Histoires poétiques (éd. 1874)/Aux Poètes provençaux

Histoires poétiquesAlphonse Lemerre, éditeurvol. 3 (p. 233-236).
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Aux Poètes provençaux
À leur réunion du 21 août 1853


I

Sil me vient un appel de ma terre natale,
Soudain j’accours, pieux chanteur ;
Ainsi parmi vos rangs, convié, je m’installe,
En esprit du moins, et de cœur.

II

Oh ! quand l’Art réunit ses enfants magnanimes
Dans un synode harmonieux.
Avec des flots de vin coulent des flots de rimes :
On dirait un banquet des dieux.

III

Ici chantons d’abord LUI, la cause des causes ;
Puis les juges du Gai-Savoir,
Les Dames, l’Art enfin, qui mène aux grandes choses
Et les reflète en son miroir.


IV

Le rameau d’olivier couronnera vos têtes,
Moi, je n’ai que la lande en fleurs :
L’un, symbole élégant de la paix et des fêtes,
L’autre, symbole des douleurs.

V

Unissons-les, amis ! — Les fils qui nous vont suivre
De ces fleurs n’ornent plus leurs fronts ;
Aucun ne redira le son qui nous enivre.
Quand nous, fidèles, nous mourrons…

VI

Mais peut-elle mourir, la brise fraîche et douce ?
L’aquilon l’emporte en son vol.
Et puis elle revient légère sur la mousse :
Meurt-il, le chant du rossignol ?

VII

Non ! tu ranimeras l’idiome sonore,
Belle Provence, à son déclin ;
Sur ma tombe longtemps doit soupirer encore
La voix errante de Merlin.


VIII

Mères, tout en filant, apprenez à vos filles
Les mots antiques du pays ;
Dans les champs, sur les flots, prudents chefs de familles,
À ce miel nourrissez vos fils.

IX

La langue du pays, c’est la chaîne éternelle
Par qui sans effort tout se tient ;
Les choses de la vie, on les apprend par elle.
Par elle encore on s’en souvient.

X

Un mot dit en passant vous fait trouver un frère.
Joyeux on s’aborde en chemin :
« Vous êtes de mon bourg ! Vous connaissez ma mère ! »
Et la main vient serrer la main.

XI

Nature, oh ! quels accords sous tes bois, sur tes plages,
Pour célébrer le Roi du ciel !
L’homme aussi doit avoir mille et mille langages
Dans le concert universel. —


XII

Sur ce thème mes vers sans fin voudraient édore,
Mais aux savants rimeurs leurs tours :
Assez qu’ils aient admis sur la terre de Laure
Le barde prés des troubadours.


Paris.