Histoire socialiste/Consulat et Empire/22
CHAPITRE II
LA LITTÉRATURE ET LES ARTS SOUS L’EMPIRE[1]
Le 27 février 1808, la classe de littérature et des belles-lettres de l’Institut vint présenter à Napoléon ses hommages, et Marie-Joseph Chénier fut chargé, au nom de ses collègues, de haranguer Sa Majesté impériale.
On pouvait attendre de l’ancien conventionnel un peu de dignité et l’on espérait que son discours trancherait avec la servilité coutumière des courtisans : il n’en fut rien, et l’auteur de Tibère s’abaissa, sans hésitation, au niveau des plus vils flatteurs, par cette péroraison où il affirmait que l’art d’écrire refleurissait sous les auspices du Maître.
« Il sera guidé par vous, s’écria Chénier, en des routes certaines ; autour de vous, brilleront les talents ranimés à votre voix ; le génie naîtra de lui-même appelé par le génie, et tous les genres de gloire appartiendront au siècle de Votre Majesté. »
Paroles de bassesse et de mensonge ! Les orateurs de l’Institut pouvaient bien proclamer, comme le faisaient quelques-uns avant le ministre de l’Intérieur, que, « à la voix d’un prince généreux allait s’allumer dans les âmes la flamme créatrice de toutes les grandes conceptions », il devint bientôt manifeste que cette flamme créatrice ne saurait briller dans une atmosphère de tyrannie et que la liberté est aussi nécessaire au développement de la littérature et des arts que l’est, pour nos poumons, la présence de l’oxygène dans l’air que nous respirons. Non seulement par les journaux, mais par les livres même, la liberté de l’esprit était violentée, et jamais, à aucune époque, on ne vit censure plus tyrannique attenter davantage à la dignité de l’écrivain : les valets tenaient, par leur zèle, à interpréter le plus brutalement possible la pensée impériale si catégoriquement manifestée dans ces paroles adressées un jour au Conseil d’État : « C’est à l’idéologie, à cette ténébreuse métaphysique qui, en recherchant avec subtilité les causes premières, veut sur ces bases fonder la législation des peuples au lieu d’approprier les lois à la connaissance du cœur humain et aux leçons de l’histoire, qu’il faut attribuer tous les malheurs qu’a éprouvés notre belle France. »
C’était la guerre déclarée à tous ceux qui pensent, rêvent de justice et de beauté, à tous les philosophes, à tous les écrivains, à tous les artistes.
Il n’y a pas lieu de s’étonner, après de si véhémentes proclamations, du régime instauré par Napoléon. Les mesures prises sous son règne contre la liberté de la presse, comme les manifestations les plus diverses de la pensée, sont de sûrs garants de l’oppression qu’il exerça sur les esprits. Des historiens, prenant pour base de leurs enthousiasmes les institutions impériales et les décrets qui se rapportent aux arts, ont exalté la sagacité et l’intelligence esthétique de l’empereur. Ils ont estimé, et la philosophie de l’histoire leur a donné tort, que les pensions, les libéralités, les honneurs, les concours établis par Napoléon avaient contribué, le plus efficacement du monde, au développement, au libre essor et à la gloire des lettres françaises. Mais ces biographes trop fervents oublient de dire que la protection impériale ne fit que donner aux médiocres des avantages et des profits matériels, termes derniers de leur ambition. Une littérature encouragée dans ses platitudes, des arts soutenus par de tels moyens ne méritent que dédain et mépris. Aussi a-t-on le droit de porter les jugements les plus sévères sur une époque artistique où les esprits indépendants durent s’exiler pour ne point subir les turpitudes ou les tyrannies du pouvoir.
Quel écrivain, digne de ce nom, pouvait s’accommoder d’un régime où la platitude et la servilité atteignirent le degré que révèle ce passage, particulièrement édifiant, d’un discours prononcé par Bernardin de Saint-Pierre dans une séance de réception à l’Académie française :
« Enfin le ciel nous envoya un libérateur. Ainsi l’aigle s’élance au milieu des orages ; en vain les autans le repoussent et font reployer ses ailes, il accroît sa force de leur furie, et, s’élevant au haut des airs, il s’avance dans l’axe de la tempête, à la faveur même des vents contraires. Tel apparut aux regards de l’Europe conjurée cet homme dont la vertu s’accroît par les obstacles, ce héros philosophe, organisé par l’empire. Il vole d’abord au midi, la foudre dans la main et le caducée de l’autre. Il s’élève au-dessus des trônes et répare les injures faites aux nations ; bientôt il plane sur l’Égypte, et joignant à la terreur de ses armes les bienfaits de la philosophie, il fonde un institut dans l’antique royaume des Pharaons redevenu barbare. Il revole vers la France alarmée, il en relève le trône pour la gouverner, et y joint celui de l’Italie pour l’affermir. Il rétablit en même temps l’Académie française, pour rendre aux muses leurs anciens asiles et joindre la gloire des lettres à celle des armes. La France n’était alors défendue sur ses frontières que par des villes fortifiées ; il l’entoure d’une confédération de nouveaux royaumes qu’il a créés. En vain l’ourse boréale s’en irrite, et toute hérissée de frimas, vomit contre lui les météores des plus affreux hivers : il accourt vers elle et renverse tour à tour trois puissants souverains qui en défendaient les barrières. Mais comme s’il n’eût couru que dans une lice d’honneur, il les relève tour à tour et leur offre la paix et son alliance. Enfin, le plus puissant d’entre eux, dont on avait voulu faire le plus implacable de ses ennemis, vaincu par sa générosité, devint le premier de ses amis.
« Ô toi, qui projettes en sage et exécutes en héros, sois l’amour des humains, mets ta gloire dans leur bonheur ! Sans doute, une grande renommée est déjà acquise. Toutes les classes de l’Institut te célébreront à l’envi. La géographie décrira les régions que tu as parcourues ; l’histoire célébrera tes conquêtes, tes victoires, tes traités au dehors, ton administration au dedans les arts diront les monuments que tu as élevés à Apollon, à Minerve, au redoutable dieu de la guerre. Mais lorsque le bruit des canons annoncera à la capitale le retour de tes phalanges invincibles, que des foules de jeunes épouses et de filles couronnées de fleurs se précipiteront dans les rangs de tes soldats couverts de lauriers, pour y embrasser des pères et des époux qu’elles croyaient perdus ; qu’élevant leurs bras et leurs couronnes de fleurs vers ton char de triomphe, elles t’environneront de danses et de chants de la reconnaissance et de la joie, c’est alors que les muses françaises, s’élevant vers la postérité, chanteront la paix que tu auras donnée au monde.
« Ô vous que nous venons d’admettre dans notre sein, et vous aussi, candidats futurs qui aspirez à ce dernier asile de la philosophie, qui devez un jour jeter quelques feuilles de cyprès sur nos humbles tertres, comme nous
en avons jeté sur ceux de nos prédécesseurs, ah ! vous les rendrez illustres, si vous y joignez quelques rameaux des oliviers qui couronnent sa tête ; car nous avons eu aussi part à ses bienfaits ! Mais, dès à présent, célébrez de grandes destinées ; représentez la France, naguère humiliée et malheureuse, s’élevant au plus haut degré de splendeur et de prospérité par les soins de Napoléon. »
Une telle page suffit à juger de l’avilissement de la littérature et personne ne songerait, après l’avoir lue, à taxer d’exagération la véhémente apostrophe de Chateaubriand dénonçant, dans son pamphlet sur Buonaparte la déchéance des lettres à cette époque maudite. Il est curieux et édifiant d’opposer à la platitude de Bernardin de Saint-Pierre la superbe protestation de l’auteur d’Atala :
« Toute liberté expire, tout sentiment honorable, toute pensée généreuse deviennent des conspirations contre l’État. Si on parle de vertu, on est suspect ; louer une belle action, c’est une injure faite au prince. Les mots changent d’acception : un peuple qui combat pour ses souverains légitimes est un peuple de rebelles, un traître est un sujet fidèle ; la France entière devient l’empire du mensonge : journaux, pamphlets, discours, prose et vers, tout déguise la vérité. S’il a fait de la pluie, on assure qu’il a fait du soleil ; si le tyran s’est avancé au milieu du peuple muet, on assure qu’il s’est avancé au milieu des acclamations de la foule. Le but unique, c’est le prince : la morale consiste à se dévouer à ses caprices, le devoir à le louer. Il faut surtout se récrier d’admiration lorsqu’il a fait une faute ou commis un crime. Les gens de lettres sont forcés par des menaces à célébrer le despote. Ils composaient, ils capitulaient sur le degré de la louange, heureux quand, au prix de quelques lieux communs sur la gloire des armes, ils avaient acheté le droit de pousser quelques soupirs, de dénoncer quelques crimes, de rappeler quelques vérités proscrites. Aucun livre ne pouvait paraître sans être marqué de l’éloge de Buonaparte, comme du timbre de l’esclavage ; dans les nouvelles éditions des anciens auteurs, la censure faisait retrancher tous les passages contre les conquérants, la servitude et la tyrannie ; comme le Directoire avait eu dessein de faire corriger dans les mêmes auteurs tout ce qui parlait de la monarchie et des rois. Les almanachs étaient examinés avec soin et la conscription forma un article de foi dans le catéchisme. Dans les arts, même servitude. Buonaparte empoisonna les pestiférés de Jaffa, on fait un tableau qui le représente touchant, par excès de courage et d’humanité, ces mêmes pestiférés.
« Au reste, ne parlez point de l’opinion publique : la maxime est que le souverain doit en disposer chaque matin. Il y avait à la police perfectionnée par Buonaparte un comité chargé de donner la direction aux esprits, et, à la tête de ce comité, un directeur de l’opinion publique.
« L’imposture et le silence étaient les deux grands moyens employés pour tenir le peuple dans Terreur. Si vos enfants meurent sur le champ de bataille, croyez-vous qu’on fisse assez cas de vous pour vous dire ce qu’ils sont devenus ? On vous taira les événements les plus importants à la patrie, à l’Empire, au monde entier. Les ennemis sont à Meaux, vous ne l’apprenez que par la fuite des gens de la campagne ; on vous enveloppe de ténèbres ; on se joue de vos inquiétudes ; on rit de vos douleurs ; on méprise ce que vous pouvez sentir et penser. Vous voulez élever la voix, un gendarme vous arrête, une commission militaire vous juge ; on vous casse la tête et on vous oublie ! »
Mais, si l’indépendance sous l’Empire ne rapportait que les persécutions et l’exil, le servilisme était, par contre, fort bien rémunéré et Bernardin de Saint-Pierre fut le type du courtisan quémandeur.
L’étude de son œuvre littéraire ne rentre point dans la période que nous étudions : elle appartient presque entière à la fin de l’ancien régime et à la Révolution : Paul et Virginie, qui fut une des premières apparitions en France du roman exotique et faisait partie des Études de la nature, eut son grand succès en 1788. On est un peu surpris, d’ailleurs, d’y trouver, à côté des pages idylliques que chacun connaît, d’inattendues déclamations sur la vénalité des charges et la misère des gens de lettres.
La misère des gens de lettres ? Appartenait-il à Bernardin de Saint-Pierre d’en parler, lui qui, pendant toute son existence, reçut des pensions et des subventions de tous les puissants qu’il courtisa successivement.
Pendant toute sa jeunesse, il fut un solliciteur inlassable, étendant ses intrigues jusqu’en Russie et en Allemagne, à Moscou comme à Berlin. Protégé du marquis de Breteuil, il finit par obtenir le poste de capitaine ingénieur du roi à l’Île de France, d’où il revint après avoir manqué un riche mariage opiniâtrement poursuivi.
En 1773, il obtint par l’entremise de l’archevêque d’Aix, Boisgelin, une première pension royale de mille livres.
En 1777, il obtint successivement une pension de 600 livres, sur le Mercure une de 800 livres sur le duc d’Orléans, une de 1 000 livres sur le contrôle général.
