Histoire socialiste/Thermidor et Directoire/07

Chapitre VI.

Histoire socialiste
Thermidor & Directoire (1794-1799)
Chapitre VII.

Chapitre VIII.


CHAPITRE VII

LES ÉMEUTES DE LA FAIM. — LE 1er PRAIRIAL AN III.

(nivôse à fructidor an III-janvier à août 1795.)

Loin de n’être que momentanée, comme certains l’avaient naïvement espéré de l’abrogation des lois du maximum, la cherté persista, en s’aggravant, au contraire, durant un hiver exceptionnellement rigoureux : du 5 nivôse (25 décembre) au 10 pluviôse (29 janvier) la Seine était prise. De plus, le 30 nivôse (19 janvier), conformément à l’arrêté mentionné à la fin du chapitre iii, les ateliers d’armes étaient fermés et, le lendemain, commençait un cruel chômage pour une quantité d’ouvriers dépourvus de ressources. Avec la misère, augmentaient le mécontentement et l’agitation. Sans tarder, les députés se basant sur le renchérissement des vivres, portaient, dès le 23 nivôse (12 janvier), leur indemnité quotidienne de 18 à 36 livres. Comme l’a écrit Levasseur (de la Sarthe) dans ses Mémoires (t. IV, p. 71) : « Au lieu de prendre une mesure générale et salutaire, ils rendirent, en leur faveur seulement, un décret mesquin ». Levasseur et Duhem (Ibid ;. 71) parlèrent contre la proposition et le dernier dit avec juste raison : « Lorsqu’il s’agit d’augmentation, nous ne devons parler de nous qu’en dernier lieu » (Id. p. 76 et Moniteur). En effet, des mesures de ce genre, même justifiées matériellement mais indécentes pendant certaines crises, sont toujours impolitiques prises à part et ne devraient découler que d’une réforme générale dans laquelle tous les petits traitements auraient d’abord trouvé leur compte.

On voyait les traiteurs, les pâtissiers « mieux fournis que jamais » (rapport de police du 12 germinal-1er avril), le gaspillage des farines organisé, peut-on dire, comme si on avait voulu en préparer la disette ; d’après

FOUQUIER-TINVILLE JUGÉ PAR LE TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE.
le 12 Floréal An 3e de la République.
(D’après une estampe de la Bibliothèque Nationale.)
Robert Lindet, « au lieu de seize à seize cent cinquante sacs qui auraient été plus que suffisants pour la consommation de Paris, les distributions ont été portées au delà de 2 000 sacs » de 159 kilos (Montier, Robert Lindet, p. 406). Des magasins regorgeaient de primeurs, l’étalage au concert Feydeau des diamants et des parures éclipsait les souvenirs de l’ancienne cour (recueil d’Aulard, t. Ier, p. 492). Dans la classe ouvrière, pour avoir chance d’obtenir sa ration de pain, il fallait passer la nuit à faire queue devant la porte des boulangers -, ceux-ci, par suite de l’incurie, tout au moins, de l’agence chargée des approvisionnements de Paris, ne recevaient pas assez de farine, la recevaient trop tard, fournissaient un pain de mauvaise qualité et ne pouvaient satisfaire tout le monde (rapport de police du 27 ventôse et du 6 germinal-17 et 26 mars notamment). Afin d’atténuer la diminution du pain, on distribuait du riz ; mais les pauvres n’avaient ni bois ni charbon pour le cuire. Le 27 ventôse (17 mars), des citoyens des sections du Finistère (quartier des Gobelins) et de l’Observatoire, que des femmes, encore plus excitées que les hommes, encourageaient, vinrent à la barre de la Convention réclamer du pain sur un ton que ceux qui avaient bien mangé estimèrent peu mesuré. « Les subsistances, dit le président, Thibaudeau, ne sont que le prétexte de l’agitation. »

C’était faux, les rapports de police, par exemple celui du 9 germinal-29 mars (Id, p. 612), le démontrent irréfutablement ; ils constatent que l’agitation croissait ou diminuait suivant que la distribution du pain était plus ou moins restreinte. Mais ce qui était vrai, c’est que les partis politiques cherchaient à utiliser cette agitation qu’ils ne créaient pas. Tandis qu’à la fin de ventôse (rapport de police du 30-20 mars) certains écrivaient sur les murs : Point de roi, point de pain ! ou Vive le Roi ! couraient dans les groupes cherchant « à imprimer au peuple le regret de l’ancien régime et à lui faire perdre patience » (rapport du 10 ventôse-28 février), et approuvaient ouvertement la diminution de la ration individuelle dans l’espoir d’une recrudescence du mécontentement et de la possibilité de s’en servir pour leurs desseins (recueil d’Aulard, t. Ier, p. 566 et 584) ; d’autres entamaient une campagne d’affiches pour pousser la population à réclamer la Constitution de 1793 et du pain ! C’était surtout vers ceux-ci qu’allaient les sympathies populaires malgré les mamours que les muscadins faisaient aux ouvriers. Aussi le gouvernement thermidorien, imité en cela par tous les gouvernements réactionnaires qui l’ont suivi, s’efforça tout de suite de déplacer les responsabilités et d’attribuer aux manœuvres de « meneurs » les résultats de ses propres fautes ; au lieu de travailler à réparer celles-ci, cause première du désordre, il ne songea qu’à organiser la répression de leurs conséquences logiques. Dès la fin de ventôse (rapport de police du 26-16 mars), on signalait des mouvements de troupes et, le 1er germinal (21 mars), fut votée une loi frappant de peines sévères les attentats contre les personnes, les propriétés, la représentation nationale et — lâche hypocrisie — la Constitution de 1793.

