Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre X/Chapitre 13

XIII. Les iſles de l’Amérique occaſionnèrent la guerre de 1739. Quels en furent les événemens & la fin.

Les colonies Angloiſes, ſur-tout la Jamaïque, avoient ouvert avec les poſſeſſions Eſpagnoles du Nouveau-Monde, un commerce interlope qu’une longue habitude les avoit accoutumées à regarder comme licite. La cour de Madrid devenue plus éclairée ſur ſes intérêts, prit des meſures pour arrêter, pour diminuer du moins cette communication. Le projet pouvoit être ſage, mais il falloit que l’exécution en fût juſte. Si les vaiſſeaux deſtinés à empêcher la fraude ſe fuſſent bornés à arrêter les bâtimens qui la faiſoient, ils auroient mérité des louanges. L’abus inséparable de tout moyen violent, l’âpreté du gain, peut-être l’eſprit de vengeance, firent que ſous prétexte de contrebande, on arrêta loin des côtes ſuſpectes, des navires qui avoient une deſtination légitime.

La nation Angloiſe qui, mettant ſa sûreté, ſa puiſſance & ſa gloire dans le commerce, avoit ſouffert impatiemment de voir réprimer ſes uſurpations, fut révoltée des vexations qui paſſoient les bornes du droit des gens. On n’entendit dans Londres, dans le parlement, que plaintes contre l’étranger qui les exerçoit, qu’invectives contre le miniſtère qui les ſouffroit. Robert Walpole, qui gouvernoit depuis long-tems la Grande-Bretagne avec un caractère & des talens plus propres pour la paix que pour la guerre, & le conſeil d’Eſpagne qui, à meſure que l’orage approchoit montroit moins de vigueur, cherchèrent de concert des voies de conciliation. Celles qui furent imaginées & ſignées au Pardo, ne furent pas du goût d’un peuple également échauffé par ſes intérêts, par ſon reſſentiment, par l’eſprit de parti, & ſingulièrement par des écrits politiques qui ſe ſuccédoient avec rapidité.

Par-tout où le ſouverain ne ſouffre pas qu’on s’explique librement ſur les matières économiques & politiques, il donne l’atteſtation la plus authentique de ſon penchant à la tyrannie & du vice de ſes opérations. C’eſt précisément comme s’il diſoit au peuple. « Je ſais tout auſſi-bien que vous que ce que j’ai réſolu eſt contraire à votre liberté, à vos prérogatives, à vos intérêts, à votre tranquilité, à votre bonheur : mais il me déplaît que vous en murmuriez. Je ne ſouffrirai jamais qu’on vous éclaire ; parce qu’il me convient que vous ſoyez aſſez ſtupides pour ne pas diſtinguer mes caprices, mon orgueil, mes folles diſſipations, mon faſte, les déprédations de mes courtiſans & de mes favoris, mes ruineux amuſemens, mes paſſions plus ruineuſes encore, de l’utilité publique qui ne fut, qui n’eſt, & qui ne ſera jamais, autant qu’il dépendra de moi & de mes ſucceſſeurs, qu’un honnête prétexte. Tout ce que je fais eſt bien fait. Croyez-le, ne le croyez pas : mais taiſez-vous. Je veux vous prouver de toutes les manières les plus inſensées & les plus atroces que je règne pour moi, & que je ne règne ni par vous, ni pour vous. Et ſi quelqu’un d’entre vous a la témérité de me contredire, qu’il périſſe dans l’obſcurité d’un cachot, ou qu’un lacet le prive à jamais de la faculté de commettre une ſeconde indiſcrétion : car tel eſt mon bon plaiſir ». En conséquence voilà l’homme de génie réduit au ſilence ou étranglé, & une nation retenue dans la barbarie de ſa religion, de ſes loix, de ſes mœurs, & de ſon gouvernement ; dans l’ignorance des choſes les plus importantes à ſes vrais intérêts, à ſa puiſſance, à ſon commerce, à ſa ſplendeur & à ſa félicité ; au milieu des peuples qui s’éclairent autour d’elle par les libres efforts & le concours des bons eſprits vers les ſeuls objets vraiment dignes de les occuper. La logique d’une adminiſtration prohibitive pèche de tous côtés. On n’arrête point les progrès des lumières ; on ne les ralentit qu’à ſon déſavantage. La défenſe ne fait qu’irriter & donner aux âmes un ſentiment de révolte, & aux ouvrages le ton du libelle ; & l’on fait trop d’honneur à d’innnocens ſujets, lorſqu’on a ſous ſes ordres deux cens mille aſſaſſins, & que l’on redoute quelques pages d’écriture.