En 1792, il est nommé intendant du Jardin des Plantes et reçoit une indemnité de 3 000 livres quand cette place est supprimée.
Entre temps, il épouse la fille de son éditeur Didot, qui lui apporta une dot, fort rondelette pour le temps, de 27 000 francs.
L’Empire lui octroie plus tard une pension de 2 000 francs et la croix et le loge à l’Institut. Sur ses économies, il fait en outre l’acquisition de la propriété d’Éragny.
C’était décidément fort rémunérateur d’être toujours, en cette époque troublée, du côté du pouvoir, et ceux-là ne connaissaient point la misère des hommes de lettres, qui savaient si bien courber l’échine et prononcer, sans honte, des discours comme celui que nous citons plus haut.
Nous en avons maintenant suffisamment dit pour expliquer la médiocrité du mouvement littéraire sous l’Empire. Est-il besoin d’insister, d’ailleurs, pour prouver que l’indépendance et la liberté sont indispensables à l’éclosion du génie ou même du talent ? Et s’il était besoin de le démontrer, ne suffirait-il pas de constater que les seules grandes gloires littéraires de l’époque sont précisément Chateaubriand et Mme de Staël qui, tous deux, refusaient de s’agenouiller devant le César.
Il n’est pas inutile de rappeler dans quelles circonstances particulièrement dramatiques s’étaient écoulées les premières années de l’existence de Chateaubriand. Une vie si pathétique et si mouvementée, des aventures si propres à ce tempérament passionné, devaient, au lieu de le contenir, lui donner une sorte d’exaltation grandiloquente, dont il ne put jamais se départir.
Partagé entre des désirs contraires, incapable de faire preuve d’une énergie sûre et réfléchie, il hésite d’abord entre plusieurs vocations pour lesquelles il n’avait d’ailleurs aucune inclination naturelle. La carrière ecclésiastique lui parut correspondre à ses ferveurs mystiques, à ses enthousiasmes religieux, mais il ne garda pas longtemps cette idée, et nous le verrons, en 1791, après la mort de son père, partir pour l’Amérique et explorer l’Hudson, les lacs du Canada et la Floride, se passionner pour la vie primitive des Natchez, des Masrogules et des Hurons.
Au bout de quelques mois de séjour, il revint en France, se maria, puis émigra en 1792, à la suite des princesses qu’il voulait défendre, non que son zèle pour leurs personnes l’engageât à le faire, mais en raison du respect qu’il avait pour la royauté. Ce fut à cette époque que commença pour lui une ère de malheurs et de misères matérielles telles, qu’on s’étonna fort de l’en voir sortir. Les blessures, la faim, le froid, les maux de toutes sortes l’assaillirent en même temps.
Engagé à Coblentz, dans la septième compagnie bretonne, il fut, pendant la défense de Thionville, atteint de la petite vérole, blessé à la cuisse lors de la retraite des Prussiens et abandonné dans un fossé. Il fut trouvé là par des soldats qui le jetèrent dans un fourgon, où il reçut en passant les soins des femmes de Namur, ce qui ne l’empêcha pas d’arriver mourant à Bruxelles. Son frère parvint ensuite à le faire embarquer pour Jersey dans la cale d’un petit bateau, où son état parut si désespéré que le patron, pendant une relâche à Guernesey, l’abandonna sur le rivage. Recueilli par des pécheurs, il retrouva enfin quelques forces et put gagner Jersey, puis Londres, où il supporta une vie de privations et de misères indicibles.
Aux souffrances physiques qu’il supporta en Angleterre, se joignirent pour Chateaubriand les douleurs morales les plus cruelles : c’est là, en effet, qu’il apprit successivement le supplice de son frère et de sa belle-sœur, montés sur l’échafaud en 1794, l’incarcération de sa sœur Lucile, de sa femme, et enfin la mort d’une autre de ses sœurs, Mme de Fourcy, et de sa mère.
C’est à cette époque que l’ancienne ferveur qui jadis avait dominé son esprit redevint prépondérante, et Chateaubriand ressentit à nouveau les enthousiasmes religieux d’où devaient naître le Génie du Christianisme et les Martyrs.
Ce furent des événements douloureux qui, en le frappant au cœur dans ses plus chères affections, occasionnèrent cette évolution. La mort de sa mère, puis d’une de ses sœurs renouvelèrent en lui des inquiétudes métaphysiques auxquelles le mysticisme pouvait apporter, chez un homme si plein de sentimentalisme et prédisposé naturellement aux errements de l’idéalisme, une solution éphémère. À ce moment, il commença de publier le Génie du Christianisme, dont on admira unanimement la langue puissante et émue, sans adhérer cependant avec autant de vivacité aux idées que le livre exprimait.
Plusieurs de ses contemporains, écrivains ou penseurs, l’entourèrent alors d’une affection sur laquelle il reposa son cœur tourmenté. Mais, toujours incertain de ses destinées, visant avec la plus grande sincérité des positions et des honneurs où il se croyait indispensable, Chateaubriand ne consentit pas à demeurer dans cette atmosphère fervente où ses admirateurs tâchaient de le conserver. La vie politique le tentait, non pour les avantages grossiers qu’elle procure tout d’abord à ceux qui s’y font une place prépondérante, mais pour les services incomparables qu’il prétendait pouvoir rendre. Ce sentiment de confiance absolue en soi, cet orgueil altier, se manifestaient dans cette curieuse brochure : de Buonaparte et des Bourbons, qu’il publia en 1811, et maintes fois aussi dans les Mémoires d’Outre-Tombe. Est-il nécessaire de rappeler quelques-unes de ces phrases, dont la tournure prête à rire, quelque admiration qu’on veuille conserver pour la sincérité des convictions de Chateaubriand : « Mon article remua la France, et ma brochure avait plus profité à Louis qu’une armée de cent mille hommes » ; ou : « Et si j’étais mort à ce moment-là, s’il n’y avait pas eu de Chateaubriand, quel changement dans le monde ! »
En 1801, il publia Atala, un an après le Génie du Christianisme. En 1804, l’assassinat du duc d’Enghien l’exaspère ; il se démet d’un titre diplomatique dont il avait les prérogatives en Suisse, et c’est peu de temps après qu’il s’embarque pour l’Orient d’où il rapportera l’une de ses plus belles œuvres : les Martyrs.
Il brûlait encore de jouer un rôle dans les affaires publiques, et son retour en France le remet aussitôt dans la lutte. Ses colères contre Bonaparte n’avaient fait que s’accroître. Les tyrannies impériales, les entraves mises aux moindres réformes d’activité nationale, ses comparaisons avec le libéralisme heureux de l’antiquité, lui suggérèrent un article violent qu’il publia dans le Mercure, en 1807. et qui — on en jugera par le court passage que voici — eut dans l’opinion publique un immense retentissement :
« Lorsque, dans le silence de l’abjection, l’on n’entend plus retentir que la chaîne de l’esclave et la voix du délateur, lorsque tout tremble devant le tyran, et qu’il est aussi dangereux d’encourir sa faveur que de mériter sa disgrâce, l’historien paraît chargé de la vengeance des peuples, C’est en vain que Néron prospère : Tacite est déjà né dans l’empire ; il croit incarner auprès des cendres de Germanicus, et déjà l’intègre Prudence a livré à un enfant obscur la gloire du maître du monde. »
Le ton de cette prose parut d’autant plus désagréable au pouvoir, qu’il rappelait, par ses pompes oratoires, sa grandiloquence, ses allusions transparentes et sa pathétique historique, ces harangues par lesquelles les démagogues d’autrefois invectivaient un prince ou un tyran détestés. Aussi Bonaparte entra-t-il dans une violente colère : il supprima le Mercure, precrivit des mesures plus rigoureuses encore contre les écrivains et les journaux, et parla tranquillement de faire sabrer Chateaubriand sur les marches du palais.
Les Martyrs paraissent en 1809, et les trois volumes de l'Itinéraire en 1814. Dans cette même année, l’Académie, malgré l’opposition qu’il a faite à Napoléon, l’appelle dans son sein. Mais le discours qu’il désire prononcer suscite des arrêts impériaux. Napoléon exige des corrections et des suppressions.
« Si ce discours avait été prononcé, s’écria l’empereur, j’aurais fait murer l’Institut et jeter son auteur dans un cul de basse-fosse ».
Chateaubriand refusa obstinément de laisser châtrer son œuvre et le discours ne fut jamais prononcé : et l’hostilité s’affirma de plus en plus entre Napoléon et l’écrivain qui osait lui résister.
Lutte dans laquelle d’ailleurs Chateaubriand eut le dernier mot, car le coup fut terrible, porté au régime impérial chancelant par la publication de l’opuscule intitulé De Buonaparte, auquel nous avons déjà fait plus haut allusion, et dont il faut citer la conclusion enflammée où soufflent en tempête l’indignation et la haine :
« Aujourd’hui, homme de malheur, nous te prendrons par tes discours et nous t’interrogerons par tes paroles.
« Dis, qu’as-tu fait de cette France si brillante ? Où sont nos trésors, les millions de l’Italie, de l’Europe entière ? Qu’as-tu fait, non pas de cent mille, mais de cinq millions de Français que nous connaissons tous, nos parents, nos amis, nos frères ?
« Cet état de choses ne peut durer, il nous a plongés dans un affreux despotisme. Tu voulais la République et tu nous a porté l’esclavage. Nous, nous voulons la monarchie assise sur les bases de l’égalité des droits, de la morale, de la liberté civile, de la tolérance politique et religieuse. Nous l’as-tu donnée, cette monarchie ? Qu’as-tu fait pour nous ? Que devons-nous à ton règne ? Qui est-ce qui assassiné le duc d’Enghien, torturé Pichegru, banni Moreau, chargé de chaînes le souverain pontife, enlevé les princes d’Espagne, commencé une guerre impie ? — C’est toi !
« Qui est-ce qui a perdu nos colonies, anéanti notre commerce, ouvert l’Amérique aux Anglais, corrompu nos mœurs, enlevé les enfants aux pères, désolé les familles, ravagé le monde, brûlé plus de mille lieues de pays, inspiré l’horreur du nom de Français à toute la terre ? — C’est toi !
« Qui est-ce qui a exposé la France à la perte,à l’invasion, au démembrement, à la conquête ? — C’est encore toi !
« Combien es-tu plus coupable que ces hommes que tu ne trouvais pas dignes de régner ? Un roi légitime et héréditaire qui aurait accablé son peuple de la moindre partie des maux que tu nous as faits aurait mis son trône en péril ; et toi, usurpateur et étranger, tu nous deviendrais sacré en raison des calamités que tu as répandues sur nous ! Tu régnerais encore au milieu de nos tombeaux !
« Nous rentrons enfin dans nos droits par le malheur ; nous ne voulons plus adorer Moloch ; tu ne dévoreras plus nos enfants ; nous ne voulons plus de ta corruption, de ta police, de ta censure, de tes fusillades nocturnes, de ta tyrannie. Ce n’est pas seulement nous, c’est le genre humain qui t’accuse. Il nous demande vengeance au nom de la religion, de la morale et de la liberté. Où n’as-tu pas répandu la désolation ? Dans quel coin du monde une famille a-t-elle échappé à tes ravages ? L’Espagnol dans ses montagnes, l’Illyrien dans ses vallées, l’Italien sous son beau soleil, l’Allemand, le Russe, le Prussien dans leurs villes en cendres, te redemandent leurs fils que tu as égorgés, la tente, la cabane, le château, le temple où tu as porté la flamme. Tu les as forcés de venir chercher parmi nous ce que tu leur as ravi, et reconnaître dans tes palais leur dépouille ensanglantée. La voix du monde te déclare le plus grand coupable qui ait jamais passé sur la terre ; car ce n’est pas sur des peuples barbares et sur des nations dégénérées que tu as versé tant de maux : c’est au milieu de la civilisation, dans un siècle de lumières, que tu as voulu régner par le glaive d’Attila, par les maximes de Néron.
