Histoire posthume de Voltaire/Pièce 34


Garnier
éd. Louis Moland


XXXIV.

LETTRE
ADRESSÉE PAR LES ARTISTES DU CI-DEVANT THÉÂTRE-FRANÇAIS
au ministère de l’intérieur, le 3 messidor an IV[1].

Citoyen ministre, vous demandez que les artistes du ci-devant Théâtre-Français vous produisent leurs titres à la propriété de la statue de Voltaire, qui est dans le vestibule de la salle du faubourg Germain.

Ce titre est aussi simple qu’il est décisif : elle nous a été donnée par la citoyenne Duvivier, à qui elle appartenait. La citoyenne Duvivier, nièce et héritière de Voltaire, avait fait exécuter cette statue dans l’intention de la donner à l’Académie française. Ayant appris qu’elle avait changé de dessein, nous conçûmes aussitôt, avec le plus vif désir de posséder ce précieux monument, l’espérance fondée de l’obtenir.

En conséquence, nous arrêtâmes d’écrire à la citoyenne Duvivier une lettre qui lui fut adressée le 26 septembre 1780 ; elle y répondit à l’instant par sa lettre du même jour, dont les termes ne laissent rien à désirer.

Les artistes du Théâtre-Français, après avoir exprimé à la citoyenne Duvivier tous les sentiments dont leurs cœurs étaient pénétrés, et lui avoir exposé les titres qu’ils croyaient avoir pour mériter son bienfait, terminaient en rappelant ce que Voltaire leur avait dit lorsqu’il vint les remercier des efforts qu’ils avaient faits pour obtenir son retour dans la capitale : « Mes enfants, je veux vivre et mourir au milieu de vous ! » Cette adoption glorieuse, ajoutions-nous, c’est à vous, madame, à la confirmer par un don qui ne peut et ne doit être fait qu’à ses enfants.

La citoyenne Duvivier répondit :

« Rien n’est si flatteur, messieurs, pour la mémoire de mon oncle et pour moi, que la lettre que je viens de recevoir de votre assemblée ; je l’ai lue avec attendrissement.

« La manière dont vous vous êtes conduits avec lui pendant le trop court séjour qu’il a fait dans cette capitale m’impose, pour ainsi dire, la loi de remplir vos désirs et de placer la statue de M. de Voltaire au milieu de ceux qui l’ont couronné de son vivant.

« Je vous donne avec grand plaisir ce tribut de ma reconnaissance et des sentiments avec lesquels j’ai, etc., etc.

« Mignot-Duvivier »


Vous voyez donc, citoyen ministre, que c’est bien le don de la statue qui a été sollicité, et que c’est le don qui en a été fait sans restriction ni réserve.

Vous voyez que c’est la Société des Comédiens français qui en a fait la demande, et que c’est bien aux individus qui la composent, à ceux qui avaient couronné Voltaire de son vivant, à ceux qui s’étaient conduits de manière à mériter le don de la citoyenne Duvivier, qu’elle a donné ce témoignage de sa reconnaissance, et qu’elle a bien voulu regarder ce don comme une obligation qu’elle avait à remplir envers nous.



  1. Musée de la Comédie française, par René Delorme, Paris, P. Ollendorf, éditeur, 1878. Page 9.
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