Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre III/Chapitre 21

XXI. Deſcription de l’iſle de Salſete.

La conquête de cette iſle ſe trouva moins aiſée qu’on ne l’avoit eſpéré. La citadelle de Tanah, qui en faiſoit toute la force, fut défendue avec une intelligence, une opiniâtreté inconnue dans ces contrées. Sommé de ſe rendre, le gouverneur âgé de quatre-vingt-douze ans répondit fièrement : Je n’ai pas été envoyé pour cela ; & il redoubla d’activité & de courage. Ce ne fut qu’après qu’il eut été tué ; qu’après que ſes braves compagnons eurent ſoutenu un aſſaut très-meurtrier depuis fa mort, que les troupes Britanniques entrèrent dans la place le 28 décembre 1774.

Alors ſeulement le vainqueur ſe trouva le maître d’un territoire qui, à la vérité, n’a que vingt milles de long ſur quinze milles de large ; mais qui eſt un des plus peuplés, des plus fertiles de l’Aſie. Au centre eſt la montagne de Keneri, remplie d’excavations vaſtes & profondes, toutes pratiquées dans le roc vif. Ce ſont des pagodes, rangées ordinairement de ſuite, mais quelquefois placées les unes au-deſſus des autres. Des figures & des inſcriptions taillées ou gravées ſur la pierre les ornent le plus ſouvent. On retrouve les mêmes ſingularités dans l’iſle d’Éléphante, voiſine de Salſete.

Des ouvrages ſi étonnans ont été l’origine de beaucoup de fables. Le vulgaire croit qu’ils furent exécutés, il y a cinq cens mille ans, par des divinités d’un ordre inférieur. Quelques brames en font l’honneur au grand Alexandre, qu’ils ſe plaiſent à décorer de tout ce qui leur paroit au-deſſus des forces naturelles de l’homme. Il eſt raiſonnable d’eſpérer que les Anglois, auxquels nous devons déjà tant de lumières ſur l’Aſie, n’oublieront rien pour arriver à l’intelligence de ces monumens qui peuvent jetter un ſi grand jour ſur l’hiſtoire & ſur la religion des indes. Ces ſoins leur feront d’autant plus faciles, que Salſete n’eſt séparée de Bombay que par un canal très-étroit.