roi après Dieu. » C’était la seule vengeance de l’honnête homme.

On lui objecta les hérétiques qui avaient été obligés, sous sa chancellerie, de reconnaître le pape pour chef de la chrétienté, et de préciser leur croyance sur ce point. Morus protesta contre la confusion qu’on voulait faire entre deux cas si différens. Il dit que la loi en vertu de laquelle on avait contraint les hérétiques était fondée sur une croyance universelle, tandis que la loi au nom de laquelle on exigeait de lui qu’il se prononçât n’était qu’une loi particulière à un royaume ; or, en matière de croyances, remarqua-t-il, un homme est moins lié, dans sa conscience, envers un règlement local contraire à une loi de tout le corps de la chrétienté, qu’envers une loi émanée de tout ce corps qui pourrait être contrariée par les statuts particuliers d’un état. C’était la vraie doctrine catholique.

La discussion se prolongea inutilement. On finit par lui poser ces deux questions :

— Avez-vous lu le statut ? — Il répondit : Oui.

— Est-il légal, oui ou non ? — Il se tut.

Un membre pensa le prendre en paraissant douter de son mépris de la vie. C’était la plus forte des tentations. Ce personnage dit à Morus : « Si vous avez un si grand désir de quitter le monde, que ne vous prononcez-vous tout nettement contre la légalité du statut ? Votre silence ferait croire que vous seriez moins content de mourir que vous le dites. »

Morus fit cette sublime réponse : « Je n’ai pas été un homme d’une si sainte vie que je puisse oser m’offrir de moi-même à la mort. Je craindrais que Dieu ne me punît de ma présomption en m’abandonnant. Aussi, au lieu de me jeter en avant, j’ai cru devoir plutôt me retenir et reculer (draw back)[33]. »

Cromwell lui dit qu’il était moins content de lui qu’à la dernière conférence, et que, cette fois, il le croyait malintentionné. Trop de grandeur d’ame devient suspect aux ames ordinaires. Cromwell pouvait être de bonne foi en ne voyant qu’un commencement de mauvaise intention là où commençait en effet l’héroïsme le plus sublime. Ne pouvant sauver Morus, et forcé, pour son propre intérêt, de s’associer à ceux qui vouaient sa perte, il devait saisir avec empressement, et, au besoin, imaginer toutes les apparences qui, en donnant une couleur de justice au meurtre de Morus, allégeraient la part qu’il allait y prendre. Il devait en venir à soupçonner la conscience de Morus pour décharger d’autant la sienne, outre que toute magnanimité offusque et impatiente à la longue un courtisan.

Ce fut après ce dernier interrogatoire que le roi envoya à la Tour, sous le prétexte officiel d’aller enlever tous les livres et papiers de Morus, mais avec l’ordre secret de lui tirer des aveux sur le statut, un certain M. Rich, solliciteur-général, depuis lord Rich, magistrat de fortune, qui avait une de ces ambitions qui s’accommodent de tous les genres de services. Il était accompagné de sir Richard Southwell et d’un M. Palmer. Rich amena la conversation sur le droit qu’avait le parlement de déférer au roi le titre de chef suprême de l’église d’Angleterre. Morus, qui ne savait pas résister à la discussion, parce qu’il y réussissait, accepta le débat, mais sur le terrain où il l’avait tenu jusqu’ici, entre un oui qu’il ne voulait pas donner et un non qu’il atténuait par toutes sortes d’humilités ou de réticences. Mais c’en était assez pour les affaires de Rich. Il courut chez le roi se vanter de confidences qu’il n’avait pas reçues, « laissant, dit le naïf biographe de Morus, une si mauvaise odeur sur son passage que M. le lieutenant de la Tour en fut incommodé, et que sir Thomas la sentit[34]. »

On lui avait pris tout une seconde fois, papier, plumes, encre, livres. Il ne put achever son commentaire sur la passion du Christ, ouvrage latin, en forme de paraphrase, et, chose singulière, sans allusion à sa situation. Il en était resté à ce mot si significatif : « Alors ils s’approchèrent et mirent la main sur Jésus ; » tunc accesserunt et injecerunt manus in Jesum… » Ce devait être, quelques jours après, le premier verset de sa passion.

Quand le solliciteur Rich et ses compagnons furent partis, Morus ferma sa fenêtre : « — Que faites-vous donc là ? lui dit le lieutenant de la Tour. Quand toutes les marchandises sont parties, reprit Morus, n’est-il pas temps de fermer la boutique ? »

xii.
Procès d’état. — Condamnation. – Mort.
Mai, juin, juillet 1535.

Pourvu que l’opposition de Morus cessât, il importait peu à Henry VIII que ce fût par son déshonneur ou par sa mort. On se fût mieux arrangé de son déshonneur, parce qu’on aurait à la fois fait disparaître l’homme et l’exemple ; la mort ne pouvait faire disparaître que l’homme. Mais quand on vit que le prisonnier s’opiniâtrait dans sa résistance, et qu’il fallait désespérer de sauver son corps au prix de son ame, le roi voulut mettre fin à cette lutte de toutes les forces d’un royaume contre la conscience d’un homme. Morus fut cité devant la barre du banc du roi, le 7 mai 1535, pour s’y voir accuser du crime de haute trahison. Il y avait un peu plus d’un an qu’il languissait à la Tour.

