Histoire politique des États-Unis/Tome 3/Leçon 7

Charpentier (3p. 161-185).
SEPTIÈME LEÇON
traités. — territoires. — révolte de shays.

Messieurs,

Nous avons vu que la faiblesse du congrès, qui tenait à la faiblesse de la confédération elle-même, avait amené en Amérique une situation des plus difficiles : point d’armée, point de finances ; on ne pouvait même pas exécuter le traité avec l’Angleterre, tandis que les Anglais occupaient encore une partie du territoire américain.

Aujourd’hui, nous achèverons cette étude. Vous verrez que l’impuissance de la confédération empêchait l’Amérique de faire des traités de commerce, arrêtait le développement de la navigation, et enfin portait atteinte à la sécurité publique. Ce fut à force de souffrances qu’on fut conduit à réorganiser, à refaire le gouvernement. Dans la constitution actuelle des États-Unis, il n’y a pas une attribution du pouvoir exécutif, du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire, qui ne rappelle une souffrance passée et un remède heureusement trouvé.

Durant la guerre, le congrès avait fait des traités de commerce avec les puissances neutres ou amies. En 1778, on avait conclu un traité qui assurait réciproquement à l’Amérique et à la France le traitement des nations les plus favorisées. En 1781, au moment où la paix était assurée, où l’Angleterre se résignait à céder, on voulut négocier avec les autres puissances de l’Europe. L’Amérique n’avait été jusque-là qu’un marché réservé à la seule Angleterre. Or il était certain qu’il y avait là un grand centre commercial à créer, et que l’Europe entière, si ce marché lui était ouvert, viendrait s’y approvisionner de matières premières. L’Amérique produisait déjà du riz, de l’indigo, de la farine en grande quantité ; elle pouvait livrer du beurre, du porc, des bois de construction, des peaux de castor. C’était une situation excellente. Mais quand il s’agit de faire des traités de commerce, on se trouva dans une position singulière. Le congrès était dans l’impossibilité de contracter. Théoriquement, il en avait le droit ; mais comme les États s’étaient réservé le droit de taxer eux-mêmes leurs importations et leurs exportations, le congrès ne pouvait exécuter aucun de ses engagements. Après avoir traité avec la France, la Suède, les Pays-Bas, il ne pouvait empêcher les États de New-York et de Pensylvanie d’établir des droits différentiels sur les marchandises suédoises, françaises, hollandaises. Ses promesses étaient vaines, ses traités étaient nuls.

Après la paix, l’Angleterre profita ou, pour mieux dire, abusa de cet embarras.

Au mois de mars 1783, William Pitt, troisième fils de lord Chatham, se trouvait, bien jeune encore, chancelier de l’Échiquier. Il avait toujours été fidèle à la politique de son père, qui était de ménager l’Amérique ; il était aussi Américain que pouvait l’être un Anglais. En voyant une grande province comme l’Amérique se séparer de la métropole, William Pitt avait senti qu’il fallait accepter la séparation politique, puisqu’il était impossible de l’éviter, mais qu’il fallait maintenir l’union commerciale et rattacher les États-Unis à l’Angleterre, en donnant aux deux peuples des intérêts communs. Conseillé par un habile économiste, lord Shelburne, Pitt proposa au parlement de prendre une résolution qui favorisait le commerce des États-Unis ; on tendait les mains à l’Amérique. D’après ce bill, non-seulement les Anglais en Amérique et les Américains en Angleterre auraient joui des avantages des nations les plus favorisées, mais les marchandises anglaises et américaines auraient été considérées, dans les deux pays, comme marchandises nationales. Il n’y aurait pas eu plus de droits perçus en Angleterre sur les produits américains qu’en Amérique sur les produits anglais. D’un autre côté, dans les Antilles anglaises et le Canada, on aurait considéré les navires et les articles américains comme navires et articles d’Angleterre, les colonies anglaises auraient été ouvertes à l’Amérique. C’était le projet d’un homme d’État : il aurait rétabli la bonne harmonie entre les deux pays ; mais il était en avance de cinquante ans sur les idées du temps, et ne devait pas réussir. Au moment où Pitt le présentait, le ministère changea et fut remplacé par un cabinet composé d’hommes soi-disant sages et pratiques, défenseurs des traditions nationales, c’est-à-dire, en bon français, de gens routiniers et imbus des vieux préjugés.

Ce ministère était présidé par un homme dont les écrits ont eu un moment assez de vogue pour que Mirabeau ne dédaignât pas de les traduire, lord Sheffield. C’était un de ces politiques qui s’accrochent au passé, et qui à aucun prix ne veulent renoncer à une erreur, quand elle est vieille, ce qui n’est pas un médiocre moyen de popularité. Lord Sheffield déclara que le traité que proposait Pitt était l’abandon de la politique anglaise, et cela était vrai ; mais de ce qu’on abandonne une mauvaise tradition, il n’en résulte pas qu’on soit un novateur dangereux. Crier que tout est perdu parce qu’on rompt avec la sagesse des ancêtres, c’est-à-dire avec une tradition d’erreur, c’est un argument qui, pour réussir souvent, n’en est pas meilleur. À raisonner ainsi, le monde serait immobile ; il n’y aurait plus de place pour le progrès.