« Quitte enfin ton sceptre de fer ; descends de ce monceau de ruines dont tu as fait un trône. Nous te chasserons comme tu as chassé le Directoire. Va ! Puisses-tu pour seul châtiment, être témoin de la joie que ta chute cause à la France et contempler, en versant des larmes de rage, le spectacle de la félicité publique ! »
On pourrait croire que la haine fût éternelle entre deux hommes séparés par de telles invectives : tel était pourtant l’orgueil incommensurable de chacun d’eux qu’ils se montrèrent plus tard singulièrement indulgents l’un pour l’autre, simplement parce qu’ils s’accordèrent mutuellement des satisfactions d’amour-propre.
En 1818, Chateaubriand avait écrit ce passage dans un article de polémique :
« Jeté au milieu des mers où le Camoens plaça le génie des tempêtes, Buonaparte ne peut se remuer sur son rocher sans que nous ne soyons avertis de son mouvement par une secousse. Un pas de cet homme à l’autre pôle se ferait sentir à celui-ci, si la Providence déchaînait encore son fléau ; si Buonaparte était libre aux États-Unis, ses regards, attachés sur l’Océan, suffiraient pour troubler les peuples de l’Ancien Monde ; sa seule présence sur le rivage américain de l’Atlantique forcerait l’Europe à camper sur le rivage opposé ».
Cet article fit tressaillir d’orgueil Napoléon exilé sur son rocher de Sainte-Hélène et l’empereur déchu en exprima sa joie par une flatteuse appréciation sur Chateaubriand.
« Si, en 1814 et en 1815, la confiance royale n’avait point été placée dans des hommes dont l’âme était détrempée par des circonstances trop fortes ou des renégats à leur patrie qui ne voyaient de salut et de gloire pour le trône de leur maître que dans le joug de la Sainte-Alliance ; si le duc de Richelieu, dont l’ambition fut de délivrer son pays des baïonnettes étrangères ; si Chateaubriand, qui venait de rendre à Gand d’éminents services, avaient eu la direction des affaires, la France serait sortie puissante et redoutée de ces deux crises nationales. Chateaubriand a reçu de la nature le feu sacré ; ses ouvrages l’attestent. Son style n’est pas celui du vaincu : c’est celui du prophète. Il n’y a que lui au monde qui ait pu dire courageusement à la tribune des pairs que la redingote et le chapeau de Napoléon placés au bout d’un bâton sur la côte de Brest feraient courir l’Europe aux armes. Si jamais il arrive au timon des affaires, il est possible que Chateaubriand s’égare ; tant d’autres y ont trouvé leur perte ! Mais ce qui est certain, c’est que tout ce qui est grand et national doit convenir à son génie et qu’il eût repoussé avec indignation ces actes infamants de l’administration d’alors[2] ».
Ce fut le tour de Chateaubriand d’être flatté ; il l’avoua lui-même :
« Pourquoi ne conviendrais-je pas, écrit-il, que ce jugement flatte de mon cœur l’orgueilleuse faiblesse ? Bien de petits hommes à qui j’ai rendu de grands services ne m’ont pas jugé si favorablement que le grand dont j’avais si discuté le crime et attaqué la puissance ».
Il s’excusa presque alors de la passion qu’il avait mise à dénoncer les crimes dans le fameux pamphlet que nous avons cité et il écrit le parallèle de Washington et de Buonaparte, parallèle où sa plume s’est si singulièrement adoucie qu’on se scandalise un peu autour de lui de la contradiction du jugement de 1827 sur celui de 1814.
« Mes deux plâtres de Napoléon se ressemblent, riposte-t-il, mais l’un a été coulé sur la vie et l’autre modelé sur la mort et la mort est plus vraie que la vie ! »
Mais revenons, après cette digression un peu longue, à un résumé rapide de l’existence de Chateaubriand après la chute du régime impérial : il le faut pour l’unité de cette étude, bien que l’époque de la Restauration soit en dehors de notre cadre.
Les œuvres littéraires de Chateaubriand prennent fin avec l’empire. On sait que ses Mémoires d’Outre-Tombe ne furent publiés qu’après sa mort et qu’il n’y fixa que des considérations politiques et des commentaires personnels et souvent fort absolue sur les événements auxquels il s’était trouvé mêlé.
La Restauration, qui ramenait un modèle de gouvernement auquel Chateaubriand donnait tout son crédit, fit de l’écrivain un homme politique très en vue. Les faveurs qu’il obtint et les dignités dont Louis XVIII le couvrit ne réduisirent point une combativité naturelle dont il faut voir une preuve curieuse dans la publication qu’il fit, en 1816, de La Monarchie selon la Charte, brochure qui lui attira les sanctions les plus sévères, le fit, entre autres choses, rayer de la liste des ministres d’État et détermina le pouvoir à lui supprimer temporairement sa pension.
Après avoir, deux ans après, fondé un journal : le Conservateur, Chateaubriand semble vouloir abandonner les agitations de la vie politique pour entrer dans l’action diplomatique où il paraît n’avoir que d’assez faibles dispositions. On lui confère les plus précieuses ambassades : Londres et Berlin ; il assume, en 1823, la responsabilité de la guerre d’Espagne en sa qualité de ministre des Affaires étrangères. Sa vie publique prend alors une tournure d’autant plus susceptible d’être critiquée qu’elle témoigne d’un orgueil buté et d’un contentement de soi capables d’entraîner les pires erreurs.
C’est ainsi qu’il cesse volontairement d’appartenir au ministère Polignac, qu’il démissionne également de son titre de pair de France et qu’on le trouve, en 1832, devant la justice, poursuivi, sans résultat d’ailleurs, pour la publication de son mémoire sur la captivité de la duchesse de Berry. Il s’était fait, un peu auparavant, l’émissaire de cette même duchesse de Berry dans une entreprise qui lui valut d’être quelque temps emprisonné. Quelques événements de médiocre importance auxquels les circonstances le mêlèrent furent les derniers éléments d’une vie politique au déclin.
Il passa ses dernières années dans un calme profond, parmi d’intelligents amis qui l’entouraient de cette affection respectueuse dont il se montrait si touché. Il ne connut donc plus les amertumes, les rancœurs et les ennuis dont les moindres événements l’impressionnaient toujours. Très soucieux de son attitude et s’imaginant constamment que le souvenir de ses moindres gestes ou du plus simple aspect de sa personnalité passerait à l’histoire, il sut jusqu’au bout garder cette altière splendeur, cette noblesse d’allures, cette sérénité hautaine qui lui composent une gloire éphémère, mais qui évoquent encore cependant la force singulière, le grandiose et le pathétique dont il nous a laissé d’admirables preuves.
Ce n’est point le lieu de consacrer ici à l’œuvre littéraire de Chateaubriand une longue étude critique ; il s’agit bien plutôt de mettre seulement son nom dans une juste lumière puisque ce chapitre comporte des vues d’ensemble sur une période de l’histoire et non des essais psychologiques sur telle ou telle individualité déterminée. Aussi nous ne nous étendrons pas sur ce personnage que Chateaubriand sut composer par sa vie. D’ailleurs, nul n’ignore les enfantillages, les puérilités orgueilleuses, les prétentions démesurées et cette extraordinaire suffisance qui forment le fond de son caractère et lui valurent une impopularité justifiée. Il serait oiseux d’en donner à nouveau des preuves ; une page de ses brochures, une page de ses Mémoires d’Outre Tombe suffirait à dévoiler cette pompe dont il semble n’avoir jamais reconnu la sottise et le ridicule.
Plus qu’aucun autre, il paraît désirer l’indépendance, mais c’est moins pour en jouir que pour laisser à l’admiration des hommes le souvenir de cette attitude de fierté, de force et de solitude. Ce désir perpétuel de sauvegarder sa personnalité contre les atteintes d’un pouvoir ou d’une idée qu’il n’accueille point, trouble profondément sa carrière politique ; il avait aussi peu que possible la souplesse requise pour se maintenir dans les postes élevés où la chance l’avait placé ; son avis n’était-il point accepté, son sentiment sincère ne parvenait il pas à prédominer : il se retirait aussitôt, démissionnait, ne sentant point de restrictions ou d’atermoiements, considérant que c’était lui faire injure que discuter ses conseils, car il se crut toujours « l’homme de la situation ».
Les milieux où il passa, les sociétés qu’il connut développèrent un peu chez lui l’ironie ; il a laissé de quelques politiciens d’amusants portraits qui sont un délassement pour cet esprit toujours plongé, semblait-il, dans les plus graves problèmes et les plus lourdes responsabilités.
Il faut noter une fois de plus, avant un très rapide exposé de ses œuvres, la prédominance du sentimentalisme chez Chateaubriand. L’Essai sur la Révolution peut nous faire aisément constater de quelle manière superficielle il s’était assimilé les idées des encyclopédistes. Il nous faut maintenant taxer l’idéologie de Chateaubriand d’enfantillage. Le manque de logique, l’inconsistance de ses propositions, les affirmations, a priori, d’un cœur mené par ses intuitions, l’éducation déplorable qu’il reçut, semblent lui interdire à jamais le domaine des œuvres nourries par la pensée philosophique. Il demeure incomparable dans les seuls livres dont la matière et l’esprit autorisent le lyrisme, le pittoresque ou l’émotion grandiose, dont les moindres aspects de la nature le pénétraient.
Si l’on ne devait à la mémoire de Chateaubriand le respect qui s’attache au souvenir des grands hommes, il serait plus décent de passer sous silence le Génie du Christianisme. La langue, malgré sa richesse et sa pompe, malgré l’émotion religieuse qu’elle paraît celer font suppléer au manque d’idées et à l’étonnante légèreté des affirmations philosophiques. Le christianisme, s’il n’avait, pour sauvegarder son existence et sa durée, que l’apologie rédigée par Chateaubriand serait assuré de perdre bientôt tout crédit auprès de ceux qui se laissent prendre encore au mystérieux et au surnaturel. Les preuves de l’existence de Dieu, très nombreuses au cours de cette œuvre, sont d’une naïveté que ne sauraient autoriser les plus grands accès de lyrisme ou de foi. Les théologiens, même à court d’arguments, n’eurent jamais l’idée d’y puiser quelques textes pour des démonstrations nouvelles.
Cependant Chateaubriand fit illusion, par ce livre, sur ses contemporains et la religion parut un instant reprendre une vigueur nouvelle, dont le caractère était néanmoins fort éphémère. Les encyclopédistes avaient déjà, par leurs œuvres, jeté dans les esprits les germes d’une conscience nouvelle. Le désir des réalités scientifiques, des certitudes concrètes, des hypothèses rendues vraisemblables par la connaissance rationnelle du monde, remplaça le mysticisme d’antan. Seuls, quelques esprits hautains, demeurés en dehors de révolution et des idées modernes, s’attardaient dans une manière d’idéalisme confus et de vague religiosité fondée sur des émotions et des extases contemplatives. Ce fut pour ceux-là que Chateaubriand écrivit son œuvre. Ce fut avec eux qu’il s’illusionna lui-même sur la prétendue validité des ses arguments théologiques, auxquels nous n’accordons aujourd’hui ni force ni valeur.
À la louange de Chateaubriand, et pour conclure brièvement sur le Génie du Christianisme, il faut dire toute la sincérité et toute l’importance aussi de son sentiment. Si de telles œuvres sont à juste titre déplorables lorsqu’on les considère d’un point de vue rigoureusement philosophique, elles recèlent une émotion qui est bien souvent le meilleur élément de l’art et, dans les parties confuses de cette vaste conception chrétienne, on peut désigner maints endroits où se manifestent une grandeur et une beauté singulières, dont on ne se laisse pas d’être encore ému aujourd’hui.