Il vint de la prison au palais de Westminster, à pied, malgré la longueur du chemin, s’appuyant sur un bâton, tant il avait été affaibli par les rigueurs de sa captivité, le corps voûté par la maladie, mais le visage calme et serein[35]. Les juges étaient : Audley, le lord chancelier ; Fitz-James, le lord chef de justice ; sir John Baldwin ; sir Richard Leister ; sir John Port ; sir John Pilman ; sir Walter Luke ; sir Antony Fitz-Herbert. Ces personnages composaient le banc du roi, lequel était chargé de diriger les débats, de recueillir le verdict du jury, et d’appliquer la peine.

L’attorney avait bâti un acte immense d’accusation, selon la pratique des officiers royaux de tous les temps, qui est de grouper mille crimes imaginaires autour de celui qu’on ne peut pas préciser. On avait espéré l’embarrasser dans ce chaos de détails, et énerver sa défense en l’éparpillant. Il vit le piége, et, dans l’interminable lecture de l’attorney, il distingua quatre chefs dont la réfutation devait faire tomber tout le procès et sauver son innocence, sinon sa vie. L’attorney, dans ses conclusions, le déclarait traître au roi et au royaume, pour avoir nié la suprématie spirituelle du roi, au principal, et pour mille autres crimes au particulier.

Lecture faite de l’acte, le lord chancelier, comme chef suprême de la justice, et le duc de Norfolk, comme membre du conseil, lui promirent qu’il obtiendrait son pardon du roi, s’il voulait abjurer son opinion. « Je prie Dieu, dit Morus, qu’il m’y affermisse et m’y fasse persévérer jusqu’à la mort. » On l’invita à se défendre. « Quand je pense, dit-il, combien l’acte d’accusation est long, et combien de griefs y sont mis à ma charge, je crains que mon esprit et ma mémoire, qui sont affaiblis, comme mon corps, par la maladie, ne me fournissent pas promptement les preuves que je devrais donner et que, dans un autre état, j’aurais pu donner. » Les juges lui firent apporter un siége, et il s’assit pour la première fois depuis son départ de la Tour. Alors il commença sa défense.

Le premier chef était son opposition au second mariage du roi. Il ne la nia pas ; mais il dit qu’il lui semblait qu’il en avait été assez puni par tant de maux de corps et d’esprit, depuis un an, par la perte de tous ses biens, et par une condamnation à la prison perpétuelle.

Le second était sa désobéissance au statut du parlement touchant la suprématie du roi, et le refus qu’il avait fait de donner son opinion. Il dit qu’il n’existait ni statut, ni loi dans le monde qui punît un homme de n’avoir rien dit ni en bien, ni en mal ; qu’il n’y avait de punissable que les actions et les paroles ; que pour les pensées secrètes, Dieu seul en était juge. « C’est de ce silence même qu’on vous accuse, dit brusquement l’attorney. — Le silence implique consentement, répliqua Morus. » Mais, pour qu’on ne tournât pas contre le chrétien cette parole échappée à l’avocat, il se hâta d’ajouter qu’il y avait des cas où l’on devait obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, et avoir plus de souci de sa conscience que de toute autre chose.

Le troisième chef capital était une prétendue machination contre le statut, prouvée par des lettres écrites de la Tour à l’évêque Fisher, et où Morus encourageait son ami à la résistance. Ces lettres avaient été brûlées par Fisher, ce qui permettait à l’attorney d’y lire tout ce qu’il jugerait bon pour le besoin de la cause. Morus avoua naïvement ce qu’elles contenaient. Plusieurs traitaient de choses privées, comme de leur vieille amitié et accointance ; dans l’une, Morus répondait à Fisher, qui l’avait prié de lui mander ses réponses dans l’affaire du serment, que sa conscience était en repos sur ce point, et qu’il réglât de son côté la sienne pour son plus grand bien.