Ce même jour, une députation des sections des Quinze-Vingts et de Montreuil était venue réclamer formellement la mise en vigueur de cette Constitution. N’obtenant sur ce point, comme au sujet des subsistances, que des paroles menteuses, les rassemblements populaires continuaient et le rapport de police du 6 germinal (26 mars) signale des marques de désespoir auxquelles succédaient des menaces. Les muscadins s’étaient mis depuis quelque temps à faire en amateurs l’œuvre de la police et à dissiper les groupes ; la population devenant moins tolérante leur infligea quelques bonnes corrections. Ce qui se passait n’était pas de nature à la calmer. La portion de pain distribuée à prix réduit aux nécessiteux sur la présentation de cartes délivrées par les comités civils de leurs sections, était abaissée, à partir du 8 ventôse (26 février), à une livre et demie par tête ; le 27 ventôse (17 mars), on n’avait plus qu’une livre et, le 10 germinal (30 mars), une demi-livre avec six onces de riz. Et encore tous ceux qui avaient droit à ces misérables portions, ne parvenaient pas à les obtenir ; « des citoyens n’ont pas eu de pain depuis trois jours », dit le rapport de police du 13 germinal (2 avril) sur la journée de la veille. Aussi petit à petit les esprits s’échauffaient et l’exaspération allait remporter.

Le 7 germinal (27 mars), tumulte dans divers quartiers et députation de femmes venant se plaindre à la Convention. Le 11 (31 mars), rassemblement qui força les portes de l’assemblée et nouvelle députation de la section des Quinze-Vingts dont l’orateur résuma ainsi les sentiments de la population ouvrière parisienne : « Le 9 thermidor devait sauver le peuple, et le peuple est victime de toutes les manœuvres. On nous avait promis que la suppression du maximum ramènerait l’abondance, et la disette est au comble. Les incarcérations continuent. Le peuple veut enfin être libre ; il sait que, quand il est opprimé, l’insurrection est un de ses devoirs, suivant un des articles de la Déclaration des Droits. Pourquoi Paris est-il sans municipalité ? Pourquoi les sociétés populaires sont-elles fermées ? Où sont nos moissons ? Pourquoi les assignats sont-ils tous les jours plus avilis ? Pourquoi les fanatiques et la jeunesse du Palais-Royal peuvent-ils seuls s’assembler ? Nous demandons, si la justice n’est pas un vain mot, la punition ou la mise en liberté des détenus. Nous demandons qu’on emploie tous les moyens de subvenir à l’affreuse misère du peuple, de lui rendre ses droits, de mettre promptement en activité la Constitution démocratique de 1793. Nous sommes debout pour soutenir la République et la liberté. » Il fut donné lecture de plusieurs pétitions dans le même sens.

Le lendemain matin (12 germinal-1er avril) un grand nombre de boulangers n’accordaient qu’un quarteron de pain à chaque personne. Des femmes forcèrent un poste pour s’emparer d’un tambour, battre le rappel et amener les citoyens à la Convention. L’assemblée était en séance. Une masse d’hommes, de femmes, d’enfants, firent irruption dans la salle et l’envahirent en criant : Du pain ; sur de nombreuses coiffures on lisait : Constitution de 1793. L’orateur populaire Vaneck, de la section de la Cité, prit la parole ; il protesta contre l’incarcération des patriotes, contre les manœuvres des agioteurs organisant la dépréciation des assignats et la famine, et contre l’impunité dont jouissaient les « messieurs à bâton ». La foule entrait toujours ; une partie de la droite s’était enfuie, la gauche déserta moralement : au lieu d’agir aussitôt, de prendre les mesures énergiques qui pouvaient lui assurer une victoire immédiate dont il aurait pu rester au moins quelque avantage, elle laissa passer le temps, inactive, irrésolue, se bornant à conseiller à la foule de s’en aller ; ses membres ne devaient même pas retirer un bénéfice personnel de cette maladroite attitude.

Dehors, les gouvernants s’étaient ressaisis, on avait battu la générale, la garde nationale des quartiers du centre et la jeunesse dorée rassemblées cernaient bientôt la Convention. Conduits par Legendre et deux ou trois autres, les grenadiers pénétrèrent dans les couloirs, la baïonnette au bout du fusil, expulsèrent la foule qui se trouva dehors sans armes, en face des fusils et des canons des bataillons bourgeois, et se dispersa sans avoir ni tué ni blessé personne contrairement aux assertions calomnieuses de quelques modérés. La droite rentra, furieuse d’avoir eu peur, et entama aussitôt son œuvre de vengeance.

