Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XI/Chapitre 11

XI. De quelle nature eſt le ſol de la Guinée. Quelles ſont ſes côtes.

Depuis les frontières de l’empire de Maroc juſqu’au Sénégal, la terre eſt tout-à-fait ſtérile. Une longue bande des déſerts de Sahara, qui s’étendent depuis l’océan atlantique juſqu’à l’Égypte, au midi de tous les états Barbareſques, occupe ce grand eſpace. Au milieu de ces ſables brûlans, vivent quelques familles Maures, dans un petit nombre d’endroits où ſe ſont trouvées des ſources peu abondantes, & où il a été poſſible de planter des palmiers & de recueillir des dattes. Leur principale occupation eſt de ramaſſer les gommes qui ont fixé l’attention de l’Europe ſur cette contrée. Elles portent dans la haute Guinée, principalement à Bambouk, une grande quantité de ſel qui leur eſt payée avec de l’or, & quelquefois avec des eſclaves.

Les bords du Niger, de la Gambie, de Sierra Leona ; les bords des rivières moins conſidérables qui coulent dans l’intervalle de ces grands fleuves, ſeroient très-fertiles, ſi on vouloit les cultiver. L’éducation des troupeaux y fait preſque l’unique occupation des habitans. Ils ſe nourriſſent par goût, du lait de jument, & voyagent peu, parce que nul beſoin ne les fait ſortir de leur patrie.

Ceux du cap de Monté, enveloppés de tous côtés par des ſables, forment une nation entièrement iſolé du reſte de l’Afrique. C’eſt dans le riz de leurs marais que conſiſte toute leur nourriture & leur unique richeſſe. Ils en vendent aux Européens une petite quantité, qui leur eſt payée avec de l’eau-de-vie & des quincailleries.

Depuis le cap de Palme juſqu’à la rivière de Volte, les habitans ſont marchands & cultivateurs. Ils ſont cultivateurs, parce que leur terre, quoique pierreuſe, paie largement les peines & les avances néceſſaires pour la défricher. Ils ſont marchands, parce qu’ils ont derrière eux des nations qui leur fourniſſent de l’or, du cuivre, de l’ivoire, des eſclaves, & que rien ne s’oppoſe à une communication ſuivie entre les peuples des terres & ceux de la côte. C’eſt la ſeule contrée de l’Afrique où, dans un long eſpace, on ne ſoit arrêté ni par de vaſtes déſerts, ni par des rivières profondes, & on l’on trouve de l’eau & des ſubſiſtances.

Entre la rivière de Volte & celle de Kalabar, la côte eſt plate, fertile, bien peuplée, bien cultivée. Il n’en eſt pas ainſi du pays qui s’étend depuis le Kalabar juſqu’au Gabon. Preſque entièrement couvert d’épaiſſes forêts, produiſant peu de fruits, & point de grains, il eſt plus habité par des bêtes féroces que par des hommes. Quoique les pluies y ſoient abondantes, comme elles doivent l’être ſous l’équateur, la terre eſt ſi ſablonneuſe, qu’un inſtant après qu’elles ſont tombées, il ne reſte aucune trace d’humidité.

Au ſud de la ligne, & juſqu’au Zaïre, la côte offre un aſpect riant. Baſſe dans ſa naiſſance, elle s’élève inſenſiblement, & préſente des champs cultivés, mêlés de bois toujours verds, & des prairies couvertes de palmiers.

Du Zaïre au Coanza, & plus loin encore, la côte eſt ordinairement haute & eſcarpée. On trouve dans l’intérieur une plaine exhauſſée, dont le ſol eſt composé d’un gros ſable fertile.

Au-delà du Coanza, & des établiſſemens Portugais, commence un pays ſtérile qui a plus de deux cens lieues d’étendue, & qui ſe termine aux Hottentots. Dans ce long eſpace, on ne connoit d’habitans que les Cimbebas, avec leſquels on n’a aucune communication.

Les variétés qu’on obſerve dans les rives de l’Afrique occidentale, n’empêchent pas qu’elles ne jouiſſent toutes d’un avantage bien rare, peut-être unique. Nulle part ſur cette côte immenſe, on ne voit de ces rochers affreux, dont l’aſpect repouſſe le navigateur. La mer y eſt calme, & l’ancrage sûr. Sans ces avantages, on ne pourroit que difficilement la pratiquer, parce qu’elle a très-peu de ports, & que des bancs de ſable preſque contigus, obligent le plus ſouvent de mouiller au large.

Les vents & les courans ont à-peu-près la même direction ſix mois de l’année, depuis avril juſqu’en novembre. Au ſud de la ligne, le vent règne ſud-eſt, & la direction des courans eſt vers le nord : au nord de la ligne, le vent règne à l’eſt, & la direction des courans eſt vers le nordeſt. Dans les ſix autres mois, les orages changent par intervalles la direction du vent ; mais il ne ſouffle plus avec la même force : le reſſort de l’air ſemble s’être relâché. La cauſe de ce changement paroit influer ſur la direction des courans. Au nord de la ligne, ils vont au ſud-oueſt ; au-delà de la ligne, ils vont au ſud.