Historiettes (1906)/Anecdotes

Texte établi par Louis MonmerquéMercure de France (p. 297-312).

ANECDOTES modifier

Allant à la foire Saint-Germain, Henri III trouva un jeune garçon endormi ; un assez bon prieuré vaquoit, plusieurs personnes étoient après, à qui l’auroit. « Je le veux donner, dit-il. à ce garçon afin qu’il se puisse vanter que le bien lui est venu en dormant. » Ce jeune garçon s’appeloit Benoise ; il le prit en affection et le fit secrétaire du cabinet. Ce Benoise avoit soin de lui tenir toujours des plumes bien taillées, car le Roi écrivoit assez souvent. Un jour, pour essayer si une plume étoit bonne, Benoise avoit écrit au haut d’une feuille ces mots : Trésorier de mon épargne. Le Roi, ayant trouvé cela, y ajouta : « Payez présentement à Benoise, mon secrétaire, la somme de trois mille écus », et signa. Benoise trouva cette ordonnance et en fut payé.

M. de Mayenne, pour attraper sa femme, qui s’inquiétoit fort de ce qu’il sortoit la nuit, faisoit mettre son valet, avec sa robe de chambre, auprès d’une table, avec bien des papiers comme s’il eût travaillé à quelque grande affaire ; ce valet de loin, faisoit signe de la main à madame de Mayenne qu’elle se retirât. et elle se retiroit par respect.

Mademoiselle de Guise, depuis princesse de Conti, fut cajolée de plusieurs personnes, et entre autres du brave Givry. On dit qu’en ayant obtenu un rendez-vous, elle s’avisa, par galanterie, de se déguiser en religieuse. Givry monta par une échelle de corde : mais il fut tellement surpris de trouver une religieuse au lieu de mademoiselle de Guise qu’il lui fut impossible de se remettre et il fallut s’en retourner comme il étoit venu Depuis il ne put obtenir d’elle un second rendez-vous ; elle le méprisa et Bellegarde acheva l’aventure. Il est vrai que’ de peur de semblable surprise, elle ne se déguisa point en religieuse. J’ai ouï dire que ce fut sur le plancher, dans la chambre de madame de Guise même qui étoit sur son lit, et qui, s’étant trouvée assoupie, avoit fait tirer les rideaux pour dormir. Mademoiselle de Vitry, confidente de mademoiselle de Guise, étoit la Dariolette. La belle, quand ce vint aux prises. fit ouf, la mère se réveilla, et demanda ce que c’étoit : « C’est, répondit la confidente, que mademoiselle s’est piquée en travaillant. »

Un fils de M. de Sancy, qui fut ambassadeur en Turquie, se fit Père de l’Oratoire. Un jour il passa par un couvent de Carmélites, fondé par quelqu’un de sa maison ; les religieuses ne lui firent pas plus d’honneur qu’à un autre. Il s’en plaignit ; comme il repassoit, la supérieure voulut réparer sa faute ; mais il y eut bien du mystère pour avoir la clef de la grille, et après pour lever le voile : enfin elle le leva : « Vraiment, lui dit-il, ma mère, la trouvant fort jaune, il falloit bien faire tant de cérémonie pour montrer ce visage d’omelette ! Baissez, baissez votre voile. ». Et il lui tourna dos.

Madame de Moret étoit de la maison de Bueil. N’ayant ni père ni mère, elle fut nourrie, je pense, chez madame la princesse de Condé, Charlotte de La Trémouille. Elle étoit là en bonne école. Henri IV, qui ne cherchoit que de belles filles, et qui, quoique vieux, étoit plus fou sur ce chapitre-là qu’il n’avoit été en sa jeunesse, la fit marchander, et on conclut à trente mille écus. Mais madame la princesse de Condé souhaita que, par bienséance, on la mariât en figure, si j’ose ainsi dire. Césy, de la maison de Harlay, homme bien fait, et qui parloit agréablement mais qui avoit mangé tout son bien, s’offre à l’épouser. On les maria un matin. Le roi, impatient, et ne goûtant pas trop qu’un autre eût un pucelage qu’il payoit, ne voulut pas permettre que Césy couchât avec sa femme, et la vit dès ce soir-là. Césy, lâche comme un courtisan ruiné, prétendait ravoir sa femme le lendemain, résolu de tout souffrir pour faire fortune ; mais elle n’y voulut jamais consentir. On rompit le mariage, à condition que Césy auroit les trente mille écus.