Une preuve de complot plus forte que ces lettres, et qui formait le quatrième chef, c’était une comparaison commune à Fisher et à Morus, du statut du parlement à un glaive à deux tranchans, tuant l’ame si on s’y soumettait, tuant le corps si on y résistait. Morus expliqua cette conformité dans les deux réponses par la conformité d’esprit et de doctrine qui l’avait, depuis tant d’années, attaché à Fisher. « Pour conclure, dit-il en finissant, je déclare que je n’ai jamais dit un mot contre le statut à aucun homme vivant, encore qu’on ait pu affirmer le contraire à sa majesté. »

L’attorney ne répondit à cette défense que par un mot qui courut dans toute la cour : Malice. Il n’en ajouta pas un second, et il ne prouva pas celui-là. Rich fut interrogé sur son entretien avec Morus. Il assura que le prisonnier avait nié le droit du parlement. Morus lui répondit avec véhémence, l’accabla de sa vie passée, de sa mauvaise réputation, de ses désordres, et dit combien il était invraisemblable qu’il se fût ouvert sur un point aussi grave à un homme si léger et si mal famé, lui qui n’en avait voulu rien dire au roi ni à ceux de ses conseillers qui l’avaient interrogé à la Tour. Rich, pour relever son témoignage, fit appeler sir Richard Southvell et M. Palmer. Mais le premier dit qu’il n’avait été envoyé à la Tour que pour procéder à l’enlèvement des livres du prisonnier, et qu’il n’avait pas eu l’oreille à la conversation ; et le second, qu’il était si occupé à jeter les livres dans un sac, qu’il n’avait pas pris garde à ce qui se disait. Réponses de gens timides, mais honnêtes, qui ne voulaient ni mentir contre Morus, ni dire la vérité, au risque de se perdre sans le sauver. Le solliciteur Rich devint lord Rich, et Morus fut condamné à mort.

Les jurés étaient au nombre de douze. Après un quart d’heure de délibération, ils rendirent le verdict de mort : Guilty[36].

Le chancelier se leva pour prononcer la sentence. Morus l’interrompit : «  Milord, dit-il, quand j’étais dans les lois, on demandait au prisonnier, avant la sentence, s’il avait quelque chose à dire contre le jugement. » Le chancelier lui dit de parler. Morus se mit alors à discuter librement le statut du parlement ; il l’attaqua comme violant à la fois toutes les lois de l’église, les prérogatives du Saint-Siége et les lois même de l’Angleterre, qui déclaraient l’église nationale libre et indépendante ; il rappela les liens de reconnaissance qui attachaient cette île au Saint-Siége, dont elle tenait le bienfait de la foi catholique, héritage de Grégoire-le-Grand et de saint Augustin. Il répondit à tout avec une fermeté et une promptitude admirables, en homme qui n’était plus troublé par le soin de sa vie, et qui s’abandonnait au plaisir de décharger sa conscience si long-temps comprimée. Tout était consommé. Ce dernier espoir de salut, ce dernier attachement de l’homme à la vie, qu’on eût trouvé peut-être au fond du cœur des plus héroïques martyrs, ne retenaient plus sa langue, et ne mêlaient plus les précautions et les subtilités de la défense aux libres accens du chrétien rendant témoignage.

Le lord chancelier, soit qu’il ne sût que répondre, soit pour diminuer sa part dans la responsabilité de l’arrêt, demanda hautement au lord chef de justice, sir John Fitz-James, si l’accusation était fondée ou non. « Milords, dit celui-ci, par saint Gillian, je dois déclarer que si l’acte du parlement n’est pas illégal, dans ma conscience, l’accusation est suffisamment fondée.. » Paroles à double sens, comme toutes celles des hommes publics dans les temps de tyrannie, quand il arrive que chaque homme, interpellé de dire son avis, se replie sur celui des autres, dérobe sa lâcheté derrière la lâcheté générale, et se lave les mains, comme Pilate, dans une eau que tout le monde a salie.

Le chancelier lut la sentence. Elle portait que le criminel serait ramené à la Tour de Londres, par les soins de William Bingston, shériff, et de là traîné sur une claie à travers la Cité de Londres, jusqu’à Tyburn, pour y être pendu jusqu’à ce qu’il fût à demi mort ; qu’en cet état il serait déchiré vif, ses parties nobles arrachées, son ventre ouvert, ses entrailles brûlées ; que les quatre quartiers seraient exposés sur les quatre portes de la Cité, et la tête sur le pont de Londres. Henry commua la peine en celle d’avoir la tête tranchée. « Dieu préserve mes amis, dit Morus, de la compassion du roi, et toute ma postérité de ses pardons ! » Ce fut le seul mot dur qu’il laissa échapper sur le roi ; encore était-ce dit avec un ton de gaieté qui en cachait l’amertume.

Quand Morus eut entendu sa sentence : « Maintenant, dit-il, que je suis condamné, Dieu sait de quel droit je dirai librement ce que je pense de votre loi. Voilà sept années que j’applique mon esprit et que je tourne toutes mes études à cette matière, et je déclare que je n’ai lu dans aucun des docteurs avoués par l’église, qu’un laïque, ou, comme ils disent, un personnage séculier, ait été ou pu être chef d’une église.

— Vous prétendez donc, maître Morus, dit le chancelier, être plus sage et d’une conscience meilleure que tous les évêques, toute la noblesse, tout le peuple de ce royaume ?

