Hokousaï (Goncourt)/Chapitre 20

Charpentier (p. 70-114).
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XX

Le roman japonais est toujours un roman d’aventures, — d’aventures tragiques, le plus souvent amenées par la vengeance ou la jalousie, les deux mobiles du roman de l’Empire du Lever du Soleil. De là, presque à chaque page, des batteries, des assassinats, des scènes de torture, des suicides, des hara-kiri (ouvertures de ventre), des expositions de têtes coupées : épisodes mêlés, dans le roman historique, aux tueries universelles de la lutte des Taïra et de Minamoto, prêtant à un dessinateur de la vie en action la bonne fortune de faire, dans une illustration, de beaux dessins mouvementés de la Guerre et du Crime. C’est dire, n’est-ce pas, que l’illustration de tels romans devait tenter Hokousaï, qui s’y absorbe presque tout entier, en 1805, 1806, 1807, etc., et lui donne, pendant près de vingt ans, les plus longues heures de son travail quotidien.

Puis, pour Hokousaï, il y avait encore une autre séduction dans cette illustration. Le Japon est amoureux du surnaturel, et ses romans sont pleins d’apparitions. Or l’artiste appelé là-bas le peintre des fantômes, le peintre qui a dessiné ces têtes des Cent Contes qui vous laissent dans la mémoire un souvenir d’épouvante, le peintre auquel les directeurs de théâtres venaient demander des maquettes de visions d’effroi, le peintre près duquel les conférenciers macabres sollicitaient des figures de mortes, devait aimer à traduire, avec les imaginations de son art, les rêveuses imaginations dans le noir des lettrés de son pays, et c’est ce qui explique les longues années, où une partie de son talent appartint à l’illustration des romans.

En 1805, Hokousaï illustre Yéhon azouma foutaba nishiki, le Brocard (l’éclat) des deux pousses de la plante de l’Est, roman en cinq volumes, dont le texte est de Kohéda Sighérou, et dont l’illustration est par volume, de six planches doubles.

Ce sont deux enfants d’un riche paysan des environs de Yédo, dont l’aîné est assassiné, et que le cadet venge avec l’aide de sa femme et de la veuve de son frère.

Un dessin plein de mouvement : le dessin de l’assassin passant, dans sa fuite précipitée, sur le corps d’une femme couchée, qui le reconnaîtra.

Une foule de péripéties, et un tas de comparses prenant part à la fabulation, au bout de laquelle le cadet, à la recherche de l’assassin de son frère, arrive à une habitation mystérieuse, où il retrouve la femme de son aîné, qui n’a pas cédé à l’assassin, toute suppliciée, tout attachée qu’elle est au milieu de cadavres, jetés la tête en bas sur le revers d’une colline, et dont les côtes traversent les chairs pourries de la poitrine, et dont les figures ont les orbites vides des têtes de mort. Une horrifique planche !

Et le roman se termine par un jugement de Dieu, devant un tribunal où, en champ clos, les deux femmes, soutenues par le cadet, combattent et tuent l’assassin, à la suite de quoi le valeureux frère est fait samouraï par un daïmio.

L’année suivante, en 1806, Hokousaï illustre un autre roman, dont le texte est également de Kohéda Shighérou, roman publié en dix volumes, dont les cinq premiers paraissent en 1806, et les cinq autres en 1808.

Ce roman, qui a pour titre : Yéhon Tamano Otiho, l’Épi de Perles tombé à terre, est l’histoire de Tokoujumarou, le jeune prince de Nitta, un moment dépossédé de ses États.

Un roman illustré par nombre de dessins d’un grand intérêt pour l’histoire des mœurs du Japon, dessins de la réalité la plus absolue, entremêlés de dessins fantastiques, comme l’apparition d’un esprit à une mariée, la nuit de ses noces, apparition la faisant accoucher d’un monstre, que le mari étrangle ; comme l’étrange vision, en un paysage, la nuit, de milliers de renards dans la lumière d’un clair de lune : roman dont le dénouement montre, au milieu d’un noir ciel, sillonné d’éclairs, le prince agenouillé devant la tombe de son père, la tête de son assassin posée sur un présentoir.

En 1807, Hokousaï illustre Shin Kasané guédatsou monogatari, la Conversion de l’esprit de Kasané, un roman en cinq volumes, du célèbre et populaire romancier, Bakin.

Bakin, un romancier, dont tous les romans ont, comme point de départ, une légende ou un fait historique, et qui, dans son ambition de donner près du lecteur un caractère de vérité à ses récits, s’est fait un descripteur très fidèle, un géographe merveilleux, selon les Japonais, des paysages où se passe l’action de ses romans ; — et la première planche d’Hokousaï offre la vue du village qu’habite Kasané.

Kasané est une femme laide et mauvaise, tuée par son mari, et dont l’esprit hante la seconde femme de l’assassin : tel est le sujet du roman.

Et dans les images, c’est tout d’abord la femme du passé, la femme jalouse devenue une religieuse, dont la légende a servi à la fabrication du roman, et qui est représentée près d’un plateau, assailli par des volées d’oisillons ! un symbole de là-bas, pour exprimer le payement des péchés.

Le mari assassin, lui, est figuré montrant, au-dessus de sa tête, un écrit japonais qui se contourne et se termine en un serpent, tandis que sa vilaine femme, à la tête pareille à une calebasse, brandit un écran où se voit un crapaud.

Un dessin des plus spirituels : le père de Kasané, un marchand de marionnettes, qui en a de suspendues tout autour d’un parasol, ouvert au-dessus de sa tête, et tient une espèce de pelle, où les mouvements de sa main font danser un pantin, aux articulations attachées à cinq ou six ficelles.

Une planche d’un grand effet est l’assassinat, où la femme, jetée à l’eau, et se cramponnant des deux mains à la barque, se voit assommée par son mari, à coups de rame.

Une autre planche curieuse montre la seconde femme, se tuant par la souffrance qu’elle éprouve de la hantise de la femme assassinée : et au moment où elle meurt, sort d’elle l’esprit qui la hante, sous la forme d’une fumée, surmontée de la tête de la laide femme.

Et la dernière planche étale, dans une grisaille, une vision de l’enfer bouddhique, avec un luxe de supplices inimaginable.

Dans cette année 1807, Hokousaï illustre Soumida gawa Baïriû Shinsho, Nouveau Livre sur le prunier et le saule de la Soumida, un roman en six volumes, dont le texte est de Bakin.