M. d’Angoulême contait les choses fort agréablement. Il disoit qu’en sa verte jeunesse il étoit amoureux d’une dame, et qu’un jour la servante de cuisine, qui étoit une vieille fort mal propre et fort dégoûtante, lui ayant ouvert la porte, il prit occasion de la prier de lui être favorable, et il voulut donner quelque chose ; mais elle, en le repoussant, lui dit : « Ardez, Monsieur, je ne veux point de votre argent ; il n’y a qu’un mot, c’est que madame n’en a jamais tâté que je n’aie fait l’essai auparavant ; c’est comme du bouillon de mon pot ; il faut passer par là ou par la fenêtre. » Il eut beau tourner et virer, il fallut satisfaire cette vieille souillon. et il dit qu’il détournoit le nez de peur de sentir son tablier gras.

On conte de Le Fouilloux qu’étant nouveau venu de sa province de Saintonge les filles de la Reine le prirent pour un bon campagnard, il n’étoit pourtant pas si niais. Elles lui demandèrent bien des choses à quoi il répondoit en innocent. « Eh ! ma compagne, qu’il est bon ! se disoient-elles l’une à l’autre. Mais à quoi vous divertissez-vous dans votre voisinage ? — Eh ! dit-il, je nous entre-f…. » Les voilà toutes à fuir : depuis elles ne se jouèrent plus à lui.

Une fois, pour se ragoûter, le président de Chevry pria une m…. de lui faire voir quelque bavolette, toute fraîche venue de la vallée de Montmorency. On fait habiller une petite garce en bavolette, et on la mène au président qui coucha toute la nuit avec elle. Le lendemain il la fit lever pour aller voir quel temps il faisoit. Elle lui vint dire que le temps étoit nébuleux. « Nébuleux ! s’écria-t-il, ah ! vertuchoux, j’ai la v… Eh ! qu’on me donne vite mes chausses. »

M. Faure étoit un bourgeois de Paris, riche de deux cent mille écus. C’étoit un des plus grands avares qu’on ait jamais vus. Il y avoit trois bûches dans la cheminée de sa belle chambre. Ces bûches avoient trempé dans l’eau de sorte que le fagot qu’on mettoit dessous brûloit tout seul et ne faisoit que les faire suer seulement. La compagnie étant retirée, si le feu du fagot les avoit un peu trop séchées, on les remettoit dans l’eau.

Un peu après que M. de Bellièvre eût été fait garde des sceaux, quelqu’un qui ne savoit pas son logis, le demanda à un savetier, ce savetier dit : « Je ne sais où c’est. » Cet homme va plus bas, on lui dit : « C’est vis-à-vis ce savetier. « Oh hé ! compère. dit-il au savetier, vous ne connoissez donc pas vos voisins : — Je ne connois point, répondit le savetier, les gens avec qui je n’ai point bu. » Cet homme conta cela au garde des sceaux, qui envoya convier le savetier à souper. Le galant dit qu’il ne mangeroit pas. En effet il prend ses habits des dimanches, et avec une bouteille de vin et un chapon tout cuit, dont il avoit rompu un pied, il va chez le garde des sceaux ; il met son vin à l’office et y laisse son chapon aussi, entre deux plats. Comme on eut servi le second : « Oh hé ! dit-il Monsieur, je ne vois point mon chapon. » M. de Bellièvre demande ce qu’il vouloit dire ; il le lui conte et ajoute : « En voilà le pied, que j’ai rompu de peur qu’on ne me le changeât. Il vaudra bien tout ce que vous avez-là, et mon vin est bien aussi bon que le vôtre ; nous en usons ainsi entre nous. » On apporta la bouteille et le chapon. Le garde des sceaux ne but plus et ne mangea plus que ce qu’avoit apporté le savetier, et ils firent la plus grande amitié du monde.

