Histoire universelle/Tome IV/V

Société de l’Histoire universelle (Tome IVp. 54-63).

LE NOUVEAU MONDE

Novus mundus : expression employée pour la première fois, semble-t-il, dans une lettre de l’explorateur Vespucci publiée en 1507 et dont lui-même ne pouvait mesurer la portée. Car non seulement Christophe Colomb et ses imitateurs n’avaient point eu l’ambition de découvrir un monde nouveau mais, l’ayant découvert, ils ne s’en étaient pas doutés. Depuis près d’un siècle on s’entraînait dans les milieux cultivés à regarder vers l’ouest pour y chercher non la route de l’Asie mais l’Asie elle-même. Qu’il y eût des terres d’accès possible dans cette direction, c’était une donnée tenue pour acquise tant en Islande qu’en Portugal. De vieilles légendes circulaient concernant une île nommée Brazil et d’autres auxquelles on donnait le nom basque de Bacalaos (morues). La reconnaissance successive des Canaries, des Açores, des îles du Cap Vert avait renforcé ces idées. Vers 1474 le florentin Toscanelli déclara péremptoirement que, la terre étant ronde, la péninsule ibérique avait en face d’elle de l’autre côté de l’océan le grand royaume appelé Chine et le richissime Cipangu (Japon). Dans le même temps, Christophe Colomb fils d’un modeste tisserand de Gênes se trouvait à Lisbonne où la passion de la géographie et de la navigation l’avait conduit. Il n’y avait pas si longtemps qu’Henri « le navigateur » était mort. Or ce prince, par ses initiatives heureuses, avait suscité en Europe occidentale un courant d’activité où se mêlaient l’esprit scientifique et la passion des aventures. Vers 1477 Christophe Colomb réussit à faire un voyage à l’archipel Ferœ ; sans doute visita-t-il l’Islande et il dut y recueillir quelques précisions concernant les exploits des anciens vikings et leurs découvertes. L’appui qui lui était marchandé à Lisbonne, il le trouva enfin en Espagne. Après maintes péripéties, Ferdinand et Isabelle consentirent à l’aider malgré qu’il exigeât d’eux des engagements singuliers. Il prétendait recevoir la promesse d’une vice-royauté héréditaire sur les terres qu’il viendrait à découvrir ainsi que le droit de prélever à son bénéfice une dîme sur les richesses produites par les dites terres. Des armateurs de Palos avisés et enthousiastes complétèrent les subsides versés par le trésor royal et c’est de ce petit port que, le 3 août 1492, cinglèrent vers le large les trois caravelles montées par une centaine d’hommes, dont le sillage allait ouvrir à l’univers de nouveaux destins. Après une relâche forcée aux Canaries et trente trois jours d’une monotone traversée, les explorateurs parvinrent aux îles Bahamas d’où leur chef gagna Cuba puis St-Domingue, de plus en plus surpris de ne rencontrer que des populations à demi sauvages vivant dans de pauvres huttes au lieu des palais qu’il s’était attendu à trouver — encore plus déçu peut-être de ne point apercevoir l’or à fleur de sol. Cette dernière déception pesait amèrement sur ses compagnons parmi lesquels s’était enracinée la vision d’un « Eldorado » dont, on ne sait pourquoi, la légende courait en Europe. L’or existait bien mais peu abondant et d’extraction difficile. On voulut obliger les indigènes à travailler aux mines. Ils résistèrent. Les nouveau-venus aigris les maltraitèrent cruellement. Pendant ce temps l’Espagne, charmée de voir ses horizons soudainement agrandis et des possessions nouvelles s’ajouter à son domaine territorial, envoyait des convois portant des gouverneurs, des juges, des moines convertisseurs : tout l’attirail d’une conquête organisée et d’un établissement définitif. Ces fonctionnaires débarquèrent en plein désordre, parmi des populations rendues tout de suite hostiles par les mauvais traitements, dans des colonies encore informes et dont les fondateurs déjà se battaient entre eux.