Pichegru, qui devait passer du commandement de l’armée du Nord à celui des deux armées réunies du Rhin et de la Moselle et venait d’arriver à Paris pour conférer avec les comités, était nommé général en chef des troupes parisiennes : pour la première fois, la Convention appelait un général à son aide ; avant deux mois, nous la verrons recourir à l’armée. Paris était déclaré en état de siège. La déportation immédiate, sans jugement, de Barère, Billaud-Varenne, Collot d’Herbois et Vadier était ordonnée ; mais le dernier s’était déjà mis à l’abri et ne devait être arrêté que quatorze mois plus tard (voir fin du chap. xiii) : on n’était pas fâché de se débarrasser ainsi d’un procès que la discussion du rapport de Saladin commencée le 2 germinal (22 mars) — la Convention entendit ce jour-là un courageux discours de Robert Lindet qui la défendait contre elle-même — révélait gênant pour beaucoup de Conventionnels responsables de ce qu’ils reprochaient à quelques-uns. Étaient, en outre, ordonnés, au milieu des plus répugnantes dénonciations, l’arrestation et le transfert au château de Ham de huit représentants, entre autres Choudieu, Amar, Huguel et Léonard Bourdon. Il y eut, le 13 (2 avril), quelques tentatives populaires pour empêcher l’exécution de ces mesures, par exemple l’arrestation de Léonard Bourdon et le départ de Collot, Billaud et Barère auxquels, d’après ce dernier, des manifestants en sens opposé cherchèrent de leur côté à faire un mauvais parti (Mémoires, t. III, p. 5) ; mais Bourdon fut pris sans difficulté, et si les voitures qui emmenaient Billaud et Barère furent arrêtées, le départ eut lieu le lendemain matin. Le 13 (2 avril) également, une réunion de manifestants dans la salle de la section des Quinze-Vingts se dispersa, sur l’intervention de Pichegru, sans avoir pris de décision.

Le 16 (5 avril), à la Convention, nouveaux décrets d’arrestation contre neuf représentants parmi lesquels Thuriot, Cambon et jusqu’à Laurent Le Cointre, l’ennemi acharné des Montagnards. La veille, un arrêté du comité de sûreté générale avait retiré toutes les permissions données pour la formation de « sociétés d’amis ». Le 21 germinal (10 avril), Un décret prescrivait de « faire désarmer sans délai les hommes connus dans leurs sections comme ayant participé aux horreurs commises sous la tyrannie qui a précédé le 8 thermidor », et tendait ainsi à concentrer la force entre les mains des contre-révolutionnaires. Le 28 (17 avril), la Convention autorisait le comité de salut public à faire circuler dans le rayon de dix lieues de Paris, qui leur était interdit, les troupes estimées par lui nécessaires pour assurer l’arrivage des grains et des farines. On n’avait pas encore appelé ouvertement l’armée à intervenir dans les questions de politique intérieure ; mais ce qui prouve que l’intention existait déjà, si elle se dissimulait encore sous un prétexte, ce sont les mouvements de troupes opérés en floréal (avril) sans lien aucun avec l’arrivage des subsistances ; c’est l’entrée à Paris même, le 7 floréal (26 avril), d’un détachement de cavalerie de deux cents hommes ; on n’osa cependant pas l’y maintenir et on se borna à concentrer les troupes à proximité. Le 28 germinal (17 avril), la garde nationale était, pour surcroît de précaution, placée sous la direction du comité militaire qui en nomma l’état-major. Le même jour, l’organisation des administrations de département et de district était décentralisée et remise, avec toutefois incohérence et confusion, dans les attributions respectives de ces deux degrés d’administrations (Aulard, Histoire politique de la Révolution française, p. 512), telle qu’elle était avant le décret du 14 frimaire an II (4 décembre 1793) : décentralisant d’un côté, pour annuler ce qui avait contribué à restreindre leur influence en province, les Girondins, redevenus les maîtres, ne redoutèrent plus de centraliser d’un autre, et un décret du 21 floréal (10 mai) rendit au comité de Salut public la prépondérance que celui du 7 fructidor (24 août) précédent (chap. ii) avait voulu lui enlever. Suivant leur tactique préférée qui consiste à assimiler l’opposition d’extrême gauche à l’opposition d’extrême droite, à coaliser mensongèrement les royalistes et les républicains avancés dans le but de faire retomber sur ceux-ci l’odieux d’une coalition qui est leur propre péché mignon, les modérés, par le décret du 12 floréal (1er mai), affectèrent de frapper les royalistes émigrés rentrés, prêtres condamnés à la déportation, individus provoquant au retour de la royauté, pour discréditer — sans danger pour les royalistes réels à l’égard desquels la loi continua à rester lettre morte — les adversaires de gauche contre lesquels on sévissait. Ce même décret rendit légales, par ses articles 4 et 5, les rigoureuses limitations de la liberté de la presse et de la liberté de réunion qui constituaient, nous l’avons vu, la pratique du gouvernement thermidorien.