L’Angleterre voit éclore tous les jours une foule de livres, où tout ce qui touche la nation eſt traité avec liberté. Parmi ces écrits, il en eſt de ſolides, composés par de bons eſprits, par des citoyens inſtruits & zélés. Leurs avis ſervent à éclairer le public ſur ſes intérêts, & à diriger le gouvernement dans ſes opérations. On connoit dans l’état peu de réglemens utiles d’économie intérieure qui n’aient été indiqués, préparés ou perfectionnés par quelqu’un de ces écrits. Malheur à tout peuple qui ſe prive de cet avantage.

« Mais, dira-t-on, pour un homme ſage qui répand la lumière, il ſe trouve des écrivains ſans nombre, qui, ſoit par mécontentement des gens en place, ſoit pour flatter le goût de la nation, ſoit pour des raiſons perſonnelles, ſe plaiſent à émouvoir les eſprits. Le moyen qu’ils emploient le plus ordinairement, eſt de porter les prétentions de leur pays au-delà de leurs juſtes bornes, de lui faire enviſager comme des uſurpations manifeſtes, les moindres précautions que prennent les autres puiſſances pour conſerver leurs poſſeſſions. Ces exagérations remplies de partialité & de fauſſeté, répandent des opinions, établiſſent des préjugés, dont l’effet ordinaire eſt d’entretenir la nation dans un état de guerre perpétuelle avec ſes voiſins. Si le gouvernement qui voudroit tenir une balance de juſtice entre ſes ſujets & les étrangers, refuſe de ſe conduire par des erreurs populaires, il s’y voit forcé ».

La liberté de la preſſe produit, ſans doute, ces inconvéniens : mais ils ſont ſi frivoles, ſi paſſagers, en comparaiſon des avantages, que je ne daignerai pas m’y arrêter. La queſtion ſe réduit à ces deux mots : Vaut-il mieux qu’un peuple ſoit éternellement abruti que d’être quelquefois turbulent ? Souverains, voulez-vous être méchans ? Laiſſez écrire ; il ſe trouvera des hommes pervers qui vous ſerviront ſelon votre mauvais génie & qui vous perfectionneront dans l’art des Tibères. Voulez-vous être bons ? Laiſſez encore écrire ; il ſe trouvera des hommes honnêtes qui vous perfectionneront dans l’art des Trajans. Combien il vous reſte de choſes à ſavoir pour être grands, ſoit en bien, ſoit en mal !

La populace de Londres, la plus vile populace de l’univers, comme le peuple Anglois, conſidéré politiquement, eſt le premier peuple du monde, ſoutenue de vingt mille jeunes gens de famille élevés dans le négoce, aſſiège par des cris & par des menaces le sénat de la nation, & règle ſes délibérations. Souvent ces clameurs ſont excitées par une faction du parlement lui-même. Ces hommes mépriſables, une fois émus, inſultent le meilleur citoyen, qu’on a réuſſi à leur rendre ſuſpect, incendient ſa maiſon, & inſultent ſcandaleuſement les têtes les plus ſacrées. Ils ne s’arrêtent qu’après avoir fait adopter par le miniſtère toute leur fureur. Cette influence indirecte, mais ſuivie, du commerce ſur les réſolutions publiques, ne fut peut-être jamais auſſi marquée qu’à l’époque qui nous occupe.

