Historiettes (1906)/Brizardière

Texte établi par Louis MonmerquéMercure de France (p. 267-268).


BRIZARDIÈRE

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Brizardière étoit un sergent royal de Nantes fort employé et qui dépensoit extraordinairement pour un homme comme lui. Vous allez voir d’où cela venoit. Cet homme, déjà âgé, se mêloit de dire la bonne aventure aux femmes, et d’une façon inouïe, car il leur disoit, quand il trouvoit quelque difficulté à ce qu’elles souhaitoient : « Vous ne sauriez obtenir cela que par un moyen que je vous enseignerai ; peut-être le trouverez- vous fâcheux, mais il est infaillible. » La curiosité les prenoit, et, par la confiance qu’elles avoient, elles s’y résolvoient. Voici ce que c’étoit : il les faisoit mettre toutes nues, et avec des verges il les fouettoit jusqu’au sang, puis se faisoit fouetter par elles tout de même, afin de mêler leur sang ensemble pour en faire je ne sais quel charme… Dans Nantes, il n’osa s’y jouer ; mais sa réputation lui fit trouver des folles par toute la Bretagne, et principalement à Rennes. Il y a apparence qu’il y gagnoit ; car, comme je l’ai déjà remarqué, il dépensoit plus qu’un sergent ne pouvoit dépenser. Il fut découvert à Rennes par un huissier du Parlement, nommé Bohamont, qui le vit par un huis fesser deux fort belles filles qu’il avoit. Il rendit sa plainte ; on fit jeter des monitoires. Plusieurs demoiselles, suivantes et femmes de chambre vinrent à révélation ; mais quand on voulut savoir qui étoient les fessées, elles ne le vouloient point dire. Le Parlement s’assembla, et là, ayant vu qu’il y avoit des présidentes et des conseillères en assez bon nombre, on se servit des deux filles de l’huissier et de la femme d’un menuisier, et sur cela on l’envoya aux galères. Il pensa être pendu. La présidente de Magnan, fort belle femme, étoit des fouettées ; outre ce que les autres avoient souffert, celle-ci se faisoit donner quinze coups par semaine, pour avoir une succession pour laquelle il falloit que trois personnes mourussent. Elle n’est pas riche. La présidente de Brie eut quarante-huit coups et en donna à Brizardière cinquante-deux ; une madame de Kerollin se fit fouetter pour trouver un bon tiercelet (elle faisoit la fausse monnoie), c’est-à-dire un bon alliage. Mais le plus plaisant, ce fut mademoiselle de Taloet ; comme il la fouettoit rudement, c’étoit pour avoir un mari qui eût beaucoup de bien, elle crioit : « Hé, monsieur de La Brizardière, doucement, j’aime mieux qu’il soit moins riche. »