C’est le roman de deux jeunes frères de la noblesse, Matsouwaka et Ouméwaka, deux enfants, que la mère, après la mort du prince son mari, tué à la guerre, a fait cacher, et suivant une légende du xiie siècle, à la recherche desquels elle se met, quand il n’y a plus à craindre pour leur vie, et ne trouve que leur tombeau : un roman sentimental qui a eu un grand succès au Japon.

En tête de la table des matières, est représenté, ainsi que c’est l’habitude dans les romans quasi historiques de Bakin, le paysage sur la rive de la Soumida, où se trouvait le tombeau des deux frères. Et dans une planche d’Hokousaï, l’on voit cette mère, en la recherche de ses enfants, sous la robe d’une mendiante, jouant la folie, entourée d’une troupe d’enfants se moquant de la princesse Hanako, devenue méconnaissable, et portant une branche d’arbuste où est pendu un éventail, sur lequel est écrite une phrase, qui doit seulement la faire reconnaître par ses enfants.

Puis, dans une autre planche, on voit la pauvre mère, arrivée à l’endroit où est mort son plus jeune fils, avoir la vision, à travers les branches d’un saule, du cher mort, dans une robe lumineuse éclairant le paysage.

Dans cette même année 1807, Hokousaï illustre Kataki-outi Ourami Kouzou-no-ha, la Vengeance de Kouzou-no-ha, un roman en cinq volumes, dont le texte est de Bakin.

Dans ce roman fabuleux, qui se passe au temps de la guerre de Minamoto et des Taïra, le guerrier Tadanobou, parti en campagne, a laissé à la maison une femme, et un tout jeune enfant. Pendant la guerre, au moment où un vieux renard allait être tué d’un coup de flèche par un de ses compagnons d’armes, Tadanobou l’a sauvé, et le renard est resté reconnaissant au guerrier. Dans ce temps meurt assassinée la femme de Tadanobou. Or, le vieux renard qui a vécu mille ans, et qui, d’après les croyances de là-bas, a le pouvoir de se changer en ce qu’il veut, se métamorphose en femme, et va élever l’enfant de Tadanobou. Et une planche ingénieuse d’Hokousaï montre la femme qu’est devenu le renard, se regardant dans la rivière, et se voyant reflétée en renard.

Puis, au retour du mari, qui trouve son enfant tout élevé, la femme-renard disparaît, mais le père et le fils vont à sa recherche, et la femme-renard leur apparaît dans une de ces visions, semblables aux visions de Rembrandt, en un coin d’eau-forte à peine mordue, et apprend à l’enfant l’homme qui a assassiné sa mère — et que l’enfant tue.

Dans cette même année 1807, Hokousaï illustre : Sono-no-Yuki, la Neige du jardin : un roman de Bakin en six volumes, qui est l’histoire du guerrier Sonobé Yoritsouné et de la princesse Ousouyuki.

Cette illustration, supérieure à l’illustration des autres romans publiés cette année, pourrait faire supposer que les dessins d’Hokousaï, qui ont été gravés en 1807, sont quelques-uns, de plusieurs années, antérieurs à cette année, et que ces dessins attendaient un éditeur.

L’illustration d’Hokousaï débute par la représentation d’animaux fantastiques et d’animaux réels, mais d’une grandeur, d’une puissance, d’une force qui les fait un rien surnaturels. C’est une araignée gigantesque, une araignée à la tête d’une pieuvre, au corps pustuleux d’un crapaud, ayant un chapelet de crânes d’hommes autour d’elle, une araignée montrée à la lueur de la torche de Yoritsouné, qui a pénétré dans sa caverne ; c’est une carpe du format d’un cachalot, soulevée au-dessus des flots ; c’est un tigre chevelu, aux poils en forme de flamme, enchevêtré dans les replis d’un dragon interminable ; c’est un ours aux griffes terribles dans des emmanchements de mastodonte ; c’est un aigle, en le vigoureux et tressautant déploiement de ses ailes, avant de monter dans les airs : — des animaux qui ont des solidités de sculptures de bronze.

À côté de ces bêtes sorties d’une réalité imaginative, des dessins de femmes, tantôt d’une délicatesse de rêve, comme cette longue femme, dans sa robe blanche, avec le flottement autour d’elle de sa noire chevelure, tantôt d’une originalité gracieuse, comme ces deux femmes, dans un coup de vent qui les courbe presque à terre, avec l’envolée derrière elles de leurs cheveux et de leurs robes.

Une planche curieuse est un cimetière japonais, avec ses tombes en pierre, et ses longues et hautes planchettes, portant écrites des prières : cimetière où la princesse et sa suivante sont cachées sous une tente de papier, et qu’envahit une troupe d’hommes armés.

Et la dernière planche représente le traître écartelé par des bœufs, auxquels sont attachées ses deux jambes.

Hokousaï publie encore, en 1807, l’illustration de Thinsétsou Yumihari-Zouki, le Croissant de la Lune ou le conte du Camélia, roman de Bakin, en six parties, dont la première et la seconde partie paraissent en 1807, la troisième vers 1808, la quatrième, la cinquième et la sixième en 1811 : ces six séries forment vingt-huit volumes.

Ce roman est l’histoire de Tamétomo, un héros du xie siècle, prenant parti pour un empereur dépossédé à la suite d’une révolte, et qui tente de reprendre le pouvoir. Au fond, ce roman est, comme une série de contes des Mille et une Nuits, une suite de voyages fabuleux dans l’île de Lieou-Khieou, Formose, les Pescadores, et autres îles de la mer du Japon, par ce Tamétomo, à l’arc irrésistible, et où la topographie des endroits est entremêlée de toutes les croyances des localités, et de toutes les légendes merveilleuses de ces îles, dont quelques-unes passaient pour être habitées seulement par des femmes, et dont l’imagination de l’artiste a peut-être donné une habitante, dans cette voluptueuse femme, montée sur un bœuf, jouant d’une flûte, où est posé un oiseau. Et Tamétomo terrorise et dompte ces populations sauvages, — représentées par Hokousaï assez semblables aux Aïnos, couverts de poils, — par la puissance de son arc, avec lequel il coule un navire, fait sauter un quartier de rocher, et qu’aucun des hommes des contrées qu’il traverse, ne peut tendre. Le roman n’a peur d’aucune invraisemblance : le fils de Tamétomo tombe malade, le père fait fabriquer un immense cerf-volant pour le transporter au Japon, tandis que l’empereur dépossédé, devenu dans un coup de foudre un Téngou, — un de ces génies du bien et du mal, si accrédités au Japon, un de ces génies au nez en vrille, — et qu’on voit tenir un conseil de guerre, avec des généraux qui sont tous des Téngous, sauve par leur entremise Tamétomo d’un naufrage ; et l’on voit à la fin Tamétomo dans une apothéose, entouré de flammes sur son cheval qui prend feu.