Pendant ce temps se poursuivait devant le tribunal révolutionnaire le procès de Fouquier-Tinville et de juges et jurés de l’ancien tribunal ; entamé le 8 germinal (28 mars), il se terminait le 17 floréal (6 mai) par la condamnation à mort de Fouquier et de quinze de ses coaccusés qui étaient exécutés le lendemain (7 mai) sur la place de Grève (place de l’Hôtel de ville).

Toutefois la situation matérielle ne s’améliorait pas. La puissance de la haute bourgeoisie était accrue par l’œuvre de réaction ; inexorablement, elle ne songeait qu’à s’enrichir. Ou lit dans le rapport de police du 22 germinal (11 avril) : « Le ci-devant commerce, transformé en celui d’agioteur, profite du malheur public et réduit les citoyens au désespoir ». À cette date, il n’était délivré qu’un quarteron de pain par tête sans riz ni biscuit, beaucoup tombaient malades faute de nourriture, des enfants mouraient de faim, les suicides augmentaient, pendant que les pâtissiers employaient la farine la plus pure par eux achetée, avec le beurre et les œufs, à tout prix (rapport de police du 24 germinal-13 avril). « Le tableau de la misère publique est effrayant », dit le rapport du 6 floréal (25 avril) ; or, sur les exigences des malheureux, lisons le rapport du 17 (6 mai) : « Vingt et un inspecteurs disent que, si la distribution de pain se faisait également, si tous les citoyens recevaient une demi-livre de pain, la tranquillité régnerait ; on peut en juger par la satisfaction que ressentent ceux qui sont ainsi traités ; ceux qui reçoivent une portion moins forte murmurent ». Et, alors que le calme dépend si ouvertement de la ration, la fin de floréal est à cet égard terrible : d’après le rapport du 21 floréal (10 mai) : « dans les rues on rencontre beaucoup de personnes qui tombent de défaillance et d’inanition » ; d’après celui du 25 (14 mai), on a dans quelques sections un quarteron de pain par tête, soit quatre onces (il y avait seize onces dans une livre), dans d’autres deux ou trois onces seulement ; on n’a plus que deux onces — guère plus de 60 grammes — le 29 (18 mai) et moins encore le 30 (19 mai) ; aussi les agents constatent-ils, dès le 24 floréal (13 mai), que « les citoyens même les plus patients commencent à perdre l’espérance ».

Un mouvement était inévitable ; il était facile pour tout le monde de le prévoir ; le rapport du 3 floréal (22 avril) disait déjà : « La pénurie échauffe tellement les esprits qu’elle fait redouter un mouvement dangereux ». Deux partis politiques tentèrent de prendre la direction de ce qui ne pouvait manquer de se produire ; ni l’un ni l’autre ne créèrent l’agitation, cependant l’un d’eux contribua tout au moins à l’entretenir. Le parti monarchiste et clérical — « les prêtres et leurs partisans cherchent à émouvoir les esprits » (rapport du 28 germinal-17 avril) — avait, en effet, par ses manœuvres dans les campagnes et ses accointances avec les gros agioteurs de Paris, sa part de responsabilité dans la disette factice, cause réelle des événements de germinal et de prairial. Mais ces événements devaient de toute façon lui échapper, parce que la masse parisienne échappait à son action. En réclamant « du pain ou la mort », les femmes, relate le rapport de police du 27 germinal (16 avril), ajoutaient : « Voudrait-on nous forcer à demander un roi ? Eh bien, foutre, nous n’en voulons point ».

Si le parti démocratique n’eut aucune part soit dans l’origine, soit dans la durée de l’action populaire, il est incontestable que certains de ses membres songèrent à la faire servir au triomphe de leurs idées. Ce qui fit, que ce projet échoua sans le moindre profit, ce fut surtout, le 12 germinal, nous l’avons vu, la persistante indécision de la Montagne, et le 1er prairial, nous allons le voir, la conduite incohérente de la foule révoltée. Les prisons renfermaient alors les démocrates les plus ardents ; des hommes qui s’étaient parfois combattus sans se connaître, s’y trouvèrent en contact ; les patriotes amis et adversaires de Robespierre, par exemple, eurent l’occasion de s’expliquer ; en se fréquentant, ils apprirent à se préoccuper plutôt de ce qui les rapprochait que de ce qui les divisait, ils se trouvèrent d’accord pour affirmer que la première chose à poursuivre était la mise en vigueur de la Constitution de 1793. C’est pour la réalisation de ce but qu’ils voulurent tirer parti du soulèvement populaire que l’organisation, peut-on dire, de la famine devait provoquer. Aussi ce fut dans les prisons qu’on rédigea la plupart des affiches placardées avant le 12 germinal et celle du 30 floréal dont nous parlerons tout à l’heure ; cette propagande-là correspondant aux sentiments de la masse eut auprès d’elle un plein succès.