— Milord chancelier, répondit Morus, pour un évêque que vous avez de votre opinion, j’ai de mon côté plusieurs centaines de saints et orthodoxes personnages ; pour votre assemblée unique, j’ai tous les conciles généraux qui se sont tenus depuis mille ans ; et pour un seul royaume j’ai toute la chrétienté. » Le duc de Norfolk, son ancien ami, l’accusa de malveillance. Morus repoussa doucement le reproche, et sans se plaindre de celui qui le lui faisait. Il voulait se justifier ; il ne voulait pas récriminer.

La longueur de la discussion prouvait combien ces hommes faisaient à regret leur métier de juges. Le sang qu’on allait verser ne profitait à aucun d’eux et pouvait quelque jour rendre le leur moins précieux. À la fin de la séance, ils dirent à Morus qu’il les trouverait prêts, chacun en particulier, à recevoir tout ce qu’il leur voudrait communiquer ultérieurement pour sa défense. Morus, touché, leur répondit avec effusion : «  Je n’ai plus qu’une chose à ajouter, milords. Nous lisons, dans les Actes des apôtres, que le bienheureux apôtre saint Paul était présent et consentant à la mort du premier martyr Étienne, et qu’il garda les habits de ceux qui le lapidaient. Et cependant Paul et Étienne sont maintenant deux saints dans le ciel, et deux amis pour toujours. De même, j’espère de tout mon cœur, — et je prie Dieu à cet effet, — que quoique vos seigneuries aient été sur la terre les juges pour ma condamnation, nous pourrons nous retrouver ensemble dans le ciel pour notre salut éternel. Que Dieu vous conserve tous, et, en particulier, mon souverain seigneur le roi, et qu’il lui accorde de sages conseillers[37] ! »

Il fut reconduit à pied de Westminster à la Tour, la hache portée devant lui, et le tranchant de son côté. Son fils, John More, qui l’attendait hors de la salle de justice, se mit à genoux devant lui, et lui demanda sa bénédiction ; Morus l’embrassa et le bénit. Arrivé sur le quai de la Tour, sa fille Marguerite, passant à travers les hallebardes et les haches qui l’entouraient, se jeta à son cou et y resta suspendue sans pouvoir dire d’autre parole que celle-ci : « Ô mon père ! ô mon père ! » Morus lui donna sa bénédiction, et lui dit que, quoiqu’il dût mourir pour un crime qu’il n’avait pas commis, cela n’arrivait pas sans l’expresse volonté de Dieu, et qu’il fallait s’y soumettre. Après ces mots, Marguerite se retira ; mais à peine eut-elle fait quelques pas, que, se retournant tout à coup, et rompant la foule qui s’était refermée derrière elle, elle se jeta de nouveau au cou de son père, et couvrit son visage de baisers pleins de larmes. Le sang-froid du prisonnier ne tint pas à cette seconde épreuve. Il ne dit rien à sa fille ; il pleura. Ce fut le moment, dans toute la foule, d’une émotion déchirante, qui gagna jusqu’aux soldats de l’escorte. Tout autour de Morus on n’entendit qu’un long sanglot. Les soldats arrachèrent enfin Marguerite des bras de son père. Alors ses autres enfans et petits-enfans vinrent recevoir sa dernière bénédiction. Quant à ceux des siens qui étaient demeurés à la maison, « ils trouvèrent, dit son pieux petit-fils, que ceux qui l’avaient touché à ce moment suprême, en avaient rapporté une bonne odeur[38].

Morus resta sept jours et sept nuits dans la Tour, après son jugement, s’armant par la prière, la méditation, l’enthousiasme religieux, pour le jour du martyre ; se promenant dans sa chambre en chemise, comme un homme prêt à être enseveli, et se flagellant lui-même, pour faire taire cette chair délicate qui aurait eu peur d’une chiquenaude.

Les deux dernières lettres qu’il écrivit étaient adressées, l’une à Antonio Bonviso, marchand italien, son intime ami, qu’il remercie de ses services, et qu’il espère revoir « là où il n’y aura plus besoin de lettres, où une muraille ne séparera point les amis, où un gardien ne viendra pas interrompre leurs entretiens[39] ; » l’autre, écrite en anglais et au charbon, à sa fille Marguerite qu’il charge de ses dernières recommandations et adieux à tous ses enfans, petits-enfans, gendres, brus, et aux amis de sa famille[40]. Elle est datée du 5 juillet 1535 ; Morus devait être décapité le lendemain. Il rappelle à sa fille leurs derniers adieux. « Je n’ai jamais mieux aimé votre manière envers moi, que lorsque vous m’avez embrassé la dernière fois ; car j’approuve cette piété filiale et cette tendresse de cœur qui ne s’inquiétaient pas du respect humain. » Il prie son bon fils Jean, si la terre paternelle venait entre ses mains, de ne rien changer à ses dispositions dernières pour sa sœur. Avec cette lettre, il envoyait pour cette sœur, son portrait sur parchemin, pour sa belle-fille Alice une pierre précieuse, pour Marguerite, sa fille chérie, un mouchoir, son cilice et le fouet dont il s’était flagellé. Maintenant que le combat était fini, il envoyait à sa fille ses armes.