Une fille de Paris fut longtemps recherchée par un homme qui la vouloit épouser ; mais quoique ce fût son avantage, elle ne s’y put jamais résoudre, et le lui déclara à lui-même plusieurs fois. Cet homme ne se rebutoit point pour cela, et continuoit de la voir. Un jour il la trouva seule, il la presse, et ayant rencontré l’heure du berger, il en obtint plus d’une fois ce qu’elle avoit résolu de ne lui jamais accorder. Elle devient grosse, il la va voir, et lui dit qu’il est tout prêt à l’épouser. Cette fille lui répond qu’il est vrai qu’elle est en danger de se perdre, mais qu’elle le hait plus que jamais ; qu’elle ne comprend point comme quoi elle l’avoit laissé faire, et qu’elle n’en sauroit dire de raison, enfin il n’en put venir à bout, et cessa de l’importuner. Je n’ai jamais pu savoir le nom de la fille ni de l’homme, car on ne me les a pas voulu dire ; mais la chose est véritable.

Un garçon de fort médiocre condition de Paris, qui traînoit toujours une épée, badinoit fort avec les filles de son quartier et en mettoit quelques-unes à mal. Un jour, amoureux de la fille d’un mercier, il trouve moyen, sous de faux donner-à- entendre, de la mener promener au bois de Vincennes, et lui fait faire bonne collation. On ne fait pas tant de façons parmi ce petit monde ; après il lui dit son besoin et la presse fort : elle résiste et lui arrache quelques cheveux. Lui, enragé, met l’épée à la main, et la menace de la tuer : « Ah ! lâche, lui dit-elle, mettre l’épée à la main contre une fille ! » Ce garçon, surpris et confus, laisse tomber son épée. Elle fut si touchée de son étonnement, et le prit si fort pour une marque d’amour qu’après elle lui laissa tout faire.

On conte une chose assez notable de la fin de ce grand homme, Maurice de Nassau. Etant à l’extrémité, il fit venir un ministre et un prêtre, et les fit disputer de la religion ; et après les avoir ouïs assez longtemps : « Je vois bien, dit-il, qu’il n’y a rien de certain que les mathématiques (1). » Et ayant dit cela se tourna de l’autre côté, et expira.

[(1) On conte d’un prince d’Allemagne, for adonné aux mathématiques, qu’interrogé à l’article de la mort par un confesseur s’il ne croyoit pas, etc. : « Nous autres mathématiciens, lui dit-il, croyons que 2 et 2 font 4, et 4 et 4 font 8. » (T.)]

À l’âge de soixante-dix ans, ou peu s’en falloit, le maréchal d’Estrée alla voir madame Cornuel, qui, pour aller parler à quel qu’un, le laissa avec feu mademoiselle de Belesbat. Elle revint et trouva le bonhomme qui vouloit lever la jupe à cette fille : « Eh ! lui dit- elle en riant, monsieur le maréchal, que voulez-vous faire ? — Dame, répondit-il, vous m’avez laissé seul avec mademoiselle : je ne la connois point ; je ne savois que lui dire. »

