Hokousaï (Goncourt)/Chapitre 16

Charpentier (p. 58-61).
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XVI

Hokousaï publie, en 1802, Isosouzou-gawa Kiôka-gourouma. Cinquante Poètes modernes, album en couleur, signé Hokousaï Tokimasa, où l’artiste a donné à ces poètes modernes un caractère ancien, les a comme travestis dans un carnaval archaïque. Une jolie planche est la première, où les danseuses vierges d’un temple sinthoïste, tournent autour d’un petit simulacre de torï-i, avec leurs couronnes en métal doré aux boules de cristal, et ayant en main des grelots, des branches de pin, de petits batons blancs traversés de papier portant des prières.

La même année Hokousaï publie le Yéhon Tchûshin goura, Magasin des fidèles vassaux, une suite de scènes de l’histoire des 47 ronins, tirées de la pièce, jouée un an après l’événement.

Ce sont deux petits volumes en couleur, d’une exécution assez peu soignée, signés Hokousaï Tokimasa, ajoutant des épisodes peu connus, aux épisodes connus. Ainsi la première planche vous donne la raison de la haine secrète entre le daïmio Takoumi no Kami, et Kôzouké le maître de l’Étiquette près du shôgoun. Takoumi no Kami avait la garde d’un casque porté par l’aïeul du shôgoun vivant, et une planche montre la femme du daïmio le montrant dans une caisse à Kôzouké, envoyé pour l’inspecter. Dans cette entrevue, Kôzouké devenait amoureux de la femme, écrivait une déclaration qu’elle traitait avec le mépris d’une honnête femme. De là sans doute la raison qui faisait mettre le sabre à la main à Takoumi no Kami contre Kôzouké, dans le palais du shôgoun.

Le bruit a couru au Japon, que Hokousaï n’aimait pas à dessiner les épisodes de l’histoire des 47 ronins, parce qu’il était un descendant d’un vassal de Kôzouké, mais il n’en est rien : Hokousaï ayant dessiné un grand nombre de scènes de cette dramatique histoire[1].

La même année, sous le titre de Itakoboushi, le nom d’une chanson à la mode dans ce temps, Hokousaï illustre deux volumes consacrés à la femme japonaise, et la montrant saisie sur le vif, dans tous les abandonnements de ses poses et les coquets accroupissements de son être, quand une pensée amoureuse l’occupe.

La série commence par une planche vous donnant à voir une jeune femme, penchée sur un papier qu’elle déroule, et sur lequel elle va écrire une lettre, avec le pinceau dont elle tient le bout dans sa bouche. Suivent d’autres femmes, l’une arrangeant sa chevelure avec ce gracieux mouvement, où la tête est de face, et où les deux bras disposent la coiffure sur le côté ; une autre, étendue à terre, une main sous le menton, lit un roman d’amour, pendant qu’un enfant lui grimpe sur le dos ; une dernière, dans un affaissement désolé, pleure sur le retard d’un amoureux qu’on aperçoit au bas de l’escalier. Et des attitudes de recueillement amoureux, et des causeries sur l’amour, entre deux femmes, penchées en dehors d’un balcon sur des arbustes en fleurs, et encore des confidences d’amie à amie, où étendues tout de leur long à terre, l’une contre l’autre, deux autres femmes réfléchissent, un moment silencieuses : l’une d’elles, dans sa préoccupation, jouant avec un bout de fil.

Mais l’une des compositions les plus intimement charmantes, est celle-ci : près d’une lanterne encore allumée, qui a dû servir à la reconduite de quelqu’un, c’est le ramassement à la fois heureux et accablé de la femme, que vient de quitter son amant.

La même année, paraît encore un volume de poésies, sans titre, illustré par Hokousaï d’une seule planche, mais d’une planche qui est une petite merveille et qui n’est qu’une branche de prunier fleuri, passant sur l’argent oxydé d’une pleine lune.


  1. En effet nous avons une série en largeur, publiée vers 1798, signée Kakô, puis deux séries en hauteur, chacune de 12 feuilles en couleur, portant toutes deux, le même titre Tchûshin-goura, Le Magain des vassaux fidèles, une série de 11 feuilles en largeur.