Le lendemain matin, de très bonne heure, sir Thomas Pope vint lui apporter le message du roi et de son conseil qui lui annonçait qu’il devait mourir le jour même, avant neuf heures, et qu’il eût à s’y préparer.

— « M. Pope, dit-il, je vous remercie de tout mon cœur pour vos bons offices. Je dois beaucoup au roi pour les honneurs et bienfaits dont il m’a comblé, mais je lui dois bien plus encore pour m’avoir mis dans cette prison, où j’ai eu le temps et la place convenables pour me souvenir de ma fin. Et, je le jure devant Dieu, ce dont je suis le plus obligé envers sa majesté, c’est qu’il lui plaise de me faire sortir si tôt des misères de ce pauvre monde.

— La volonté du roi, dit sir Pope, est que vous ne prononciez pas de discours à votre exécution.

— Vous faites bien, M. Pope, reprit Morus, de me transmettre la volonté du roi ; car autrement je m’étais proposé de dire quelques paroles, mais aucune qui pût offenser sa grace ou toute autre personne. Quel qu’ait été mon désir à cet égard, je suis prêt à obéir au commandement de sa majesté. Je vous prie, bon M. Pope, d’obtenir du roi que ma fille Marguerite assiste à mes funérailles.

— Le roi, reprit M. Pope, a déjà permis que votre femme, vos enfans et vos amis fussent libres d’y assister.

— Combien je lui suis reconnaissant, dit Morus, d’avoir eu tant de considération pour mes pauvres funérailles ! »

Sir Thomas Pope, prêt à prendre congé de lui, ne put retenir ses larmes. Morus le consola. « Ayez confiance, M. Pope, nous nous reverrons quelque jour l’un l’autre, dans un lieu où nous serons sûrs de nous aimer au sein d’un bonheur éternel ! »

L’histoire ne serait pas fidèle, si elle omettait un détail qui complète le caractère de Morus, tout en gâtant peut-être le pathétique de ses derniers momens. La liberté de nos pères, peut-être au fond tout aussi honnête que notre pruderie, n’eût pas été embarrassée de raconter ce trait, qu’explique la grossièreté des mœurs de l’époque, et qui, à ce moment suprême, ne pourrait faire rire que ceux à qui l’apparence des choses en cache le fond. Il ne peut se passer rien de risible dans les deux dernières heures d’un homme illustre qui va mourir sur l’échafaud. Ce fut immédiatement après cette scène de larmes entre Morus et M. Pope, que le prisonnier, depuis long-temps malade de la gravelle, étant allé satisfaire une nécessité que ses infirmités lui avaient rendue très douloureuse, revint à M. Pope, et lui montrant le vase où la médecine de l’époque[41] cherchait les symptômes des maladies

— « M. Pope, dit-il gaiement, je ne vois rien là qui eût empêché cet homme de vivre long-temps, si la chose eût plu au roi. »

Quand Morus fut seul, il quitta sa chemise de mortification, et, comme un homme invité à un banquet solennel, il s’habilla du mieux qu’il put et revêtit une robe de soie que lui avait donnée son ami Antonio Bonviso. Le lieutenant de la Tour, le voyant ainsi paré, lui dit que c’était grand dommage qu’il s’habillât ainsi pour le profit du misérable qui devait lui donner le coup de la mort.

— « Quoi ! M. le lieutenant, dit Morus, un homme qui va me rendre un si grand service ! Si cette robe était d’or, je ne ferais qu’une chose juste en la lui donnant. Saint Cyprien ne donna-t-il pas trente pièces d’or à son exécuteur, parce qu’il connaissait l’ineffable bien que celui-ci allait lui rendre en retour ? »

Mais le lieutenant insistant, sans doute par un scrupule de haut fonctionnaire qui ne veut pas qu’on gâte les subalternes, Morus ôta sa robe de soie, et la remplaça par une robe de laine de Frise. Toutefois il donna un angelot d’or au bourreau pour qu’il ne le fît pas souffrir, « mais qu’il se montrât son ami. »

À neuf heures, il fut livré par le lieutenant de la Tour au sheriff, et s’achemina vers l’échafaud. Sa barbe était longue, ce qui ne lui était pas accoutumé, son visage pâle et amaigri ; il tenait dans ses mains une croix rouge, et levait souvent les yeux au ciel. Une bonne femme lui offrit un verre de vin ; il le refusa en disant : « Le Christ à sa passion ne but pas de vin, mais du fiel et du vinaigre. » Deux malheureuses, apostées, dit-on, pour détruire l’effet de sa noble mort, l’apostrophèrent sur son passage. L’une lui redemandait certains livres qu’elle lui avait donnés en garde pendant qu’il était lord chancelier. L’autre se plaignait d’une injustice qu’elle avait reçue de lui dans le même temps. À la première, il répondit doucement que le roi l’allait débarrasser de tout souci de ses papiers, livres, et autres choses de ce genre ; à la seconde, qu’il se souvenait de son affaire, et que si c’était à recommencer, il rendrait la même sentence.

