Homélie contre les usuriers (saint Basile)/Argument analytique


Traduction par Édouard Sommer.
Librairie de L. Hachette et Cie (p. 1-3).

ARGUMENT ANALYTIQUE

DE L’HOMÉLIE DE SAINT BASILE


CONTRE LES USURIERS.




On rapproche ordinairement l’une de l’autre les deux homélies de saint Basile et de saint Grégoire de Nysse contre l’usure, non pas pour établir un parallèle entre les deux orateurs, mais parce que chacun d’eux a traité plus spécialement un côté de cette question importante. Saint Basile s’adresse surtout aux emprunteurs, et saint Grégoire aux usuriers : l’un montre à quel excès de malheurs on se voue dès qu’on emprunte ; l’autre peint les tourments de l’usurier dans cette vie et annonce les châtiments qui lui sont réservés dans l’autre.

L’usure était une des plaies les plus profondes de la société ancienne, et le christianisme essaya vainement de la guérir. Chez les Romains comme chez les Grecs, l’argent se prêtait au mois et jamais à l’année : le retour fréquent des échéances était une gêne pour l’emprunteur, qui devait déjà payer des intérêts avant même d’avoir pu faire valoir l’argent ; mais il permettait au prêteur d’exiger un intérêt plus élevé, car cet intérêt, fractionné en douze payements, paraissait moins lourd que s’il eût fallu verser la même somme tout d’un coup, même au bout d’une année. Aussi le taux de l’argent variait selon que les besoins de l’emprunteur étaient plus pressants ou que le prêteur était plus avide ; en général, il était exorbitant. Non-seulement les biens de l’emprunteur, mais sa liberté, la liberté de sa femme, celle de ses enfants, répondaient de sa dette : si le débiteur mourait insolvable, le créancier pouvait faire vendre les enfants. Au moment où parut le christianisme, l’usure avait fait d’énormes progrès : le mal était incurable ; le remède proposé fut violent. Les livres de l’Ancien Testament sont remplis de sentences contre l’usure ; l’Évangile la condamne d’une manière tout aussi formelle. Appuyés sur la parole divine et sur les sentiments d’humanité et de charité, les Pères de l’Église proclamèrent impie quiconque, prêtant à un frère, exigeait de lui une redevance quelconque, soit en nature, soit en argent, et ils engagèrent contre l’usure une lutte ardente et implacable.

La veille du jour où saint Basile prononça son homélie, il avait expliqué aux fidèles le sens des paroles du psaume xiv ; mais, pressé par l’heure, il avait dû ajourner l’explication des deux derniers versets. David, dans ce psaume, fait le portrait du juste, et il termine ainsi : « Il ne donne point son argent à usure, et ne reçoit point de présents pour opprimer l’innocent. Quiconque pratique ces choses ne sera point ébranlé dans toute l’éternité. »

Il faut rapprocher de cette homélie celle de saint Grégoire de Nysse contre les usuriers. On lira également avec fruit le traité de Plutarque De vitando ære alieno.


I. La loi divine interdit toute espèce d’usure de la manière la plus formelle. Inhumanité du prêteur ; au lieu d’aider le pauvre de sa bourse, comme l’Écriture le lui commande, il lui rend plus pesant encore le joug de la pauvreté.

II. Humiliations et tourments du débiteur. Emprunter, ce n’est pas se débarrasser de la pauvreté ; après un court moment de bien-être, elle se fait sentir de nouveau, plus vive, plus pressante, et désormais sans espoir.

III. C’est folie d’emprunter quand on est riche, c’est folie encore d’emprunter quand on est pauvre. Le pauvre qui devient débiteur perd son insouciance et sa gaieté ; il n’a plus qu’une pensée, c’est qu’il doit, qu’il faudra rendre, et que les intérêts s’accumulent avec une effrayante rapidité.

IV. Mais le pauvre trouve rarement à emprunter, parce que le riche a peu le confiance en lui. Ceux qui empruntent, ce sont des hommes adonnés au luxe ou esclaves des caprices de leurs femmes. Combien d’entre eux se donnent enfin la mort pour sortir d’une situation désespérée ! Combien d’enfants payent de leur liberté les dettes contractées par leurs pères !

V. Ces conseils que saint Basile a cru devoir adresser aux pauvres eussent été inutiles sans l’inhumanité des riches, qui se refusent à suivre le précepte de l’Écriture, et qui, ne voulant point accepter Dieu pour débiteur, pressurent le malheureux et lui rendent la vie insupportable, en même temps qu’ils exposent eux-mêmes le salut de leur âme.