Les États voulurent qu’on déclarât la guerre à l’Espagne parce qu’encore que nous les assistassions, leur pays ne laissoit pas d’être le théâtre de la guerre. Puis la bataille de Nortlingue avoit fort affoibli les Suédois. On gagna la bataille d’Avein, et au lieu d’aller à Namur ; qu’on eût pris (car l’épouvante étoit si grande qu’on a dit que le cardinal-infant faisoit tenir un vaisseau prêt pour s’en aller), on s’en alla pour joindre le prince d’Orange, à qui on avoit écrit qu’on lui envoyoit les maréchaux de Châtillon et de Brezé pour faire ce qu’il jugeroit à propos. Lui les fit languir long- temps dans le siège, et ne se hâta point de sortir. Quand il fut joint, on prend Diest, qu’il fait traiter de rebelle, disant qu’il étoit baron de Diest. Après on va à Tillemont. Il y avoit là dedans des vivres pour nourrir notre armée toute la campagne. M. de Châtillon, à cause de cela, fit tout ce qu’il put pour empêcher de la faire emporter d’assaut ; et durant qu’ils disputoient, les Anglois d’un côté, et les François, à leur exemple, de l’autre, ces derniers la prirent de force. On saccagea tout, on viola dans les églises mêmes, et depuis, dans les libelles imprimés durant les négociations de Munster, on a reproché aux François qu’une abbesse ayant dit qu’elle étoit l’épouse de Jésus-Christ, un François avoit répondu en riant : « Eh bien ! nous ferons Dieu cocu. »

Bois-Yvon, comme on lui parla de Dieu, dit : « Dieu est si grand seigneur et moi si petit compagnon ! Nous n’avons jamais eu de communication ensemble. » Ce Bois-Yvon étoit un homme persuadé de la mortalité de l’âme, et quand on lui voulut parler de se confesser, il s’en moqua, et dit qu’il lui restoit trente sous qu’on donneroit à des porteurs. qui, dans leur chaise, le porteroient à la voirie. Il mourut ainsi, et on n’en put obtenir autre chose. Etant malade une autre fois, je ne sais quel jeune moine lui parloit de Dieu : « Frère Jean, lui dit-il, ne me parlez point tant de Dieu : vous m’en dégoûtez. » Desbarreaux lui amena un confesseur : « Il n’est pas de ma croyance, dit-il » ; il lui dit aussi : « Faire ce que vous dites n’est pas de la vie que j’ai faite, et ce que vous faites n’est pas de la vie que vous menez. »

Monsieur s’avisa une fois de faire une espèce d’académie chez lui, où il mit pour rire plus de quatre personnes qui savoient à peine lire. Le Boulay-Brûlard, parent du chancelier de Sillery, eut quinze mille livres pour accommoder la salle, fournir de papier, d’encre, de quelques livres, etc. On trouva qu’il n’avoit rien fait de ce qu’il falloit Monsieur le fait venir : « Je vous dirai la vérité (dit Boulay), dès que j’ai été trésorier, je suis devenu voleur comme les autres, et j’ai tout mis dans ma bourse. »

M. d’Orléans a toujours l’esprit un peu page. Un jour qu’il vit un des siens qui dormoit la bouche ouverte, il lui alla faire un pet dedans. Ce page, demi-endormi, cria : « B…., je te ch…dans la gueule. » Monsieur avoit passé outre. Il demande à un valet de chambre, nommé de Fresne : « Qu’est- ce qu’il dit  ? — Il dit, Monseigneur, dit gravement le valet de chambre, qu’il ch… dans la gueule de votre Altesse Royale. »

Etant amoureux d’une dame en Piémont, et la ville où elle étoit ayant été assiégée, M. de Montausier se déguisa en capucin pour y entrer, y entra, et la défendit. Un jour, en contant cela à sa mère, et comme cette femme l’avoit reçu, il s’emporta tellement que, sans songer à qui il parloit, il lui dit : « Je la trouvai seule un jour, je la jetai sur le lit, et je la…. » Il trancha le mot ; mais revenant à soi et voyant qu’il parloit à sa mère, il se lève, fuit, tire la porte, et sort du logis. Sa mère l’aimoit passionnément.

Un vicomte du Bac de Champagne, qui fait l’homme d’importance, vouloit quelque chose du maréchal de Gramont, et ne le quitta point de tout le jour ; même il soupa avec lui. Après souper il ne s’en alloit point ; le maréchal dit à un valet de chambre : « Fermez la porte, donnez des mules à Monsieur le vicomte, je vois bien qu’il me fera l’honneur de coucher avec moi. —Ah ! Monsieur, dit l’autre, je me retire. — Non, mordieu ! reprit le maréchal, monsieur le vicomte, vous me ferez l’honneur de prendre la moitié de mon lit. » Le vicomte se sauva. Toute la province se moqua fort de ce monsieur le vicomte.

