Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XVIII/Chapitre 7

Texte établi par Jean Léonard Pellet, Jean Léonard Pellet (9p. 47_Ch07-50_Ch08).

VII. Origine du Maryland. Nature de ſon gouvernement.

Loin d’avoir de l’éloignement pour les catholiques, comme ſes prédéceſſeurs, Charles I avoit trouvé des motifs de les chérir dans le zèle que l’eſpérance d’être tolérés par ce prince, leur avoit inſpiré pour ſes intérêts. Mais quand l’accuſation de favoriſer le papiſme eut aliéné les eſprits contre ce roi foible, qui ne viſoit guère qu’au deſpotiſme, il fut obligé d’abandonner cette communion à toute la sévérité des loix, où le ſchiſme de Henri VIII l’avoit condamnée. Ces rigueurs déterminèrent le lord Baltimore à chercher dans la Virginie un aſyle à la liberté de conſcience. Comme il n’y trouvoit pas de tolérance pour une religion excluſive elle-même, il forma le projet de s’établir dans la partie inhabitée de cette région qui eſt ſituée entre la rivière de Potowmak & la Penſilvanie. Il ſe diſpoſoit à peupler cette terre en faveur des pouvoirs qu’il avoit obtenus, lorſque la mort termina ſes jours.

Un fils digne de lui, pourſuivit une entrepriſe ſi conſolante pour la religion de ſa famille. Il partit en 1633 d’Angleterre avec deux cens catholiques, tous d’une naiſſance honnête. L’éducation qu’ils avoient reçue, le culte pour lequel ils s’expatrioient, la fortune que leur promettoit leur guide : tous ces motifs prévinrent les déſordres qui ne ſont que trop ordinaires dans les états naiſſans. La nouvelle colonie vit les ſauvages gagnés par la douceur & par des bienfaits, s’empreſſer de concourir à ſa formation. Avec ce ſecours ineſpéré, ces heureux membres, unis par les mêmes principes, & dirigés par les conſeils d’un chef vigilant, ſe livrèrent de concert à des travaux utiles. Le ſpectacle de la paix & du bonheur dont ils jouiſſoient, attira chez eux une foule d’hommes qu’on persécutoit ou pour la même croyance, ou pour d’autres opinions. Les catholiques du Maryland, déſabusés enfin d’une intolérance dont ils avoient été la victime, après en avoir donné l’exemple, ouvrirent un aſyle à toutes les ſectes indiſtinctement. Toutes jouirent avec la même étendue des droits de cité. Le gouvernement fut modelé ſur celui de la métropole.

Un eſprit ſi conforme aux vues de la ſociété, n’empêcha pas qu’après le renverſement de la monarchie, on ne dépouillât Baltimore des conceſſions dont il avoit fait le meilleur uſage. Deſtitué par Cromvel, il fut rétabli dans ſes droits par Charles II, mais pour ſe les voir conteſter encore. Quoiqu’au-deſſus de tout reproche de malverſation ; quoiqu’extrêmement zélé pour les dogmes ultramontains ; quoique fort attaché aux intérêts des Stuarts, il eut le chagrin de voir attaquer ſa charte ſous le règne arbitraire de Jacques, & d’avoir un procès en règle pour la juriſdiction d’une province que la couronne lui avoit cédée, & qu’il avoit établie à ſes dépens. Ce prince qui eut toujours le malheur de ne connoître ni ſes amis ni ſes ennemis, & le ſot orgueil de croire que l’autorité royale ſuffiſoit pour juſtifier tous les actes de violence, alloit ôter une ſeconde fois à Baltimore ce que les rois ſon père & ſon frère lui avoient donné, lorſqu’il fut précipité lui-même d’un trône qu’il rempliſſoit ſi mal. Le ſucceſſeur de ce lâche deſpote termina d’une manière digne de ſon caractère politique, une conteſtation excitée avant ſon élévation. Il voulut que les Baltimore fuſſent privés de leur autorité, mais qu’ils continuâſſent à jouir de leurs revenus. Lorſque cette famille, plus indifférente ſur les préjugés de religion, rentra dans le ſein de l’égliſe Anglicane, elle fut réintégrée dans le gouvernement héréditaire du Maryland ; elle recommença à conduire la colonie avec un conſeil & deux députés élus par chaque diſtrict.