Et ce roman fabuleux, où se trouve un méli-mélo de géographie exacte et de récits impossibles, et de planches dignes d’une icthyologie sérieuse à côté de sirènes, finit par une interminable généalogie de Tamétomo, dont les rois de l’île de Lieou-Khieou seraient des descendants.

Toujours en cette année 1807, Hokousaï publie l’illustration des cinq premières séries du Shimpèn Souikuo Gwadén, Nouveau Commentaire illustré de Souiko : un roman historique chinois, écrit sous la dynastie des Song, par Sétaï-an, et présenté au public japonais dans une traduction arrangée par Bakin et Ranzan, publiée en neuf suites de dix volumes, dont la sixième, la septième, la huitième n’ont vu le jour, après un intervalle de trente ans, qu’en 1838 et années suivantes ; — ces neuf séries composant un roman de quatre-vingt-dix volumes, dont Ranzan a écrit quatre-vingts volumes.

L’illustration de ce roman célébrant les exploits guerriers de cent huit héros chinois, qui meurent tous l’un après l’autre, et qui n’est qu’une suite de duels mortels, de combats, de batailles, débute par la portraiture effrayante de neuf de ces héros, portraiture suivie du renversement d’un monument sacré, d’où sortent, comme d’une éruption de volcan, toutes les dissensions et les guerres de ces années.

En même temps que le roman est une glorification de ces cent huit héros, c’est déjà un pamphlet contre la corruption gouvernementale de la Chine de ce temps, et un prêtre, qui revient dans toutes les pages, une barre de fer à la main comme bâton, apparaît comme le grand justicier de cette épopée. Une des planches de l’illustration qui a une réputation au Japon, et dont les artistes s’entretiennent comme d’un tour de force, est la composition, où l’artiste représente ce prêtre poursuivant un fonctionnaire prévaricateur, qui s’est jeté sur un cheval, que dans sa terreur de la barre de fer, il n’a pas vu attaché, et dont l’effort impuissant pour prendre le galop, a fourni le Géricault, le plus mouvementé qui soit.

C’est aussi, dans cette pile de livres, un étonnement même pour les Chinois de trouver une Chine si exactement rendue avec ses costumes, ses types, ses habitations, ses paysages, chez un artiste qui ne l’a pas vue, et qui a eu à sa disposition d’assez pauvres éléments de reconstitution du pays.

Et tout le temps, dans ces trois premières séries, de puissants dessins, comme le dessin du guerrier Boushô étranglant un tigre, d’une grandeur telle, qu’on le voit porté par plus de vingt hommes dans une autre planche ; le dessin du même guerrier jetant par-dessus sa tête un colosse à terre, dont la chute forme la courbe d’un corps brisé, déjà mort ; le dessin du même guerrier, deux têtes coupées à côté de lui, et écrivant sur un mur, avec le sang de ces têtes, que c’est lui qui a tué ces malfaiteurs.

Un dessin, d’un caractère indicible, montre un assassin, vu de dos, une main tenant son sabre prêt à frapper derrière lui, son autre main serrant à la gorge sa victime, un dessin où il n’y a d’ombré que ses cheveux, et où le reste de l’assassin est dans la lumière d’un croquis esquissé seulement avec des traits.

Un autre dessin, d’une grâce douloureuse, est une scène de torture, représentant une femme suspendue en l’air, les bras attachés derrière le dos, sa tête tombée de côté contre une de ses hanches, ses pieds dans le vide cherchant la terre.

Dans ces séries, Hokousaï tente — et je crois là seulement — de tirer un parti pittoresque, dans ces compositions, de l’escalier, de l’escalier extérieur des habitations chinoises et japonaises, tente de représenter des scènes d’intérieur, coupées par la montée ou la descente au premier plan d’un homme ou d’une femme dans un de ces escaliers aériens — et c’est vraiment d’un très joli effet.

Dans la quatrième série, après un dessin représentant un médecin pansant la blessure faite dans le corps du guerrier Liô, par une flèche qu’il vient de retirer, et qu’il tient dans sa bouche, c’est une suite de violents, de colères, d’homicides dessins. Ici c’est un guerrier qui tombe avec son cheval dans un précipice, le cheval cabré dans le vide du trou noir sans fond, un dessin où il y a la furia d’un croquis de Doré réussi ; là c’est l’herculéenne cavalière Itijôsei faisant un prisonnier, qu’elle immobilise emprisonné dans son lasso ; plus loin, un homme qu’un guerrier décapite d’un coup de sabre, et dont le tronc s’affaisse, pendant que sa tête, projetée en l’air, retombe d’un côté, son chapeau de l’autre.

L’amusant chez Hokousaï, c’est la variété des sujets. Au milieu de ces féroces épisodes de la guerre, voici tout à coup, dans la sixième série, un palais féerique au haut d’un rocher, auquel on arrive par des ponts, des escaliers, une montée d’un pittoresque charmant : palais né dans l’imagination du peintre au fond de son atelier. Et à côté de cette architecture poétique, des dessins d’un naturel, comme cet homme qui dort la tête sur une table, visité par un rêve paradisiaque ; comme cette société sur un pic de montagne, saluant le lever du soleil, les robes et les cheveux flottants et soulevés derrière eux par l’air du matin.

Et jusqu’au bout, jusqu’à la fin de la neuvième série, toujours des images différentes ne se répétant pas. C’est la danse d’une femme, au moment où, après s’être inclinée, elle se relève avec cette flexibilité des reins qu’Hokousaï sait si bien rendre, les bras étendus, la tête amoureusement renversée en arrière ; c’est la vue d’un vaisseau de guerre japonais avec son architecture de pagode ; c’est l’incendie d’un convoi militaire de vivres ; c’est enfin une des dernières planches, où dans une nuit éclairée par une lune qui rend les vagues toutes blanchissantes, sur une barque que fait avancer un marinier, penché sur un long bambou, Roshûn, un des cent huit victorieux, boit une coupe de saké, que lui verse une élégante femme, et la légende de la gravure est celle-ci : Roshûn, buvant sous la belle lune dans la rivière de Waï.

L’illustration de ce roman en quatre-vingt-dix volumes, est en général de trois images doubles par volume, ce qui fait avec les frontispices, pour l’ouvrage entier, près de trois cents estampes.

Une autre publication a été faite d’estampes se rapportant à l’illustration de Souiko, par Hokousaï, mais d’estampes différentes de celles du roman, éditées en 1829, sous le titre : Yéhon Souikodén, Illustration des personnages de Souikodén.