Philippe Buonarroti que nous retrouverons avec Babeuf (chap. xiii), et qui, dans les derniers jours de floréal (mai 1795), était à la prison du Plessis — située au coin de la rue Saint-Jacques et de la rue du Cimetière-Saint-Benoît contre les bâtiments du collège Louis-le-Grand — a écrit (Conspiration pour l’Égalité, t. Ier, p. 53) : « Je sais, à n’en pas douter, que l’insurrection du 1er prairial an III fut en grande partie l’ouvrage de plusieurs citoyens détenus au Plessis, parmi lesquels on nommait plus particulièrement Leblanc, depuis commissaire du Directoire à Saint-Domingue, et Claude Fiquet ». Toutefois un citoyen Magnier qui avait pris pour prénom Brutus, détenu depuis la fin de ventôse (mars) à Rennes où l’avait renvoyé le tribunal révolutionnaire de Paris, se déclara, le 14 prairial (2 juin), dans une lettre saisie et lue à la Convention le 25 prairial (13 juin), l’auteur de l’affiche du 30 floréal et fut pour ce fait, malgré sa rétractation devant ses juges, condamné à la déportation le 3 thermidor an III (21 juillet 1795). S’il existe une certaine analogie entre un plan manuscrit de revendications établi par Brutus Magnier et les revendications affichées dans la soirée du 30 floréal, il n’y a pas identité, et je suis porté à croire que ce citoyen s’est illusionné. Trop désireux peut-être de se mettre en évidence, il a pris et déclaré pour son œuvre ce qui n’était chez lui que l’écho de ce qu’il avait entendu dans les prisons de Paris où, depuis plus de trois mois, il se trouvait encore au début de ventôse (fin février 1795). Tout d’abord, en effet, cette action à Paris d’un détenu de Rennes qui n’avait pas une notoriété hors ligne, paraît assez invraisemblable, surtout, pour une chose aussi simple que l’énoncé de revendications courantes à cette époque dans les milieux démocratiques. Ensuite, le témoignage de Buonarroti, à même d’être bien renseigné à cet égard et ne soufflant pas mot de cette lointaine intervention, me semble concluant.

Quoi qu’il en soit, dans la soirée du 30 floréal (19 mai) était affiché et distribué à profusion un placard invitant les citoyens et les citoyennes à se porter en masse le lendemain à la Convention pour demander : du pain, l’abolition du gouvernement révolutionnaire, l’application immédiate de la Constitution de 1793, l’arrestation des membres des comités de gouvernement et leur remplacement par d’autres pris dans la Convention, la mise en liberté des patriotes détenus, la réunion des électeurs le 25 prairial (13 juin) pour le renouvellement de toutes les autorités, la fixation au 25 messidor (13 juillet) de la convocation de la nouvelle assemblée. Le mot de ralliement devait être : Du pain et la Constitution de 1793 ; le manifeste insurrectionnel dont le titre était : « Insurrection du peuple pour obtenir du pain et reconquérir ses droits », portait expressément : « Les personnes et les propriétés sont mises sous la sauvegarde du peuple » (Moniteur du 4 prairial-23 mai, dans le compte rendu de la séance du 1er).

Le 1er prairial (20 mai), dès cinq heures du matin, les rassemblements se formaient et bientôt le comité de sûreté générale faisait appel aux sections pour protéger l’assemblée. Ouverte à onze heures sous la présidence du Girondin Vernier, la séance débuta par la lecture de l’acte insurrectionnel ; une loi contre les attroupements, aussitôt proposée, venait d’être votée quand, tout à coup, des femmes envahirent les tribunes en criant : Du pain ! André Dumont ayant pris la présidence et donné à un officier l’ordre de faire évacuer les tribunes, celui-ci procédait à cette opération accompagné de quatre fusiliers et de deux muscadins armés de fouets de poste (Moniteur du 5 prairial-24 mai, dans le compte rendu de la séance), lorsque la porte de gauche ébranlée sous les coups céda, livrant passage aux insurgés ; au même instant entraient par la porte de droite des sectionnaires en armes qui cherchèrent à les repousser. Une lutte s’engagea dans la salle, tandis qu’à l’extérieur la foule grossissait et que les gardes nationaux stationnaient inactifs. C’est pendant cette lutte que tomba de la poche d’un insurgé un morceau de pain qui donna lieu à une nouvelle édition du miracle de la multiplication des pains. Ce morceau, en effet, se multiplia tout de suite, et a continué à se multiplier dans certaines histoires réactionnaires, au point que chaque insurgé aurait pu ouvrir un fonds de boulangerie.

À trois heures et demie, les insurgés, renforcés par de nouveaux arrivants, étaient maîtres de la salle. Un représentant, Féraud, qui avait été pendant toute la journée dans un état de surexcitation extravagante, crut, dit-on, le président menacé, c’était en ce moment Boissy d’Anglas ; en tout cas il chercha à escalader la tribune, aidé par un officier et retenu par un insurgé que l’officier frappa d’un coup de poing. Une femme était là qui avait été enfermée comme folle à la Salpêtrière, Aspasie Carle Migelly, elle riposta au coup de poing par un coup de pistolet qui atteignit Féraud. En le voyant tomber, certains de ses collègues prononcèrent son nom que la foule comprit mal ; elle s’imagina qu’il s’agissait de Fréron qu’elle détestait (La Revellière-Lépeaux, Mémoires, t. Ier, p. 206). Dans un accès de démence barbare, Migelly le piétina et un marchand de vins, Luc Boucher, coupa d’un coup de sabre la tête qui fut emportée sur la place du Palais national (place du Carrousel). Ce sont là de ces actes horribles qu’il est malheureusement plus facile de réprouver que d’empêcher.