Le maréchal de Gramont avoit un fripon d’écuyer, nommé du Tertre, qui un jour le vint prier de le protéger dans un enlèvement qu’il vouloit faire. « Hé bien ! la fille t’aime-t- elle fort ? Est- ce de son consentement  ? — Nenny, Monsieur, je ne la connois pas autrement, mais elle a du bien. — Ah ! si cela est, reprend le maréchal, je te conseille d’enlever mademoiselle de Longueville, elle a encore davantage. » ; et sur l’heure il le chassa.

Madame Compain étoit plaisante. Une fois, à Paris, je ne sais quel godelureau lui donna une sérénade. Le lendemain elle lui dit : « Monsieur, en vous remerciant ; vos violons ont réveillé mon mari, et il m’a croquée. »

Le comte de Vertus étoit un fort bon homme, qui ne manquoit point d’esprit. Son foible étoit sa femme ; il l’aimoit passionnément, et ne croyoit pas qu’on pût la voir sans en devenir amoureux. Un gentilhomme d’Anjou, appelé Saint-Germain La Troche, homme d’esprit et de cœur, et bien fait de sa personne, fut aimé de la comtesse. Le mari, qui avoit des espions auprès d’elle, fut averti aussitôt de l’affaire. Il estimoit Saint-Germain, et faisoit profession d’amitié avec lui ; il trouva à propos de lui parler, lui dit qu’il l’excusoit d’être amoureux d’une belle femme, mais qu’il lui feroit plaisir de venir moins souvent chez lui. Saint-Germain s’en trouva quitte à bon marché. Il y venoit moins en apparence, mais il faisoit bien des visites en cachette : c’étoit à Chantocé, en Anjou. Le comte savoit tout ; il n’en témoigna pourtant rien jusqu’à ce que, durant un voyage de dix ou douze jours, le galant eût la hardiesse de coucher dans le château. Les gens dont la dame et lui se servoient étoient gagnés par le mari. Ayant appris cela, il défendit sa maison à Saint-Germain. Cet homme, au désespoir d’être privé de ses amours, écrit à la belle, et la presse de consentir qu’il la défasse de leur tyran. Les agents gagnés faisoient passer toutes les lettres par les mains du mari, qui avoit l’adresse de lever les cachets sans que l’on s’en aperçût. Elle répondit qu’elle ne s’y pouvoit encore résoudre. Il réitère, et lui écrit qu’il mourra de chagrin si elle ne consent à la mort de ce gros pourceau. Elle y consent. Et par une troisième lettre, il lui mande que dans ce jour-là elle sera en liberté, que le comte va à Angers, et que sur le chemin il lui dressera une embuscade. Le comte retient cette lettre, et se garde bien de partir ; et ayant appris que Saint-Germain dînoit en passant dans le bourg de Chantocé il se résolut de ne pas laisser échapper l’occasion. Il lui envoie dire qu’il fera meilleure chère au château qu’au cabaret, et qu’il le prioit de venir dîner avec lui. Le galant, qui ne demandoit qu’à être introduit de nouveau dans la maison, ne se doutant de rien, s’en va. Il n’avoit pas alors son épée ; il l’avoit ôtée pour dîner ; il oublie de la prendre. Dès qu’il fut dans la salle, le comte lui dit : « Tenez, en lui présentant son dernier billet, connoissez-vous cela  ? — Oui, répondit Saint-Germain, et j’entends bien ce que cela veut dire. — Il faut mourir. » Les gens du comte mirent aussitôt l’épée à la main. Ce pauvre homme n’eut pour toute défense qu’un siège pliant. Il avoit déjà reçu un grand coup d’épée quand le mari entra dans la chambre de sa femme qui n’étoit séparée de la salle que d’une antichambre. Il la prend par la main, et lui dit : « Venez, ne craignez rien ; je vous aime trop pour rien entreprendre contre vous. » Elle fut obligée de passer sur le corps de son amant qui étoit expiré sur le seuil de la porte.