Lord Sheffield avait raison de dire que ce que proposait Pitt était en contradiction avec la politique commerciale de l’Angleterre, qui avait été jusque-là celle de toute l’Europe. Conserver pour soi seul la navigation entre la métropole et les colonies, tâcher par conséquent d’avoir le plus de colonies possible, en exclure toutes les autres nations et se réserver le monopole de l’or, de l’argent, des épices, du sucre, du café, c’est ce que faisait l’Angleterre depuis le fameux acte de navigation rendu sous Cromwell. L’Espagne, la France, le Portugal, la Hollande en faisaient autant de leur côté. Mais quel était le résultat de ce beau système ? C’est que toute l’Europe était en état d’hostilité perpétuelle. Du dix-septième au dix-huitième siècle, la pensée constante de tous les politiques, c’est d’envahir les colonies de leurs voisins, c’est de s’emparer de la mer et d’avoir seuls le monopole de ce qu’on considérait comme la richesse du monde. Dans le dix-septième et dans le dix-huitième siècle, cherchez quelle est la cause des guerres qui agitent et ruinent l’Europe : il n’y en a point d’autre que l’égoïsme commercial. L’Espagne veut conserver ses colonies pour elle seule ; l’Angleterre n’a qu’une pensée, c’est d’abattre la puissance espagnole qui lui ferme l’Amérique, ce à quoi elle est arrivée en 1820. De même en France, toutes nos querelles avec l’Angleterre, querelles qui se terminèrent par la perte du Canada, sont inspirées par la jalousie commerciale. Telle est la politique avec laquelle Pitt voulait rompre, et que maintenait la sagesse de lord Sheffield.

L’indépendance américaine ruinait le vieux système colonial ; il inaugurait une ère nouvelle, l’ère de la liberté commerciale. Voilà ce que comprenaient des hommes comme Pitt ; mais, par malheur, c’était une minorité. L’Amérique émancipée entrant pour son propre compte dans le monde, le nouveau continent se détachant de l’Europe et vivant de sa propre vie, c’était un événement que personne n’avait prévu, et qui déroutait tous les politiques à courte vue. Jusqu’à la révolution de 1776, l’Amérique n’avait été qu’un appendice de l’Europe. Toutes les colonies appartenaient à des métropoles qui en disposaient à leur gré. Mais l’avènement des États-Unis détruisait l’équilibre colonial. Désormais il fallait les avoir pour amis, ou sans cela on allait avoir contre soi une puissance qui, par l’étendue de ses côtes, la richesse de son territoire, l’énergie de son peuple, était appelée à devenir une des plus grandes, sinon la plus grande puissance commerciale du monde.

Ce qui cachait l’avenir à lord Sheffield, c’était la faiblesse politique du congrès. Lord Sheffield disait : « Pourquoi traiter avec l’Amérique, pourquoi lui ouvrir nos ports ? Nous chargerons nos marchandises sur nos navires et nous les porterons nous-mêmes aux Américains. Avec qui pourrions-nous traiter ? Avec le congrès ? c’est une ombre. Avec les États ? ils sont divisés entre eux. Leur jalousie mutuelle nous assure que si l’un d’eux prenait des mesures contre nous, les États voisins nous accorderaient aussitôt des faveurs pour monopoliser notre commerce. Contentons-nous d’envoyer des consuls dans les divers États. Ces consuls protégeront nos intérêts, aplaniront les voies à notre commerce, et nous aurons ainsi le monopole des marchés américains. » Lord Sheffield ne s’en tenait pas là. Jetant un coup d’œil sur l’avenir, il se livrait à des prédictions politiques, ce qui est dangereux, parce qu’en général on prédit de travers. Il disait : « Voyez où en est l’Amérique. Regardez l’anarchie qui y règne ! De cette confusion il ne sortira jamais un empire. Pour que toutes les colonies se réunissent contre nous, il a fallu une cause extérieure, une souffrance ayant sa source au loin. Laissées à elles-mêmes, les colonies se diviseront. Les gens de la Nouvelle-Angleterre, gens inquiets et turbulents, qui sont aussi désagréables chez eux qu’au dehors, voudront dominer le Sud. Le Sud ne se laissera pas dominer, les États du centre s’interposeront. Tout cela tombera en poussière : vous verrez les gens de la Nouvelle-Angleterre fuir le gouvernement qu’ils ont formé eux-mêmes, se réfugier au Canada, et implorer la protection de ce gouvernement britannique dont ils se sont plaints avec tant d’amertume. »

La prédiction était aventurée. Mais cette espèce de mépris pour un pays sans puissance n’était que trop fondée. On le sentit en Amérique. Le congrès comprit que l’Angleterre ferait le commerce comme elle l’entendrait et établirait les prohibitions qu’il lui conviendrait d’inventer, sans qu’il y eût moyen de se venger sur elle. On le vit bientôt par l’acte de 1783, qui fermait les ports anglais aux navires américains, et défendait même aux navires anglais l’importation du bœuf, du porc, du poisson, tirés des États du Nord. C’était la mise en interdit du commerce américain.