On voudrait pouvoir, en lisant les Natchez et les Martyrs, retrouver un peu de cette vie poignante, de cette émotion qui ne va guère sans psychologie, de cette vérité qui assure l’immortalité à une œuvre d’art. Mais, là encore, il faut en rabattre et connaître à nouveau la magnificence désolée, le verbalisme et la pompeuse phraséologie du Génie du Christianisme. Seules, les descriptions, lorsqu’elles sont empreintes du pessimisme altier de leur auteur, gardent une ampleur singulière.
La vision pittoresque, le sentiment mystérieux des forces inexplicables de la nature, l’émotion devant les paysages tranquilles ou tourmentés sont assurément les meilleurs dons dans Chateaubriand, mais ils ne donnent point à ses œuvres l’unité, la force psychologique, la vérité, le naturel pathétique qu’il eût été d’ailleurs téméraire d’espérer de lui. On se plaît à parcourir encore le Génie du Christianisme, Atala, René et l’Itinéraire, parce qu’ils renouvellent des aspects fugaces de la nature, exprimés par un tempérament sensible, âpre et forcené. Quoique empreintes de vérités justifiées par une vision précise et complète, ces peintures sont bien l’expression de sa personnalité, tour à tour sereine, fougueuse et mélancolique. Elles font songer au romantisme qui s’exhale des œuvres de Delacroix. C’est là justement, dans ces paysages, bien plus que dans les essais dramatiques bâtis sur une affabulation démodée, que Chateaubriand a donné sa plus large mesure épique. Il a su rendre à merveille ce qu’il y avait de grandiose, de tragique et de surhumain dans le conflit des énergies naturelles. Devant l’univers en marche, il a ressenti cette émotion intime et profonde que suggèrent ces énigmes, à la pénétration desquelles se sont attachés les grands hommes de tous les temps.
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En 1766, naissait Germaine Necker qui, vingt ans après, devenait Mme de Staël et qui fut, à coup sûr, l’un des plus libres esprits qui aient illustré l’époque impériale. Les historiens et les biographes se sont complus, à juste titre d’ailleurs, dans le récit des anecdotes d’enfance qui manifestent l’étonnante précocité de l’écrivain de l'Allemagne. Ils nous ont rapporté ses saillies, ses interrogations spécieuses et les traits d’esprit qu’elle lançait à chaque instant pendant les réceptions de sa mère. Curieuse de tout, cherchant à pénétrer l’essence des questions les plus complexes, leur imaginant des solutions, avide de lectures, elle passa son adolescence à parcourir, à étudier, à se passionner pour des œuvres souvent fort opposées d’esprit et de manière. Le goût de Necker pour les philosophes et les gens de lettres lui avait d’ailleurs composé le milieu le plus apte à l’intéresser, et elle prenait, fort jeune encore, un vif plaisir à écouter les discussions interminables de Marmontel et de la Harpe, les conversations qu’échangeaient au foyer familial les hommes célèbres de ce temps-là, Suard, Grimm, Buffon, Morellet.
De bonne heure, elle écrivit ; mais les premiers essais d’une nature si passionnée, si prête à tous les efforts intellectuels, trahissent la confusion et le chaos de ses lectures. C’était déjà ce mélange si délicieux de finesse, de goût, de sens critique et d’émotion, d’intelligence et d’imagination. Femme par sa méthode de travail, elle ne poussait point trop avant les questions dont elle se proposait de trouver la solution, préférant multiplier les problèmes en des synthèses rapides, d’où fut presque toujours absent cet esprit d’ordre et de géométrie dont parle Pascal.
Mme de Staël possède d’adorables qualités naturelles, des dons si parfaits qu’on ne peut s’empêcher d’admirer l’harmonie de ce caractère passionné. Elle a, comme le dit excellemment Gustave Lanson, dans son Histoire de la littérature française, « une soif furieuse de bonheur pour elle et pour les autres ». Son enthousiasme ne connaît point de bornes, mais il éclate aussi bien dans les plaisirs qu’à propos des questions les plus émouvantes. Les faibles, les opprimés, les victimes du pouvoir sont assurés de trouver en elle un cœur pitoyable à leurs misères, tout débordant de lyrisme sincère et souvent prêt aux plus efficaces dévouements.
Mme de Staël ignorait encore, et ce n’est pas là un de ses moindres mérites, les us ridicules de la mondanité. Cela n’empêchait point qu’elle eût toute la souplesse et tout le charme primesautier d’une femme intelligente et sensible ; mais, occupée avant tout de vivre, elle ne consentait point à restreindre ses émotions dans les limites conventionnelles imposées par la mode d’alors.
Nulle autant qu’elle ne désira d’être aimée. C’était là le but de ses moindres efforts, et l’on a maintes fois répété qu’elle n’attachait de prix à la gloire qu’autant que celle-ci lui garantissait l’amour dont elle avait tant besoin. Par la bouche de Germaine, elle nous avoue ses plus secrets désirs, nous confie ses rêves et les perspectives d’un idéal où brillaient les illusions qui la prédestinaient à la douleur.
Dans son livre sur Mme de Staël, M. Albert Sorel a remarquablement mis en valeur les conceptions de l’amour chez son héroïne, et chez Rousseau, Lamartine, Chateaubriand, George Sand. Le sentimentalisme pittoresque de ces derniers, leur besoin de romanesque ou de décor n’étaient guère dans le naturel de Mme de Staël, toute prête, au contraire, à s’abandonner aux émotions intimes, aux secrètes jouissances de l’âme.
Cette admirable sensibilité et cette intelligence si vive lui valurent de pénétrer avec une rare puissance l’originalité propre à chaque pays qu’elle traversait ; le charme de ses œuvres provient de la finesse, de l’ardeur et de l’exactitude de ses notations, qui caractérisent au plus haut point sa manière et son talent parmi les écrivains descriptifs qui vivaient à peu près à son époque. Mais, avant de parcourir l’Europe librement, avant que d’exercer sa verve sur les sujets innombrables que lui présentaient la vie et les mœurs d’alors, elle dut connaître une existence dont elle avait espéré beaucoup de bonheur, et qui ne fut que la source des plus profondes désillusions. Necker, Genevois avisé, ministre populaire, dont l’histoire a consacré le caractère honnête, solide et prudent, voulut donner à sa fille un parti vraiment digne d’elle. Après des pourparlers assez longs, des tergiversations et des consultations diplomatiques, il lui fit épouser un certain baron de Staël, ambassadeur de Suède en France. Ce mariage amena tout aussitôt des mésintelligences, contre lesquelles s’épuisèrent vainement des tentatives de conciliation. Mais la destinée réservait encore aux siens de pires sujets d’alarmes. On sait la triste fin de Necker et l’impopularité que lui vouèrent ceux-là même qui l’avaient acclamé.
Mme de Staël eut, comme sa mère, un salon où fréquentèrent les gens les plus fins et les plus diserts de l’époque. Elle s’entoura d’amis que charmaient ses réparties, ses adresses spirituelles. Mais elle fit, par ses saillies et ses inconséquences de femme, naître un courant d’opinion qui lui fut au plus haut point défavorable. Ceux qu’elle avait raillés la couvrirent d’épigrammes, et les plus timides ne s’en désintéressèrent qu’ils ne fussent eux-mêmes assurés du discrédit dans lequel ils avaient voulu la placer.
Les événements qui bouleversaient l’ordre politique de la France ne pouvaient la laisser indifférente. Elle désira jouer dans cette tragédie un des premiers rôles, mais il lui manquait l’ampleur et la sobre raison, ou la rouerie dont il faut être pourvu pour accomplir ses desseins. Elle n’avait d’ailleurs ni l’autorité ni la force désirables pour se mêler sans restriction au grand mouvement national qui renversait les institutions et les idées de la tyrannie. Pareille en cela à la célèbre Olympe de Gouges, elle pensait à des solutions impossibles à réaliser, à des accords entre les partis, à de paisibles entente où résidait, lui semblait-il, la sauvegarde des factions aux prises. Ces vues sentimentales ne pouvaient guère prévaloir ; elle répugnait d’ailleurs aux méthodes rigoureuses dont se servaient les révolutionnaires, se compromit par sa ferveur royaliste, et, en septembre 1792, se retira à Coppet, Ce fut là, en Suisse, qu’elle publia, deux ans après, ses Réflexions sur la paix, adressées à M. Pitt et aux Français. Ces considérations libérales sur la situation politique lui permirent de rentrer à Paris, où elle reprit bientôt la vie commune avec M. de Staël et aussi les réceptions de jadis. Il faut avouer que cette série nouvelle de soirées constitua le milieu le plus disparate et le moins homogène qu’on pût voir. Tous les partis se rencontrèrent dans ses salons ; mais elle ne pouvait, malgré sa ferveur affichée pour la République et les idées dont on venait d’instaurer le règne, se, défendre d’accorder ses affections à ses amis d’autrefois, revenus avec elle, et qu’on accusait de préparer sournoisement la perte des républicains. Des soupçons, on en vint aux faits précis. Le Comité de salut public prit même à son endroit une décision éphémère. Soucieuse de sa tranquillité, Mme de Staël ferma son salon, et fit diversion en paraissant délaisser la politique pour l’achèvement et la publication de ses livres.
Les groupes politiques qui tenaient le pouvoir se défiaient de Mme de Staël et, s’ils ne lui interdisaient point le séjour sur le territoire français, ils la mirent dans l’obligation de s’en éloigner d’elle-même. Elle s’exila de nouveau en Suisse, et c’est à Coppet qu’elle écrivit le Traité des Passions. Cet ouvrage eut un grand succès, mais il ne rompit pas encore les soupçons et les médisances dont on accablait son auteur. Mme de Staël avait beau multiplier les actes de foi et des déclarations empreintes d’une très curieuse intransigeance républicaine, on n’accordait qu’assez peu de crédit à ces manifestations retentissantes d’une convertie dont tous contestaient le zèle et la sincérité.
Néanmoins, en 1797, elle osa rentrer à Paris et reprendre les réceptions qui l’avaient rendue si célèbre.
Et nous allons assister à un conflit violent entre la femme déjà célèbre et Bonaparte dans tout l’éclat de sa jeune gloire.
Les apologistes de Napoléon n’ont point manqué de prétendre que ce fut un dépit amoureux qui se transforma chez Mme de Staël en hostilité violente contre celui qu’elle voulut conquérir.
Ils affirment, en citant quelques textes à l’appui, que Mme de Staël, pressentant le rôle futur du jeune général, joua vis-à-vis de lui la comédie de la passion.
« Je me rappelle, dit Bourrienne, que, dans une de ses lettres, Mme de Staël disait à Bonaparte qu’ils avaient été créés l’un pour l’autre ; que c’était par suite d’une erreur des institutions humaines que la douce et tranquille Joséphine avait été unie à son sort ; que la nature semblait avoir destiné une âme de feu, comme la sienne, à l’adoration d’un homme tel que lui. Toutes ces extravagances dégoûtaient Napoléon à un point que je ne saurais dire. »
À l’appui de cette assertion, on cite encore une entrevue racontée par Arnault, et qui eut lieu dans une fête donnée par le ministre des relations extérieures :
« On ne peut aborder votre général, me dit-elle, il faut que vous me « présentiez à lui ». Elle accabla Napoléon de compliments ; lui, laissait tomber la conversation ; elle, désappointée, cherchait tous les sujets possibles. « Général, quelle est la femme que vous aimez le plus ? — La mienne ! — « C’est fort simple ; mais quelle est celle que vous estimez le plus ? — Celle qui sait le mieux s’occuper de son ménage. — Je le conçois encore. Mais enfin, quelle serait pour vous la première des femmes ? — Celle qui fait le plus d’enfants, madame ». Et, là-dessus, Bonaparte lui tourna le dos, la laissant interloquée de ces glaciales réponses à des avances qu’elle considérait comme la préface du roman échafaudé dans sa féconde imagination d’intrigante. »
Lucien, dans ses Mémoires, rapporte en outre certains propos que lui aurait tenus Napoléon au sujet de Mme de Staël.