Dans la salle, ce fut alors un tumulte effroyable ; les insurgés défilaient au pas de charge sous les regards des gardes nationaux qui occupaient le jardin des Tuileries et qui ouvraient parfois leurs rangs pour les laisser passer. Au milieu de la poussière et des cris continus, personne ne pouvait

Mort de Romme, Goujon, Duquesnoy, Du Roy, Soubrany, Bourbotte.
(D’après une estampe du Musée Carnavalet.)
se faire entendre. La foule maîtresse fut incapable de se maîtriser. Il y avait plus de trois heures que cela durait, quand un cortège pénétra dans la salle à la suite d’un homme portant la tête de Féraud au bout d’une pique. Le président Boissy d’Anglas, trop loué et qui fit surtout preuve de force d’inertie, laissant le temps s’écouler et la foule se dépenser en clameurs stériles, salua cette tête d’après certains récits vraisemblablement très arrangés. Un silence relatif, né de la stupeur, suivit cette sanglante apparition, et le chaos s’ordonna un peu.

Il fut convenu que les députés se tiendraient massés dans le bas de la salle, la foule occupa les gradins supérieurs ; elle devait rester couverte, tandis que les députés voteraient en levant leurs chapeaux. Vernier avait repris la présidence. Romme demanda successivement la mise en liberté des patriotes, une seule espèce de pain, la recherche des farines, la permanence des sections qui nommeraient les commissaires pour les subsistances. Du Roy rédigea ces propositions ; elles furent adoptées. Goujon réclama le renouvellement des comités de gouvernement, Bourbotte l’arrestation des pamphlétaires royalistes et l’abolition de la peine de mort ; on vota cette abolition, excepté pour les émigrés et les fabricateurs de faux assignats. Duquesnoy, Prieur (de la Marne), Bourbotte et Du Roy, nommés à minuit pour exercer les fonctions du comité de sûreté générale, se rendaient en toute hâte à leur poste lorsque, à la porte, ils se heurtèrent à des gardes nationaux, principalement du quartier Vivienne et de la Chaussée d’Antin, amenés par Legendre, Auguis, etc. Les insurgés déjà moins nombreux essayèrent de résister, mais les gardes nationaux entrèrent en masse criant : À bas les Jacobins ! et ils durent s’enfuir.

Au dehors, la pluie avait dispersé la foule qui, d’ailleurs, fatiguée, satisfaite d’apprendre qu’on votait ce qu’elle désirait, était allée se coucher en colportant la bonne nouvelle. Elle croyait avoir gagné la partie, elle l’avait perdue et, cette fois, par sa faute. Les députés de la Montagne avaient fait ce qu’ils auraient dû faire le 12 germinal ; seulement il était bien tard quand la foule, après avoir gaspillé un temps précieux, leur permit d’agir. D’autre part, fatigué ou non, ce n’est pas au moment de l’action qu’on s’en va, alors même qu’il pleuvrait ; mais les insurgés parisiens, si braves devant un danger réel, n’aiment pas à être mouillés.

Revenus de leur frayeur, les modérés commencèrent par calomnier niaisement leurs adversaires ; puis, ils les frappèrent avec férocité. Au milieu des plus lâches délations, ils décrétèrent l’arrestation de quatorze de leurs collègues, Bourbotte, Duquesnoy, Du Roy, Prieur (de la Marne), Romme, Soubrany, Goujon, Albitte aîné, Peyssard, Le Carpentier (de la Manche), Pinet aîné, Borie, Fayau et Rühl (Bulletin des lois, n° CXLV-819), après avoir eu soin de faire brûler les minutes des décrets qu’ils leur reprochaient d’avoir rendus.

Cependant, le lendemain, les insurgés reposés, mais déçus, revenaient à la charge. Les sections de Montreuil, de Popincourt et des Quinze-Vingts qui composaient le faubourg Antoine, se concentraient sur la place du Palais national avec leurs canons. Les gendarmes de l’Assemblée passaient aux insurgés, ou s’en allaient, ramenant leur cheval par la bride et disant qu’ils voulaient bien combattre l’ennemi sur la frontière, mais non tirer sur le peuple (Claretie, Les Derniers Montagnards, p. 187). Inquiets, les modérés eurent recours à la ruse. Les artilleurs de leurs sections, qui occupaient le jardin des Tuileries, vinrent fraterniser avec les insurgés, des députés se joignirent à eux, on s’embrassa, la Convention fit des promesses : la foule naïve se laissa prendre à ces démonstrations hypocrites et les insurgés se dispersèrent.