Dans cette extrémité, le congrès demanda aux États qu’on lui donnât le pouvoir de régler le commerce pendant quinze ans. Pour réduire l’Angleterre, l’Assemblée proposait une disposition énergique, c’était de n’admettre au commerce avec l’Amérique que les vaisseaux et les marchandises des nations qui, de leur côté, admettraient les articles et les navires américains. La proposition fut reçue froidement. Les États trouvaient leur intérêt dans le trafic direct avec l’Angleterre. Quelques États avaient mis des droits différentiels sur les navires anglais, le Massachusetts entre autres ; mais comme ces actes n’étaient ni généraux, ni permanents, et que les prohibitions d’un État ne servaient qu’à enrichir le voisin, on n’en avait tiré aucun avantage, et il avait bientôt fallu y renoncer.

Tout cela hâtait la dissolution de la confédération. Ce fut une leçon pour l’Amérique, une des grandes leçons qui amenèrent bientôt l’idée qu’il fallait loger dans le congrès, pour me servir de l’expression américaine, le pouvoir de régler le commerce.

C’est ainsi que l’expérience apprit aux Américains que laisser à chaque État le droit de régler le commerce, c’était livrer l’Amérique à l’anarchie. Il est évident que si on laissait chaque province de France régler le commerce à sa guise, Bordeaux, par exemple, entendrait la question tout autrement que la Provence ou le Nord, et qu’il y aurait bientôt un désordre complet. C’est précisément parce qu’on a un pouvoir central que des transactions sont possibles et que, sans donner à personne une suprématie ruineuse pour les autres, on établit l’harmonie des intérêts et qu’on fait un grand pays.

Ces désordres eurent leur pendant dans une querelle qu’on eut avec l’Espagne ; et ici nous allons trouver un fait qui nous intéresse doublement, car la difficulté était la même que celle de la guerre actuelle, c’était la navigation du Mississipi.

En 1785, avant la colonisation de l’Ouest, les Américains sentaient déjà que sans la possession du fleuve leur avenir était perdu. L’Espagne, au moment où nous parlons, était rentrée dans ses provinces du Nord. Elle avait repris les Florides et la Louisiane. Cette dernière colonie comprenait non-seulement la Louisiane actuelle, qui est à l’embouchure du fleuve, mais tout cet immense territoire qui va jusqu’à la Californie, toute la rive droite du Mississipi. Pendant cent lieues, l’Espagne se trouvait maîtresse des deux rives et de l’embouchure du fleuve ; elle avait, en outre, sur la rive droite, un territoire immense qui lui appartenait nominalement, mais qui était, en fait, dans la possession des sauvages.

Quand la paix fut faite, l’Amérique se fit céder par la Virginie et la Pensylvanie tous les territoires au delà des Alleghanys, ce qu’on nomme le Far-West. C’est un des plus beaux pays du monde. Par la fertilité du sol et l’abondance des eaux, l’Ouest est bien au-dessus des rives de l’Atlantique ; il y a là des terrains d’une richesse inépuisable, c’est là qu’est l’avenir de l’Amérique.

On se précipita sur ces territoires où la terre était à bon marché, on s’établit sur les bords de l’Ohio. Ces vallées de l’Ouest vont toutes aboutir à la grande vallée du Mississipi. Il fallait donc que les gens qui colonisaient sur les bords de l’Ohio pussent descendre jusqu’à la mer pour exporter leurs produits. Mais là on rencontrait l’Espagne qui interceptait la navigation. Les États-Unis sentirent l’intérêt qu’ils avaient dans cette affaire. Ils allaient envoyer un ambassadeur à Madrid, quand l’Espagne prit les devants et envoya un ministre en Amérique. Cet Espagnol, don Diego Gardoqui, arrivait avec des instructions bienveillantes pour l’Amérique. L’Espagne et la France, unies par le pacte de famille, avaient toutes deux favorisé l’émancipation. Mais ce diplomate avait les vieilles traditions espagnoles qui pouvaient se résumer en ceci : « Ne jamais laisser entrer dans nos colonies quiconque n’est pas Espagnol. » C’était là une jalousie d’autant plus enracinée, que l’Espagne possédait les colonies où se trouvent l’or et l’argent, et les Espagnols s’imaginaient que le monopole de ces métaux assurait la suprématie de l’Espagne. C’est là une illusion qui ruina complètement l’Espagne. L’histoire du roi Midas a été faite pour elle. Elle avait de l’or et pas de pain.