Nous y retrouvons le prêtre à la barre de fer, Rotishin, le tueur de tigre, Boushô, et Itijôsei la femme forte, à côté de Kiumonriô Shishin, l’homme au corps entièrement tatoué de dragons, et de Rosénsho, ce mortel qui avait le pouvoir de produire des orages pour terrifier l’ennemi ; — tous deux faisant partie des cent huit héros de l’épopée chinoise.

En 1808, Hokousaï illustre Yûriakou Onna Kiôkoun, l’Éducation d’une Femme héroïque, un roman écrit par Ikkou sur une légende du xve siècle, racontant ce qui s’est passé, dans le temps, au château du daïmiô Kitabataké, où l’une des planches vous montre une femme s’exerçant au maniement du sabre.

La même année 1808, Hokousaï illustre Kataki-onti Miyorino Miôgô, la Gloire d’une vengeance.

Un roman du romancier Bakin, un roman en six volumes très chargé d’incidents, où il est question d’une méchante femme représentée dans un beau dessin, un sabre dans les dents, des malheurs d’un garçon de marchand de saké, d’une femme possédée par un esprit, d’un papier volé à un samouraï assassiné, d’une fille sauvée par le fils de l’assassin des mains de la méchante femme, de tueries nombreuses, de la retrouvaille du papier rapporté au prince, et du mariage du jeune homme avec la jeune fille qu’il a délivrée.

En 1808, Hokousaï publie l’illustration de Shimoyo-no-Hoshi, les Étoiles d’une nuit, ou il gèle, un roman de Tanéhiko en cinq volumes.

La jalousie de la femme est un des sujets le plus souvent traités par le roman japonais, et il s’agit encore, — comme dans le roman de la Conversion de l’esprit de Kasané, de Bakin, — de la jalousie d’une femme contre une rivale, et de son assassinat par son mari.

La préface de Tanéhiko est gravée sur un éventail blanc jeté sur une page noire : l’imagination de Hokousaï trouvant à tout un ingénieux motif d’ornementation, et dans un autre roman, mettant la table des matières contre un cadre attaché sur un treillage de bambous, tout garnis de feuillages et de fleurs.

C’est donc, comme première planche, Osawa, la femme jalouse, qui se regarde dans un miroir, en un mouvement de retraite du corps en arrière, les cheveux envolés d’où tombent son peigne et ses épingles, et sa ceinture, aux fleurs de glycine, se tordant autour d’elle, comme la vraie image d’un serpent, — qui se regarde, effrayée de la laideur future, que la jalousie va apporter à sa figure, et qu’elle voit d’avance.

Puis une autre figuration de la jalousie de cette femme, sous la forme d’un monstre échevelé, un enfant attaché la tête en bas sur son dos, dont les deux pieds passant dans ses cheveux ébouriffés, lui font deux cornes de diablesse, tandis que ses paroles de colère, à la sortie de sa bouche, se changent en une légion de rats et de souris, qui se jettent à la gorge de son mari Itoyé.

Alors une autre planche, où le mari a mis à la torture sa femme, qu’on voit battre des pieds dans sa souffrance, et qui est après jetée à l’eau.

Cet assassinat est l’occasion d’une composition curieuse, où l’on voit, dans le courant d’une rivière, une planche arrêtée, sur laquelle est un fourneau allumé et un coq, d’après une croyance du Japon, qui veut que la planche, ainsi chargée, s’immobilise là, où il y a un cadavre sous l’eau.

Et l’esprit vengeur de la femme assassinée pénètre sous la forme d’un serpent dans la chambre nuptiale, où se trouve Itoyé avec sa nouvelle et charmante femme Ohana. Mais bientôt, dans un état de fureur étrange, il tirera son sabre, que cherche à rabattre Ohana, — elle, n’apercevant pas l’effrayante vision que voit seul, son mari. Oh ! une terrible vision ! une tête de toute la grandeur de la page, où sont les traits reconnaissables de la morte, apparaît dans une broussaille de cheveux mêlés de terre, avec d’inquiétants yeux de gnome, un nez qui n’est plus qu’un trou nasal, des dents noires aux gencives rongées par les vers.

En 1808, Hokousaï publie l’illustration de Kanadéhon Gonitino Bounshô, Histoire des Fidèles vassaux après la vengeance, un roman en cinq volumes, dont le texte est dû à Tanshûrô Yémba.

Un roman dont l’intérêt artistique est tout entier dans la première composition, représentant les quarante-sept rônins, qui déposent la tête de Kira sur le tombeau d’Asano.

Le reste du roman a l’air de se rapporter à des incidents de la vie de Amanoya Rihei, le marchand qui a fourni les armes et les équipements militaires, pour l’attaque du château fortifié de Kira. Tout au plus, dans l’illustration, une gravure amusante, vous donnant, je ne sais à quel propos, la vue très détaillée de la cuisine d’une « Maison Verte », — tout comme dans les Étoiles d’une nuit où il gèle, se rencontre également le jardin d’une « Maison Verte », dans lequel se profile sur le fond, une longue galerie, au travers de laquelle, les femmes de l’intérieur se voient reflétées, sur les châssis de papier, en de caractéristiques ombres chinoises.

En 1808, Hokousaï publie l’illustration de, Onna-moji Nouyé Monogatari, l’Histoire de Nouyé écrite en lettres de femmes (en langue vulgaire), roman dont le texte est de Shakouyakoutei et forme cinq volumes.

Un roman écrit d’après une légende du xie siècle, et où l’empereur Toba prend sur une de ses femmes, un petit sabre, avec lequel il croit qu’elle va l’assassiner. Alors des scènes de torture et la mort. Mais la femme est innocente, et le sabre a été mis dans ses vêtements par une rivale, jalouse d’elle. Le juge qui a prononcé sa condamnation, on le voit se réveiller d’un cauchemar, où il a été visité par l’esprit de la morte dans une peau de tigre.

Est-ce avec la morte une résurrection du nouyé, cet animal fantastique qui a la tête d’un tigre, le corps d’un taureau, la queue d’un serpent, et qui est tué dans une image par Yozimasa ?

La même année 1808, Hokousaï publie Yuriwaka Nozouyé no Taka, le Faucon de Yuriwaka, un roman en un volume, dont le texte est de Mantei-Sôsa.

Un roman dans lequel le prince Yuriwaka, un prince du xiie siècle, met à mort Beppou, l’ennemi de sa famille, un roman où se trouve un puissant dessin du faucon qui a donné son nom au roman, et un caractéristique dessin de Beppou, qui, tombé à terre, se tient la tête, se bouche les oreilles sous le sifflement d’une flèche qui passe au-dessus de lui.