Le 3 (22 mai), en attendant des troupes, on arrêta et condamna ; un des condamnés, le serrurier Tinel, très aimé dans le faubourg Antoine, et qui, « ayant bu un coup », comme il le dit, ne sachant pas ce qu’il faisait, avait porté la pique sur laquelle était plantée la tête de Féraud, allait être exécuté à huit heures du soir, quand la foule le délivra et le sauva momentanément. Le soir même, les comités faisaient distribuer au dépôt des Feuillants des fusils à toute la jeunesse dorée et préparer, pour le lendemain matin, sous les ordres du général Kilmaine, une expédition contre le faubourg.

S’apercevant enfin que le gouvernement s’était joué d’eux, les ouvriers des faubourgs avaient repris les armes et dressé des barricades : il était trop tard. Ils empêchèrent bien, le matin, les 1 200 hommes du général Kilmaine, envers lesquels ils furent d’une générosité dédaigneuse, d’emporter, les deux canons de la section de Montreuil ; mais, dans la journée, le général Menou, à la tête de 20 000 hommes et plus décidé qu’il ne le sera dans quatre mois contre les royalistes, appuyait la signification d’un décret de la Convention sommant les trois sections qui composaient le faubourg de livrer certains rebelles et de remettre leurs armes, sous peine d’être privées de subsistances et bombardées. Les petits fabricants représentèrent aux ouvriers les désastres qui allaient suivre s’ils s’obstinaient à résister, et le faubourg se soumit. La vengeance pouvant librement s’exercer désormais, Paris fut traité en ville conquise ; en quelques jours, près de dix mille arrestations étaient opérées (recueil d’Aulard, t. Ier, p. 752) et, chose encore plus grave, de cette époque date l’apparition du militarisme, c’est-à-dire l’influence gouvernementale du sabre et son intervention dans les affaires publiques ; la Révolution entrait dans la période militaire.

À la Convention, de nouveaux décrets d’arrestation et d’accusation atteignirent, le 5 prairial (24 mai), deux représentants dont Forestier ; sept, le 8 (27 mai), parmi lesquels Charbonnier, Escudier, Ricord et Saliceti qui, en mission dans le Midi, venaient d’être rappelés, et Laignelot ; neuf, le 9 (28 mai), il s’agit cette fois des membres des anciens comités de gouvernement qui n’ont pas encore été frappés, et Robert Lindet est du nombre avec Jeanbon Saint-André ; sont seuls exceptés Louis (du Bas-Rhin), Carnot et Prieur (de la Côte-d’Or) ; neuf, dont font partie Baudot et Javogues, le 13 (1er juin) ; c’était de nouveau le tour de représentants envoyés en mission dans les départements avant le 9 thermidor. Dénoncé ce même jour, le représentant Maure se suicidait deux jours après (15 prairial-3 juin). Le représentant Joseph Le Bon qui, dans la Somme et le Pas-de-Calais, avait eu le tort d’appliquer les lois votées par la bande acharnée après lui et dont une commission avait été, le 18 floréal (7 mai), chargée d’examiner la conduite, allait être, le 22 messidor (10 juillet), déféré au tribunal criminel de la Somme ; il devait être condamné à mort et guillotiné à Amiens le 24 vendémiaire an IV (16 octobre 1795). Enfin avait été également votée, le 5 prairial (24 mai), une loi rapportant celle du 12 germinal (1er avril) qui ordonnait la déportation sans jugement de Barère, Billaud-Varenne, Collot d’Herbois et Vadier, les décrétant d’accusation et prescrivant de les traduire devant le tribunal criminel de la Charente-Inférieure (voir fin du chap. x) ; l’article 4 de cette même loi portait que Pache, son gendre Audouin, Bouchotte, Hassenfratz et quatre autres seraient traduits devant le tribunal criminel d’Eure-et-Loir. Il avait été antérieurement décidé que les trois condamnés à la déportation qu’on avait pu saisir, seraient expédiés à Cayenne chacun sur un navire différent. Le 7 prairial (26 mai), cette décision fut exécutée pour Billaud-Varenne et Collot d’Herbois, le courrier envoyé de Paris afin de donner contre-ordre n’étant arrivé que le lendemain ; mais Barère était encore à l’île d’Oléron parce que, déclara Auguis dans la séance du 14 (2 juin), « le bâtiment qui devait l’emmener n’était pas encore prêt ». Aussi, au lieu d’être embarqué, fut-il transféré, à la fin de prairial (début de juin), dans la prison de Saintes d’où il devait s’évader le 4 brumaire an IV (26 octobre 1795), suivant ce qui fut dit à la séance du Conseil des Cinq-Cents du 13 brumaire (4 novembre), et il ne devait pas être repris.

Pour se venger de l’intervention des femmes, deux décrets furent rendus le 4 prairial (23 mai), le premier interdisant aux femmes d’assister aux assemblées politiques, le second leur enjoignant de rester chez elles et ordonnant l’arrestation de celles qui seraient trouvées « attroupées au-dessus du nombre de cinq ».

