Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre IX/Chapitre 21

XXI. État du gouvernement de Saint-Paul.

La province de Saint-Paul eſt bornée au Nord, par la rivière de Sapucachy & par des montagnes ; au Sud par la rivière de Parnagua & par d’autres montagnes qui vont chercher les ſources de l’Ygaſſu ; à l’Oueſt, par le Parana, par Rio-Grande, & par la rivière des Morts ; à l’Eſt par la mer.

C’eſt à treize lieues de l’océan qu’eſt la ville de Saint-Paul, ſous un climat délicieux & au milieu d’une campagne également favorable aux productions des deux hémiſphères. Elle fut bâtie vers 1570 par les malfaiteurs dont le Portugal avoit infeſté les côtes du Nouveau-Monde. Dès que ces ſcélérats s’aperçurent qu’on vouloit les ſoumettre à quelque police, ils abandonnèrent les rives où le haſard les avoit jetés, & ſe réfugièrent dans un lieu écarté, où les loix ne pouvoient pas atteindre. Une ſituation qu’un petit nombre d’hommes pouvoit défendre contre plus de troupes qu’on n’en pouvoit employer contre eux, leur donna la hardieſſe de ne vouloir d’autres maîtres qu’eux-mêmes, & le ſuccès couronna leur ambition. D’autres bandits & les générations qui ſortoient de leur liaiſon avec les femmes du pays, les recrutoient & les multiplioient. L’entrée étoit, dit-on, sévèrement fermée à tout voyageur dans la nouvelle république. Pour y être reçu, il falloit ſe préſenter avec le projet de s’établir. Les candidats étaient aſſujettis à de rudes épreuves. Ceux qui ne ſoutenoient pas cette eſpèce de noviciat ou qui pouvoient être ſoupçonnés de perfidie, étaient maſſacrés ſans miséricorde. C’étoit auſſi le fort de ceux qui paroiſſoient avoir du penchant à ſe retirer. Tout invitoit les Pauliſtes à vivre dans l’oiſiveté, dans le repos & dans la molleſſe. Une certaine inquiétude, naturelle à des brigands, courageux ; l’envie de dominer qui ſuit de près l’indépendance ; les progrès de la liberté qui mènent au déſir d’un nom : peut-être tous ces motifs réunis leur donnèrent d’autres inclinations.

On les vit parcourir l’intérieur du Bréſil d’une extrémité à l’autre. Ceux des Indiens qui leur réſiſtoient étaient mis à mort ; les fers devenoient le partage des lâches ; & beaucoup ſe cachoient dans les antres & dans les forêts pour éviter le tombeau ou la ſervitude. Qui pourroit compter les dévaſtations, les cruautés, les forfaits, dont ſe rendirent coupables ces hommes atroces ? Cependant, au milieu de tant d’horreurs, ſe formoient, ſous un gouvernement municipal, quelques peuplades qu’il faut regarder comme le berceau de tous les établiſſemens qu’a maintenant le Portugal dans les terres. Ces petites républiques détachées, en quelque ſorte, de la grande, cédèrent peu-à-peu aux inſinuations qu’on employa pour les aſſujettir à une autorité qu’ils n’avoient jamais entièrement méconnue ; &, avec le tems, tous les Pauliſtes furent fournis à la couronne de la même manière que ſes autres ſujets.

Alors cette contrée devint un gouvernement. On y ajouta les capitaineries de Saint-Vincent & de Saint-Amaro qui, en 1553 avoient été données aux deux frères Alphonfe & Pierre Lopès de Souza, & dont les deux villes avoient depuis été détruites par des pirates. Cet ordre de choſes coupe en deux la province de Rio-Janeiro. Il n’eſt pas aisé de démêler les cauſes d’un pareil arrangement.

Le pays de Saint-Paul ne compte aujourd’hui que onze mille quatre-vingt-treize blancs, trente-deux mille cent vingt-ſix Indiens, & huit mille neuf cens quatre-vingt-ſept nègres ou mulâtres. Il n’envoie à l’Europe qu’un peu de coton ; & ſon commerce intérieur ſe réduit à fournir des farines & des ſalaiſons à Rio-Janeiro. Quelques expériences prouvent que le lin & le chanvre y réuſſiroient très-bien ; & perſonne ne doute qu’il ne fût facile & important d’y naturaliſer la ſoie. On y pourroit auſſi exploiter avec beaucoup d’utilité les abondantes mines de fer & d’étain qui ſe trouvent entre les rivières Thecté & Mogyaſſu, dans la Cordelière de Paranan-Piacaba, à quatre lieues de Sorocoba.