Hokousaï (Goncourt)/Chapitre 30

Charpentier (p. 155-161).
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De 1800 à 1826, les feuilles séparées, publiées par Hokousaï, sont nombreuses et de toute nature. Un jour c’est une estampe industrielle, un autre jour une estampe de l’art le plus pur.

Dans les années qui suivent 1800, ce sont deux séries de petites bandes, au nombre d’une vingtaine, contenant des sujets variés.

Vers le même temps, une suite d’impressions caricaturales, parmi lesquelles une assez drolatique : un garçon d’un marchand de saké remettant la facture à une bonne qui, prenant la facture pour une lettre d’amour, se sauve, et que le garçon est obligé de rattraper par ses jupes : une série d’une dizaine de planches, presque entièrement consacrée, avec la série des Cent proverbes comiques, aux aventures amoureuses des bonnes, et à leur engrossement.

Dans cette série existe une autre planche, où un Japonais, dans un saut périlleux, passant par-dessus une femme lavant du linge, la trousse. Les yeux émerillonnés, le nez en as de trèfle, la bouche entr’ouverte de poisson cuit de la laveuse, ça ne peut se dire !

Vers 1802, voici des images à composer pour enfants, faites de deux planches, au moyen de la découpure desquelles, les enfants doivent constituer une maison, avec les personnages du dedans et de l’extérieur. Et cette maison qu’ils doivent composer, est une « Maison Verte ». Une constitution plus compliquée, est un établissement de bains, qui se fabrique avec la découpure de cinq planches, et où vous avez tout le détail de l’établissement, avec les hommes et les femmes à l’état de nudité dans les deux bains.

Cette « Maison Verte » et ce bain sont publiés, en même temps que deux suites sur les rônins, une petite série à l’imitation des sourimonos, et une grande série datée de 1806 ; puis une belle suite de paysages, donnant dans une planche, pour ainsi dire, la gaîté d’une habitation de femme noble, en ces légères constructions à jour, toutes remplies de branches de cerisier en fleurs dans de grandes potiches, et avec ces galeries courant sur un petit lac.

Vers 1810, c’est dans un grand format, les six impressions des six poètes qui sont :

Onono Komati (une femme de la cour) ;

Ariwara-no Narihira (un seigneur) ;

Sôjô Hénjô (un grand prêtre) ;

Kisén Hosshi (un prêtre) ;

Ohtomo-no Kouronoushi (un lettré noble) ;

Boun-ya-no Yasouhidé (un poète de la bourgeoisie).

Et les contours du corps des six poètes, par une chinoiserie fort à la mode dans ce pays, sont faits avec les lettres de leurs noms, et parmi ces poètes se trouve une Komati d’une très belle couleur, au milieu d’espèces de crêtes de vagues violettes et vertes, courant si joliment dans une de ses poésies.

Vers ce temps c’est une série de personnages, de paysages, d’oiseaux, de poissons tirés en bleu, contenant une dizaine de planches.

Dans les mêmes années, paraît la représentation d’une « Maison Verte » avec tous ses détails en cinq planches.

Sous l’escalier, l’emmagasinement des barillets de saké ; à gauche, le petit bâtiment contre l’incendie, vers lequel il y a une allée et une venue incessante, de porteuses de choses. Dans la première pièce, le patron et la patronne assis devant un chibatchi, et une théière de thé, et entourés d’un cercle de femmes accroupies. Derrière eux, une petite pagode, avec ses lions de Corée, ses petits Darma, et ses deux bouteilles de saké en laque, comme offrande, aux dieux, — et aussi, comme offrande, sur les marches du petit escalier, un moment déposé, l’argent reçu par les femmes, mais qu’elles reprennent bientôt après. Une galerie, où à travers le jardin, on entrevoit des femmes faisant leur toilette. Une pièce, où les femmes nettoient des plateaux de laque, et enferment dans des coffres des bols et des assiettes. Puis la cuisine, où un homme souffle le feu d’un grand fourneau, près d’une colossale marmite de riz, surmonté de quatre petites pyramides de riz et de deux petites bouteilles de saké, toujours comme offrande à Bouddha.

Maintenant un jeu de cartes, le jeu de cartes des poésies de Guénji, se composant de 110 cartes minuscules, décorées d’un éventail, d’une bouteille de saké, d’un vol de deux papillons, d’une écritoire, d’une branchette d’arbre, d’un chapeau de paille, d’un panier de légumes, etc.

Et encore un écran, où sont représentés deux esprits du saké, ces petits êtres fantastiques, aux cheveux rouges, dont l’un porte sur l’épaule le gobelet à queue, avec lequel on puise le saké dans la terrine, et l’autre qui joue de la flûte.

Trois curieuses impressions d’écrans en camaïeu bleu, avec les figures et le nu des corps, réservés en blanc, et dans le ciel, le rouge d’un soleil couchant, signées : Manji (vers 1834), font partie de la collection de M. Vever. L’un représente un établissement thermal dans la province de Kahi ; l’autre, un lac sur la route de Kiso ; le dernier un rocher pittoresque dans la province de Jôshû. Deux autres impressions d’écrans faisant partie de la même suite, sont tirées en couleur : l’une c’est la représentation de pêcheurs tirant leurs filets, l’autre, un parcours de voyageurs le long de la mer, par un temps de neige.

Des dessins d’écrans, M. Bing en possède aussi une intéressante suite. Un faisan et un serpent ; une réunion de sept coqs, impression très originale ; une femme apportant une tasse de thé, — le tirage en noir de l’impression primitive ; des teinturières ; des pêcheuses de sel au bord de la mer qui moutonne, et se brise autour d’elles.

Un aigle volant au-dessus d’un nuage, est dans la collection Manzi.

On connaît aussi, publiées vers ce temps, un certain nombre d’impressions d’éventails, dont je ne veux citer que le plus remarquable, qui est dans la collection de M. Bing. C’est la tête d’un aigle tenant dans ses serres un petit ourson, dont les ailes étendues remplissent, de la manière la plus heureuse, l’hémicycle de l’éventail.

Enfin, en l’année 1823, l’année où Hokousaï va publier ses plus belles feuilles séparées, va faire paraître ses premières planches des Trente-six Vues de Fougakou (Fouzi-yama), il met au jour une curieuse impression. C’est une très grande planche, du format de nos plans de ville : un paysage imaginaire, contenant cent ponts dans une seule vue, un paysage d’un pittoresque indescriptible. Et voilà ce que Hokousaï a écrit, comme légende de l’estampe : « Pendant l’automne dernier, j’étais tristement rêveur, et soudain j’ai imaginé de me promener dans un paysage pittoresque, en passant un nombre innombrable de ponts, et je me suis trouvé tellement heureux de ma longue promenade dans ce paysage, que j’ai pris de suite mon pinceau, et l’ai dessiné, ce paysage, avant qu’il ne se perdît dans mon imagination. »