Le dernier qui l’interrompit, mais sans mauvais motif, ce fut un homme de Winchester, lequel ayant senti autrefois de violentes tentations de désespoir, s’était fait présenter par un ami à sir Thomas, alors chancelier. Morus lui avait promis de prier pour lui, et, depuis lors, trois ans s’étaient passés sans qu’il se ressentît de son mal. Quand Morus fut mis en prison, cet homme, ne pouvant plus le voir, avait été repris de ses tentations jusqu’à vouloir se tuer. Le jour de l’exécution, il vint à Londres, se mit sur le passage du cortége funèbre, et quand Morus passa, il le pria de se souvenir de lui dans ses prières, disant qu’il était enfoncé si avant dans le désespoir, qu’il ne pensait plus pouvoir s’en relever.

— « Allez, dit Morus, et priez pour moi, je prierai de grand cœur pour vous. »

Ce fut le dernier incident de la route.

Arrivé au pied de l’échafaud, il le trouva si branlant, qu’il dit au lieutenant de la Tour : « Veillez, je vous prie, à ce que je puisse monter sûrement ; pour la descente, je m’en tirerai comme je pourrai. » Comme il commençait à parler au peuple, le sheriff l’interrompit. Morus se borna à demander à la foule de prier pour lui, et d’être témoin qu’il mourait dans la foi catholique, et pour elle, fidèle serviteur de Dieu et du roi. Puis, s’agenouillant, il récita avec un grand recueillement le psaume Miserere. L’exécuteur lui demanda pardon. Morus l’embrassa et lui dit

— « Tu vas me rendre le plus grand service que je puisse recevoir d’aucun homme. N’aie pas peur de faire ton devoir. Mon cou est court ; prends garde de ne pas frapper à faux et sauve ton honneur. »

L’exécuteur voulut lui bander les yeux.

— « Je me les banderai moi-même, » dit-il, et il se couvrit d’un mouchoir qu’il avait apporté dans ce dessein. Alors il posa sa tête sur le bloc, disant à l’exécuteur d’attendre qu’il eût écarté sa barbe, laquelle n’avait jamais commis de trahison.

Ce fut sa dernière parole. L’exécuteur, d’un seul coup, sépara la tête du tronc.

Cette tête, exposée d’abord sur le pont de Londres, puis rachetée par Marguerite, fut pour cette femme tendre et exaltée, pendant les douze années qu’elle survécut à son père, un double sujet de douleurs filiales et de méditations religieuses. Deux actes du parlement déclarèrent confisqués tous les biens que Morus avait reçus de Henry et une portion de ses biens particuliers. Sa femme fut expulsée de la maison de Chelsea, et reçut du roi une pension de vingt livres. John Morus, son fils, d’abord enfermé à la Tour pour la même cause que son père, fut relâché comme moins dangereux et moins raide que Morus, et de trop peu de valeur pour rien ajouter à l’exemple paternel.

Henry jouait aux échecs avec Anne, dans son palais de Richemond, quand on vint lui apprendre que Morus avait cessé de vivre. Lançant sur elle un regard irrité : « C’est votre faute, lui dit-il, si cet homme est mort. » Et il se retira brusquement dans sa chambre, où il se tint enfermé tout le jour. Était-ce un remords du meurtre de Morus, ou seulement un commencement de dégoût pour la nouvelle reine ?

Érasme, qui était lui-même près de sa fin, écrivit, sous le nom de Nucérinus, une relation touchante de la mort de son ami et de celle de Fisher, exécuté quelques jours après Morus. Il y fait un portrait éloquent de celui-ci, et dans un langage où l’on reconnaît encore un esprit jeune dirigeant une main affaiblie. « J’ai vu beaucoup de gens, dit-il, pleurer Morus, qui n’en avaient reçu aucun service, et moi-même, en écrivant ces lignes, je sens mes larmes couler malgré moi. Quelle sera la douleur de notre Érasme, lequel était lié avec Morus d’une de ces amitiés dont Pythagore a dit que c’était la même ame en deux corps ! En vérité, je tremble que le bon vieillard ne survive pas à son cher Morus, si toutefois il est encore parmi les vivans. » Je reconnais Érasme à ces paroles où l’estime parle comme l’amitié ; mais je le reconnais bien plus encore à ces conseils qu’il aurait donnés, dit-il, aux deux illustres victimes. « Si ceux qui sont morts m’avaient demandé mon sentiment, je leur aurais dit de ne point résister publiquement à l’orage. La colère des rois est violente ; si on la brave, elle soulève des tempêtes. On adoucit les chevaux farouches, non avec la force, mais avec des mots caressans. Les pilotes ne vont pas de l’avant contre la tempête, ils l’éludent en louvoyant, ou attendent à l’ancre un vent plus favorable. Le temps remédie à beaucoup de maux que nulle force humaine ne peut empêcher. Ceux qui sont au service des rois, doivent dissimuler beaucoup de choses, et, s’ils ne peuvent les amener à l’avis qu’ils jugent bon, tâcher du moins de modérer par quelque côté leurs passions. Mais, dira-t-on, il faut savoir mourir pour la vérité. Pour toute vérité, non. » Ce n’est plus là le bon vieillard, mais le vieillard aride, et l’homme qui doute même de l’utilité de la vertu. Voici maintenant où se montre l’homme sage et plein d’expérience, qui flattait les rois, mais non pas jusqu’à leur engager sa liberté, et qui avait fui les honneurs parce qu’il savait à quel prix on y reste et on en sort : « Si Morus m’avait consulté quand on lui proposa la place de chancelier, le connaissant d’une conscience scrupuleuse, je l’aurais détourné de l’accepter. Il est impossible à ceux qui occupent des fonctions élevées auprès des princes d’être aussi rigoureusement justes dans les grandes que dans les petites choses. Aussi, quand on me félicite d’avoir pour ami un homme placé si haut, j’ai coutume de répondre que je ne le complimenterai de sa prospérité que s’il me l’ordonne[42]. »