Dans ce roman, il y a d’élégantes planches d’amour entre le prince Yuriwaka et la belle Nadéshiko, dans leurs robes fleuries, pour l’homme de fleurs de cerisier, pour la femme de fleurs d’iris, et la gravure, qui traduit dans ce livre les dessins d’Hokousaï, différente, plus précieuse que les autres, a sur le bois, des fonds ressemblant à l’aquatinte obtenue sur le cuivre et l’acier.

En 1808, Hokousaï publie l’illustration de Raïgô Ajari Kwaïso Dén, le Rat monstre du prêtre Raigo ; un roman de Bakin se passant au xiie siècle, et où il a introduit la légende des rats du prêtre Raïgô dans l’histoire de la tentative de vengeance du prince Minamoto Yoshitaka contre Yoritomo : un roman édité en huit volumes.

Ce sont d’abord deux figurations en pied de ce prêtre Raïgô, qui est représenté dans l’une, élevant en l’air un rouleau magique, avec des mains qui ressemblent, ainsi que ses pieds, à des pattes griffeuses de rats ; dans l’autre, en train d’exercer son pouvoir sur ces animaux destructeurs, entouré de millions, de milliards de rats, passant et repassant autour de l’estrade où il fait ses invocations, agite une sonnette : une planche extraordinaire par le rendu de l’infinie et grouillante multitude, en sa presque effrayante perspective à la cantonade. Et d’autres compositions nous montrent le prince Minamoto Yoshitaka, dans un pèlerinage, faisant la rencontre de Raïgô, et le prêtre lui communiquant son pouvoir surnaturel, si bien qu’un jour le prince, poursuivi par un ennemi, fait un appel aux rats, dont le flot, montant entre eux deux, empêche de l’atteindre. Et une planche vous montre le roi de ces rats, le rat monstre du prêtre Raïgô, un rat qui, comparé à l’homme monté sur lui, est de la grandeur d’un éléphant.

Mais il se trouve que l’homme protégé par les rats, a un adversaire protégé par les chats, un homme, dans la famille duquel on a trouvé, en creusant la terre, un chat en or.

Des voleurs ont dérobé le chat en or, et la recherche de ce chat porte-bonheur par les anciens possesseurs, tombés dans la misère et la détresse, recherche mêlée à l’action d’une femme méchante nommée Karaïto, mêlée à l’organisation d’un complot, et à quelques tueries, met mille incidents, mille complications dans ce roman, où apparaît, çà et là, l’élégante figure de Masago, la maîtresse de Yoritomo.

Au dénouement, sur l’ouverture d’un panier, où se retrouve le chat d’or, tous les rats prennent la fuite, et le prêtre Raïgô, qui s’était engagé à tuer Yoritomo, se contente d’un assassinat allégorique, en perçant de son sabre le manteau du prince, qui l’a gracié ; et dans ces circonstances, l’homme du chat, réduit à ne pouvoir mettre à mort l’homme des rats, perce également de son sabre le casque de ce dernier.

En 1808, Hokousaï publie l’illustration de Foutatsou Tchôtcho Shiraïto Zôshi, les deux Papillons ou les deux Lutteurs, roman dont le texte est de Shakouyakoutei, édité en cinq volumes.

C’est l’histoire de deux lutteurs, Nourégami et Hanarégoma, en une illustration très coloriste dans le noir.

L’une des planches représente Hanarégoma déracinant des rochers à la force de ses bras tirant une corde. Puis l’on voit les deux lutteurs mesurer leurs forces, et, à quelques planches de là, se constituer volontairement prisonniers, et comparaître devant un tribunal, qui les déclare innocents d’un crime commis par d’autres.

Pourquoi ce titre : Les deux Papillons ? L’explication n’en est guère donnée que par un jardin où l’on voit de nombreux papillons, parmi lesquels est un papillon mort, tombé à terre.

En 1808 et 1811, Hokousaï publie l’illustration de Sanshiti Zéndén Nanka no Yumé, le Rêve du Camphrier du Sud, un roman en dix-sept volumes, divisé en deux parties, et dont le texte est de Bakin.

Un roman contenant l’histoire de trois générations, commencée avec l’histoire du ménage Sankatou et Hanshiti, et finissant à Onono Otzou, la célèbre femme de lettres du xvie siècle, qui a écrit au Japon la première pièce de théâtre, sous une forme moderne.

L’illustration du roman commence par l’abatage d’un très vieux camphrier, poussé sur la montagne de Yonédani-Yama, l’abatage d’un camphrier sacré, où les bûcherons, dans leur œuvre sacrilège, se blessent en tombant des branches. Et la chute des bûcherons amène l’image d’un vendeur de pommade pour les blessures, qu’on voit accroupi sur une peau d’ours, à côté d’un grand pot, où, après s’être fait une entaille à la peau, il puise de la graisse d’ours, et montre aux assistants que l’application de cette graisse arrête le sang.

Hanshiti, auquel est apparu l’esprit du camphrier, un jour qu’il dormait sous son ombre amie, n’éprouve plus que des malheurs depuis l’abatage de l’arbre. Sa femme Sankatsou est obligée de se faire chanteuse de la rue, à jouer du kokiû espèce de violon-guitare sur les places publiques, et ils tombent dans une telle misère, lui, sa femme et sa fille, la femme de lettres future, déjà grandelette, que le malheureux est au moment de se suicider, quand l’inspiration lui arrive de fabriquer des chignons pour femmes, — les Japonaises portant de faux chevaux tout comme les Européennes, — et nous voyons le ménage installé dans une boutique, où commence pour ces pauvres gens la bonne fortune. Mais ils sont accusés de vilaines actions, et obligés de quitter la province, où les vrais coupables, après leur départ, avouent leurs méfaits, en se suicidant dans un cimetière.

Au fond, Hanshiti est d’origine noble, mais descendu à l’état de rônin en sa détresse ; seulement, s’il retrouve un sabre dont il était le détenteur, il redeviendra noble, et la seconde partie du roman se passe à la recherche de ce sabre, au milieu de toutes sortes d’aventures dans le genre de celle-ci : dans une attaque de malfaiteurs, la jeune fille a perdu une de ses chaussures en bois, un malfaiteur la lui rapporte, et, enflammé par sa beauté, veut la violenter : — elle le tue.

Et ce roman, qui commence par la description du camphrier, qui passe à la fabrication des chignons de femmes, se termine par une pièce de vers pour arrêter la sécheresse d’un été caniculaire, et la retrouvaille du sabre de Hanshiti, qui rentre dans la classe des guerriers — toutes ces péripéties diverses du roman amenant à la fin, on ne sait trop comment, le salut de la princesse Yénju.