Don Diego proposa de conclure un traité de commerce et offrit d’acheter à l’Amérique, et de lui payer en or et en argent, tous les bois de construction dont l’Espagne avait besoin. Mais il ajoutait : « Quant à la navigation du Mississipi, n’y songez pas ; le fleuve nous appartient. » C’est avec cette habile politique que l’Espagne a perdu ses colonies et sa puissance.

Le ministre américain chargé de traiter avec don Diego était M. Jay. Il disait, et avec raison, à l’envoyé d’Espagne : « Nous avons des populations qui sont encore peu considérables sans doute, mais qui seront un jour très-nombreuses. Ces populations ont besoin d’une grand’route qui les mène à la mer. Si vous ne voulez pas les laisser passer de bon gré, elles passeront de force. » Don Diego répondait : « L’avenir sera l’avenir ; traitons pour aujourd’hui. Qui sait si la colonisation de l’Ouest ne fera pas tort aux pays du littoral, et si vous-mêmes vous n’arrêterez pas l’émigration ? » Et il n’en voulut pas démordre. Aussi Jay disait avec esprit : « Il est impossible de discuter avec les Espagnols, ils ne comprennent jamais un raisonnement que lorsque ce raisonnement est en leur faveur. Quand la Sainte Écriture reconnaîtrait expressément notre droit de navigation, nous ne pourrions l’obtenir qu’en repoussant la force par la force[1]. »

La position était difficile, et quand on lit les lettres de Washington, on voit que lui aussi craignait que les colonies de l’Ouest ne formassent un nouvel élément de puissance qui pencherait d’un autre côté. L’idée constante de Washington, c’était de chercher dans les Alleghanys des passages qui allassent dans l’Ouest, afin de ramener par l’intérêt la population de l’Ouest vers l’Atlantique. Washington ne voyait pas alors un grand intérêt politique à cette libre navigation du Mississipi, il ne prévoyait pas l’importance que cette question aurait un peu plus tard ; mais il y avait là un principe, le principe de libre navigation qu’il défendait avec chaleur : « Nous ne pouvons, disait-il, accepter ce principe que les grands fleuves appartiennent aux riverains. Réservons le droit, puisque nous ne pouvons mieux faire aujourd’hui ; faisons un traité qui stipule que, pendant vingt ans, nous ne réclamerons pas la navigation par l’embouchure du Mississipi. Dans vingt ans, ces territoires aujourd’hui inhabités seront de grands États ; il sera temps d’aviser. »

Vaincu par la ténacité espagnole, M. Jay, pour en finir, proposa au congrès une transaction diplomatique, un traité où, sans céder en principe, les États-Unis renonceraient à exercer leur droit de navigation pendant vingt ans[2].

Dans le vote du congrès il se fit une division significative :

Tous les États qui avaient intérêt à ramener les intérêts de l’Ouest vers l’Atlantique votèrent pour le traité. On vota ainsi depuis la Pensylvanie jusqu’à l’extrémité de la Nouvelle-Angleterre. Tous les États, au contraire, qui avaient intérêt à écouler leurs marchandises par le Sud, votèrent contre les résolutions du congrès. Il y eut donc sept États qui votèrent pour, et cinq qui votèrent contre le principe du traité. Comme selon la constitution il fallait neuf voix pour qu’un traité fût valable, on déclara que, puisque sept voix seulement approuvaient le traité, le vote était nul. On ne pouvait négocier dans ces conditions, on chercha un autre moyen.

À cette époque, le congrès discutait portes fermées, et quand il en est ainsi, cela veut dire qu’il n’y a qu’un certain nombre de personnes qui savent ce qui se passe dans une assemblée ; mais ce petit nombre parle, et son secret est celui de la comédie. On sut bientôt, dans les territoires de l’Ouest, que le congrès avait songé un moment à accepter la fermeture du Mississipi, et alors ce fut dans ces provinces, qui n’étaient pas encore des États, une espèce de révolution. De toutes parts s’élevèrent les protestations les plus violentes. « Quoi ! disait-on, le congrès veut disposer de nous pour nous vendre, comme des esclaves, à ces Espagnols sans pitié ? Une assemblée qui a fait la guerre pour nous affranchir des prétentions anglaises va nous réduire à une servitude cent fois plus intolérable ? Mais l’Irlande est plus libre que nous ! »

Devant cette résistance le congrès recula. Le 16 septembre 1788, il fit une déclaration solennelle qui anéantissait toute la négociation, et affirmait que la libre navigation du Mississipi était le droit des États-Unis et qu’on le soutiendrait[3].

C’était encore une affaire où l’impuissance du congrès avait été mise au jour. Une fois de plus le peuple américain apprenait que dans les rapports avec l’étranger la force du gouvernement est la force même de la nation.