L’Angleterre commençoit la guerre avec la plus grande ſupériorité. Elle avoit un grand nombre de matelots. Ses arſenaux regorgeoient de munitions, & ſes chantiers étoient animés. Ses eſcadres toutes armées, & commandées par des officiers expérimentés, n’attendoient que des ordres pour porter la terreur & la gloire de ſon pavillon aux extrémités du monde. On ne blâmera pas Walpole d’avoir trahi ſa patrie, en négligeant de ſi grands avantages. Il doit être au-deſſus de tout ſoupçon, puiſqu’il ne fut pas accusé de corruption dans un pays où l’on a ſouvent formé ces accuſations ſans y croire. Sa conduite ne fut pas cependant exempte de blâme. La crainte de ſe précipiter dans des embarras qui mettroient en danger ſon adminiſtration ; l’obligation d’appliquer à des armemens militaires les tréſors deſtinés juſqu’alors à lui acheter des partiſans ; la néceſſité d’exiger de nouvelles taxes qui devoient porter au dernier période l’horreur qu’on avoit pour ſa perſonne & pour ſes principes : toutes ces conſidérations & quelques autres le jetèrent dans des irréſolutions funeſtes. Il perdit un tems toujours précieux, déciſif ſur-tout dans les opérations maritimes.

La flotte de Vernon, après avoir détruit Porto-Belo, alla échouer devant Carthagène, plutôt par l’intempérie du climat, par la méſintelligence & l’incapacité des chefs, que par la valeur de la garniſon. Anſon vit ruiner ſon armement au cap de Horn, que quelques mois plutôt il auroit doublé ſans riſque : à juger de ce qu’il auroit pu faire avec une eſcadre par ce qu’il fit avec un vaiſſeau, on peut penſer qu’il auroit au moins ébranlé l’empire Eſpagnol dans la mer du Sud. Un établiſſement, entrepris dans l’iſle de Cuba, eut une iſſue funeſte. Ceux qui vouloient y fonder une ville n’y trouvèrent que leur cimetière. Le général Oglethorpe fut obligé, après trente-huit jours de tranchée ouverte, de lever le ſiège du ſort Saint-Auguſtin dans la Floride, vaillamment défendu par Manuel-Montiano, à qui on avoit laiſſé le loiſir de ſe préparer.

Quoique les premiers efforts des Anglois contre l’Amérique Eſpagnole euſſent été vains, on n’y étoit pas tranquille. Il leur reſtoit leur marine, leur caractère, leur gouvernement, trois grands moyens qui faiſoient trembler. Inutilement la cour de Verſailles joignit ſes forces navales à celles que la cour de Madrid pouvoit faire agir. Cette confédération ne diminuoit pas l’audace de l’ennemi commun, & ne raſſuroit pas des eſprits trop abattus par la crainte. Heureuſement pour les deux nations & pour cette partie du monde, la mort de l’empereur Charles VI avoit allumé en Europe une guerre vive, qui, pour des intérêts fort équivoques, y retenoit les forces Britanniques.

Les hoſtilités qui avoient commencé dans les climats éloignés avec tant d’appareil, ſe réduiſirent inſenſiblement de part & d’autre à quelques pirateries. Il n’y eut d’événement important que la priſe de l’Iſle Royale, qui expoſoit aux plus grands danger la pêche, le commerce & les colonies de la France. Cette puiſſance recouvra à la paix une poſſeſſion ſi précieuſe : mais le traité qui la lui rendit, ne fut pas moins généralement blâmé.

Les François, toujours imbus de cet eſprit de chevalerie, qui a été ſi longtems la brillante folie de toute l’Europe, regardent leur ſang comme payé, lorſqu’il a reculé les frontières de leur patrie, c’eſt-à-dire, lorſqu’ils ont mis leur prince dans la néceſſité de les gouverner plus mal ; & ils croient leur honneur perdu, ſi leurs poſſeſſions ſont reſtées ce qu’elles étaient. Cette fureur de conquêtes, qu’il faut pardonner à des tems barbares, mais dont les ſiècles éclairés ne devroient pas avoir à rougir, fit réprouver le traité d’Aix-la-Chapelle, qui reſtituoit à l’Autriche tout ce qu’on lui avoit pris. La nation, trop frivole, trop légère pour être politique, ne voulut pas voir, qu’en formant en Italie un établiſſement quel qu’il fût à l’infant dom Philippe, on s’aſſuroit de l’alliance de l’Eſpagne à qui on donnoit de grands intérêts à diſcuter avec la cour de Vienne ; qu’en garantiſſant au roi de Pruſſe la Siléſie, on établiſſoit en Allemagne deux puiſſances rivales, fruit précieux de deux ſiècles de méditation & de travaux ; qu’en rendant Fribourg & les places de Flandres détruites, on ſe procuroit des conquêtes aisées, ſi les fureurs de la guerre recommençoient, & la facilité de diminuer dans tous les tems de cinquante mille hommes les troupes de terre, économie qui pouvoit & devoit être portée à la marine.