Bourbotte, Du Roy, Duquesnoy, Romme, Soubrany, Goujon avaient été, dans la nuit même du 1er au 2 prairial, dirigés sur le fort du Taureau, près de Morlaix ; ils y arrivaient le 10 (29 mai) et, quatre jours après, ils en repartaient conduits à Paris où ils étaient de retour le 22 (10 juin), la Convention ayant décidé, le 8 (27 mai), de les déférer à la commission militaire instituée par elle dès le 4 (23 mai), ainsi que Prieur (de la Marne) et Albitte aîné, qui avaient réussi à s’enfuir, Rühl, qui devait se suicider le 10 (29 mai), Peyssard et Forestier dont l’arrestation n’avait pas été opérée tout de suite. La mère de Goujon avait inutilement protesté contre cette décision, disant : « Qu’est-ce qu’une commission militaire ? Un tribunal arbitraire, redoutable même à l’innocence, sans instruction, sans formes, sans jurés, sans défenseur, enfin sans aucune des garanties protectrices que la loi accorde ordinairement aux accusés » (Archives nationales, ADr 111). Le 24 prairial (12 juin), le procès des huit représentants commençait devant un auditoire de femmes à la mode et de muscadins insultant lâchement les accusés (Claretie, Les Derniers Montagnards, p. 302) et le 29 (17 juin, à l’exception de Peyssard, condamné à la déportation, et de Forestier, contre lequel, déclarait-on, l’accusation n’était pas prouvée, mais qu’on gardait en prison pour faits antérieurs, ils étaient condamnés à mort. Ils avaient caché deux couteaux ; en entrant dans la pièce où se faisait la toilette des condamnés, Bourbotte se frappa avec le premier, Goujon qui avait le second couteau l’imita et l’arme dont s’était servi celui-ci passa successivement dans les mains de Romme, Duquesnoy, Du Roy et Soubrany. Goujon, Romme et Duquesnoy réussirent à se tuer, les trois autres furent rapidement menés à l’échafaud ; Soubrany était déjà mort, Du Roy et Bourbotte respiraient encore lorsque le couperet tomba. Telle fut la fin de ceux qu’on a appelés les « derniers Montagnards ».

Après avoir obtenu trente-sept condamnations à mort de la commission militaire et de sa parodie de la justice, la Convention la supprima le 16 thermidor (3 août). Le tribunal révolutionnaire, devenu inutile, avait été supprimé le 12 prairial (31 mai). La déséquilibrée Migelly, gardée un an en prison, fut condamnée à mort le 24 prairial an IV (12 juin 1796) ; elle disait avoir agi au point de vue royaliste (Idem, p. 357-358).

Les conséquences de l’insurrection de prairial an III furent celles de toutes les insurrections vaincues : le parti qui y avait pris part, le parti démocratique, fut décimé, le peuple désarmé, la garde nationale transformée, par la loi du 28 prairial (16 juin), en instrument de classe : « À un peuple libre et jaloux de le rester, dit le rapporteur, il faut des armes, mais elles doivent être confiées à des mains pures… Vous laisserez donc aux citoyens qui ont le plus de facultés la charge du service public… et vous n’appellerez aux armes les citoyens les moins aisés que dans les dangers de la patrie ». Le 24 prairial (12 juin), par l’interdiction à toute « autorité constituée » de prendre « le nom de révolutionnaire », la Convention avait porté le dernier coup aux comités révolutionnaires qui, depuis le 1er ventôse précédent (19 février), ne subsistaient que dans les communes de plus de 50 000 habitants ; peu après, le 6 fructidor (23 août), toutes les assemblées connues sous le nom de clubs ou de sociétés populaires étaient partout dissoutes ; ce fut la fin de ce qui restait de ces deux institutions maîtresses du gouvernement jacobin. Un arrêté du comité des secours publics du 29 prairial (17 juin) supprima le travail dans les ateliers de filature qui, conformément à la loi du 30 mai 1790, occupaient à Paris des femmes et des enfants sans moyens d’existence, et le remplaça « par une distribution de travail à domicile » avec un salaire « inférieur d’un dixième aux prix en usage dans les fabriques particulières » ; les secours donnés si parcimonieusement à quelques-uns risquaient par là d’entraîner l’avilissement des salaires pour tous. Les sections parisiennes furent « épurées » et les républicains sincères exclus des administrations qui se trouvèrent bientôt, composées de royalistes avec le masque constitutionnel et de modérés de plus en plus modérément républicains.

Il en fut de même en province, semble-t-il. À la séance de la Convention du 16 prairial (4 juin) ; le représentant Delecloy s’écriait : « Ce n’est pas à Paris seulement que les ennemis du bien public s’agitent pour exciter du trouble ; Valenciennes contient un ramas considérable de cette multitude d’hommes impies que l’enfer semble avoir vomi pour désoler la société. Les autorités constituées de Valenciennes étaient toutes gangrenées et composées d’anciens membres des comités révolutionnaires ; heureusement le représentant du peuple Delamarre vient, non pas de les épurer (il n’y avait chez eux que vices), mais de les renouveler en entier ». Il les accusait d’avoir, à leur tour, le 1er prairial (20 mai), songé à méconnaître l’autorité de la Convention.

La bourgeoisie possédante, en affichant impudemment sa domination de classe, en se jetant tête baissée dans la réaction, facilitait la tâche des réactionnaires par excellence, des monarchistes, qui se crurent sur le point de triompher.