« Je la connais bien… Elle a déclaré à quelqu’un qui me l’a répété que, puisque je ne voulais pas l’aimer, ni qu’elle m’aimât, il fallait bien qu’elle me haït, parce qu’elle ne pouvait pas rester indifférente pour moi. Quelle virago ! »
Et M. Arthur Lévy, qui a rassemblé tous ces témoignages, conclut que l’aversion de Bonaparte eut pour effet de transformer le rêve ambitieux de Mme de Staël en un véritable cauchemar et que l’amour fit place, chez elle, à une haine violente.
Nous ne disputerons pas sur ce point qui, au demeurant, est de mince importance. Il est indiscutable que Mme de Staël eut, à l’origine, des sympathies fort vives pour Bonaparte. Se changèrent-elles en animosité par suite d’un dépit d’amour ou par l’indignation qu’inspira à certaines âmes l’ambition grandissante du despote ? C’est là un débat où nous ne saurions nous attarder.
En tous cas, le conflit commença à prendre de l’aigreur à la suite de la publication, en 1800, d’un nouvel ouvrage de Mme de Staël.
L’œuvre porte le titre suivant : De la Littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales. C’est là un volumineux travail où sont rassemblées des vues parfois ingénieuses, mais qui témoignent d’une
idéologie mal assurée, encore qu’animée d’intentions excellentes. La perfectibilité de l’esprit humain est, en quelque sorte, le thème principal de cette œuvre, qui comporte un grand nombre de variations intéressantes. L’imparfaite érudition de Mme de Staël et son désir constant d’accomplir des synthèses hardies et de porter des jugements rigoureux l’entraînent à des erreurs regrettables. Son goût et son activité, qui s’exercent sur les branches les plus disparates de la connaissance humaine, déterminent nécessairement des omissions, des appréciations injustifiées et souvent même suscitent en elle des opinions si franches qu’elles vont renouveler des dissentiments et des polémiques mal apaisés. Les conseils donnés par Mme de Staël à Napoléon l’indisposent contre elle à ce point qu’il commence à la persécuter. Elle lui répondait par des épigrammes, des saillies et une opposition ouverte dont elle faisait, avec ses familiers, tous les frais. Parmi de nombreux amis qui fréquentaient chez elle, Benjamin Constant fut, dans cette période, le préféré. On pensa même que, la mort de M. de Staël étant survenue il épouserait Corinne. Il n’en fut rien, tant les caractères s’opposaient malgré leurs affinités apparentes. Benjamin Constant, plus passionné de lutte que de sincérité et de conviction, écrivit et parla contre Bonaparte ; comme on n’ignorait point l’importance du rôle que jouait dans ces polémiques Mme de Staël, on l’éloigna de Paris ; elle en profita pour visiter l’Allemagne et connaître les grands hommes qui lui donnaient alors une gloire incomparable : Schiller et Goethe. Son voyage au-delà du Rhin lui fournit une matière inépuisable pour les dissertations au milieu desquelles elle aimait passer sa vie. Son éloquence incessante, ses conversations excessives, brillantes, désordonnées, ses questions sur les moindres sujets ou les plus complexes problèmes, fatiguèrent les gens. Schiller l’estima peu ; il lui concéda de l’intelligence et une culture légère, mais générale. Elle déplut à Gœthe et sut, avec des reparties malheureuses, se montrer fort insolente à l’égard de Fichte qui renouvelait alors, sous des formes plus spécieuses et plus délicates, le dogme kantien. Elle passa en Italie, visita Milan, reçut de précieux hommages et revint à Coppet en 1805, où elle écrivit Corinne. Cette nouvelle œuvre, composée selon la méthode des précédentes, fournit encore des preuves de cette turbulence d’esprit et de cette confusion dont Mme de Staël ne sut jamais se départir. Il est vrai qu’on n’avait point, comme aujourd’hui, le goût de la logique et qu’on se plaisait fort à lire des ouvrages où la forme banale et l’intrigue fade du roman servaient de cadre à des digressions philosophiques, à des méditations sur le caractère d’un peuple, son évolution ou sa psychologie, à des jugements sur les événements de l’histoire contemporaine. Corinne obtint, dès sa publication, le plus grand retentissement. Les descriptions plus sentimentales que pittoresques de l’Italie, les réflexions vives, les abandons enthousiastes ravirent le plus grand nombre. La gloire de Mme de Staël, à qui revenaient toujours des sympathies plus nombreuses, était décidément gênante pour Napoléon. Il ordonna qu’on ne lui permit point de s’approcher à nouveau de Paris, jugeant que sa présence y serait encore l’objet de sentiments nécessairement contraires à ses vues politiques.On a souvent comparé l’exil de Mme de Staël, à Coppet, à la solitude de Voltaire, à Ferney. Il n’y a rien que de hasardeux et d’injustifié dans ce rapprochement, car si le patriarche de Ferney sut garder dans sa retraite une longue et paisible dignité, on n’en peut dire autant de Mme de Staël. Sitôt de retour en Suisse, elle reprenait une existence plus agitée que celle qu’elle menait à Paris. Ses crises sentimentales ne faisaient d’ailleurs qu’empirer chaque jour et sa liaison avec Benjamin Constant eut maintes fois des phases presque comiques, tant il s’y manifestait de fièvre, d’incohérence et de sentiments contrariés ou incertains. Le mariage de l’amoureux avec une jeune femme affable et calme rompit ces chaînes insupportables dont ils ne semblaient ni l’un ni l’autre vouloir se délivrer. Ce fut au milieu de ces tourments et de ces chagrins que Mme de Staël écrivit l’Allemagne. Espérant par là reconquérir, sinon la faveur, du moins l’estime et la protection dont elle avait besoin pour vivre à Paris, elle adressa l’Allemagne à Napoléon. Celui-ci, excédé par l’obstination que mettait l’écrivain à pénétrer dans une ville dont il prétendait diriger l’idéologie et le sentimentalisme comme la politique, s’emporta et prit contre Corinne les mesures les plus arbitraires et les plus insensées. Non content que les censeurs aient demandé la correction de l’œuvre, qu’ils trouvaient par endroits trop favorable au génie et au goût allemands, Napoléon fit briser les formes de l’ouvrage, saisir les exemplaires, ordonna de rechercher les manuscrits qui en pouvaient circuler encore et exila brutalement Mme de Staël au-delà du territoire français.
C’est peu de temps après que se place une des plus curieuses époques de la vie sentimentale de Mme de Staël. Toute une jeunesse, des illusions, une fièvre et des troubles délicieux qu’elle croyait à jamais disparus lui furent rendus par un jeune officier, M. de Rocca, que la destinée avait rapproché d’elle. Le bonheur fut en Suisse d’assez courte durée. La colère de Bonaparte rendait, à Coppet même, le séjour impossible à Mme de Staël. Elle dut fuir en Russie où on l’accueillit avec d’autant plus d’empressement qu’elle arrivait grandie par les persécutions de celui contre qui l’Europe se levait en vain. Elle termina là-bas ses Dix années d’exil, où, parmi les plus violentes diatribes et des excès d’une grandiloquence qui rappelle les harangues de tribuns, on retrouve de fins jugements, des vues délicates sur la psychologie, l’originalité et l’avenir du peuple russe, en même temps que de rapides synthèses où sont rassemblées des appréciations et des pensées critiques du goût le plus spécieux et le plus sûr.
Elle voyage en Suède, en Angleterre, puis, désillusionnée sur le compte de cette coalition de princes étrangers, plus décidés à se venger de leurs défaites antérieures qu’à rétablir en France une liberté longtemps enchaînée par le despote, elle revient à Paris en 1814. Elle dépense alors des forces que l’âge et une vie trop ardente commençaient à restreindre, dans l’achèvement de ses Considérations sur la Révolution française. Les malheurs, dans cet instant, fondent sur elle ; Rocca, qui lui gardait un inaltérable amour, est mortellement malade. Elle-même est atteinte par une paralysie générale. Des jours assombris s’écoulent et, le 13 juillet 1817, elle meurt doucement au milieu de son sommeil.
L’œuvre de Mme de Staël nous a paru si profondément liée aux moindres circonstances de sa vie qu’il eût été néfaste à celle-là de ne point développer un peu plus longuement celle-ci. L’héroïne de tous ces livres empreints de sentimentalisme, de fougue ou de finesse critique est toujours Mme de Staël. Qu’il s’agisse de Delphine ou de Corinne ou de ses traités de psychologie sociale, c’est toujours sa personnalité débordante qui anime, soutient et vivifie l’action. Qu’elle s’efforce vers l’idéologie pure dans ses Considérations sur la Révolution, qu’elle tente, dans ses Dix années d’exil, de réaliser la forme majestueuse de l’histoire, ou qu’elle consente à demeurer la femme sensible, vive, amusée, qu’elle est naturellement, dans Delphine, elle ne paraît guère se transformer. Sa nature ardente et compréhensive, mais dépourvue d’imagination, sa souplesse et son activité s’accommodent de toutes les questions. Elle ne recule devant aucun problème, quelque profond qu’il lui puisse paraître, en essaie plusieurs solutions, le tourne, le laisse, y revient ensuite avec toute la légèreté d’une femme qui se grise elle-même au charme de sa causerie. Toute l’œuvre de Mme de Staël se ressent de cette éloquence continuelle ; on y trouve une infinie variété de digressions philosophiques ou sentimentales à propos d’anecdotes futiles. On pourrait croire que les voyages vont déployer en elle un pittoresque à la Chateaubriand, que ses mésaventures vont lui donner un pessimisme romantique et une exaltation toujours prête à des excès de véhémence lyrique ; il n’en est rien. L’Allemagne et l’Italie laissent au cœur de celle qui les visita des souvenirs d’autant plus durables qu’ils sont plus humains. Mme de Staël n’a point de tendresse pour les paysages ; elle en parle ou les décrit avec une froideur conventionnelle et une pauvreté d’émotion qui fait songer à la nature composée, agencée par les écrivains du xviiie siècle ou les peintres de l’époque. En revanche, peu sensible à la plastique et à la profondeur des arts, peu capable d’animer des êtres d’une psychologie ténue et compliquée, elle manifeste une intelligence délicieuse des faits et des choses ; évidemment, elle les juge en femme et, comme telle elle s’autorise d’affirmer tranquillement des propositions peu justifiées ou insoutenables ; néanmoins, son esprit est à ce point ouvert aux idées ingénues qu’il abonde en saillies imprévues, en synthèses rapides, en rapprochements heureux. Mme de Staël n’est point émue par la grandeur sereine ou les vivaces splendeurs des vestiges du passé ; mais elle dira mieux que personne, et fort naturellement, l’intérêt historique, idéologique, qui s’attache au spectacle qu’elle a sous les yeux ; il arrivera quelquefois qu’elle reconstitue rapidement, d’après des documents incomplets ou restreints, la psychologie d’un peuple disparu. Elle est donc avant tout une femme d’esprit qui distribue un peu au hasard les réponses fines d’une intelligence curieuse des manifestations les plus compliquées de l’action humaine.
Delphine et Corinne sont deux romans aujourd’hui fort désuets. Ils ont l’allure et le ton de ces œuvres dont on déplore avec raison la fadeur et le faux naturel. D’ailleurs, l’intrigue fort lâche et peu passionnante assure entre les descriptions, les notes et les réflexions, une continuité artificielle et par trop facile. Le sentimentalisme d’une femme toujours avide d’aimer ou d’être aimée s’y accommode de la sécheresse descriptive et de l’absence totale de pittoresque. Elle ignore la couleur et ne sait guère rendre pathétique un conflit de sentiments. La force dramatique lui est tout à fait étrangère, et, si nous aimons à suivre le récit de ses aventures, c’est moins pour l’émotion qu’elles recèlent que pour la vivacité, l’esprit et la sensibilité qui les animent.