Rénevilliers a toujours aimé le sexe, mais à son profit. Il étoit grand et bien fait, et baisoit une fruitière pour avoir du dessert, une bouchère pour de la viande, et une grainetière pour de l’avoine. Il est vrai qu’il paya une fois une pourpointière en la plus plaisante monnoie du monde. Une vieille femme veuve, de la rue de la Pourpointerie, avoit longtemps habillé ses laquais, de sorte qu’il lui devoit une assez grosse somme : cette femme l’alloit voir souvent et lui présentoit ses parties ; Rénevilliers la remettoit de jour à autre, et cependant il cherchoit quelque invention pour ne pas payer. Enfin il lui dit une fois : « Venez demain matin à dix heures, je vous donnerai contentement. » La vieille fut dès neuf heures dans sa chambre : il envoie chercher à déjeuner, la fait boire, la met en belle humeur, et tout d’un coup il la pousse sur le lit, où il la contenta si bien qu’après cela elle prend ses parties, les jette au feu, et lui dit : « Allez, vous ne méprisez point vieillesse ; il ne sera jamais dit que je demande rien à un si honnête homme que vous. »

On fait un plaisant conte des filles de Saint-Nicolas. Les Cravates brûlèrent Saint- Nicolas quand on prit la Lorraine ; plusieurs d’entre elles se retirèrent d’abord à Châlon : la plupart avoient été violées par ces brûleurs de maisons, et comme il n’y avoit pas moyen de le nier, elles appeloient cela souffrir le martyre. On dit que, comme elles faisoient le récit de leur infortune à l’évêque, il n’en avoit telle qui disoit l’avoir souffert deux fois, qui trois, qui quatre : « Ah ! ce n’est rien au prix de moi, dit l’autre, je l’ai souffert, jusqu’à huit fois. — Huit fois le martyre, s’écria l’évêque : Ah ! ma sœur, que vous avez de mérite ! »

Ruqueville étant à l’extrémité, son tailleur, à qui il devoit beaucoup le pria de lui donner une reconnoissance. « Bon, mon ami, lui dit-il, écrivez, je la signerai. » Il lui dicta : « Je soussigné, etc.., promets à maître, etc.., maître tailleur d’habits à Paris, demeurant rue Saint-Honoré, paroisse Saint-Eustache, etc. » Il lui en fait mettre tout le plus long qu’il peut, et, après l’avoir bien fait écrire, il ajoute cent coups de bâton, au lieu de la somme. Le tailleur le donne au diable, et s’en va. Je ne sais si le diable prit Ruqueville, mais il trépassa peu de temps après.

Un auditeur des comptes, dont j’ai oublié le nom, avoit ordonné par son testament que les quatre Mendiants seroient à son enterrement, et que ces quatre ordres porteroient quatre gros cierges qu’il avoit dans son cabinet. Comme on fut dans l’église, tout-à-coup ces cierges crevèrent, et il en sortit des pétards qui filent un bruit épouvantable. Les moines et toute l’assistance crurent que c’étoit le diable qui emportoit l’âme du défunt. Regardez quelle vision de se préparer ainsi une farce après sa mort.

Il y a eu ici un certain fou qui alloit l’hiver sur le Pont- Neuf, avec un réchaud plein de feu, où il chauffoit toujours un fer comme ces fers de plombier, et, s’approchant des passants, il leur disoit : « Voulez-vous que je vous mette ce fer chaud dans le c.l  ? — Coquin !… — Monsieur, répliquoit-il naïvement, je ne force personne, je ne l’y mettrai pas, s’il ne vous plaît. » On rioit de cela, et puis il demandoit quelque chose pour du charbon.