Sur cette question du Mississipi, Jefferson qui était en France écrivit à Madison. Il avait compris qu’il se formerait dans ces territoires un vaste empire, et qu’à cet empire il fallait le Mississipi. « Si vous ne leur donnez le Mississipi, disait-il, vous pouvez être sûrs que ces gens de l’Ouest se livreront à l’Espagne et peut-être à l’Angleterre pour qu’elle les aide à renverser la domination espagnole. » Dès lors on n’a jamais douté que la liberté du Mississipi ne fût nécessaire à l’Union ; aussi quand j’ai vu dans la guerre actuelle le Sud dire : « Nous garderons l’embouchure, » il m’a été facile de prévoir que l’Amérique ferait la guerre jusqu’à la dernière extrémité pour reprendre la possession de son fleuve. Ou il faut que les États de l’Ouest se réunissent au Sud, en laissant le Nord en dehors, ou il faut que le Mississipi appartienne à la confédération de l’Ouest et du Nord et que les États-Unis restent ce qu’ils sont, ce que la nature les a faits. La possession du Mississipi est pour les États-Unis ce qu’est pour nous la possession de la Seine, et plus encore. Supposez qu’à l’embouchure de la Seine il y ait un établissement anglais, et demandez-vous quelle serait la situation de la France.

Voilà où l’absence d’un pouvoir bien constitué avait réduit le congrès. C’était l’impuissance dans toutes les relations avec l’étranger.

À l’intérieur, où la faiblesse n’était pas moins grande, on se trouva bientôt dans une situation plus délicate et plus difficile encore ; on se trouva en présence d’une émeute, presque d’une révolution, et sans moyen de se défendre. Ce fut le dernier coup, et certainement ce fut là ce qui ouvrit les yeux aux Américains. Il faut donc en parler avec quelque détail, d’autant plus que ces questions ne sont pas des questions seulement américaines, elles nous touchent de près. Il est bon d’apprendre que tel et tel attribut du gouvernement ne lui a été donné qu’après de longues expériences, et qu’on ne peut le lui enlever sans détruire la sécurité sociale.

Tandis que le congrès s’affaiblissait à l’intérieur aussi bien qu’au dehors, les États étaient tout ce qu’il y avait de plus vivant. Les États s’organisaient, refaisaient leurs constitutions, et, il faut le dire, ces constitutions sont en général excellentes. C’étaient toutes les libertés anglaises qui s’établissaient avec plus d’aisance, de facilité qu’en Angleterre, puisqu’on n’avait là ni église établie, ni noblesse qui pût gêner le mouvement de la démocratie. Toutes ces constitutions se ressemblent : deux chambres, un pouvoir judiciaire indépendant, des lois électorales très-larges. La démocratie se meut librement dans un cadre très-vaste.

Mais il ne suffit pas de faire une bonne constitution : il faut encore, quand une constitution est faite, qu’elle soit acceptée par le pays, et que chaque citoyen s’en fasse le défenseur. Le gouvernement libre, c’est à la fois le gouvernement le plus fort et le plus faible du monde, suivant l’état des mœurs et des esprits. Quand les constitutions libres sont acceptées par tous, chaque citoyen est le défenseur de l’ordre public ; il se porte là où il y a du danger, et par cela même il n’y a pas de danger. Il n’y a pas de troubles, car les troubles ne peuvent être le résultat que d’appels aux mauvaises passions ; et, quand tout le monde aime la liberté, on ne peut faire appel à ces mauvaises passions. Mais si les mœurs ne soutiennent pas les institutions, si elles ne sont pas patriotiques, alors il se passe ce que nous avons vu dans nos révolutions. Une minorité turbulente déclare qu’elle est le peuple, et on tombe sous le joug de cette minorité ; il faut la repousser d’une façon violente, et les répressions détruisent la liberté. C’est là une vérité qui est écrite en caractères sanglants dans l’histoire, les Américains n’en ont jamais douté.

En 1786, les mœurs et les sentiments étaient patriotiques en toute l’Amérique, et dans la Nouvelle-Angleterre peut-être plus qu’ailleurs ; mais il y avait ce qui reste souvent à la suite des révolutions et des guerres, une espèce de lie, qui ne pouvait se déposer. On ne fait pas une révolution sans remuer beaucoup d’idées, et dans le Massachusetts surtout, on avait remué beaucoup d’idées de liberté et beaucoup d’idées de révolution : ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Il y avait là une foule d’esprits ardents, exaltés, il suffisait d’une occasion pour que cette exaltation pût mal tourner. Quand je dis une occasion, j’entends une occasion considérable ; car, grâce à l’éducation politique des Américains, on peut dire que la grande masse de la nation avait les habitudes de la liberté. Mais quand la paix fut conclue, on se trouva dans une position critique. Il y avait des dettes énormes. Le Massachusetts, un très-petit pays, qui n’avait à cette époque que trois cent soixante-quinze mille habitants, se trouva grevé d’une dette qui, y compris ce qu’on avait emprunté, ce qu’on devait aux soldats, et la part de l’État dans la dette fédérale, n’allait pas loin de soixante-quinze millions. C’était une lourde charge, à répartir sur une population de trois cent soixante-quinze mille âmes Pour y pourvoir on avait peu de ressources. Le grand commerce du Massachusetts, la pêche, se trouvait à peu près détruit ; le sol n’est pas riche, il y avait donc de grandes souffrances.

