Historiettes (1906)/Mademoiselle Thomas

Texte établi par Louis MonmerquéMercure de France (p. 270-271).

MADEMOISELLE THOMAS modifier

Mademoiselle Thomas étoit femme d’un commis de Nouveau ; c’étoit une assez jolie personne et fort coquette. Il y avoit furieusement de galants, soit garçons, soit gens mariés, autour d’elle : c’étoit une continuelle frérie là-dedans. Les sottes femmes du quartier avoient leur part du poupelin, et n’en bougeoient. Cette femme avoit un frère qui, pour avoir donné un coup de poignard à son homme. avoit été fort en peine ; mais son père, nommé du Bois, secrétaire du Roi, et valet de chambre de la Reine, l’en avoit tiré et après l’avoit enfermé à Saint-Lazare. Mademoiselle Thomas avoit, au bout de quelque temps, obtenu du père qu’il sortiroit et l’avoit pris chez elle. Il couchoit dans sa propre chambre, soit faute de logement, ou pour ce que vous verrez ensuite. Ce garçon et cette femme se promenoient à l’Arsenal trois et quatre heures de suite ensemble ; il étoit chagrin, et elle, après avoir bien ri, tout à coup disoit : « Ah ! mon Dieu ! voilà ma mélancolie qui me reprend. » Ils couchoient ensemble, et apparemment quelque confesseur avoit mis à cette femme la conscience en combustion. Ce garçon devient tout sauvage, et un soir, après avoir parlé quelque temps au coin du feu à sa sœur, il lui donne deux coups de baïonnette, l’un dans la gorge, l’autre dans l’épaule, et défaisant son pourpoint, il s’en donne après dans le cœur, et se jette sur un lit. La femme crie, mais foiblement. La servante accourt : on ILS trouve tous deux expirants. Le commissaire du quartier, qui étoit aussi un des galants de la dame, se trouva là par hasard, fit un procès-verbal, comme il falloit, pour étouffer l’affaire. Ils furent enterrés à Saint-Paul ; mais le curé ne voulut jamais mettre le garçon qu’avec les morts-nés. La veille, cette femme disoit à tout le monde : « Je n’ai plus guère à vivre ; donnez-moi un De profundis quand je serai morte. » Et ce jour-là même elle avoit été deux heures à confesse.

On trouva dans la poche de ce garçon une lettre de quatre côtés, adressante à sa sœur, où il disoit qu’il avoit été en Italie pour se défaire de sa passion, mais en vain. Il nommoit par leurs noms tous les galants de sa sœur, avouoit qu’il ne pouvoit souffrir qu’on la cajolât ; et qu’encore qu’il eût eu toutes les privautés imaginables avec elle, et qu’il ne pût douter qu’elle ne l’aimât mieux qu’eux, il ne pouvoit pourtant supporter qu’elle se laissât galantiser, et qu’il étoit persuadé que c’étoit plutôt par coquetterie qu’autrement qu’elle vouloit qu’il ne vécût plus avec elle, comme par le passé ; et après avoir dit qu’il vouloit finir cette inquiétude, il concluoit : « Il faut, ma chère sœur, que nous mourions tous deux à la fois. »