L’exploration avait repris intensive. On cherchait partout l’introuvable Asie. Christophe Colomb visita ainsi la Guadeloupe, Porto Rico[1] puis longea les rivages de la Colombie et ceux du Honduras. D’autres parmi lesquels Vespucci descendirent vers le sud le long des côtes vénézuéliennes. L’embouchure de l’Orénoque dont les eaux douces étaient projetées jusqu’à trois lieues en mer indiquait bien une terre continentale mais tous ces parages n’étaient habités que par de misérables tribus Peu à peu on reconnut l’embouchure de l’Amazone, celle du rio de la Plata, la baie de Rio de Janeiro. Ponce de Léon aborda en Floride, Balboa traversa l’isthme de Panama et aperçut l’océan Pacifique dans les flots duquel il pénétra tout armé pour en prendre possession au nom du roi d’Espagne. Quelques-uns commencèrent à douter que les terres découvertes fussent asiatiques. Christophe Colomb, délaissé et ruiné, était mort en 1506 sans connaître la vérité à cet égard. Vespucci, six ans plus tard, avait disparu à son tour sans en savoir beaucoup plus.

Les tentatives faites au nord n’avaient pas mieux abouti. Des explorateurs commissionnés par le roi d’Angleterre avaient abordé sans doute dans l’île du Cap-breton et peut-être pénétré dans la baie d’Hudson puis s’étaient découragés, renonçant à renouveler l’entreprise. Aux Antilles les colons férocement avides se vengeaient sur les indigènes de leurs déconvenues. L’administration hésitait entre des principes contradictoires. Les indigènes « avaient-ils une âme, une demi-âme ou point d’âme du tout » Les choses en étaient là lorsque le gouverneur de l’île de Cuba dont on avait fait la conquête en 1511 ayant ouï parler d’un vaste empire situé au delà de la presqu’île du Yucatan décida d’armer une expédition dont il confia le commandement à Fernand Cortez. Celui-ci ayant contourné le Yucatan, prit terre sur le site de la ville de Vera Cruz dont il posa les fondements et c’est de là qu’après avoir échangé des messages avec le souverain aztèque Montézuma, il se mit en marche vers Mexico le 16 août 1519. Cette même année Magellan partait avec cinq petits navires pour son illustre croisière. Il allait avec mille peines trouver le passage qui porte son nom[2] et bientôt on saurait en Europe qu’un vaste continent se dressait sur la route de l’Asie dont le séparait un océan d’une immense étendue. Cette fois c’était bien un « nouveau monde »… Qu’était-il ?

Rien n’y était nouveau : ni la terre ni les hommes. Le sol, de formation géologique ancienne, se divisait en deux masses continentales de figure triangulaire posées l’une au dessus de l’autre : celle du sud en retrait vers l’est par rapport à celle du nord. Un ruban de terres contournées les liait entre elles. D’un bout à l’autre — de la terre de Feu à l’Alaska — un gigantesque plissement montagneux côtoyait, ininterrompu, le rivage occidental tandis que la partie orientale, à l’exception de deux chaînes isolées — les Alleghanys dans l’hémisphère nord, la sierra de Mar dans l’hémisphère sud — se trouvait partagée entre forêts immenses et plaines interminables. Un système hydrographique d’une grandiose simplicité parachevait la symétrie, le Magdalena, l’Orénoque, l’Amazone, le Parana… faisant pendant au Yukon, au Mackenzie, au Saint-Laurent et au Mississipi.

L’échelonage des populations ne présentait pas moins de particularités. D’une façon générale l’est américain était plongé dans la barbarie. C’est vers l’océan Pacifique que fleurissait la civilisation. Cela est exact de l’Amérique du nord demeurée très retardataire puisqu’à l’époque des voyages de Colomb, elle était encore quasi néolithique et que dans la région du Colorado seulement, les indigènes commençaient à se servir de briques crues pour édifier leurs pueblos rudimentaires ; cela est bien plus exact de l’Amérique du sud où, en regard des peuplades sauvages qui parcouraient les forêts brésiliennes ou les pampas argentines subsistaient sur les hauts plateaux des Andes de puissants empires organisés et armés. Enfin dans l’Amérique centrale, tandis qu’au Guatémala et au Mexique s’était développée une remarquable prospérité, les plus belles îles des Antilles — ces îles dont Colomb émerveillé avait écrit « qu’on y voudrait vivre à jamais car on n’y conçoit ni la douleur ni la mort » — étaient aux mains d’hommes aussi peu avancés intellectuellement que matériellement.