D’un autre côté il y avait de très-lourdes dettes particulières. Au début de la révolution, dans le premier enthousiasme, chacun s’était armé ; on avait emprunté pour que les femmes et les enfants pussent vivre pendant que les hommes étaient au camp, et on était arrivé ainsi à une situation tellement précaire qu’il avait fallu fermer les tribunaux et empêcher les créanciers de poursuivre leurs débiteurs. La paix rétablie, les créanciers, fort misérables eux-mêmes, redemandèrent leur argent : les tribunaux se rouvrirent ; mais, comme autrefois à Rome, le nombre des débiteurs était plus considérable que celui des créanciers, et la majorité sentait sa force[4]. Des conventions qui, suivant l’usage, s’intitulaient le peuple, protestèrent contre la dureté des lois, faites, disait-on, pour et par les riches. On en vint à demander si la loi agraire ne serait pas juste ; car enfin, disait-on, si nos créanciers ont des richesses, à qui le doivent-ils ? à nous, à notre courage ; si nous ne nous étions pas battus, l’Angleterre aurait tout confisqué. Ces terres, cet argent qui sans nous auraient été perdus sont donc à nous autant qu’à leurs propriétaires. Il faut se débarrasser de ces tribunaux qui condamnent les pauvres gens, de ces hommes d’affaires et de ces avocats qui sont des sangsues publiques. Vous reconnaissez cette idée absurde, qui renaît si souvent dans les temps d’épidémie : on pend les médecins sous prétexte qu’ils sont cause de la maladie.

Vous voyez où l’on en était arrivé. Pas d’argent, et partout la misère. Dans un moment de désespoir, on avait autorisé le payement en nature qui est le plus funeste de tous les payements, car il ruine le débiteur en lui ôtant sa dernière ressource et donne au créancier une chose sans valeur. Le mécontentement grandissait avec la souffrance ; on menaçait les cours de justice, on demandait l’abolition des dettes et un papier-monnaie. Dès l’automne 1786, il fut visible qu’on approchait d’un soulèvement.

Ce fut alors que Henri Lee écrivit à Washington, qui était toujours la ressource universelle. Nous avons sa réponse, qui est fort belle. On lui demandait d’user de son influence, il répondit : « L’influence ? à quoi bon ? L’influence n’est pas le gouvernement. Commencez par avoir un gouvernement qui assure la liberté, la propriété des citoyens, sans cela attendez-vous à ce qu’il y a de pire au monde. Et quant aux débiteurs, la conduite à tenir avec eux est très-simple : informez-vous de l’état des choses, donnez-leur satisfaction s’ils ont raison, mais non s’ils ont tort, et enfin, s’ils attentent à la liberté des citoyens, vous êtes un gouvernement, agissez. »

Ce conseil fut entendu : le Massachusetts dut son salut à l’énergie de son gouverneur. Ce premier magistrat se nommait James Bowdoin et descendait d’une famille de réfugiés français. Bowdoin vit que la crise approchait ; il demanda aux deux assemblées législatives de le soutenir. Le sénat se déclara prêt à seconder le gouverneur ; la chambre des représentants hésita. En ce moment l’émeute éclata ; elle avait pour chef un certain Daniel Shays, qui avait été capitaine dans l’armée continentale. Quand on apprit dans le Massachusetts qu’une émeute armée menaçait la propriété, il y eut une inquiétude universelle. On convoqua les milices. L’émeute avorta. Commencée au mois de décembre 1786, elle était dispersée sans grande effusion de sang en février 1787. On offrit l’amnistie à ceux qui déposeraient les armes.

En somme, l’émeute n’avait pas fait grand mal ; mais c’était une leçon pour l’Amérique. On n’imaginait pas que dans un pays où tout le monde était élevé dans les principes de la liberté, on pût être aussi près de l’abîme. Le général Knox, qui fut envoyé pour étudier les choses, déclara que ce n’était pas dans le Massachusetts seulement, mais dans toute la Nouvelle-Angleterre, que le mal était aussi profond ; suivant lui, le cinquième de la population était dans un état de souffrance, on pouvait avoir un jour devant soi une armée de douze à quinze mille hommes. En face de cette révélation l’effroi redoubla. Au moment du danger on s’était trouvé sans défense, le danger pouvait renaître. L’État avait rassemblé des milices, mais une partie de ces troupes avait passé à l’ennemi. On s’était adressé au congrès : le congrès avait un instant profité de ce que les Indiens menaçaient les frontières pour demander qu’on appelât les milices de la Nouvelle-Angleterre ; mais il n’avait pas été plus loin, et une fois l’émeute terminée, on prétendit que le congrès n’avait pas le droit de s’ingérer dans une rébellion intérieure. C’était déclarer qu’il n’y avait pas de gouvernement fédéral.

