Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre I/Chapitre 30

XXX. État actuel des Portugais dans l’Inde.

De toutes les conquêtes que les Portugais avoient faites dans les mers d’Aſie, il ne leur reſte que Macao, une partie de l’iſle de Timor, Daman, Diu & Goa. Les liaiſons que ces miſérables établiſſemens entretenoient entre eux ; celles qu’ils avoient avec le reſte de l’Inde & avec le Portugal, étoient très-languiſſantes. Elles ſe ſont encore reſſerrées, depuis qu’on a établi à Goa une compagnie excluſive pour la Chine & pour le Mozambique.

Actuellement, Macao envoie à Timor, à Siam, à la Cochinchine, quelques faibles bâtimens de peu de valeur. Il en envoie cinq ou ſix à Goa, chargés de marchandiſes rebutées à Canton, & qui, la plupart, appartiennent à des négocians Chinois. Ces derniers navires ſe chargent en retour du bois de ſandal, du ſafran d’Inde, du gingembre, du poivre, des toiles, de tous les objets que Goa a pu traiter ſur la côte de Malabar, ou à Surate, avec ſon vaiſſeau de ſoixante canons, avec ſes deux frégates, & avec ſes ſix chaloupes armées en guerre.

Il réſulte de cette inaction, que la colonie ne peut fournir annuellement pour l’Europe, que trois ou quatre cargaiſons, dont la valeur ne paſſe pas 3 175 000 livres, même depuis 1752, que ce commerce a ceſſé d’être ſous le joug du monopole, ſi l’on en excepte le ſucre, le tabac en poudre, le poivre, le ſalpêtre, les perles, les bois de ſandal & d’aigle, que la couronne continue à acheter & à vendre excluſivement. Les bâtimens qui les portoient, relâchoient autrefois au Bréſil ou en Afrique, & y vendoient une partie de leurs marchandiſes : mais depuis quelque tems ils ſont obligés de faire directement leur retour dans la métropole.

Tel eſt l’état de dégradation où ſont tombés dans l’Inde les hardis navigateurs qui la découvrirent, les intrépides guerriers qui la ſubjuguèrent. Le théâtre de leur gloire, de leur opulence, eſt devenu celui de leur ruine & de leur opprobre. Autrefois un vice-roi, & depuis 1774 un gouverneur-général, deſpote & cruel ; une milice turbulente & indiſciplinée, formée par ſix mille deux cens ſoixante-ſeize ſoldats noirs ou blancs ; des magiſtrats d’une vénalité publique ; une adminiſtration avide & injuſte : tous ces genres d’oppreſſion qui anéantiroient le peuple le plus vertueux, peuvent-ils régénérer une nation pareſſeuſe, dégradée & corrompue ? Que la cour de Liſbonne ouvre enfin les yeux ; & bientôt un pavillon, oublié depuis long-tems, reprendra quelque confédération. Il ne figurera point parmi les grandes puiſſances commerçantes : mais il pourra, ſans éclat, enrichir ſon pays. Nous allons voir dans l’exemple des Hollandois, dont les entrepriſes vont nous occuper, ce que peut, un petit peuple, quand la patience, la réflexion & l’économie dirigent ſes ſpéculations.


Fin du premier Livre.