Ainſi, quand la France n’auroit pas eu beſoin de s’occuper de ſon intérieur dont le dépériſſement étoit extrême ; quand ſon crédit & ſon commerce n’auroient pas été ruinés ; quand quelques-unes de ſes plus importantes provinces n’auroient pas été réduites à manquer de pain ; quand elle n’auroit pas perdu la porte du Canada ; quand ſes colonies n’auroient pas été menacées d’une invaſion infaillible & prochaine ; quand ſa marine n’auroit pas été détruite au point de n’avoir pas un ſeul vaiſſeau à envoyer dans le Nouveau-Monde ; quand l’Eſpagne n’auroit pas été à la veille d’un accommodement particulier avec l’Angleterre : la concluſion de la paix auroit encore mérité l’approbation des eſprits les plus réfléchis.

La facilité qu’avoit le maréchal de Saxe de pénétrer dans l’intérieur des Provinces-Unies, étoit ce qui frappoit le plus les François. On conviendra ſans peine que rien ne paroiſſoit impoſſible aux armes victorieuſes de Louis XV : mais ſeroit-ce un paradoxe de dire que les Anglois éclairés ne déſiroient rien tant que cet événement ? Si la république, qui étoit dans l’impoſſibilité de ſe détacher de ſes alliés, avoit été conquiſe, ſes habitant, qui avoient des préjugés anciens & nouveaux contre le gouvernement, les loix, les mœurs, la religion de leur vainqueur, auroient-ils voulu vivre ſous ſa domination ? N’auroient-ils pas infailliblement porté leur population, leurs capitaux, leur induſtrie dans la Grande-Bretagne ? Et qui peut douter que de ſi grands avantages n’euſſent été infiniment plus précieux pour les Anglois, que l’alliance de la Hollande ?

À cette obſervation nous oſerons en ajouter une autre, qui, pour être auſſi nouvelle, ne paroîtra peut-être pas d’une vérité moins frappante. On a trouvé la cour de Vienne fort heureuſe ou fort habile d’avoir, par la négociation, arraché des mains des François ce que les malheurs de la guerre lui avoient fait perdre. N’auroit-elle pas été plus habile ou plus heureuſe, ſi elle eût laiſſé à ſon ennemi une partie de ſes conquêtes ? Il eſt paſſé ce tems, où la maiſon d’Autriche égaloit, ſurpaſſoit peut-être les forces de la maiſon de Bourbon. Sa politique eſt donc d’intéreſſer les autres puiſſances à ſon ſort, même par ſes pertes. Elle le pouvoit en faiſant des ſacrifices apparens à la France. L’Europe, alarmée de l’agrandiſſement de cette monarchie qu’on eſt porté à haut, à envier, à redouter, auroit repris contre elle cette haine qu’on avoit vouée à Louis XIV ; & des ligues plus redoutables que jamais devenoient la ſuite néceſſaire de ces ſentimens. Cette diſpoſition univerſelle des eſprits étoit plus propre à relever la grandeur de la nouvelle maiſon d’Autriche, que le recouvrement d’un territoire éloigné, borné & toujours ouvert.