Dans cet état d’impuissance et de misère, on sentit qu’il était nécessaire de réformer la constitution. Conquérir l’indépendance n’était que la moitié du problème ; la liberté n’est pas tout : il y faut joindre la sécurité, l’ordre, un pouvoir fortement organisé, capable de maintenir la paix et de faire respecter les lois. C’était l’œuvre qui restait à accomplir ; il fallait combattre l’anarchie comme on avait combattu la tyrannie.

Du fond de sa retraite, à Mount-Vernon, Washington suivait avec une inquiétude patriotique cette décrépitude de la confédération. Jay, chargé des affaires étrangères, lui avait écrit pour le féliciter de n’être plus dans la vie publique et de ne pas voir de près ce triste spectacle d’un pays qui meurt de faiblesse. Washington adressa à Jay une réponse souvent citée :

« L’opinion que vous exprimez que nos affaires marchent rapidement à une crise est d’accord avec la mienne. Mais quel sera l’événement ? C’est ce que je ne puis prévoir. Nous avons à nous corriger de plus d’une erreur. En formant notre confédération, il est probable que nous avons eu trop bonne opinion de la nature humaine. L’expérience nous a appris que, sans l’intervention d’un pouvoir coercitif, les hommes n’adoptent pas et n’exécutent pas les mesures même les plus avantageuses pour eux. Je ne crois pas que nous puissions exister longtemps comme nation, si nous n’établissons quelque part un pouvoir qui agisse sur l’Union entière avec autant d’autorité qu’en ont, dans chaque État, les gouvernements particuliers.

« Craindre de donner au Congrès, constitué comme il est, des pouvoirs étendus pour des affaires nationales, me paraît le comble de l’absurdité et de la folie populaires. Le Congrès pourrait-il employer ces pouvoirs au détriment du public, sans se faire à lui-même autant et plus de mal ? Les intérêts des membres de cette assemblée ne sont-ils pas inséparablement liés à ceux de leurs commettants ?…

« Bien des gens pensent que dans ses réquisitions aux États, le Congrès a trop souvent pris le ton humble et suppliant, lorsqu’il avait le droit de faire valoir sa dignité souveraine et de commander l’obéissance. Quoi qu’il en soit, les réquisitions sont parfaitement vaines, lorsque treize États souverains, indépendants et désunis, sont dans l’habitude de discuter et de refuser à leur gré. Les réquisitions ne sont plus qu’un mot et une moquerie. Si vous disiez aux législatures d’État qu’elles ont violé le traité de paix, et qu’elles ont empiété sur les prérogatives de la confédération, elles vous riraient au nez.

« Que faut-il donc faire ? Les choses ne peuvent longtemps suivre le même train. Il est fort à craindre (comme vous le dites) que les hommes qui valent le mieux ne se dégoûtent de l’état des affaires, et ne soient disposés à une révolution quelle qu’elle soit. Nous sommes enclins à courir d’un extrême à l’autre. Prévoir et prévenir des événements désastreux, voilà quel serait le rôle de la sagesse et du patriotisme.

« Quel changement étonnant peuvent amener quelques années ! On me dit que les hommes respectables parlent eux-mêmes d’une forme de gouvernement monarchique sans en avoir horreur. C’est de la pensée que vient la parole, et de la parole à l’action il n’y a souvent qu’un pas. Mais qu’il serait irrévocable et terrible ! Quelle joie pour nos ennemis de voir leurs prédictions se vérifier ! Quel triomphe pour les avocats du despotisme de pouvoir prouver que nous sommes incapables de nous gouverner nous-mêmes, et que nos systèmes, fondés sur la base d’une égale liberté, sont chimériques et trompeurs ! Dieu veuille que l’on prenne à temps de sages mesures pour détourner des conséquences que nous n’avons que trop lieu de redouter.

« Quoique je sois retiré du monde, j’avoue franchement que je ne saurais rester spectateur désintéressé. Cependant, puisque j’ai heureusement aidé à conduire le vaisseau dans le port, et que j’ai obtenu mon congé en forme, ce n’est pas mon affaire de m’embarquer de nouveau sur une mer orageuse ; d’ailleurs on ne peut pas supposer que mes sentiments et mes avis eussent beaucoup de poids sur l’esprit de mes concitoyens. Ils ont été négligés, quoiqu’ils eussent été donnés comme un legs et de la façon la plus solennelle. Peut-être alors avais-je quelques droits à l’attention publique ; je me regarde comme n’en ayant aucun à présent. »

Cette lettre est du mois d’août 1786 (avant l’émeute de Shays, par conséquent) ; vous voyez combien elle est belle et triste, combien Washington s’y montre désillusionné. Il avait tort, car c’est précisément de l’excès du mal qu’allait sortir le remède. C’est le danger commun qui allait réveiller l’Amérique et décider Washington lui-même à renoncer à sa retraite et à rentrer au service de la patrie.

