Historiettes (1906)/Suite des bons mots, naïvetés

Texte établi par Louis MonmerquéMercure de France (p. 325-329).

SUITE DES BONS MOTS ET NAïVETÉS [1] modifier

Au sacre du coadjuteur de Rouen, une dame disoit qu’il lui sembloit sembloit être en paradis, tant elle trouvoit beau ce cercle d’évêques. « En paradis  ? lui dit-on, il n’y en a pas tant que cela. »

L’abbé de La Victoire, voyant entrer les dames quêteuses, crioit à ses gens du haut de l’escalier : « Qu’on ne laisse entrer personne à cause de cette petite vérole. » Elles courent encore.

Pour dire : Je n’ai pas tant de mérite que vous, une dame françoise disoit à une Italienne : « Non sono tanto meretrice (1) ccome vostra signoria. »

[(1) Meretrice, courtisane en italien.]

Des Barreaux entendant un grand tonnerre un vendredi, pendant qu’il mangeoit une omelette au lard, se leva de table et jeta l’omelette par la fenêtre, disant : « Voilà bien du bruit là-haut pour une omelette. »

M. L… disoit : « J’ai reçu tous les sacrements, excepté le mariage, que je n’ai jamais reçu en original ; mais j’en ai tiré plusieurs copies. »

M. Le Féron étant attaqué des voleurs dès les cinq heures du soir leur dit : « Messieurs, vous ouvrez de bonne heure aujourd’hui. »

Montmaur, étant à table en compagnie où l’on faisoit grand bruit de rire et chanter, dit tout haut d’un air chagrin : « Ah ! Messieurs, un peu de silence ! On ne sait ce qu’on mange. »

La charge la plus difficile à exercer à la cour est celle de fille d’honneur.

Un ivrogne ayant roulé tout un escalier, étant en bas, dit froidement : « Aussi bien voulois-je descendre ! — Dieu vous a bien aidé, lui dit-on, de ne vous être pas blessé. — Parbleu, répondit-il, voilà un beau secours ! Il ne m’a pas aidé d’un seul échelon. »

Un capitaine ayant volé une pièce de drap à un moine de pays ennemi qu’il rencontra, le moine lui dit en s’en allant : « Je vous remets au jour du jugement, où vous me la rendrez. » Le capitaine dit : « Puisque tu me donnes un si long terme, je prendrai encore ton manteau. »

L’on dit un jour à un prélat qui ne résidoit que rarement dans son évêché : « C’est bien fait, Monseigneur, cela marque la confiance que vous avez en Dieu ; votre diocèse peut- il être mieux que sous la conduite de la Providence  ? »

L’Angeli étant entré un matin chez monseigneur l’archevêque de Harlay, on lui dit à l’antichambre que monseigneur étoit malade. Il attendit et vit sortir de la chambre une jeune fille habillée de vert. Enfin il entra, et monseigneur lui dit qu’il avoit eu trois ou quatre évanouissements, la nuit. « C’est donc cela, dit-il, que j’en ai vu passer un habillé de vert  ? »

Le Duc d’Ossone promit mille pistoles aux Jésuites, s’ils lui faisoient voir qu’on pût donner l’absolution par avance d’un péché non encore commis. Après avoir bien cherché, ils lui apportèrent un de leurs auteurs, et lui donnèrent l’absolution qu’il demandoit. Il leur donna une lettre de change à recevoir, à quatre lieues. Ils trouvèrent en chemin douze drôles qui les battirent et leur prirent la lettre de change. Ils vinrent se plaindre au duc, qui leur dit que c’étoit là le péché qu’il avoit envie de commettre, et qu’ils l’en avoient absous.

Un confesseur demandoit à un soldat qui se confessoit s’il avoit jeûné. « Que trop, mon père, répondit-il ; j’ai quelquefois été huit jours sans manger du pain. — Mais si vous en eussiez eu, dit le confesseur, vous en eussiez mangé  ? — Très assurément, répondit le soldat. — Mais, ajouta le confesseur, Dieu ne prend pas plaisir à ces jeûnes forcés. — Ma foi, répliqua le soldat, ni moi non plus, mon père. »

Maldachin étant amant favori de donna Olimpia, et partageant ses plus douces faveurs avec le pape, elle lui dit un jour dans ses transports les plus violents : Coragio, mi Maldachin, ti fara cardinale ; mais il lui répondit : Quando sarebbe per esser papa non posso più_ (1).

[(1) Courage, je te ferai cardinal. — Quand cela serait pour être pape, je ne peux plus. ]

Clermont-Tonnerre, évêque de Noyon, disoit dans une maladie qu’il avoit : « Hélas ! Seigneur, ayez pitié de ma grandeur. »

Le même évêque disoit des docteurs de Sorbonne : « C’est bien affaire à des gueux comme cela de parler du mystère de la Trinité. »

Rabelais étant fort malade, son curé, qui ne passoit pas pour un habile homme, le vint voir pour lui administrer les sacrements, et, lui montrant la sainte hostie, lui dit : « Voilà votre Sauveur et votre maître qui veut bien s’abaisser jusqu’à venir vous trouver ; le reconnaissez-vous bien ? — Hélas ! oui, répondit Rabelais, je le reconnois à sa monture. »

Les voleurs attaquèrent un soir madame Cornuel. L’un d’eux, entrant dans son carrosse, commença par lui mettre la main sur la gorge ; mais elle lui repoussa le bras sans s’effrayer, lui disant : « Vous n’avez que faire là, mon ami ; je n’ai ni perles ni tétons. »


  1. Ce chapitre est extrait d’un manuscrit qui n’est plus attribué à Tallemant et que Monmerqué, trompé par le ton, avait inséré dans sa 2e édition. Les mots que l’on y trouvera n’en sont pas moins bons.