Ses dispositions pour l’idéologie et la psychologie sociale furent heureusement développées par les événements auxquels elle se trouva mêlée et par les voyages qu’elle fit à travers l’Europe. Elle gagna ainsi une érudition générale, encore que superficielle, dont on retrouve les preuves dans son œuvre : De la Littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales, et parmi ses Considérations sur la Révolution française.
Mais, à coup sûr, le livre de l'Allemagne, publié en 1810, l’emporte de beaucoup sur ces essais, dont quelques-uns sont confus ou remplis de propositions erronées. Mme de Staël, en visitant la patrie de Goethe, s’était trouvée dans les conditions les meilleures pour faire de ce pays une analyse psychologique des plus curieuses. Son nom déjà célèbre, ses querelles politiques, ses aventures et l’intérêt qu’elle excitait partout avaient contribué à lui faire ouvrir toutes les portes. Elle vit Schiller, Gœthe et Fichte et l’on n’a pas oublié la pétulance et la volubilité que Mme de Staël apporta dans ses entretiens avec ces penseurs profonds. Elle étonna les uns, gêna les autres, en les indisposant par un flux de paroles et de reparties mordantes. Ce sont justement ces qualités de l’âme allemande qui formaient avec ses tendances naturelles un si violent contraste, qu’elle sut analyser et exprimer avec le plus d’intensité. Son intelligence, fortement pénétrée par le rationalisme de l’Encyclopédie, gagnée d’avance aux raisonnements clairs, aux idées abstraites fort exactes et précises, démêla surtout dans l’esprit germanique la prépondérance de la rêvasserie métaphysique. Elle remarqua ces combinaisons spéciales à l’âme allemande du sentimentalisme mélancolique avec une idéologie confuse et fort préoccupée de réalités surhumaines ; mais elle a compris la richesse et la profondeur des spéculations d’un Gœthe. Si ses tendances paraissent l’orienter vers une conception esthétique plus classique, plus sobre, plus latine en un mot, et d’ailleurs justifiée par ses origines, son tempérament et son éducation, elle apporte assez d’intelligence à l’étude des littératures étrangères pour en discerner la force et la personnalité. Le pittoresque attendri des poètes allemands, leur imagination féconde et rêveuse, leur sentiment profond et leur compréhension philosophique de la nature l’ont charmée. Aussi cette conquête de son cœur et de son esprit est-elle une garantie du libéralisme dont elle use envers ce peuple. Elle ne manque pas, d’ailleurs, de développer souvent les avantages qui ressortant de la diffusion à travers le monde de toutes les littératures nationales. Celles-ci sont, pour elle, mieux qu’un document sur l’état intellectuel d’un peuple, mais la source même de l’originalité.
On peut enfin affirmer justement l’influence considérable exercée par Mme de Staël sur l’éveil de l’esprit romantique. En maints passages de l’Allemagne, elle s’élève contre le dogmatisme étroit et conventionnel des règles de l’art classique. La méditation féconde et le génie souple, large et rêveur des Allemands, la richesse et la diversité de leur inspiration ont profondément modifié son esprit jadis empreint de rationalisme. Les fougueux polémistes et les bruyants écrivains de 1830 se souviendront de ses violentes diatribes contre les dogmes surannés d’une époque esthétique qui avait alors donné toute sa mesure.
Ainsi, par leur envergure intellectuelle, par leurs personnalités retentissantes et par leurs œuvres si justement célèbres, Chateaubriand et Mme de Staël, laissant loin derrière eux la pléiade des écrivains craintifs ou médiocres, sont les deux noms immortels légués par les lettres contemporaines de Napoléon. Il est à remarquer, et c’est un document simple, mais précieux pour la philosophie de l’histoire, que ces deux grandes figures, malgré leurs oppositions et leurs dissemblances, demeurent célèbres, non seulement par la force des œuvres laissées, mais par la beauté d’une vie consacrée à lutter contre un pouvoir d’oppression. Si l’on fait la part des exclamations oratoires et de ces postures complaisamment héroïques, à la jouissance desquelles tant d’écrivains mêlés aux affaires publiques se sont abandonnés, il y a, dans les brochures politiques de Chateaubriand et dans les Dix années d’exil de Mme de Staël, des pages encore admirables, des appels pathétiques à la justice et à la liberté de penser, des imprécations généreuses contre celui qui avait résolu de ramener sous son joug l’unanimité des énergies humaines.
Au milieu de la contrainte générale des esprits, des bassesses et des turpitudes qu’exigeait l’empereur de ceux qui semblaient le plus soucieux de leur indépendance, Mme de Staël et Chateaubriand symbolisent la lutte de l’idéologie contre les forces aveugles de la tyrannie. Et c’est dans cette activité à chaque instant démantelée par les spoliations, l’exil ou la mise au pilon qu’il faut voir dans une certaine mesure la personnalité profonde qui imprègne leur art. Napoléon, qui prétendait conduire à son gré les multiples forces de l’évolution, rencontra deux esprits que son audace ne put réduire au silence. Chateaubriand et Mme de Staël, pour l’honneur des lettres nationales, ne consentirent point à abdiquer les droits d’expression libre, qui sont le patrimoine de la pensée humaine. Et leur œuvre, par des qualités puissantes de lyrisme, de force intellectuelle et de sensibilité, manifeste deux personnalités ardentes, soucieuses de leur autonomie, s’efforçant d’opposer, au risque d’encourir les plus lourdes répressions, au développement d’une destinée générale conduite par un tyran, la critique courageuse et franche des esprits pour qui la défense de la pensée contre la force est la plus haute loi morale.
Avant de passer rapidement en revue les artistes qui contribuèrent à illustrer la peinture, la sculpture et l’architecture impériale, il convient de citer encore quelques noms d’écrivains médiocres, dont l’histoire, par un souci contestable a voulu conserver la mémoire. L’abbé Delille, que ses traductions assez plates des Géorgiques avaient déjà rendu célèbre, publia plusieurs poèmes dont la déplorable froideur n’égale que l’insipide correction. On remarque encore, avec assez de raison, de courtes pièces de Lebrun qui témoignent d’une certaine ironie et d’un talent souple, mais restreint.
Népomucène Lemercier a réuni sur son nom quelques-unes des attaques les mieux justifiées contre la littérature froide et abâtardie du premier Empire. On aurait donc la plus mauvaise grâce à le défendre.
Les Templiers, tragédie de Raynouard, firent un grand bruit en raison de l’intérêt qu’y parut prendre l’empereur. Mais le public ne ratifia pas toujours les décisions du despote : il préférait entendre les chansons chauvines de Béranger ou les vaudevilles inoffensifs de Désaugiers.
L’imitation des anciens sévissait avec fureur ; on pilla l’antiquité du mieux qu’on put, de Plaute jusqu’à Horace.
Molière ne fut pas épargné. L’épopée enflamma bien à tort des esprits d’ordinaire pondérés, et qui s’abandonnèrent à l’excès de leur grandiloquence au long d’interminables poèmes tombés depuis dans le plus complet oubli.
Joseph Chénier maniait avec plus d’aisance la satire. Il ne manque pas de verve dans ses saillies et ses épigrammes contre les critiques contemporains ; mais c’est à juste titre que ses tragédies sont tombées dans l’oubli. Il fit un Cyrus dont l’échec eut quelque retentissement, et d’autres pièces auxquelles on ne voulut pas consentir les honneurs de la rampe.
Il vaudrait peut-être mieux se borner à faire l’éloge des vertus civiques de Ducis : cela dispenserait d’analyser ses mérites littéraires, qui sont assurément de bien mince valeur. Lorsque cet écrivain manifeste de la passion ou des qualités dramatiques, on peut affirmer qu’il les prend à des sources, excellentes certes, mais auxquelles il est personnellement tout à fait étranger. On n’en doit pas moins un souvenir ému au poète pauvre qui, lorsque Napoléon résolut de le faire sénateur, refusa en disant : « Je suis catholique, poète, républicain et solitaire ; tout cela ne s’arrange ni avec les hommes, ni avec les places ».
Picard fit, en 1805 et 1815, quelques pièces qui ne sont pas sans intérêt, en raison du talent d’observation et de l’ironie spirituelle que sut manifester leur auteur.
Jamais l’imagination des femmes ne se laissa emporter à des excès d’un goût plus déplorable : un sentimentalisme aventureux et qui non semble tout à fait suranné imprègne quelques romans laissés par Mme Cottin et Mme de Genlis.
Xavier de Maistre, déjà célèbre, s’acquit d’autres admirateurs par des ouvrages nouveaux, et Charles Nodier, bien timide et peu doué, se signalait néanmoins à l’attention de ses contemporains par des œuvres consciencieuses empreintes d’un sentimentalisme facile et ennuyeux.
Beaux-Arts. — Peinture.
On s’étonne que les incessantes préoccupations belliqueuses de Napoléon lui aient laissé le loisir de songer à nos richesses esthétiques. Et cependant il n’est presque aucune de ses campagnes au cours de laquelle on ne puisse signaler des envois de chefs-d’œuvre enlevés aux musées étrangers. Le nombre des toiles dont les hasards de la guerre le rendirent maître dépasse les prévisions les plus audacieuses. Il suffit, pour s’en rendre compte, de citer quelques-uns des noms d’artistes réunis par lui dans les galeries du Louvre. Les œuvres importantes de Van Dyck, Titien, Pérugin, Raphaël, Guide, Véronèse, Corrège, Rembrandt, Ruysdaël, A. Sarte furent amenées en France par ses soins, et nous eûmes la chance de les y voir demeurer dans un instant où l’Europe, enfin victorieuse, paraissait décidée à ne plus laisser subsister un seul vestige d’une puissance qui l’avait plusieurs fois écrasée. Il y eut néanmoins, après, 1810, des tentatives nombreuses faites par les nations coalisées pour reprendre les richesses qui leur avaient appartenu. Plusieurs réussirent, et nos galeries furent dépossédées d’un certain nombre des plus belles toiles qu’elles contenaient.
Si la littérature, à part de très notoires exceptions, offre sous l’Empire assez peu de talents originaux et de personnalités soucieuses de leur complète indépendance intellectuelle, on n’en peut pas dire autant des beaux-arts. Un âge qui vit Géircault, les Vernet, Ingres, Gérard, et un peu plus tard Delacroix, a, semble-t-il, les plus grands titres à l’admiration générale. Il est vrai que là, encore, l’indépendance du labeur et la liberté de l’inspiration furent les premières garanties du talent de ces artistes. On ne peut s’exprimer de la même manière sur le compte de David, qui représente, au contraire, au cours de cette période artistique, tout ce que l’Empire a consacré de froid et d’artificiel, de pompeux et de sévère. La prédilection de l’empereur pour cet artiste s’explique fort naturellement. D’autre part, David joignait à son très réel métier de peintre des qualités utiles de souplesse, une componction et une docilité qui étaient de nature à lui attirer les grâces de l’autocrate. Celui-ci l’encouragea dès ses débuts, lui concéda une attention dont les artistes savaient tout le prix. David, avec aisance, se plia aux exigences impériales, soucieux avant tout d’accueillir le titre dont on voulait le gratifier.