Trois foyers brillaient : les Mayas et les Aztèques au Mexique, puis les Chibchas ayant leur centre sur le plateau de Bogota, enfin l’empire des Incas qui englobait autour de Cuzco, sa capitale, les régions correspondant à peu près à l’Équateur, au Pérou et à la Bolivie modernes. Entre Tucuman et Mendoza d’une part, vers le Honduras et le Nicaragua de l’autre, vivaient des peuplades qui sans être parvenues au même degré de culture tendaient à s’en approcher. Ce qui concerne le passé de ces États nous est encore mal connu. On croit savoir que vers le vime siècle de l’ère chrétienne, les grandes cités mayas de la région guatémalienne, Palenque, Tikal, Copan déchurent après une période de splendeur et qu’une migration se produisit. Ayant franchi les forêts épaisses qui séparent le Guatémala du Yucatan et qui sont encore à peine explorées, les Mayas s’établirent dans cette vaste et sèche presqu’île. Alors furent fondées Chichen Itza, Uxmal, Mayapan cités prestigieuses dont les ruines recouvrent des espaces considérables. Plus tard les Mayas auraient été subjugués par des Aztèques qui auraient fait de Chichen Itza une ville sainte dont la renommée se serait prolongée jusqu’au milieu du xvme siècle, En ce temps Tenochtitlan (la future Mexico) devait être vieille de deux siècles à peine. Il y avait là des sortes de confédérations urbaines rappelant celles du premier âge romain — et des démocraties militaires dont les chefs paraissent s’être mués peu à peu en souverains sans que cette souveraineté revêtit le caractère théocratique de la monarchie des Incas et que les chefs en fussent divinisés comme ce fut le cas au Pérou.

Ces civilisations reposaient sur un extraordinaire mélange de connaissances approfondies et d’ignorances fondamentales. Elles furent entravées par deux défectuosités essentielles provenant l’une de la nature, l’autre de l’homme. La nature ne fournissait point d’animaux de trait ni d’animaux laitiers. L’homme, de son côté, ne sut pas découvrir la roue c’est-à-dire le principe de toute mécanique efficace. Les transports, dès lors, étaient condamnés à demeurer embryonnaires. Mais en dehors de ces faits précis, d’autres caractéristiques se révèlent auxquelles l’esprit s’attache avidement car elles sont propres sinon à élucider un grand mystère, du moins à jalonner de quelques lueurs nos recherches scientifiques. Tout ce que nous apprennent ces recherches, conduites jusqu’ici de façon opiniâtre bien que trop intermittente, évoque d’étranges sociétés totalement isolées du reste de l’univers, isolées même les unes des autres et ne se développant point selon les lois qui régirent les groupements asiatiques ou européens. Elles établirent des chronologies remarquables, possédèrent des connaissances astronomiques surprenantes, se montrèrent capables d’art, de poésie et d’une industrie raffinée. Mais il semble qu’en toutes choses, dans l’architecture des monuments, dans les complications de la vie civile, dans les singularités cruelles des rites religieux, on sente la pesanteur de traditions lointaines dont ces hommes auraient été les gardiens solitaires et inconscients, courbés par elles sous le joug d’une tyrannie millénaire Alors, du fond des mers et des âges surgit le fantôme de l’Atlantide.