Mélanchton, à qui Henry VIII faisait des avances, et qui en recevait des assurances écrites de protection et d’amitié, l’année même où ce prince fit mourir Morus, écrivit sur son épistolier : « Cette année a été fatale à notre ordre. (Celui des théologiens.) J’apprends que Morus et d’autres ont été mis à mort[43]. » Et plus loin : « Je suis attristé du malheur de Morus, et ne me mêlerai plus de ces affaires-là[44]. »

Les morts des hommes illustres ne sont jugées, comme leurs vies, avec impartialité, et, si cela pouvait se dire des jugemens humains, avec infaillibilité, que quand les faits et les idées, les religions et les sociétés, enfin le monde tout entier où ils ont vécu, a péri. Tant qu’il en reste quelques parties encore vivantes, ou seulement des souvenirs et des fantômes, cette infaillibilité n’est pas possible, et, quelle que soit la sincérité de l’historien, son jugement n’aura jamais que la valeur d’un point de vue incomplet et partial. Nous jugeons à merveille la vie et la mort de Socrate, mais qui peut dire que nous ne nous trompons pas encore sur celle de Morus ? C’est que la société antique, au milieu de laquelle a vécu Socrate, a disparu tout entière, gouvernement, mœurs, politique, religion, tandis que le christianisme, pour lequel Morus a porté sa tête sur le billot, enveloppe à cette heure le monde moderne, ici de ses dogmes encore pleins de vie et assis sur le trône ; là, de ses schismes mêmes, aussi vivaces que la mère croyance ; ailleurs, de ses souvenirs et de son ombre. Nous ne sommes tous, au XIXe siècle, que des chrétiens convaincus ou doutans, ardens ou tièdes, soit de cœur soit d’habitude, la plupart indifférens, quelques-uns révoltés, et qui continuent les haines du XVIIIe siècle ; mais tous, en naissant, marqués du sceau de la foi chrétienne, et nul ne pouvant dire qu’à la mort il blasphémera contre ses consolations et ses espérances. Nos jugemens sur les hommes illustres qui ont fait de grandes choses et souffert de grandes morts pour cette croyance, ne peuvent donc être que des admirations sans réserve ou des répugnances sans justice, ou, ce qui est entre les deux choses, des impressions légères, sans profondeur, sans curiosité, sans valeur morale. Le chrétien fidèle se prosternera devant ces grands hommes et les adorera ; le chrétien révolté, comme Voltaire, les traitera de fous et de barbares ; le chrétien tiède, comme Lingard et Mackintosh, ne les aimera pas jusqu’à feuilleter quelques heures de plus un livre dont une page inconnue les présenterait à la postérité tels qu’ils sont aux yeux de Dieu. Morus a-t-il été bien apprécié dans cette étude, où l’intérêt des recherches et l’ardeur de la curiosité m’ont préservé de ces jugemens rapides où l’historien exagère et diminue, mutile ou laisse dans l’ombre les personnages qui n’ont rien fait pour son idée ? Je n’ose le dire. Mais j’ai la confiance de n’y avoir omis que ce que je n’ai pas pu connaître, et j’ai le sentiment que ce ne peut être pour un personnage falsifié que j’ai senti si souvent mes yeux se mouiller en écrivant ceci.