Ses premières toiles surprirent l’attention, parce qu’elles semblaient rompre avec une tradition de grâce, de charme et d’élégance qui se personnifiait alors en Boucher. La manière de David était, au contraire, sobre et, si elle n’avait rien des afféteries de son prédécesseur et du style précieux de ses compositions ordinaires, elle décelait néanmoins le louable souci d’une correction académique. Les sympathies de David allaient à un art très différent de celui qu’avaient rendu célèbre les peintres du xviiie siècle, ce n’est point dire qu’il était animé du désir de réaliser des œuvres exemptes de convention : son esthétique ne semblait guère manifester d’originalité ; elle avait seulement l’incomparable avantage de répondre à merveille aux nécessités artistiques du temps. La simplicité altière des attitudes, l’intelligence le groupement des personnages et la composition du milieu, la force pompeuse, l’unité du coloris et l’aisance du peintre à réaliser des ensembles harmonieux et d’un aspect agréable étaient autant de dons heureux auxquels fut attachée la destinée de l’artiste qui les manifestait.Les Sabines, qu’on voit au Louvre, furent très remarquées ; on aima la pureté, l’exactitude des anatomies ; personne ne songeait alors à chercher sur une toile l’intensité de la vie ou l’émotion de l’artiste. On n’avait pas assez de louanges pour ces compositions habiles, décoratives, où la perfection et la sécheresse y disputent avec la froideur. Une telle nature d’artiste devait enchanter l’empereur. Il n’aimait guère avoir à faire à des caractères absolus, à des personnalités dont il se hâtait de réprimer les excès avec sa violence coutumière. Il ordonna donc que David devint son premier peintre et le chargea tout aussitôt d’exécuter un certain nombre de toiles de dimensions inusitées, où l’artiste devait fixer quelques-uns des événements les plus considérables de l’histoire impériale. Ces sujets cadraient à merveille avec les limites de l’inspiration de David. Ils demandaient une interprétation adéquate à leur essence et la froideur correcte, le sage ordonnancement et l’ennuyeuse sérénité de David convenaient au plus haut point. Parmi ces tableaux, exécutés tous d’après les ordres et les indications techniques de l’empereur, il en est quelques-uns auxquels la destinée donna une incomparable renommée. Il n’est point de village obscur ou de bourg perdu où l’on ne rencontre des reproductions du Couronnement ou de Bonaparte au Saint-Bernard. C’est assurément dans cette dernière toile que David a pu donner la mesure de son talent dans les proportions les plus heureuses. Certaines qualités de vie, de force, de couleur, en s’y manifestant, rehaussent l’intérêt historique de l’œuvre. Évidemment, il ne faut pas, dans l’instant où l’on contemple cette effigie sévère de Napoléon sur un cheval bouillant, songer aux portraits de composition analogue où Van Dyck et Velasquez immortalisèrent les traits de Charles Ier et de Pilippe IV ; notre peintre souffrirait d’un tel rapprochement. Néanmoins, il serait injuste de refuser à David certains dons extérieurs, un métier solide et sûr, un sens très juste de la composition, du groupement, de la mise en valeur des figures et des personnages. Il faut assurément ne pas rechercher en lui les qualités d’observation, de jugement, de critique d’un psychologue. Les traits des visages qu’il reproduit sont uniformément compris et exprimés ; la vie parait en être absente, c’est vraiment un tableau dans le plus déplorable sens qu’on puisse attribuer à ce mot ; l’œuvre entière est d’une agréable couleur, encore que terne ; mais on se lasse vite d’y chercher vainement de la vérité et de la vie, c’est à dire autre chose que de la correction, de la solennité et une certaine noblesse pompeuse et officielle.
La situation considérable qu’il occupait dans l’Empire, les grâces et les privilèges dont il était souvent comblé avaient assuré à David l’estime et le respect des jeunes artistes. Autour de lui, des peintres encore incertains sur les orientations propres à leur personnalité s’étaient groupés ; ainsi se constitua un des plus célèbres ateliers de ce siècle. L’influence du maître ne laissa pas d’empreinte définitive sur les talents originaux des peintres qui la subirent, et c’est en donner la preuve la plus exacte que de citer Girodet, Gros, Gérard, Isabey, Ingres, Delescluze, qui furent les plus célèbres élèves de David.
Gros ouvrit également un atelier, imitant en cela David, Guérin, qui fut bientôt entouré d’une pléiade de jeunes artistes, dont quelques-uns nous ont laissé d’incomparables chefs-d’œuvre : Carle Vernet, Bertin et plusieurs autres.
C’est en reprenant rapidement l’histoire des salons de peinture sous le premier Empire que nous aurons une idée à peu près exacte de l’ordre dans lequel les plus célèbres productions des peintres de l’époque virent le jour.
Au Salon de 1808, parmi tant d’autres aux œuvres desquels il ne faut pas dénier tout talent, les peintres suivants exposèrent : David, Gros, Prudhon, Guérin, Gérard, Ingres, Carle Vernet, Delescluzes. Il est à remarquer, et ce n’est pas un détail de médiocre importance, que toutes les compositions exposées par les artistes dont nous venons de rappeler les noms illustraient la politique et la destinée impériales. Toutes les fresques et toutes les toiles prétendaient éterniser la mémoire de Napoléon et le souvenir de ses bienfaits ou de ses victoires. L’empereur avait d’ailleurs déterminé lui-même une telle orientation, ne craignant pas d’exclure délibérément du Salon tout ce qui n’était pas une célébration de ses exploits personnels ou une exaltation de l’honneur national. Cette tyrannie prodigieuse exercée sur l’inspiration même des artistes ne laisse pas de surprendre encore, malgré qu’on veuille s’habituer aux excès d’autorité où s’abandonnait le despote décidé à imprimer sur toutes choses le sceau écrasant de sa personnalité. Seul, au Salon de 1808, Ingres, avec quelques peintres de médiocre talent, paraît n’avoir point suivi cette tradition. L’antiquité offrait encore à son talent une source d’inspirations trop féconde pour qu’il songeât à l’abandonner.
Ce fut, en effet, lors du concours décennal que l’empereur fit savoir ses intentions de n’admettre dans la lice que des tableaux utiles. Il ne fallait pas songer à se laisser aller à l’enthousiasme d’une inspiration libre ; des devoirs civiques s’imposaient désormais aux artistes soucieux de posséder quelques droits aux récompenses promises. C’est ainsi qu’il fut ordonné que les tableaux apportés au concours seraient rangés en deux catégories : la première, qui comprenait les tableaux d’histoire ; la seconde, dont le titre suscite encore un étonnement légitime, était rigoureusement réservée aux toiles représentant « un sujet honorable pour le caractère national ». On ne consentit aucune autre place aux œuvres qui ne se conformaient point strictement aux exigences précises de ces deux catégories. Malgré que l’imagination des artistes fût ainsi enchaînée, obligée de se mouvoir dans des limites où ne pouvaient accéder que des tempéraments doués de manière toute spéciale, quelques-unes des œuvres exposées sont assurément parmi les plus belles que nous ait léguées l’époque impériale. C’est là que David exposa ses Sabines et son Couronnement, qui lui valut le prix décerné au meilleur des tableaux représentant « un sujet honorable pour le caractère national ». Girodet, Gros, Guérin, Carle Vernet s’y firent justement remarquer par des toiles où leur talent se manifestait avec beaucoup d’éclat.
Au Salon de 1812, « la foule, dit R. Peyr, dans son livre fort documenté sur Napoléon Ier et son temps, s’arrêtait avec plus d’étonnement que d’admiration devant l’Officier des guides chargeant, qui était la première manifestation du talent d’un peintre de vingt ans, Théodore Géricault ».
Celui qui se signalait ainsi avec, cette force et cette précocité à l’attention du public devait laisser des œuvres auxquelles on ne saurait refuser ni l’originalité ni le talent. David, en voyant les premières œuvres de l’artiste, ne retint point sa surprise, et nul n’en fut étonné en raison des qualités de vie, d’ardeur et de pathétique que Géricault semblait manifester le premier dans cette période de la peinture impériale. Les œuvres principales laissées par Géricault sont : le Cuirassier blessé quittant le feu, le Carabinier, plusieurs toiles représentant des sujets analogues. Il en est d’autres dont nous voulons dire quelques mots, en raison de leur profonde valeur, et qui ne furent composées qu’assez longtemps après les premières.
Géricault avait, en effet, après le Salon de 1812, accompli un voyage en Italie, d’où il rapportait des études nombreuses, des projets. En rentrant à Paris, il fut vite mis au courant des événements tragiques qui avaient accompagné le naufrage de la Méduse. Il eut tout aussitôt le dessein d’une grande composition groupant quelques-uns des malheureux qui avaient, au prix de surhumains efforts, prolongé pendant quelques jours, à l’aide de planches et de cordes, leur misérable existence. Tout à la réalisation de son œuvre, Géricault se rendit dans les hôpitaux, étudia sur place des expressions, connut la douleur effroyable des agonies. Une série de dessins, d’ébauches et un souci remarquable de sincérité présidèrent à l’achèvement de cette œuvre à juste titre célèbre qu’est le Radeau de la Méduse. Elle surprend encore par la vigueur et la hardiesse du dessin, par la force du coloris et par de merveilleuses qualités de composition. Les poses et les gestes ont gardé une puissance pathétique qui, le plus souvent, provoque l’admiration ; enfin, pour la première fois, on peut dire que le réalisme faisait son apparition en peinture par le souci d’exactitude, de vérité et d’émotion dont le peintre ne voulut jamais se départir.
L’œuvre, exposée au Salon de 1819, n’obtint point le succès qu’elle était en droit d’attendre. Et ce fut en Angleterre qu’on l’apprécia comme il convenait. Géricault se rendit dans ce pays et il y travailla longtemps. C’est là qu’il composa plusieurs tableaux où il étudie avec un talent pénétrant des animaux, des chevaux. La plus remarquable de ces dernières œuvres est assurément son Grand Derby d’Epsom, qui obtint un prodigieux succès.
Le Louvre, fort heureusement, a reconquis le Radeau de la Méduse, et cette œuvre forte et poignante suffit à prouver toute l’originalité d’un peintre qui, délibérément, abandonnait les règles de l’art officiel pour s’efforcer vers la réalisation d’œuvres remplies seulement de l’émotion que recèle la vie.
Avant de donner quelques détails sur Ingres, il convient de citer un certain nombre d’artistes auxquels des œuvres assurent, à des mérites divers, une renommée durable. On peut dire, en ce sens, de Prudhon que des qualités de charme et de grâce en font un peintre aimable et non dépourvu de talent. Il a laissé des toiles d’un aspect agréable, dans lesquelles il ne faut chercher ni la force ni le pathétique. Tout au plus une émotion légère les pénètre-t-elle ? Il excelle surtout dans les allégories, où sa manière sereine et sobre se fait apprécier. Bien qu’il n’eût pas manifesté une personnalité éclatante, on a gardé le souvenir de quelques-unes de ses toiles qui plaisent par leur élégance, leur grâce et leur distinction : Vénus et Adonis, Zéphyr se balançant dans un bocage, et surtout la Justice et la Vengeance poursuivant le Crime, œuvre d’une inspiration plus forte et d’un dessin plus ferme.
Guérin et Girodet retiennent moins l’attention, encore qu’ils témoignent assez souvent, l’un et l’autre, de certaines qualités d’expression dramatique et de composition. Mais ce sont là surtout des peintres zélés, occupés à acquérir un métier solide, plus important à leurs yeux que l’inspiration. Nous avons dit quelques mots de Gros. Ce fut, en effet, un des peintres les plus convaincus de la grandeur de l’époque impériale. Ses œuvres sont imprégnées de sa sincérité. Souvent, dans des sujets de la plus simple réalité, il obtient les plus pathétiques effets par son zèle à reproduire, dans toute leur vérité, les traits des personnages qu’il représente. La lumière des toiles de leur Gros est souvent peu agréable, lourde ; il n’a point acquis la perfection de la manière, et ne possède point les qualités de composition, de méthode et de froideur majestueuse et correcte de son maître David. Mais il nous émeut plus que lui ; il a une vision simple, rude, précise des êtres et des choses, et sa belle vigueur d’artiste l’amène à réaliser des œuvres fortes et humaines, souvent inhabiles, mais empreintes d’une simplicité préférable à tous les artifices de métier.
Citons encore Regnault, peintre de portraits et d’allégories ; Gautherot, Peyron, Hersent, qui laissèrent des œuvres honorables.
