Histoire naturelle générale et théorie du ciel/Première partie/Résumé des lois de Newton


RÉSUMÉ

DES LOIS FONDAMENTALES DE LA PHILOSOPHIE NATURELLE DE NEWTON[1].


Six planètes, dont trois sont accompagnées de satellites, Mercure, Vénus, la Terre avec sa Lune, Mars, Jupiter qui a quatre lunes et Saturne qui en a cinq, circulent autour du Soleil comme centre. Avec les comètes, qui se meuvent dans toutes les directions et sur des orbites très allongées, elles constituent un système que l’on appelle système solaire ou planétaire. Les mouvements de tous ces corps, dans des courbes circulaires et fermées, supposent l’existence de deux forces qui sont également nécessaires dans toute théorie, savoir une force d’impulsion, qui ferait que le corps, en un point quelconque de son orbite courbe, continuerait sa course en ligne droite et s’éloignerait à l’infini, si une autre force, quelle qu’en soit la nature, ne l’obligeait pas à changer incessamment de direction et à courir sur une trajectoire courbe, qui entoure le Soleil comme centre. Cette deuxième force, comme la géométrie le démontre, est une attraction constamment dirigée vers le Soleil ; on la nomme en conséquence force de chute, force centripète, ou gravité.

Si les orbites des planètes étaient des cercles parfaits, la plus simple analyse de la composition des mouvements curvilignes montrerait que ce mouvement exige une tendance continuelle vers le centre ; mais quoique les courbes suivies par les planètes, aussi bien que par les comètes, soient des ellipses dont le Soleil occupe le foyer commun, dans ce cas encore, la géométrie déduit avec une certitude absolue de l’analogie de Kepler, d’après laquelle le rayon vecteur, ou la ligne qui joint le Soleil à la planète, décrit à chaque instant des aires elliptiques proportionnelles aux temps, l’existence d’une force qui, en chaque point de son orbite, attire constamment la planète vers le centre du Soleil. Cette force de chute, qui règne dans toute l’étendue du système planétaire et attire les astres vers le Soleil, est donc un phénomène incontestable de la nature, et en même temps est surabondamment démontrée la loi d’après laquelle cette force rayonne du centre vers les régions les plus éloignées. Elle décroît toujours comme augmente le carré des distances à ce centre. Cette deuxième règle découle d’une manière aussi évidente du temps que les planètes emploient à parcourir leurs orbites, à des distances très diverses du Soleil. Ces temps sont entre eux comme les racines carrées des cubes des moyennes distances au Soleil, d’où l’on déduit que la force qui attire les astres vers le centre de leur mouvement circulaire doit décroître en raison inverse du carré de la distance.

Cette même loi, qui gouverne les planètes à quelque distance qu’elles tournent autour du Soleil, se retrouve aussi dans les petits systèmes que forment les satellites autour de leur planète principale. Leurs temps de révolution sont dans le même rapport avec leurs distances, et par suite la force qui les attire vers la planète varie dans le même rapport que celle qui attire la planète vers le Soleil. Tout ceci est mis hors de contestation par la géométrie la plus évidente appliquée à des observations inattaquables. Alors surgit l’idée que cette force d’attraction est la même que l’on appelle pesanteur à la surface des planètes et qui, à partir de cette surface, va en s’affaiblissant peu à peu suivant la loi énoncée. La preuve s’en déduit de la comparaison de l’intensité de la pesanteur sur la surface de la Terre avec la force qui attire la Lune vers le centre de son orbite ; ces deux forces sont l’une à l’autre dans le rapport du carré des distances, exactement comme l’attraction dans tout l’Univers. Et c’est pourquoi la force centrale porte souvent le nom de gravité.

D’autre part, comme il est extrêmement vraisemblable que, lorsqu’une action s’exerce seulement en présence d’un corps et en proportion de la proximité de ce corps, la cause de cette action doit être, d’une manière ou d’une autre, attribuée au corps lui-même ; on a, pour cette raison, considéré comme suffisamment démontré que la chute générale des planètes vers le Soleil est due à une attraction exercée par cet astre, et que cette puissance d’attraction doit être regardée comme une propriété générale de tous les corps célestes.

Lorsqu’un corps est abandonné librement à cette attraction qui le force à tomber vers le Soleil ou vers toute autre planète, il tombe vers lui d’un mouvement accéléré et finit par se réunir à sa masse. Mais s’il a reçu une impulsion latérale, il arrive, lorsque celle-ci n’est pas assez puissante pour équilibrer exactement l’attraction, que le corps suit une ligne courbe dans sa chute ; et si l’impulsion qui lui a été imprimée est assez forte pour le dévier de la ligne droite, avant qu’il n’atteigne la surface du corps attirant, d’une quantité égale au demi-diamètre de ce corps, il n’en viendra plus toucher la surface ; mais après l’avoir contournée, il remontera, en vertu de la vitesse acquise dans sa chute, jusqu’au point d’où il est tombé et continuera sa course autour de lui d’un mouvement curviligne continu.

La différence des orbites des comètes avec celles des planètes provient donc de la proportion du mouvement latéral à la pression que ces corps reçoivent de l’attraction ; plus ces forces se rapprocheront de l’égalité, plus la forme de l’orbite se rapprochera du cercle ; et plus elles seront différentes, c’est-à-dire plus faible sera l’impulsion par rapport à la force centrale, plus l’orbite s’allongera, ou, comme on dit, plus elle sera excentrique, l’astre se rapprochant beaucoup du Soleil dans une portion de sa course, s’en éloignant beaucoup dans une autre.

Comme il n’y a rien dans la nature qui soit absolument exact, aucune planète n’a un mouvement absolument circulaire ; mais les orbites des comètes s’éloignent le plus de cette forme, parce que l’impulsion latérale qui leur a été imprimée a été la plus faible relativement à la force centrale correspondant à leur distance initiale.

Je me servirai souvent dans le cours de ce Mémoire de l’expression : constitution systématique de l’Univers. Afin d’écarter toute ambiguïté sur le sens que j’y attache, je dois ici donner quelques mots d’explication. À proprement parler, toutes les planètes et les comètes qui appartiennent à notre monde forment un système par la raison qu’elles tournent autour d’un centre commun. Je prends ici cette dénomination dans son sens strict, puisque je fais allusion aux relations étroites que des liaisons générales et régulières ont établies entre elles. Les orbites des planètes sont aussi voisines que possible d’un plan commun, qui est celui de l’équateur solaire prolongé ; les exceptions à cette règle ne se rencontrent qu’aux limites extérieures du système, où les mouvements s’éteignent peu à peu. Lorsqu’un certain nombre d’astres, ordonnés autour d’un centre commun, autour duquel ils se meuvent, seront en même temps compris dans un certain plan, sans avoir la liberté de s’en écarter que très peu de part et d’autre ; lorsque les écarts ne se présenteront que dans les corps les plus éloignés du centre, dans ceux qui, par suite, semblent plus étrangers aux relations générales : alors je dirai que l’ensemble de ces corps constitue un système.

  1. Cette brève introduction, qui pourra paraître superflue à la plupart des lecteurs, a été écrite pour les personnes moins familiarisées avec les lois fondamentales de Newton, en vue de leur faciliter l’intelligence de la théorie qui va suivre.