Historiettes et fantaisies/Le nom des mois

LE NOM DES MOIS



IL y avait une fois un petit garçon qui demandait à son père la signification du mot novembre ; il reçut cette réponse :

— C’est emprunté à la langue latine ; cela veut dire neuvième mois de l’année.

Mais l’enfant se mit à rire et dit :

— Je sais compter ; c’est le onzième mois.

Le père se trouva un instant interloqué, puis il expliqua que, dans l’ancien temps, l’année commençait avec le mois de mars.

Autre question le lendemain :

— Papa, que veulent dire, les mots février, mai, août ?

Cette fois, on eut recours au grand dictionnaire, la boîte à surprise par excellence.

Février est la corruption d’un terme qui, chez les très anciens Romains, désignait une série de fêtes, appelées expiation, purification, que sais-je ! Les februares étaient surtout marquées par des sacrifices pour apaiser les dieux infernaux et les rendre propices aux morts. Februare veut dire purifier. Les lettres b et v sont souvent prises l’une pour l’autre dans notre langue, de sorte que « février » est sorti de februarius, et nous sommes très contents de posséder cette expression qui n’as pas de sens pour nous. Les dieux de Numa Pompilius doivent nous trouver drôles sous cette appellation mortuaire !

Mai vient de maïus, qui provient de Maïa, la mère de Mercure ; d’autres disent que ce mois était consacré aux vieillards (majores), comme le mois de juin était attribué au jeunes gens (inniores). Nous sommes bien heureux d’apprendre tout cela !

Août, c’est tout simplement Auguste mal prononcé et encore plus mal écrit. Le mois d’Auguste, empereur romain, un monarque que l’on a retiré de la circulation depuis près de dix-neuf cents ans. Je voudrais le ressusciter un instant pour lui entendre prononcer son nom à notre mode : a-ou, a-ou, a-ou.

Singulière machine que le calendrier !

Le même petit garçon disait aussi :

— Papa, comment expliquez-vous le mois de Janvier ?

Il faut reculer de trois mille ans pour répondre à ceci. Le défunt Janus avait laissé une grande réputation en Italie, et passait pour avoir été le fils d’Apollon, lorsque Romulus lui éleva un temple dans lequel sa statue montrait deux visages, regardant en arrière et en avant. De Januarius nous avons fait January et Janvier, ce qui n’est pas malin, mais cela manque d’actualité dans notre milieu.

Le dieu Mars, un guerrier, a aussi son mois. Durant des siècles on s’est demandé pourquoi. Est-ce à cause des équinoxes du printemps ? Nul ne pourrait nous renseigner. En mars 1885, nos volontaires sont partis pour combattre Riel et c’est alors seulement que la chose s’est expliquée. Ce hasard était attendu depuis le débarquement du pieux Énée à Carthage, ou ailleurs, car les auteurs ne s’accordent pas sur la localité où il a planté sa tente.

— Et Juillet, papa, est-ce Roméo et Juliette ?

— Hélas ! dit le père, c’est Jules César, comme qui dirait Napoléon. Il faut que nous soyons rudement arriérés pour en être encore à ce bonhomme. Le mois de Jules, mon fils ! Que tu dois te trouver heureux d’écrire pendant trente jours le nom de Juillet, qui veut dire Jules parce que César se nommait Julius !

Sans se décourager, l’enfant continua :

— J’ai calculé que le dixième mois tombe en Octobre, qui pourtant veut dire huitième mois ; et décembre, qui signifie dixième, est le douzième. C’est un peu mêlé.

— Tu as raison, mon fils, tout cela est de travers ; que veux-tu que j’y fasse ! Le monde marche à béquilles.

Très surpris, l’enfant s’aperçût qu’il embarrassait son père, et il se crut savant ou en train de l’être.

— Septembre ne veut-il pas dire septième mois ?

— Assurément. Tu sais, néanmoins, que c’est le neuvième. Eh bien es-tu satisfait à présent ?

Le père n’avait jamais fait ces observations. Elles le surprenaient et il en souriait en tournant les pages du dictionnaire.

— Alors, reprit l’enfant terrible, nous radotons douze fois par année en prononçant le nom des mois ?

— Onze fois seulement, car avril vient d’aprilis « qui ouvre, » parce que, en cette saison, la terre s’ouvre pour recevoir les semences. Voilà où nous en sommes, après trois, quatre ou cinq mille ans de travail et de dépense d’esprit ; nous avons réussi à nommer avec apropos l’un des mois du calendrier ! Si jamais nous arrivons à les baptiser tous correctement, il faudra user bien des siècles — et à ce compte la fin du monde est loin.