Gérard qui mérite en raison de son talent qu’on lui consacre quelques mots, a laissé des portraits d’une vérité heureuse et d’une simplicité d’attitude et d’expression qui fait songer à l’école anglaise aux destinées de laquelle présidait, à peu près dans le même temps, Lawrence. On a également de lui des tableaux d’histoire, où il ne paraît point égaler ceux qui s’étaient spécialisés dans ce genre ;
Il faut retenir le nom de Bailly qui a laissé de petites toiles spirituelles où sont fixés de curieux types populaires, celui de Hubert Robert dont le Louvre garde des œuvres assez médiocres, représentant des ruines et des monuments ; ceux des paysagistes Tannay et Bicault, de Van Dael, peintre de fleurs, Isabey, Moreau.
L’influence de David ne laissait pas de s’exercer profondément sur la personnalité des jeunes peintres de son école, et il n’est pas jusqu’à Ingres qui ne l’ait longtemps subie. Néanmoins, en 1800, l’œuvre qui lui fit décerner le prix de Rome surprit les artistes eux-mêmes, par la maîtrise qui s’y manifestait. Ingres avait déjà quelques-unes de ces qualités de puissance et d’harmonie qu’il devait si merveilleusement compléter par la pureté de son coloris et la netteté classique de son inspiration. Désireux de s’assimiler la technique des maîtres et quelques-uns de leurs plus prestigieux secrets, Ingres se rendit en Italie et y séjourna quelque temps. À Rome, la vie matérielle se montrant très difficile pour lui, il dut vendre à des prix dérisoires un grand nombre de portraits à la mine de plomb, dont quelques-uns ont une précision et une pureté remarquables. Les prédilections d’Ingres pour certains artistes des siècles passés donnent sur ses goûts esthétiques les indications les plus curieuses : tout le génie humain se résumait, pour lui, en Raphaël et en Mozart. Il n’hésitait point à porter de sévères jugements sur Rubens ou Rembrandt, ne trouvant point en eux cet équilibre et cette harmonie, cette perfection plastique alliée à cette noblesse de pensée qui le ravissaient au delà de toute expression. Son art s’apparentait d’ailleurs singulièrement à celui de ces modèles, et ce n’est point faire œuvre de psychologue très avisé que de constater les similitudes et les analogies qui existent entre certaines œuvres symphoniques de Mozart et les grandes compositions allégoriques d’Ingres. Il s’agit là de deux manifestations artistiques parallèlement issue d’une même source d’inspiration. Rien, aux yeux d’Ingres, ne surpassait en beauté l’harmonie d’une toile, la mesure et l’ordre, la sérénité idéale et la fermeté des contours : les qualités de l’art classique, en un mot, pouvaient seules, à son sentiment, faire d’un tableau un chef-d’œuvre, il ne concevait point que la vie put désirer souvent et avec raison une expression plus pathétique ; cet excès dans les moyens lui paraissait alors un romantisme déplorable. Il estimait que c’était là du désordre, une peinture d’instinct, et qu’on ne parvenait point ainsi à imposer à de fortes œuvres la sérénité et l’harmonie durables qu’elles sont en en droit d’attendre pour passer à la postérité.
C’est à son retour de Rome, après avoir réalisé des œuvres d’une incomparable grandeur, qu’il composa le tableau dont la seule puissance suffirait à l’immortaliser. L'Apothéose d’Homère l’emportera sur toutes les œuvres allégoriques exposées en te temps-là. La couleur, la majesté, l’ordre, le dessin et la grandeur en sont incomparables. Ingres parvint véritablement, ce jour-là, aux plus hautes cimes de cet art classique dont il avait si merveilleusement compris les réalisations immortelles à travers les chefs-d’œuvre de Raphaël et de Mozart. Ce n’est pas sans raison qu’on oppose Delacroix à Ingres, à cause des divergences radicales qui les séparent. Ils ont, l’un et l’autre, fourni des expressions complètes et fécondes de deux interprétations différentes et légitimes de la nature. Pour un juge impartial, à moins qu’on ne laisse intervenir des raisons de sentiment, on ne peut établir de différences entre ces deux arts si opposés. Les deux artistes ont apporté, l’un et l’autre, à la réalisation de leur idéal esthétique tant de force, de probité et de génie qu’ils méritent une égale admiration. Puisqu’il est vrai d’affirmer que l’art n’a point de critérium extérieur, et qu’il se trouve là où l’expression de la vie est intense, vraie et harmonieuse, on cessera donc de considérer Ingres et Delacroix comme les interprètes nécessairement hostiles de deux manières d’art radicalement opposées.
Les plus fortes œuvres d’Ingres sont : l'Apothéose d’Homère, Œdipe et le Sphinx, le Sommeil d’Ossian, la Source et quelques portraits de Napoléon.
Telle est, dans ses grandes lignes, l’évolution de la peinture sous le Premier Empire. Deux influences prépondérantes et d’une importance à peu près égale s’exercent sur le développement de la jeunesse artiste : celle de Napoléon, qui, par un ordinaire effet de ses manies tyranniques, réglemente l’inspiration, proscrit à peu près les productions qu’on ne peut considérer, dès l’abord, sous le point de vue de l’honneur national, concentré délibérément dans sa personnalité, toute l’inspiration virtuelle de la peinture ; l’autre influence est celle de David, qui finit par avoir raison des tempéraments les moins doués, auxquels elle impose un métier honnête et consciencieux et une froideur qui n’entraîne plus guère qu’une majesté de convention.
Néanmoins, ces deux influences ne font que ralentir de quelques années l’évolution de l’art français. Plusieurs tempéraments : Gros, Géricault, Ingres, s’en dégagent, donnent d’admirables œuvres et reconquièrent ainsi le prestige légitime de leur personnalité. Mais Ingres, qui représente une des plus fortes expressions de l’art classique, va céder la place à Delacroix, le plus puissant génie romantique d’une période qui allait voir Hector Berlioz et Victor Hugo.
GRAVURE - On concède, avec raison, une certaine importance aux graveurs du Premier Empire, qui acquièrent, pour la plupart, un métier solide et l’habitude de la fidélité et de l’exactitude dans leurs reproductions. Les principaux sont : A. Girardet, Boucher, Desnoyers, Tardieu, Bervic.
Les peintres, enfin, ne négligèrent point cet art, et il suffit de citer Prudhon pour qu’on soit édifié sur la valeur de ceux qui s’y adonnaient.
SCULPTURE. — C’est à Houdon et à Clodion que revient l’honneur d’avoir dirigé dans ses premiers développements la sculpture sous le Premier Empire. Les plus illustres d’entre ces nouveaux artistes furent assurément David d’Angers, Rude et Pradier. Mais il serait assez inexact de s’étendre sur eux, puisque leurs plus fortes œuvres ne furent réalisées que plusieurs années après la chute de l’Empire.
C’est très justement que l’on peut ranger David d’Angers dans la famille des grands sculpteurs français du xixe siècle. Ses œuvres ont encore aujourd’hui une force, une sobriété et une aisance qui sont l’indice d’une très belle personnalité créatrice. Son grand prix : La Mort d’Epaminondas avait attiré l’attention sur lui. Il s’y révélait déjà le grand artiste qu’il demeura par la suite. Il fut en relations avec Thorwaldsen et Canova qu’il connut en Italie. À son retour, il fit ses plus belles œuvres, sa statue de Condé et un très grand nombre de médaillons qui reproduisaient les effigies des plus célèbres contemporains.
L’inspiration de Pradier est avant tout attachée à l’antique. Le séjour que fit cet artiste en Italie lui permit de discerner la prééminence de la statuaire grecque, de la statuaire romaine. Il avait dès lors trouvé sa voie. La mythologie lui parut être une source inépuisable de compositions et cette tendance lui fit réaliser un certain nombre d’allégories dont quelques-unes ont une grâce et une harmonie qui surprennent encore aujourd’hui.
L’art de Rude, au contraire, est essentiellement différent de celui des précédents artistes. Il faut rechercher dans ses origines très humbles, dans cette conception nécessairement laborieuse, sévère, âpre de la vie, les raisons d’une manière si énergique, d’une puissance si peu commune. Rude était fils d’un forgeron et passa d’assez longues années dans l’atelier paternel. Il fallut, pour l’en retirer, les sympathies efficaces, les appuis matériels d’un certain nombre d’artistes qu’avaient étonnés les premières œuvres du jeune sculpteur. Ayant voulu suivre en Belgique un de ses protecteurs, c’est là qu’il réalisa quelques-unes de ses plus fortes œuvres. Son art, robuste et simple, de proportions sobres, émeut par la sincérité et par les sensations de vie intense et d’harmonie qu’il suggère. La sévérité de ses compositions n’en exclut jamais l’émotion, et le Départ des Volontaires de 1792 est probablement l’un des plus durables chefs-d’œuvre de la sculpture française,
tant par la vérité et la force des personnages, que par la grandeur pathétique et les fougues sublimes qu’il immortalise.Sèvres et les Gobelins maintinrent leur tradition et conservèrent à la céramique et à la tapisserie leur renommée artistique. Il faudrait d’ailleurs, sur l’art industriel, ne se point borner à des indications de tendances. L’évolution des arts de l’ameublement, par exemple, mériterait qu’on lui consacre une assez longue étude, en raison des prétentions qu’elle afficha de conquérir une personnalité originale et indépendante ; mais la psychologie de Napoléon renseigne, en somme, bien plus complètement sur toutes les matières dont il voulut diriger le développement et les applications qu’une étude sur la transformation même de ces industries.
MUSIQUE. — La censure rigoureuse que Napoléon prétendait exercer sur les arts n’avait pas de raison d’être en musique. On n’y pouvait craindre cette idéologie contre laquelle l’empereur ne cessait point de fulminer. La musique n’eut donc point à souffrir des pressions exercées partout ailleurs et, par une sorte de libéralisme intelligent, fut, au contraire, encouragée dans ses développements avec un zèle et un soin qui ne laissent point de surprendre.
On sait toute l’estime de Napoléon pour Lesueur et tout le bien qu’il lui voulut. Il se leurra sur les véritables mérites du musicien dont les œuvres, cependant, ne sont pas sans force et sans charme. On a, avec raison, conservé le souvenir des Bardes, opéra représenté en 1804, qui assura la renommée de Lesueur et lui valut de nombreuses distinctions officielles. Les interprètes de l’œuvre qui l’avaient, au début, fort mal servie, en ressentirent peu après la beauté et partagèrent un enthousiasme dont Napoléon avait lui-même donné le signal.
Le Vestale, de Spontini, obtint également un grand succès et rencontra, dès l’abord, les mêmes difficultés d’interprétation, surmontées enfin avec la même aisance.
Méhul, enfin, donne, après des œuvres déjà très remarquables, Joseph (1807) dont les beautés suffiraient à prolonger son souvenir. L’art classique de Méhul, son orchestration solide et précise s’allient à une émotion pénétrante et viennent soutenir une inspiration pathétique jusqu’au terme de l’œuvre. Méhul demeure, dans cette période de l’histoire de notre musique, l’un des maîtres les plus purs ; dans certains opéras il a retrouvé la grandeur, la tendresse et la simplicité qui font tout le génie des merveilleux artistes de l’Allemagne.
On connaît, de Monsigny, des œuvres légères et pleines de grâce, Cherubini eût, sous l’Empire, des succès retentissants ; par ordre de Napoléon, on représenta les principaux opéras italiens, la Flûte enchantée et Don Juan, de Mozart.
Enfin, Auber et Hérold, jeunes encore, annonçaient leurs brillantes carrières par des œuvres de début qui semblèrent incomparables aux contemporains.
Il serait injuste, enfin, de ne pas mentionner quelques noms parmi les interprètes qui s’efforcèrent de donner l’ampleur et la beauté désirables aux ouvrages montés sur nos scènes lyriques et dramatiques.
Dufrène, Nourrit le père, furent d’excellents chanteurs ; on se souvient aussi d’Ellevion, de Mme Dugazon.
Talma, Fleury, Dugazon, Mlle Mars, Mlle Georges donnent à cette époque un lustre inoubliable dans la création des rôles dont ils furent pourvus au Théâtre-Français.