En 1810, Hokousaï publie l’illustration de On-yô Imoséyama, les Fiancés isolés sur deux montagnes en face, roman dont le texte est de Shinrotei, édité en six volumes.

Un roman, où deux familles, séparées par des dissensions politiques, habitent deux montagnes voisines, et où le fils d’une de ces familles devient amoureux de la fille de l’autre famille, et plus heureux que Roméo, arrive à se la faire accorder : roman dans lequel l’intérêt amoureux est associé à l’intérêt dramatique d’une conspiration du prince Irouka contre l’empereur régnant.

Des planches représentant les palais des deux familles vous apprennent, par des cordes reliant les toitures et sur lesquelles glissent des cerfs-volants, les ingénieux moyens de communication qu’ont trouvés les amoureux.

Une autre planche, où Hokousaï donne un curieux échantillon de son imagination fantomatique, est la gravure de la salle, où a lieu la conspiration, salle ayant la réputation d’être hantée par les mauvais esprits, et qu’a choisie exprès Irouka, pour n’être pas dérangé dans ses conciliabules.

Une salle éclairée par une lampe faite par l’assemblage de fémurs, au haut desquels une tête coupée crache de la flamme ; une salle qu’escaladent du dehors les branches d’un arbre, à l’apparence d’ailes de chauve-souris. Là, court à quatre pattes un squelette d’enfant, au milieu de femmes qui ont des mufles de bouledogues, deux ou trois dents leur saillant hors la bouche, toutes avec les deux petites mouches au front des femmes de la noblesse ; et cela sur des fonds de toile d’araignée, derrière lesquelles s’entrevoient vaguement des visions d’êtres surnaturels.

En 1812 Hokousaï publie l’illustration de Matsouwô Monogatari, Histoire de Matsouwô, roman dont le texte est de Koyéda Shiguérou, édité en six volumes.

Un roman qui est une suite d’apparitions, parmi lesquelles l’apparition de la jeune morte Yokobouyé, apparaissant, dans un éclair, au pied du lit de son amoureux Tokiyori, est d’un effet saisissant.

En 1812, Hokousaï publie l’illustration de Aoto Foujitsouna Moriô-an, les Desseins du juge Aoto (ancien juge célèbre du xiiie siècle), un roman dont le texte est de Bakin, édité en dix volumes.

Une des premières planches représente le juge sur un pont, assistant à la recherche dans une rivière, de quelques pièces de monnaie, par des plongeurs. Et, comme on se moque de lui, et qu’on lui dit que cette recherche de l’argent dans l’eau, coûte beaucoup plus cher que l’argent perdu, il répond que l’argent dans la rivière ne profite à personne, tandis que l’argent donné pour le retrouver, profite à des gens.

Et ce sont de beaux dessins du juge lisant un papier, du juge jugeant dans son tribunal des criminels, attachés les mains derrière le dos, par une corde que tient un garde, et dont on voit les têtes dans une autre planche fixées sur les cornes des taureaux, que ces animaux promènent.

Une idée ingénieuse : sur une des planches, ce que lit un homme, c’est la légende de la gravure.

Une planche caractéristique représente le terrible Shôki, le tueur des diables, venant rechercher chez eux un pauvre petit enfant qui pleure, au milieu d’un paysage, où dans le fond, les loups mangent des cadavres.

Une planche singulière représente un chat monstre, en robe, tenant par le cou un médecin.

Une planche curieuse montre à gauche une chambre où se passe une scène de roman, et à droite une grande galerie vide, dessinée d’après les lois de la perspective la plus rigoureuse, et qui fait tomber absolument l’allégation que la peinture japonaise n’a pas le sentiment de la perspective.

Enfin, comme dénouement de l’histoire du juge Aoto, on voit une place d’exécution, où un bourreau se dispose à trancher la tête à un homme attaché à deux pièces de bois croisées, liées par le haut, quand apparaît providentiellement dans le fond, le juge, auquel une femme parle et innocente le condamné, qui va avoir sa grâce.

En 1813, Hokousaï publie l’illustration de Ogouri Gwaïdén, la Légende sur le prince Ogouri, roman de Koyéda Shighérou, dont l’action se passe sous Ashikaga Yoshimitsou, au xive siècle, roman paru en deux séries de cinq volumes, la première publiée en 1813, la seconde en 1828.

Le prince Soukéshighé, l’héritier de la famille Ogouri, a pour fiancée la princesse Térouté. Une intrigue politique fait perdre au père du héros du roman ses dignités et sa fortune, tandis que la même aventure arrive à la famille de la princesse, et les deux fiancés se perdent de vue.

Dans sa ruine, le prince Ogouri épouse Hanako, la fille d’un richissime Japonais, où la princesse Térouté est servante, chargée du service du bain. Les deux anciens fiancés sont repris d’un sentiment amoureux. Et une planche représente Hanako se regardant dans un miroir où se reflète la jalousie qui la dévore. Oui, la jalousie au Japon est signifiée, chez la femme, par des cornes au front.

Térouté, battue dans la maison d’Hanako, s’est sauvée, et, au moment où elle erre désolée dans une forêt, la déesse Kwannon lui apparaît sous la figure d’un petit flûteur monté sur un bœuf, et la console.

Alors, Ogouri la rencontre, lui donne un rendez-vous la nuit, mais Hanako avertie la précède et prend sa place.

Sur ces entrefaites, et sans doute sur les ordres d’Hanako, Térouté est enlevée et vendue à une « Maison Verte » ; mais un ancien sujet de sa famille, qui lui est resté fidèle, apporte une lettre au prince Ogouri, qui lui enseigne où est Térouté qu’il aime, insensible à l’amour de Hanako.

Et une des dernières planches montre Kotarô, le sujet dévoué de Térouté, précipitant à l’eau le maître de la « Maison Verte », tandis que Hanako vient s’y jeter.

En 1815 Hokousaï illustre Beibei Kiôdan, Conte villageois des Assiettes, histoire de deux jeunes filles portant des noms d’assiettes, dont le texte est de Bakin, roman publié en huit volumes, et auquel l’artiste japonais a donné peut-être ses dessins les plus rembranesques.