On doit, il eſt vrai, avoir aſſez bonne opinion du plénipotentiaire François qui conduiſoit la négociation, & du miniſtre qui la dirigeoit, pour penſer qu’ils auroient démêlé le piège. Nous ne balancerons pas même à aſſurer que ces deux hommes d’état n’avoient aucune vue d’agrandiſſement. Mais auroient-ils trouvé la même profondeur de politique dans le conſeil, auquel ils devoient compte de leurs opérations ? C’eſt ce qu’on n’oſe décider. En général tous les gouvernemens du monde ſont portés à s’étendre, & celui de France eſt de nature à le déſirer.

Quoi qu’il en ſoit de ces réflexions, il faut avouer que l’eſpérance des deux miniſtres François qui avoient décidé la paix, fut trompée. Le principal objet de leurs démarches avoit été la conſervation des colonies menacées, & l’on perdit de vue cette ſource d’une opulence illimitée, auſſi-tôt que le danger fut paſſée. La France garda des troupes ſans nombre, négocia des ligues dans le nord & dans le midi de l’Europe, ſoudoya une partie de l’Allemagne, ſe conduiſit comme ſi un nouveau Charles-Quint eût menacé ſes frontières, ou ſi un autre Philippe II eût pu bouleverſer l’intérieur de ſon pays par ſes intrigues. Elle ne vit pas qu’elle avoit une prépondérance décidée dans le continent ; qu’il n’y avoit point de puiſſance qui, ſeule, pût oſer l’attaquer ; & que les événemens de la dernière guerre, les arrangemens de la dernière paix, avoient rendu la réunion de pluſieurs puiſſances impoſſible. Mille petites craintes toutes frivoles, la fatiguoient. Ses préjugés l’empêchèrent de ſentir qu’elle n’avoit qu’un ennemi réellement digne de ſon attention, & que cet ennemi ne pouvoit être contenu que par de nombreuſes flottes.

Les Anglois, plus portés à s’affliger de la proſpérité d’autrui qu’à jouir de la leur, ne veulent pas ſeulement être riches : ils veulent être les ſeuls riches. Leur ambition eſt d’acquérir, comme celle de Rome étoit de commander. Ils ne cherchent pas proprement à étendre leur domination, mais leurs colonies. Toutes leurs guerres ont pour but leur commerce ; & le déſir de le rendre excluſif leur a fait faire de grandes choſes & de grandes injuſtices ; & les met dans la cruelle néceſſité de continuer à faire de grandes choſes & de grandes injuſtices. Les nations ne ſe laſſeront-elles jamais de cette eſpèce de tyrannie qui les brave & les avilit ? reſteront-elles éternellement dans cet état de foibleſſe qui les contraint à ſupporter un deſpotiſme qu’elles ne demanderoient pas mieux que d’anéantir ? Si jamais il ſe formoit une alliance entre elles, comment une ſeule nation pourroit-elle réſiſter, à moins d’une faveur conſtante du deſtin ſur laquelle il ſeroit imprudent de compter ? qui eſt-ce qui a promis aux Anglois une proſpérité continue ? quand elle leur ſeroit aſſurée, ne ſeroit-elle pas trop payée, par la perte d’une tranquilité dont ils ne jouiroient jamais, & trop punie par les alarmes d’une jalouſie qui tiendroit leurs yeux inquiets perpétuellement ouverts ſur les mouvemens les plus légers des autres puiſſances ? Eſt-il bien glorieux, eſt-il bien doux, eſt-il bien avantageux & bien sûr à un peuple de régner au milieu des autres peuples, comme un ſultan au milieu de ſes eſclaves ? Un accroiſſement dangereux de la haine au-dehors, eſt-il ſuffiſamment compensé par le corrupteur accroiſſement de l’opulence au-dedans ? Anglois, l’avidité n’a point de terme, & la patience a le ſien, preſque toujours funeſte à celui qui la pouſſe à bout. Mais la paſſion du commerce eſt ſi forte en vous, qu’elle a ſubjugué juſqu’à vos philoſophes. Le célèbre Boyle diſoit qu’il étoit bon de prêcher l’évangile aux ſauvages ; parce que, dût-on ne leur apprendre qu’autant de chriſtianiſme qu’il leur en faut pour marcher habillés ce ſeroit un grand bien pour les manufactures Angloiſes.