Niée avec une passion dont on s’explique mal la violence, l’existence géographique de l’Atlantide est aujourd’hui bien près d’être établie. Depuis qu’ont été repérées les particularités du paysage sous-marin de cette partie de l’océan, depuis que, ramené à la surface des profondeurs de l’abîme, un fragment de lave a été reconnu comme étant de la lave condensée à l’air libre, il semble acquis que les Bermudes, les Açores, les Canaries, les îles du Cap Vert constituent les vestiges d’un continent englouti qui, aux temps anciens, s’étendit du Maroc et du Portugal à la mer des Antilles et disparut probablement par effondrements successifs. Il est à remarquer que les traditions catastrophiques dont l’écho attardé survit parmi les peuples riverains de l’océan s’accordent à évoquer, sur les côtes américaines, la destruction par le feu et sur les côtes opposées la destruction par l’eau ; éruptions volcaniques d’un côté, raz de marée de l’autre. Dans les deux cas d’ailleurs, l’évocation est terrifiante. Il s’agit d’un cataclysme tel que l’humanité n’en revit jamais de pareil. Rappelons nous maintenant la légende des Atlantes recueillie et transmise par Platon. Nous ne possédons jusqu’à présent aucun moyen d’en contrôler les fondements. Mais il suffit d’un regard sur la carte pour apercevoir dans quelles directions les habitants de la terre décrite par le philosophe grec auraient pu essaimer en cas de disette ou d’excédent de population — et fuir devant la menace d’un bouleversement cosmique (car un tel événement ne se produit pas à l’improviste sans avertissements préalables). L’exode n’a pu s’accomplir que vers les terres mexicaines et les Andes d’une part et, de l’autre, vers les rivages africains.

Le problème prendrait une acuité passionnante du jour où les premières similitudes révélées par les recherches archéologiques faites en Égypte et en Amérique viendraient à être confirmées. Pyramides, allées d’obélisques, portes en trapèze, usage des hiéroglyphes, orientation des monuments, caste sacerdotale, culte solaire… il y a là une série de rapprochements déjà difficiles à mettre sur le compte du seul hasard[3]. Quoi qu’il en soit et pour nous en tenir à ce qui concerne l’Amérique, il est peu probable qu’on repère jamais les traces d’une hérédité ethnique rattachant aux Atlantes les sujets des empires mexicain et péruvien du temps de la conquête espagnole. Eux-mêmes se tenaient pour des nouveau-venus. « Il n’y a qu’un petit nombre de siècles que nos ancêtres sont sortis des contrées du nord » disait Montézuma à Cortez. Mais qu’ils aient recueilli des derniers survivants de colonies atlantes les secrets d’une antique civilisation et se les soient transmis sur place dans les conditions d’isolement imposées par une situation géographique très spéciale, cela n’aurait rien d’extraordinaire. Resterait à déterminer leur propre origine sans doute asiatique. Qu’ils soient venus par le détroit de Behring ou les îles Aléoutiennes ou les archipels polynésiens, les représentants de la race « rouge » semblent des « jaunes » transplantés et dont certains groupes se seraient lentement affinés au contact de résidus d’une humanité supérieure tandis que la grande masse aurait été maintenue par la force des circonstances dans les longues stagnations de la vie sauvage.

