Historiettes (1906)/M. de Bautru

Texte établi par Louis MonmerquéMercure de France (p. 83-86).

M. DE BAUTRU

M. de Bautru est d’une bonne famille d’Angers. Il a été conseiller au grand conseil. En ce temps-là, il épousa la fille d’un maître des comptes, nommé Le Bigot, sieur de Gastines. Cette femme ne se mettoit point dans le monde ; elle ne sortoit guère. « Oh ! la bonne ménagère ! » disoit-on. On la donnoit pour exemple aux autres. Enfin il se trouva qu’elle ne sortoit point, parce qu’elle avoit son galant chez elle, C’étoit le valet de chambre de son mari. Bautru fit mourir ce galant, à force de lui faire dégoutter de la cire d’Espagne sur la partie peccante (1) ; d’où vient que Saint- Germain, croyant que c’étoit Bautru qui avoit fait les vers sur la retraite de Monsieur, avoit mis dans la réponse :

Quand il cacheta près du c…

Son valet qui le fit cocu.


[(1) Ménage dit que le valet n’en mourut pas. Bautru fit condamner son valet à être pendu ; mais sur l’appel le valet en fut quitte pour les galères, parce qu’il exposa que M. de Bautru s’étoit fait justice lui-même. Madame de Bautru se fit toujours appeler madame de Nogent nonobstant son mariage, disant qu’elle ne vouloit pas être appelée madame Bautrou la reine Marie de Médicis, qui prononçoit le françois à la manière des Italiens. (Voyez le Menagiana, édition de 1715,I, 267.) (M.)]

Il chassa sa femme, et ne voulut point reconnoître le fils dont elle accoucha. Il l’a reconnu depuis, mais long-temps après. Cette femme jusque-là vécut de carottes à Montreuil-Belay, en Anjou, pour épargner quelque chose à son enfant. Jusqu’à cette heure elle demeure chez lui, en Anjou, où il va quelquefois, mais elle ne vient point à Paris. Il a le malheur d’avoir un sot fils. À propos de cela, M. de Guise, comme ils dînoient ensemble, lui ayant dit : « Qu’y-a-t-il entre un cocu et un autre ? — Une table, » répondit-il ; car ils n’étoient pas de même côté.

Il dit à la Reine-mère que l’évêque d’Angers étoit saint, et qu’il guérissoit de la v… L’évêque le sut et s’en plaignit : « Eh ! comment l’aurois-je dit ? dit Bautru, il en est encore malade. »

Jouant au piquet, à Angers, contre un nommé Goussaut, qui étoit si sot que pour dire sot on disoit Goussaut, Bautru vint à faire une faute, et, en s’écriant, dit : « Que je suis Goussaut ! — Vous êtes un sot, lui dit l’autre. — Vous avez raison, répondit-il ; c est ce que je voulois dire. »

Il disoit à mademoiselle d’Attichy, fille d’honneur de la Reine-mère : « Vous n’êtes pas trop mal fine, avec votre sévérité. Vous avez si bien fait que vous pourrez, quand vous voudrez, vous divertir deux ans sans qu’on vous soupçonne. »

À la province, je ne sais quel juge de bicoque l’importunoit trop souvent. Un jour que cet homme vint le demander, il dit à son valet : « Dis-lui que je suis au lit. — Monsieur, il dit qu’il attendra que vous soyez levé. — Dis-lui que je me trouve mal — Il dit qu’il vous enseignera quelque recette. — Dis-lui que je suis à l’extrémité. — Il dit qu’il vous veut donc dire adieu. — Dis-lui que je suis mort. — Il dit qu’il veut donner de l’eau bénite. » Enfin il le fallut faire entrer.

Comme il passoit un enterrement où on portoit un crucifix, il ôta son chapeau : « Ah ! lui dit-on, voilà qui est de bon exemple. — Nous nous saluons, répondit-il, mais nous ne nous parlons pas. »

Il montra un crucifix à Lopez à la messe, et lui dit : « Voilà de vos œuvres. — Hé ! répondit Lopez, c’est bon à ces messieurs à s’en plaindre ; mais pour vous, de quoi vous avisez-vous  ? »

Il disoit d’un certain Minime qu’on vouloit faire passer pour béat, que le seul miracle qu’il avoit fait, c’étoit que ne mangeant que du poisson, il sentoit l’épaule de mouton en diable.

Il disoit que Rome étoit une chimère apostolique ; et à une promotion de cardinaux que fit le pape Urbain, où il n’y avoit guère de gens de qualité (je pense qu’ils étoient dix en tout), Bautru, en lisant leurs noms, disoit : « N’en voilà que neuf. — Eh ! vous oubliez Fachinetti, dit quel qu’un —Excusez, répondit-il, je pensois que ce fût le titre. »

Une fois qu’il y avoit ici des députés du Mirebalais qui vouloient parler au cardinal de Richelieu, Bautru, qui cherchoit à le divertir, demanda à celui qui portoit la parole : « Monsieur, sans vous interrompre, combien valoient les ânes en votre pays quand vous partîtes ? » Ce député lui répondit : « Ceux de votre taille et de votre poil valoient dix écus. » Bautru demeura déferré des quatre pieds. Il rencontra mieux sur ses chevaux. Il vouloit renvoyer quelqu’un en carrosse, qui, par cérémonie, lui disoit que ses chevaux auroient trop de peine. « Si Dieu, répondit-il, eût fait mes chevaux pour se reposer, il les auroit faits chanoines de la Sainte-Chapelle. »

Il disoit du feu roi d’Angleterre, Charles 1er : « C’est un veau qu’on mène de marché en marché ; enfin on le mènera à la boucherie. »