Un homme perdant chez la Blondeau, qui tenoit académie à la Place-Royale, tout d’un coup descend en bas, et revient avec une échelle, l’appuie contre la tapisserie, et avec des ciseaux se met à couper le nez à une reine Esther qui y étoit en disant : « Mordieu ! il y a deux heures que ce chien de nez me porte malheur. » Un autre donna un écu à son laquais pour aller jurer cinq ou six bonnes fois pour lui.

Il y a eu un chevalier d’Andrieux qui, à trente ans, avoit tué en duel 72 hommes, comme il dit une fois à un brave contre qui il se battoit ; car l’autre lui ayant dit : « Chevalier, tu seras le dixième que j’aurai tué. — Et toi, dit- il, le soixante-douzième. » En effet, le chevalier le tua. Quelque fois il les faisoit renier Dieu, en leur promettant la vie, puis il les égorgeoit, et cela pour avoir le plaisir, disoit-il, de tuer l’âme et le corps. Un jour, il poursuivoit une fille pour la violer, c’étoit dans un château ; elle se jeta par la fenêtre et se tua. Il descend, et la trouvant encore chaude, il en fit son plaisir. Cela me fait souvenir d’un homme de Tours qui avoit une femme fort travaillée du mal de mère, et quand cela lui prenoit on couroit vite chercher le mari pour la soulager. Une fois on ne le trouva pas assez tôt ; elle étoit morte quand il arriva. « Hélas ! ma pauvre femme, dit- il, si faut-il que je te….. tandis que tu es encore chaude. » Et il fit comme le chevalier d’Andrieux. Ce galant homme étoit filou avec cela ; il eut la tête coupée.

Un jeune homme natif de Stockholm prit querelle, à Stockholm même, avec un trompette du prince Charles, aujourd’hui roi de Suède, et le tua. Le voilà en prison dans le château ; car, au nord, il y a toujours une prison dans le palais du prince. Il est condamné à mort. Ce garçon étoit accordé avec une jeune veuve ; elle le fut voir durant le terme qu’on donne aux condamnés pour dire adieu à leurs amis. Il lui dit que le seul regret qu’il avoit en mourant, c’étoit de ne l’avoir pas épousée ; mais que s’il pouvoit obtenir de la Reine et d’elle de l’épouser et de consommer le mariage, il mourroit content. Elle y consentit, et sur l’heure il présenta une requête aux juges, qui, après avoir fait faire une consultation par les théologiens, avec le consentement de la Reine lui permirent de se marier. La Reine eut la curiosité de voir quelle contenance auroient ces deux mariés en une action si extraordinaire, et, par une fenêtre qui répondoit dans la prison, elle se mit à les considérer, et trouva que ce garçon avoit un visage aussi gai que s’il n’eût point dû mourir. Pour lui, il reconnut la Reine à cette fenêtre, et lui fit tous les remerciements dont il put s’aviser, de la bonté qu’elle avoit eue de lui accorder ce qu’il avoit demandé. La Reine, touchée de sa constance, lui donne encore quatre jours, par- dessus les huit que la loi donne. Ce garçon consomma le mariage, et le terme de l’exécution approchoit quand les ambassadeurs de Moscovie, étant sur le point d’avoir leur audience de congé, furent priés de demander la grâce de ce jeune homme, ou bien la demandèrent d’eux-mêmes, en remontrant à la Reine que le prince, qui étoit jeune et galant, seroit ravi d’avoir sauvé la vie à un homme qui savoit si bien aimer ; que, sans doute, il reconnoîtroit cette faveur, et qu’il en témoigneroit ses ressentiments à sa Majesté. La Reine, qui avoit pitié de ce jeune homme, et qui n’osoit pourtant violer les lois, qui sont fort sévères contre les meurtriers, fut bien aise de pouvoir dire qu’en bonne politique elle ne pouvoit refuser cette faveur aux ambassadeurs de Moscovie. Elle leur accorda donc la grâce de ce jeune homme, et eux l’en remercièrent genoux, et en touchant du front la terre, qui est la plus grande marque de respect parmi eux.

