CHAP. XL.

Cerbère (1).

On dit que Cerbère était un chien qui avait trois têtes. Mais il est clair qu’il fut appelé chien-à-trois têtes, parce qu’il était de la ville des Trois-têtes (Tricarénie) comme Géryon (2). « Il est beau et grand, disait-on, le chien-à-trois-têtes (ou des Trois-têtes). » On raconte aussi qu’Hercule emmena ce chien des enfers ; voici ce qui en est : Géryon se servait, pour la garde de ses troupeaux de bœufs, de grands et vigoureux chiens, dont l’un s’appelait Cerbère et l’autre Orthros (3). Hercule, avant d’enlever les bœufs, tua Orthros, dans la ville des Trois-têtes, et Cerbère suivit le troupeau. Un homme de Mycènes, nommé Molosse, ayant une grande envie de posséder ce chien, pria d’abord Eurysthée de le lui donner : en ayant éprouvé un refus, il séduisit les bouviers, qui renfermèrent le chien dans une caverne de la Laconie auprès du Ténare (4), et lui amenaient des chiennes pour l’y retenir. Eurysthée envoya Hercule à la recherche du chien. Hercule parcourut tout le Péloponèse, arriva enfin dans un lieu où on lui indiqua la retraite de Cerbère, descendit dans la caverne et en retira le chien. C’est de là que l’on dit qu’Hercule était descendu aux enfers et qu’il en avait retiré Cerbère (5).

(1) Les plus anciens poètes admettent cette fable. Homère y fait allusion, au VIIIe liv. de l’Iliade, où Minerve, en voyant les Grecs près de succomber et abandonnés par Jupiter, regrette la protection qu’elle a jadis accordée à Hercule lorsqu’il fut envoyé aux enfers, pour retirer de l’Érèbe, le chien du redoutable Pluton (v. 366-369) ; Hésiode la mentionne aussi dans sa théogonie (v. 311 et suivants).

Il en est des têtes de Cerbère comme de celles de l’Hydre, sur le nombre desquelles il y a beaucoup de divergence chez les anciens poètes et Mythographes : Horace qui paraît avoir suivi Pindare lui donne cent têtes et l’appelle Bellua Centiceps (lib. II, ode 13, v. 34) Tzetzès sur Lycophron (cité par Muncker dans les Mythographes latins) s’accorde avec Pindare et Horace ; Hésiode (Théogonie v. 312) lui attribue cinquante têtes ; Hermésianax (fragment du poème de Léonce, v. 12, p. 122 de l’édit. de Bach. ilale 1829, in-8o), Virgile (Georg. liv. IV, v. 483, et Énéide liv. VI, v. 417 et 421), Ovide (Héroïd. IX, v. 91-93), Apollodore (liv. II, chap. V, § 12, p. 87), Hyginus (fable 101, p. 262 des Mythographes latins de Van Staveren) et Fulgence (p. 660, ibid.) s’accordent avec Paléphate pour ne lui donner que trois têtes.

(2) V. le chap. XXV ci-dessus et les notes.

(3) V. Apollodore cité dans la note 1re du chap. XXV.

(4) D’après Apollodore (liv. II, chap. V, p. 87) le Tenare, promontoire de la Laconie, était considéré comme l’entrée de la descente aux enfers. Diodore de Sicile (au liv. XIV, chap. 31, p. 89, tom. 6 de l’édition de Deux-Ponts) venant à parler de la presqu’île de l’Achéron, dit que c’est par là qu’on prétendait qu’Hercule était descendu aux enfers. Le Scholiaste d’Apollonius de Rhodes (sur le v. 729 du liv. II des Argon. p. 502, tom. 2, édit. de Schaëfer) s’accorde avec Diodore ; mais, dans une autre scholie (sur le v. 101 du même chant, p. 22 ibid.), il dit que c’est par le Ténare que Pirithous et Thésée descendirent aux enfers. Pausanias (lib. II, cap. XXXI, § 2, p. 296, vol. 1 Facii) cite une tradition d’après laquelle Cerbère aurait été tiré des enfers près de Trézènes.

(5) Héraclite (fable 21, p. 76 des Opuscula Mythologica. de Thomas Gale) se borne à rappeler pour expliquer cette fable, que les anciens disaient, de ceux qui revenaient d’un long voyage, qu’ils avaient été aux enfers. L’anonyme, dont les Histoires Incroyables ont été recueillies par Gale à la suite de celles de Paléphate et d’Héraclite, en donne une autre explication : selon lui Cerbère, fils d’Aïdonée, était roi des Thesprotiens ; des brigands l’ayant enlevé et caché dans une caverne obscure, Hercule l’en retira et le remit entre les mains d’Eurysthée (Anonymi fab. 6, p. 87, Opusc. Mythol.) V. aussi la fable 33 d’Héraclite.