Une idée m’attriste en finissant. Je regarde autour de moi, peut-être aussi en moi-même, et je ne vois guère que des consciences isolées n’ayant pour lutter contre toutes les tentations et tous les pièges de l’extrême civilisation que ce vague instinct du bien et du mal, et ce goût inné d’ordre moral que Dieu a mis en nous. L’homme est placé entre des traditions plus qu’à demi rompues et un avenir inconnu ; il est son commencement à lui, son milieu, sa fin : beaucoup d’entre nous qui ont leurs pères sont orphelins pourtant par cet isolement que nous appelons indépendance. Qui nous rendra cette force qui faisait dire à Morus aux prises avec tout le royaume : J’ai pour moi la chrétienté tout entière, quinze siècles de tradition, et, derrière toutes ces autorités, Dieu qui est leur source et le premier anneau de la chaîne ? L’homme qui ne s’appuie que sur lui-même n’est-il pas à la merci de tous les désirs, si semblables aux besoins dans les sociétés encombrées ? Qui nous rendra ce courage de Morus châtiant son corps fragile et délicat pour le rompre à la souffrance, inflexible contre lui-même et doux pour les autres, ne doutant pas de sa foi quand il s’agit de précipiter sa propre mort, en doutant peut-être quand il s’agit d’ordonner celle d’autrui ? Beaucoup commencent à dire que la même religion d’où lui est venue cette force nous la rendra dans un temps prochain, quoique, plaise à Dieu ! pour des épreuves différentes : les uns le croient sincèrement ; les autres le désirent pour la commodité des gouvernemens ; quelques-uns y pensent sans y croire ; bon nombre suivent le mouvement, qui se laisseraient emporter à un retour d’impiété, si l’impiété redevenait une mode. Pour moi, je crois voir bien de l’imagination dans tout cela, et, d’un côté plus de calcul de politique courante que d’intelligence supérieure de l’avenir, de l’autre plus d’esprit d’imitation que de véritable rénovation intérieure ; je doute que les époques où l’on comprend tant de choses soient propices à la croyance ; je doute que la foi puisse refleurir là où l’arbre de la science plie sous le faix de ses fruits, et c’est ce qui me rend triste et me fait trembler pour moi.


Nisard.
  1. Voyez les livraisons des 1er et 15 mars.
  2. The life of Thomas Morus, by his grandson, p. 204
  3. The life of Thomas Morus, by his grandson, p. 102.
  4. Cette idée vint du secrétaire Cromwell, qui fut chargé de l’exécuter.
  5. Thomas Morus, English Works, 1427 F.
  6. Thomas Morus, English Works, 1426-1427.
  7. English Works, 1427 F.
  8. English Works, 1422.
  9. The life of Thomas Morus, by his grandson.
  10. English Works, 1424 F.
  11. Quod differtur non auferturThe Life of sir Th. Morus, by his grandson, p. 215.
  12. Indignatio principis mors est. Sir Th. Morus, by his grandson, p. 217.
  13. English Works, 1429 ABCD.
  14. English Works, 1430 A.
  15. English Works, 1430 GH.
  16. And setteh me upon his lappe, and dandeleth me.
  17. English Works, 1434 CD.
  18. Ibid., 1431 A.
  19. Ibid., 1433 CH.
  20. Elle l’avait prêté, mais avec restriction.
  21. English Works, 1434.
  22. English Works. Lettre de Marguerite, 1446 DE.
  23. Ibid.
  24. Vers admirable.

    Euer after thy calme loke y for a storme.

  25. The Life of sir Th. Morus, by his grandson, p. 237.
  26. English Works, 1450 E.
  27. Ibid. 1446.
  28. Ibid. 1450 FGH.
  29. Ibid.
  30. Doct. Lingard, Henry VIII.
  31. English Works, 1451 CD.
  32. I woulde never medle in the worlde agayn, to have the worlde geven mee… English Works, 1452 A.
  33. English Works, 1453-1454.
  34. The life of Thomas Morus, by his grandson, ch. IX.
  35. Corresp. d’Érasme, 1764 A
  36. Voici leurs noms : sir Thomas Palmer, sir Thomas Peirt, George Lowel, esq., Thomas Barbage, esq., Geoffroy Chambers, Edward Stockmore, Williams Browne, Gaspar Leuke, Thomas Bellington, John Parnell, Richard Bellame, George Stoakes. On peut parier que si ces douze jurés n’étaient pas tous gagnés, soit par l’argent, soit par la terreur, il ne dût pas s’y trouver un seul homme courageux et prévoyant. C’est ce qu’on pourrait dire de tous les juges qui ont été ou seront appelés au secours d’une justice violente et commandée d’en haut. La faiblesse et le manque de lumières ont plus de part au verdict que l’extrême corruption ou l’extrême lâcheté.
  37. The life of Thomas Morus, by his grandson, ch. xi passim. Corresp. d’Érasme, 1764-1766.
  38. The life of Thomas Morus, by his grandson, ch. xi.
  39. Elle est écrite en latin. English Works, 1455.
  40. English Works, 1457.
  41. Long-temps après cette époque, les secrétions urinaires furent le principal diagnostic de la médecine anglaise. Je crois avoir lu, dans le Spectator, des allusions plaisantes à cet usage, ridicule comme toutes les méthodes exclusives. Il y est question d’une femme qui apporte au médecin, dans une fiole, l’urine du petit chien de sa maîtresse.
  42. Correspond. d’Érasme, 1768-1769-1770
  43. Lettres de Melanchton, l. iv, l. 177.
  44. Ibid., l. 182 E.