La première composition représente un dignitaire japonais tendant à une femme qui pleure, et qui a un enfant sous elle, une tige de magnolia, tendant à une autre femme qui sourit, et qui a un enfant sous elle, une branche de prunier en fleurs. Ce dignitaire est un Chinois qui, sous la dynastie des Ming, à la suite d’une conspiration avortée, s’est sauvé au Japon, laissant en Chine, avec un enfant la femme qui pleure, puis est devenu, grâce à sa science de lettré, un homme d’État au Japon, a épousé la Japonaise souriante, dont il a eu un fils, s’est laissé envoyer comme ambassadeur en Chine, où, dans les recherches de sa première femme et de son fils, il a été reconnu comme l’ancien conspirateur, et exécuté.

Ceci n’est que le préambule du roman, qui est l’histoire du fils, que l’ambassadeur chinois a eu de la femme japonaise, — roman où il y a, chez Bakin, la tentative de montrer que cet enfant, au sang mêlé de deux races, n’a pas l’énergie du caractère japonais.

La femme japonaise est morte, à la nouvelle de l’exécution de son mari en Chine, et l’enfant est resté orphelin et sans ressources ; mais un daïmio du Shôgounat des Ashikaga a pitié de l’enfant, le prend sous sa protection, et l’enfant, devenu un jeune homme, épouse une Japonaise, en a deux filles, l’aînée appelée Karakousa (le Rinceau), la cadette appelée Bénizara (l’Assiette rose).

En ce temps le daïmio qui l’avait pris sous sa protection, entre en guerre avec un autre daïmio, est battu et se fait exterminer, lui et tous les siens, ainsi que cela se pratiquait dans les guerres entre les Taïra et les Minamoto. Quant au jeune protégé, très légèrement blessé, et rappelé à la vie par un prêtre que tue aussitôt une flèche, il ne songe pas à mourir, et se met à la recherche de sa femme et de ses deux filles, en cette contrée, pour le moment pleine de combats, du matin au soir et du soir, au matin. Traversant à toute heure de petits champs de bataille, une nuit, il entend un cri d’enfant, va à ce cri, aperçoit un guerrier blessé, tenant une petite fille dans ses bras, achève le blessé, s’empare de l’enfant, n’a pas le temps de le reconnaître devant le bruit d’une troupe de guerriers qu’il croit à sa poursuite, se met à se sauver à toutes jambes, jusqu’à l’instant où, épuisé de fatigue, il se laisse tomber sur un tronc d’arbre. C’est alors que l’officier de la troupe s’approche de lui, et le remercie d’avoir sauvé la princesse, la fille de son maître. « Mais c’est mon enfant ! s’écrie le fils du Chinois. — Votre enfant ? regardez-la bien ! » Et le père de « l’Assiette rose » s’aperçoit que quoique du même âge et lui ressemblant, ce n’est pas sa fille.

L’officier met ses soldats à sa disposition pour rechercher sa femme et ses filles, recherche inutile et qui lui donne la croyance qu’elles ont été égorgées dans la mêlée. Et il est amené par l’officier, qui l’a pris en amitié, au père de la princesse, qui en fait son vassal.

Quelques années se passent, au bout desquelles, après de nouvelles recherches infructueuses, il se décide à se remarier à une seconde femme, et a une fille qui sera « l’Assiette cassée ». Alors qu’il vivait tranquillement dans son ménage, il a la mission de détruire un repaire de diables (brigands) près d’un temple au milieu d’une forêt, mais il est battu, ses soldats tués, et le sabre que lui avait donné le prince pour couper la tête du chef des brigands est pris. Le prince veut le disgracier, mais l’officier qui le protège, devenu premier ministre, fait observer au prince que c’est lui qui l’a choisi, ce qui serait un aveu public qu’il s’est trompé sur sa capacité. Et, sur le conseil du ministre, le voilà parti à la recherche du sabre, et en même temps un peu à la recherche de sa femme et de ses enfants, recherche qui dure trois ans.

Une seconde expédition avait été envoyée contre le chef des brigands du temple bouddhique, et avait eu l’insuccès de la première : ce chef de brigands ayant une force invincible, et voici à quoi il la devait. Il avait joué avec Niô, la statue colossale de l’entrée du temple, il avait joué une partie par laquelle, s’il perdait, il serait privé de la chance de tout gain au jeu, pendant trois ans ; mais si Niô perdait, il lui donnerait sa force physique pendant trois ans. Et Niô a perdu. Et l’image d’Hokousaï représentant Niô en pierre, ayant quitté son piédestal et accroupi sur la table de go, à côté de son partner en chair et en os, évoque, dans votre souvenir, la scène de don Juan et de la statue du Commandeur.

Dans l’espace de ces trois ans, le joueur a rencontré dans ses voyages le fils du Chinois, n’a pas été reconnu par lui, est entré même en relations intimes avec celui-ci, qui lui a donné une lettre pour annoncer son retour à sa femme.

Or les trois ans sont expirés, il est au bout du bail de sa force mystérieuse, et poussé à cette visite par l’influence occulte de la statue qui veut se venger. Et le jour où il arrive, la femme du Chinois a rêvé que son mari a été assassiné par un malfaiteur et que ce malfaiteur lui apportera une lettre dans la journée. Un serviteur fidèle a fait le même rêve. Donc, si un homme vient, un homme semblable à l’homme du rêve, ce sera bien l’assassin du mari. Le brigand apporte la lettre. Aucun doute. Et la femme et le serviteur se jettent sur lui, et le tuent avec l’aide invisible de la statue de Niô, qui lui tord le cou.

Au moment même, où le malfaiteur vient d’être tué, le mari rentre chez lui, et s’indigne de ce que sa femme et son serviteur ont égorgé un ami qu’il leur avait envoyé, et le serviteur et la femme, reconnaissant qu’ils ont été victimes d’un rêve, ne trouvent pas autre chose, pour désarmer l’indignation du mari, — le serviteur que de s’ouvrir le ventre, la femme que de s’ouvrir la gorge.

Mais ne voilà-t-il pas, qu’au milieu de ce carnage entre dans la maison le ministre qui, dans une tournée, vient de faire arrêter deux brigands, qui dans le mort reconnaissent leur chef !

Alors le ministre, prenant la tête du brigand et le sabre retrouvé, rassure le mari, en lui disant qu’il racontera au prince, que c’est lui qui a tué le brigand, après qu’il avait assassiné sa femme et son serviteur.

À peine le ministre a-t-il passé la porte, — les incidents se précipitent dans le roman japonais, — qu’il rencontre une femme et deux jeunes filles demandant aux allants et venants, s’ils connaissent un Japonais, dont personne ne sait le nom. Le ministre leur apprend qu’il a changé de nom, leur donne son nouveau nom, indiquant de la main une maison où il y a un grand arbre. Ce sont la première femme et les filles du descendant chinois, renseignées sur l’existence de leur mari et père, par les fiches qu’il a laissées, pendant ses trois ans de pèlerinage, dans tous les temples bouddhiques, et, de temple en temple, ces femmes ont été amenées au temple de Niô, où la fiche déposée dans les autres temples, manquant, elles ont supposé qu’il habitait dans le voisinage.