La conquête du Mexique fut menée par Fernand Cortez avec une rapidité déconcertante. Sept cents hommes, dix-huit chevaux, quatorze pièces de canon y suffirent. Il faut ajouter l’énergie du chef appuyée malheureusement d’une cruauté inutile. De pareils exploits enfiévraient les imaginations. Un pacte se noua entre trois aventuriers : François Pizarre ex-gardien de pourceaux, Diego d’Almagro enfant trouvé, et le dominicain Fernand de Luque maître d’école à Panama décidèrent de faire à eux trois la conquête du Pérou. Ils réunirent quelques deux cent cinquante hommes dont une soixantaine de cavaliers. Et le 15 novembre 1533, Pizarre entrait dans Cuzco les mains déjà souillées, hélas ! par de nombreux crimes. Dix-huit mois plus tard était fondée la ville de Lima tandis que bien loin de là, de l’autre côté du continent gigantesque, Mendoza campait sur le lieu où s’élèverait Buenos Ayres. Les explorations audacieuses se multipliaient. Benalcazar fondait Guayaquil et traversait le territoire de la Colombie actuelle. Quesada remontait le Magdalena et franchissait les Andes. Le Napo et l’Amazone, l’Orénoque jusqu’au Meta, le haut Pérou jusqu’au Gran Chaco étaient explorés. Assuncion était fondée puis Bogota (1538) La Paz, Santiago de Chili (1541) et bientôt Caracas et Rio de Janeiro. Ainsi il n’y avait pas cinquante ans que l’existence de ces régions avait été révélée aux européens et des dix capitales actuelles des États sud-américains, il en existait neuf : non point posées toutes au bord de la mer sur des ports naturels mais à mille kilomètres dans l’intérieur comme Assucion ou bien à quatre mille mètres d’altitude comme La Paz. Des monts, des fleuves, des forêts de dimensions terrifiantes avaient commencé de livrer leurs secrets, des espaces dans lesquels s’enfermeraient deux Europes avaient été parcourus. Pourquoi fallait-il qu’une si noble épopée, tout à la gloire de l’Espagne laissât derrière elle une pareille traînée de sang et de misères ! C’est qu’elle était écrite par des hommes qu’animait « un furieux besoin de s’enrichir » ; l’or par sa seule présence les affolait tant ils s’étaient par avance grisés du désir qu’ils en avaient. Non moins regrettables furent les destructions auxquelles ils se livrèrent par fanatisme et zèle iconoclaste. À jamais perdues pour la science d’inestimables sources de connaissances ont disparu sous les ruines de Tenochtitlan[4] et de Cuzco.

En regard de ces tragédies somptueuses, bien pauvres et incolores apparaissent en ce temps-là les annales de la partie septentrionale du nouveau monde. Les diverses tribus « peaux-rouges » s’en partageaient l’immensité. Au moment où, par une fantaisie du sort, le nouveau monde lui-même allait recevoir la dénomination d’Amérique du nom d’un homme qui ne l’avait point découvert, ces tribus s’en voyaient définitivement attribuer une qui consacrait l’erreur de Colomb croyant avoir abordé aux Indes orientales. Ce terme d’Indiens s’est imposé par un long usage ; il n’est permis de s’en servir qu’après en avoir signalé l’absurdité. Plutôt que de classer les Indiens de l’Amérique du nord d’après leurs dialectes, en groupes discutables, mieux vaut les diviser selon le rôle qui allait leur être dévolu en face de la colonisation blanche. On distingue alors : les Pueblos répandus principalement dans l’Arizona et les États voisins et qui s’effritèrent rapidement au contact de l’étranger — les Indiens de Floride, Seminoles, Cherokees, Choctaws, Cricqs[5]… qui occupaient la région s’étendant du golfe du Mexique au Tennessee et alternaient volontiers la vie nomade et la vie sédentaire — les Dakotas qui demeurèrent jusqu’au bout cruels et intraitables — enfin les Indiens de l’est, deux cent mille environ, formés en deux confédérations rivales, celle des Algonquins et celle des Iroquois. De 1500 à 1600 la puissance des Algonquins fut considérable : les Iroquois étaient comme encerclés par eux. Puis leur astre décrut. Les deux groupes devenus à peu près d’égale force allaient trouver dans le duel anglo-français des xviime et xviiime siècles l’occasion de s’affronter pour le plus grand dommage de leurs intérêts communs.