Deux gentilshommes de Normandie, dont je n’ai pu savoir les noms, étoient ennemis mortels. L’un d’eux tomba malade, et se vit bientôt à l’extrémité ; l’autre, comme s’il eût cru qu’il y alloit de son honneur que cet homme mourût autrement que de sa main, se déguise en médecin, entre dans la chambre du malade (les valets crurent que c’étoit un médecin qu’on avoit mandé, ou qui devoit consulter avec le médecin ordinaire) ; cet homme donne diverses commissions aux gens du malade, et fait si bien qu’il demeure seul dans la chambre ; alors il s’approche du lit, et dit à son ennemi : « Me connois-tu bien  ? — Ah ! répondit l’autre, je te prie, laisse-moi mourir en paix. Non, répliqua le meurtrier, il faut mourir de ma main. » Et en disant cela, il lui donne cinq ou six coups de poignard, et le tue ; puis, il le couvre du drap, descend en bas, dit aux gens qu’ils eussent bien soin de faire ce qu’il avoit ordonné, que leur maître reposoit qu’on ne lui fît point de bruit, et qu’il se porteroit mieux. « Pour moi, ajouta t-il, je repasserai tantôt par ici. » Il monte à cheval et se sauve.

Un garçon de Paris, dont je n’ai pu savoir le nom, couchoit avec la femme de son voisin, et ayant été obligé d’aller au lieu d’honneur, par compagnie, il gagna du mal, et en donna après à cette femme, sans savoir qu’il en eut lui-même, comme cela arrive assez souvent. Elle s’en aperçut de bonne heure, et lui dit qu’il trouvât quelque invention pour en donner à garder au mari. Ce garçon convie quelques-uns de ses amis à dîner chez lui ; il invite aussi le mari de cette femme ; il v avoit fait trouver des mignonnes, et en avertit une qui étoit la plus jolie et la plus adroite, de faire toutes les choses imaginables pour obliger cet homme à la voir. Elle en vint à bout. Le soir, sa femme, qui avoit le mot, le caressa si bien qu’il fit le devoir conjugal. Il ne manqua pas de gagner le mal qu’elle avoit. Dès qu’elle s’en fut aperçue, elle lui fit un bruit du diable, et le pauvre mari confessa son délit, et lui demanda humblement pardon.

Pellot étoit un intendant de M. de Metz, aujourd’hui le duc de Verneuil. Ce garçon avoit du bien et de l esprit ; j’ai vu d’assez bons vers de sa façon. Il tomba dans une mélancolie qui lui fit haïr la vie. Il envoie quérir son médecin et lui demande sérieusement quel genre de mort lui sembloit le plus doux ; que, pour lui, il avoit dessein de sortir de la vie, et qu’il avoit pensé à se couper la gorge avec un rasoir. « Ne faites pas cela, dit le médecin ; quelquefois on ne se coupe pas la gorge qu’on croit se l’être coupée ; on guérit, mais on souffre beaucoup. — Si je me jetois d’un troisième étage sur le pavé  ? — J’en ai vu qui se sont estropiés seulement. Mais voici le plus sûr : je vous purgerai plusieurs fois, car il est aisé de feindre une maladie, et après, sous prétexte d’insomnie, je vous donnerai de l’opium ; vous mourrez en dormant. » L’intention de ce bon docteur étoit de le délivrer tout doucement de cette humeur mélancolique. Il le purge trois ou quatre fois avec succès ; le malade devenoit plus gai et ne se plaignoit plus que de ne point dormir ; notre médecin lui donna de l’opium croyant seulement lui donner du repos. Il le va voir, on lui dit : « Il dort. » Il y retourne. « Il dort encore. — Loue soit Dieu ! » À la troisième, trouvant qu’il avoit assez dormi, il voulut le réveiller, mais il n’étoit plus temps ; ce bon homme, sans y penser, tint mieux parole à son malade qu’il n’avoit cru.

La Vallière, dès l’âge de quatre ans, avoit une estampe du Roi, et disoit qu’elle vouloit être sa maîtresse. Ce fut elle qui eut l’adresse de se faire faire fille de Madame.