Et la première parole de la femme au mari, est : « Tu es remarié, tu as une fille, il faut mettre ta seconde femme à la porte. » Il lui montre le cadavre de cette seconde femme. Cette vue la radoucit, et elle consent à ce qu’il garde près de lui « l’Assiette cassée ».

Mais presque aussitôt, il se fait chez cette femme, jusque-là très bonne, très excellente, une révolution morale surnaturelle, qui la transforme en une très méchante créature, hantée qu’elle est par l’esprit de la femme chinoise du père de son mari, venant se venger de son abandon, et de sa mort, sur la famille japonaise. Et cette méchanceté s’exerce à l’endroit de la fille de la seconde femme, qui était jolie, intelligente, et qui s’appelait Kahédé (Feuille d’érable) et qu’elle baptise du nom d’« Assiette cassée », par opposition au nom de sa fille « l’Assiette rose », lui répétant à tout moment : « Tu n’es que l’Assiette cassée ! » Mal nourrie, mal vêtue, reléguée dans un bâtiment de ferme, condamnée aux tâches les plus fatigantes, occupée, jour et nuit, à coudre les robes de soie de ses sœurs, elle a la vie, la plus triste, la plus humiliante, une vie de Cendrillon, où jamais elle n’obtient l’assistance de son père, manquant de tout caractère.

En ces temps, il venait l’idée à la mère de « l’Assiette rose » de la marier au fils du ministre, mais il se trouvait qu’il était amoureux de « l’Assiette cassée » et qu’une correspondance existait entre eux, sans qu’on le sût. À la fin, la mère se doute de cet amour, et charge un mauvais prêtre d’enlever « l’Assiette cassée » et de la noyer. Et s’en croyant débarrassée, elle persiste dans l’idée du mariage de « l’Assiette rose » avec le fils du ministre, et cherche à mettre dans ses intérêts un ami du jeune homme, et qui passait pour avoir une grande influence sur son esprit. Malheureusement pour elle, cet ami était amoureux d’une jeune fille qui vivait avec « l’Assiette cassée », et était tout dévoué à l’amie de son amoureuse. Que fait-il ? Il représente à la mère, que le fils du ministre est d’une grande famille, que son mari n’est rien, que le mariage est bien disproportionné, qu’il n’y a qu’un moyen de réussir, c’est que sa fille ait une entrevue, qui permette de croire à des rapports secrets entre eux, et que, dans ces conditions, le père ne voudra pas s’opposer au mariage. Il est donc convenu que la mère laissera la porte du jardin ouverte, la nuit ; et, dans l’ambition de ce puissant mariage, elle arrive à décider sa fille, qui n’aime pas du tout ce jeune homme, à le recevoir. Mais l’homme reçu, la nuit, par « l’Assiette rose » n’est pas le fils du ministre. C’est, dans le dessin d’Hokousaï, le plus laid des hommes, le plus camus des Japonais. Et quand la mère a vu l’homme, à la lueur de sa lanterne, et qu’elle s’étonne, c’est l’homme qui lui fait une scène, affirmant qu’on lui a assuré que sa fille était amoureuse de lui, qu’on lui a tendu un piège, qu’il va être ridiculisé s’il n’obtient la main de la jeune fille.

À quelques mois de là, la nouvelle court le pays que le fils du ministre se marie, et le père et la mère de « l’Assiette rose » sont invités aux fêtes du mariage. Désespérée, la mère se rend sur la route, pour savoir quelle est cette mariée, et la voit arriver en norimon, mais elle est tellement troublée, que voulant la saluer, elle fait un faux pas, la couvre de boue, et se sauve sans la connaître.

Le lendemain, elle est en retard avec sa fille, pour le service religieux, qui a lieu exceptionnellement, pour ce mariage, dans un temple bouddhique, et ce n’est que, le service fini, qu’elle se trouve en présence de la mariée, qui est « l’Assiette cassée ». Et « l’Assiette cassée » pardonne à la première femme de son père, ses mauvais traitements, sa méchanceté attribuée à la hantise de la mère chinoise. Or le service religieux n’a été commandé que pour débarrasser la famille de cette hantise, la cause de toutes les vicissitudes de la famille, par une bénédiction sur tous les défunts de cette histoire, — dont Hokousaï montre les têtes fantômatiques au bas de cette dernière gravure ; — mariage qui condamne « l’Assiette rose » à se marier avec le Japonais camus.

En 1845, après des années d’interruption dans l’illustration des livres, Hokousaï publie l’illustration de Kan-So-Goundan, la Guerre des deux royaumes de Kan et de So, roman historique en trente volumes, formant trois séries, dont la première et la deuxième ont paru en 1845, et la troisième à une époque inconnue.

Ce roman chinois, traduit en japonais par Shôriô Sadakata, est l’histoire de la chute de l’empereur Shikô, l’empereur qui fit construire la grande muraille de la Chine, et de l’avènement de l’empereur Kôso, de la dynastie des Hang, 202 ans avant Jésus-Christ.

C’est, tout d’abord, la planche, où se voit ce sujet, si souvent représenté sur les gardes de sabre, ce vieillard mystérieux rencontré sur un pont, qui, pour éprouver la patience d’un jeune homme, se fait trois fois repêcher sa sandale, — au bout de quoi, il lui donne un rouleau, dont les instructions lui servent à faire le nouvel empereur de Chine.

Et dans ce roman racontant la lutte pour l’Empire, de Kôso et de Kô-ou qui se perdit par ses cruautés, une terrible planche est celle où il a commandé la mort de cinq mille paysans, fidèles à l’ancien empereur, et où défilent des gens pliant sous des filets, remplis de têtes humaines.

Enfin, en 1846, trois ans avant sa mort, Hokousaï publie Guénji Ittôshi, la Possession du pouvoir par la famille de Minamoto, roman historique, dont le texte est de Shôtei Kinsoui, et dont on ne connaît qu’une partie, éditée en cinq volumes.

La planche capitale est celle où l’on voit Minamoto, dormant en l’état d’inquiétude, où il est chaque nuit, par le kokori, la hantise dans son sommeil de cette terrible araignée, grande comme une pieuvre, filant une toile qui tient tout le fond de la chambre, et que son sabre de chevet, sortant de sa gaine, — un sabre miraculeux, — va tuer.