Vous savez maintenant de quel état de misère des hommes courageux, Washington, Madison, Hamilton, Franklin voulurent tirer leur pays. Pour réformer la constitution, ils résolurent de s’adresser au peuple, et dotèrent l’Amérique de ce pouvoir fédéral qui a fait le salut et la grandeur des États-Unis.

C’est là un des grands spectacles que présente l’histoire de la constitution américaine. Aujourd’hui je ne peux m’empêcher de réfléchir au bonheur de l’Amérique, qui, dans une situation aussi grave, trouve aussitôt des hommes qui savent ce qu’il faut pour arriver au noble but qu’ils poursuivent. En France nous avons passé par les mêmes phases que l’Amérique, nous avons connu cette situation révolutionnaire, cette agitation dans les esprits, ce mécontentement universel, cette espèce de malaise du malade, qui change sans cesse de côté et ne peut se reposer. Mais des hommes qui se présentent et disent au pays : « Voilà ce qu’il faut faire, et nous le faisons, » c’est ce que nous n’avons jamais vu. Nous sortons d’une révolution par une autre, et nous marchons ainsi, de révolution en révolution, à la ruine de la liberté. À quoi cela tient-il ? À deux causes qui se tiennent étroitement : l’ignorance et l’absence d’esprit politique.

Notre ignorance politique n’est pas notre faute, quoique nous ayons fait beaucoup d’expériences depuis soixante-dix ans. Ce que j’appelle l’ignorance politique, ce n’est pas l’absence de cette science qu’on apprend dans les livres, mais de cette science qu’on apprend dans la vie.

En Amérique, un homme commence par être un des agents de sa commune. Membre du comité des écoles, marguillier de son église, inspecteur des routes ou des ponts, curateur d’un hospice, etc., il est toujours occupé à faire deux parts de sa vie, l’une pour ses affaires, l’autre pour la chose publique ; l’une pour soi, l’autre pour ses concitoyens. Et de même qu’on ne se sépare pas de son voisin dans une question municipale, plus tard on sera fidèle à son parti politique, on aura des principes arrêtés, et on sera habitué à y rester fidèle. En France, au contraire, il n’y a jamais que deux grandes catégories, ceux qui sont pour le pouvoir, et ceux qui sont pour l’opposition.

Une révolution arrive ; il semble que les choses vont changer : pas du tout. Ceux qui défendaient l’ancien pouvoir se mettent à défendre le nouveau ; il ne faut pas leur en vouloir, ils comprennent ainsi le salut de la société ! Quant à ceux qui étaient dans l’opposition la veille de la révolution, ils y sont encore le lendemain. Il y a bien quelques hommes intelligents qui passent d’un camp dans l’autre, mais ce n’est pas le grand nombre, et vous pouvez remarquer qu’en France les hommes d’opposition et les hommes de gouvernement sont toujours les mêmes. Les uns veulent tout renverser, les autres tout conserver. Avec de pareilles idées, comment pourrait-on avoir un caractère ? S’il faut soutenir le pouvoir quel qu’il soit, si le pouvoir n’a jamais tort, à quoi bon une conscience et un jugement ? De même, si l’opposition a toujours raison, s’il suffit d’être toujours d’un avis contraire au gouvernement pour être populaire, à quoi bon s’instruire et se faire une opinion ? Voilà le mal dont nous souffrons. Nous ne pouvons sortir de là que par la vie politique, par la pratique de l’association, de la vie communale, de tout ce qui fera de nous des hommes habitués à vivre ensemble, à discuter et à soutenir leurs opinions.

Nous avons eu en France un homme qui avait été en Amérique ; c’est le seul qui dans la révolution ait montré du caractère. C’est La Fayette. Vous le trouvez en 1789 ce qu’il sera en 1830, toujours fidèle aux mêmes idées. Je n’approuve pas toutes ses idées, mais son caractère est toujours beau. Il peut se tromper, mais il agit toujours suivant ses opinions. Il est arrêté, mis en prison ; l’Autriche le jette dans les cachots d’Ollmutz au mépris du droit des gens. Pour lui rendre sa liberté, on lui propose cinq ou six fois des déclarations contraires à ses convictions ; il reste dans son cachot : c’est un martyr. Plus tard on lui propose de servir l’Empereur, il ne veut pas ; il sera tout prêt à servir l’Empereur si l’Empereur veut servir la liberté ; sinon, non. En 1815, il défendra la liberté contre Bonaparte, comme plus tard il la défendra contre les Bourbons. Aussi quand la France se trouvait dans une crise, chacun disait : Appelons M. de La Fayette. C’est un grand bonheur pour un pays d’avoir un certain nombre d’hommes tellement fixes dans leur foi politique, qu’au jour du péril on est sûr de les trouver confiants et décidés. Il y a là une garantie et une sûreté. C’est là ce qui fait la force d’une nation, ce qui fait la grandeur de ces noms justement honorés : Washington et Hamilton.


  1. Pitkin, t. II, p. 204.
  2. Curtis, t. I, p. 325.
  3. Pitkin, t. II, p. 210.
  4. Pitkin, t. II, p. 214.