Au début du xviime siècle, le « péril blanc » n’était encore de nature à alarmer personne. Les Espagnols avaient fondé en Floride de modestes établissements. Des huguenots français inspirés par l’amiral de Coligny avaient de 1562 à 1565, tenté de s’installer au nord de la Floride, baptisant leur colonie naissante Caroline en l’honneur du roi Charles IX. Mais les Espagnols surexcités par ce voisinage hérétique les avaient massacrés[6]. Dans ces mêmes parages, au temps de la reine Élisabeth, Walter Raleigh s’était efforcé de créer des plantations (1584). Il en avait rapporté la connaissance du tabac et l’habitude de le fumer. Postés à l’embouchure de l’Hudson, quelques Hollandais tentaient le commerce des pelleteries. Ainsi naquit New Amsterdam qui devait devenir New-York. Au Canada la pénétration était plus avancée. Le premier établissement français y datait de 1518 ; en 1535 parti de Saint-Malo, Jacques Cartier avait remonté le Saint-Laurent jusqu’au lieu où s’élève aujourd’hui Montréal. Peu après un autre établissement avait pris naissance au Cap-breton. Champlain ayant en 1603 accompli un premier voyage outre-mer, allait deux ans plus tard fonder Port-royal en Acadie, puis Québec (1608) et poussant plus loin, découvrir bientôt les lacs Huron, Michigan et Supérieur. La formation de la « compagnie de la Nouvelle France» entre gens de Saint-Malo, de Rouen et de la Rochelle s’en suivit. Cinq ans plus tard, le 22 décembre 1620, date à jamais mémorable, les cent deux « pélerins » du May-flower débarqueraient sur la côte du Massachussets apportant dans leurs consciences le germe d’un nouvel idéal.

Le « nouveau monde » pénétra de la sorte, par l’effort dominant de l’Espagne, de la France et de l’Angleterre dans le sein de la vie universelle.

  1. Nous utilisons bien entendu les noms actuels. Ce ne sont pas toujours les premiers donnés. Ainsi Colomb avait commencé par baptiser St-Domingue : Espanola. Le Pérou et le Chili dont les noms indigènes prévalurent s’appelèrent d’abord Nouvelle Tolède et Nouvelle Castille.
  2. Magellan ayant traversé tout l’océan Pacifique aborda en 1521 aux Philippines. Il y fut tué par des indigènes. Un des navires de son escadrille parvint jusqu’au cap de Bonne-espérance et rallia Lisbonne en 1522. Les dix-huit hommes qu’il portait avaient ainsi accompli le premier tour du monde.
  3. Il a été reconnu que la métallurgie du cuivre avait été apportée en Égypte par des étrangers qui adoraient le soleil. Hérodote parle d’Atlantes de l’Atlas marocain ayant le même culte. Peut-être la solution atlante aiderait-elle à dégager, chemin faisant, certaines inconnues méditerranéennes ; Berbères, Basques, Ligures, Étrusques, Crétois sont des peuples dont le passé demeure quelque peu énigmatique.
  4. La description de cette ville telle qu’elle figure dans une lettre de Fernand Cortez à l’empereur Charles-Quint, datée du 30 octobre 1520 est à rapprocher du récit de Platon concernant la capitale de l’Atlantide encore qu’on n’en puisse bien entendu rien inférer de décisif. Les chroniqueurs se sont souvent demandé ce qu’il fallait penser des descriptions enthousiastes des conquérants espagnols. Il y a lieu de les croire sincères mais non absolument véridiques. Les séductions de la nature, l’aspect prestigieux des grandes cités américaines et de l’ordre qui y régnait durent émouvoir fortement des hommes récemment échappés aux angoisses et aux privations de pénibles et longs voyages. Mais surtout le reflet de l’or qu’ils voyaient en abondance les éblouit et magnifia toutes choses à leurs yeux.
  5. Leur destin fut différent. C’est ainsi que la résistance armée des Seminoles se prolongea jusqu’en 1840. Ils n’étaient plus que quelques milliers. Les Cherokees au contraire se civilisèrent. À la fin du xixme siècle, il en restait environ vingt-trois mille dont les trois quarts parlaient l’anglais et plus de la moitié savaient lire. Ils possédaient une soixantaine d’églises et soixante-quinze écoles.
  6. Ils furent vengés. L’initiative privée s’en chargea. Un gentilhomme de Mont-de-Marsan prit l’affaire à son compte, embarqua à Bordeaux deux cents compagnons, se rendit en Floride, massacra quatre cents Espagnols et s’en revint satisfait.