Historiettes (1906)/Le président Pascal et Blaise Pascal.

Texte établi par Louis MonmerquéMercure de France (p. 182-184).

LE PRÉSIDENT PASCAL ET BLAISE PASCAL modifier

Le président Pascal portoit ce titre parce qu’il avoit été président de Clermont en Auvergne ; c’est un homme qui a eu d’assez beaux emplois : il s’étoit appliqué aux mathématiques ; mais il a été plus considérable par ses enfants que par lui- même, comme nous verrons par la suite.

Quand on fit la réduction des rentes, lui et un nommé de Bourges, avec un avocat au conseil dont je n’ai pu savoir le nom, firent bien du bruit, et à la tête de quatre cents rentiers comme eux, ils firent grand’peur au garde des sceaux Séguier et à Cornuel. Le cardinal de Richelieu fit mettre dans la Bastille, les deux autres ; pour Pascal, il se cacha si bien qu’on ne le put trouver, et fut long-temps sans oser paroître. En ces entrefaites, les petites Saintot et sa fille, qui est à cette heure en religion, jouèrent une comédie, dont cette fille, qui n’avoit que douze ans, avoit fait presque tous les vers.

Le cardinal de Richelieu en ce temps-là eut la fantaisie de faire jouer le Prince déguisé (de Scudéry) à des enfants. Bois-Robert en prit le soin. Il choisit, comme vous pouvez penser, cette petite Pascal ; il prit aussi une des petites Saintot, Socratine, et le petit Bertaut, son frère. La représentation réussit ; mais la petite Pascal fit le mieux. Comme on la louoit, elle demande à descendre, et d’elle-même, sans en avoir rien dit à personne, elle va se jeter aux pieds de Son Eminence, et lui récite en pleurant dix ou douze vers de sa façon, par lesquels elle demandoit le retour de son père. Le cardinal la baisa plusieurs fois, car elle étoit bellotte, la loua de sa piété, et lui dit : « Ma mignonne, écrivez à votre père qu’il revienne, je le servirai. » En effet, il le servit et le continua dix ans à l’intendance par moitié de Normandie, car il s’étoit défait de sa charge en faveur d’un de ses frères. Ils étoient tous d’Auvergne.

Sa fille fit d’autres sers, j’en ai quelques-uns. Enfin, à d x- huit ans, elle se mit dans la dévotion, et, comme j’ai dit, elle se fit religieuse.

Le président Pascal a laissé un fils, qui témoigna dès son enfance l’inclination qu’il avoit aux mathématiques. Son père lui avoit défendu de s’y adonner qu’il n’eût bien appris le latin et le grec. Cet enfant, dès douze ou treize ans lut Euclide en cachette, et faisoit déjà des propositions ; le père en trouva quelques-unes ; il le fait venir et lui dit : « Qu’est-ce que cela  ? » Cc garçon, tout tremblant, lui dit : « Je ne m’y suis amusé qu’aux jours de congé. — Et entends-tu bien cette proposition ? — Oui, mon père. — Et où as-tu appris cela  ? — Dans Euclide, dont j’ai lu les six premiers livres (on ne lit que cela d’abord). — Et quand les as-tu lus ? — Le premier en une après dînée, et les autres en moins de temps à proportion. » Notez qu’on y est six mois avant que de les bien entendre.

Depuis, ce garçon inventa une machine admirable pour l’arithmétique. Pendant les dernières années de l’intendance de son père, ayant à faire pour lui des comptes de sommes immenses pour les tailles, il se mit dans la tête qu’on pouvoit, par de certaines roues, faire infailliblement toutes sortes de règles d’arithmétique ; il y travailla et fit cette machine qu’il croyoit devoir être fort utile au public ; mais il se trouva qu’elle revenoit à quatre cents livres au moins, et qu’elle étoit si difficile à faire qu’il n’y a qu’un ouvrier, qui est à Rouen, qui la sache faire : encore faut-il que Pascal y soit présent. Elle peut être de quinze pouces de long et haute à proportion. La reine de Pologne en emporta deux ; quelques curieux en ont fait faire. Cette machine et les mathématiques ont ruiné la santé de ce pauvre Pascal.

Sa sœur, religieuse à Port-Royal de Paris, lui donna de la familiarité avec les jansénistes : il ]c devint lui-même. C’est lui qui a fait ces belles lettres au Provincial que toute l’Europe admire, et que M. Nicole a mises en latin. Rien n’a tant fait enrager les jésuites. Long-temps on a ignoré qu’il en fût l’auteur ; pour moi, je ne l’en eusse jamais soupçonné, car les mathématiques et les belles-lettres ne vont guère ensemble. Ces messieurs du Port-Royal lui donnoient la matière, et il la disposoit à sa fantaisie. Nous en dirons davantage dans les Mémoires de la régence.