Histoire générale du mouvement janséniste, depuis ses origines jusqu’à nos jours/7

CHAPITRE VII
Le Formulaire ; rétractation de Malebranche ; jugement de Duguet. — La grande persécution de 1661. Mort de la Mère Angélique — Profession de foi des religieuses de Port-Royal.


Le grand succès des Provinciales et le prodigieux retentissement du miracle de la Sainte Épine obligèrent les ennemis de Port-Royal à différer l’exécution de leur plan de destruction ; mais ils ne l’abandonnèrent pas, et ils prirent les mesures les mieux concertées pour pouvoir agir au moment donné avec une extrême vigueur. La constitution d’Innocent X ne leur suffisait plus, puisque les jansénistes l’acceptaient sans difficulté ; on en prépara une autre, et en attendant on imagina ce qui s’appelle le Formulaire du Clergé, le fameux Formulaire qui a joué durant un siècle et demi un si grand rôle et qui a troublé si profondément l’Église de France. Ce n’est pas à Rome, c’est au Louvre, dans un conciliabule de treize évêques français en rupture de ban, car ils auraient dû être dans leurs diocèses, que ce Formulaire a été fait ; il est dû à la collaboration du Père Annat et de l’archevêque de Toulouse, Pierre de Marca. Le voici dans sa teneur primitive, celle du 2 juin 1655 :

« Je, N, reconnais être obligé en conscience de condamner de cœur et de bouche la doctrine des cinq propositions de Cornélius Jansénius contenue dans son livre intitulé Augustinus, que le pape et les évêques ont condamnée, laquelle doctrine n’est point celle de saint Augustin, que Jansénius a mal expliqué contre le vrai sens de ce saint docteur. » L’attribution à Jansénius des cinq propositions condamnées par Innocent X était un fait nouveau, mais Innocent X lui-même en était responsable, car il n’avait pas craint de se contredire en le déclarant sans ambages dans un bref aux évêques daté du 29 septembre 1654, et ce faisant il exécutait à la lettre, avec une docilité étrange, le programme de Nicolas Cornet et des Jésuites : condamner d’abord en général, et faire ensuite une application particulière. Le Formulaire se donnait ainsi l’estampille pontificale, aussi fut-il accueilli avec transport par les zélés du parti ; l’évêque de Meaux, frère du chancelier Séguier et fougueux moliniste, tint à l’honneur d’être le premier à le signer, et dans un synode tenu le 2 septembre 1655, il menaça tout simplement de l’exil et de la prison ceux qui ne voudraient pas donner leur signature[1].

Sur ces entrefaites, Innocent X mourut et, grâce à l’appui de Retz, le cardinal Flavio Chigi lui succéda sous le nom d’Alexandre VII. Plus encore que son prédécesseur, le nouveau pape se laissa circonvenir par les Jésuites ; il commença par prendre un des leurs pour confesseur, et on peut juger de ses dispositions par un très curieux récit qui se trouve dans les mémoires d’Hermant et dans l’Histoire du jansénisme du Père Gerberon, Un savant religieux flamand de l’ordre de saint Augustin, le P. Chrétien Lupus, professeur à l’Université de Louvain, eut avec le pape un entretien particulier au cours duquel il demanda au Saint Père pourquoi il avait condamné Jansénius : « Mes confrères et moi, dit-il, nous l’avons lu en entier, et nous n’avons pu y trouver nulle part les cinq propositions. » Le pape, surpris de cette parole, recula de trois ou quatre pas et, frappant des mains, il assura qu’il les avait lues dans Jansénius en propres termes. « Le Père Lupus conclut de là, ou qu’il fallait que Sa Sainteté eût eu quelque autre édition de cet auteur que celle de Louvain, ou que l’exemplaire dans lequel il les avait vues eût été corrompu et demanda s’il ne pourrait point en avoir la communication. Le pape répliqua que ceux qui lui avaient apporté ce livre l’avaient remporté aussitôt[2]. » Et à la fin de cet entretien le pape levant les épaules avait dit au P. Lupus que la voie de Rome est longue, et qu’il s’y commet une infinité de tromperies. Alexandre VII aurait-il été le jouet d’une de ces tromperies, et les Jésuites auraient-ils fait imprimer un Augustinus à son usage, sauf à le détruire aussitôt après le lui avoir montré ? On serait tenté de le croire, car le pape, qui aurait dit volontiers :

Je l’ai vu, dis-je, vu, ce qui s’appelle vu, De mes propres yeux vu…

était bien autrement affirmatif que le Père Annat, lequel après avoir déclaré d’abord que les propositions étaient dans Jansénius « mot à mot, totidem verbis » (Cavilli… p. 39), s’était rabattu à dire qu’elles y étaient quant au sens, et qu’elles contenaient comme un précis de la doctrine du livre, quoiqu’elles ne fussent pas conçues dans les propres paroles du livre.

Le pape était dans cet état d’esprit quand il reçut de France une lettre par laquelle l’Assemblée du Clergé lui demandait une constitution nouvelle, déclarant à tout l’univers que les cinq propositions étaient dans le livre de Jansénius et qu’elles avaient été condamnées dans leur véritable sens.

Il s’agissait de se prononcer sur une question de fait, alors que les papes et les conciles avaient toujours déclaré que l’Église même n’est pas infaillible quand il s’agit de faits non révélés et c’est pour cela que l’Assomption de la Vierge Marie n’est qu’une croyance pieuse, et qu’on peut la nier sans cesser d’être parfaitement orthodoxe. Mais c’était une belle occasion pour préparer les voies à une reconnaissance de cette infaillibilité pontificale que la France s’obstinait à rejeter ; Alexandre VII accéda sans difficulté à la prière des évêques français. Une constitution fut improvisée en quelques semaines, sans que l’on prit la peine d’examiner l’Augustinus, et, le 16 octobre 1656, le pape déclarait solennellement que les cinq propositions, celles de Nicolas Cornet, étaient de Jansénius, et qu’elles avaient été condamnées par Innocent X au sens de cet auteur. Et le pape s’élevait avec véhémence contre les « enfants d’iniquité » qui osaient contester ce fait indéniable dont il se portait garant. Le 17 mars 1657, au moment même où l’on imprimait la dix-huitième Provinciale, Pierre de Marca, l’homme lige des Jésuites et du Père Annat, fit accepter par l’Assemblée la constitution qui venait seulement d’arriver en France, et bien qu’elle ne parlât ni de signature ni de formulaire, on décréta qu’elle serait adressée à tous les évêques avec une circulaire de l’Assemblée, et que l’on y joindrait le formulaire de juin 1655 légèrement modifié. On demanderait au roi une déclaration qui enjoindrait à tous les ecclésiastiques du royaume de signer sans délai et la bulle et le formulaire, et qui défendrait de recourir à l’appel comme d’abus.

Si les choses avaient marché alors au gré de Pierre de Marca et du Père Annat, beaucoup plus ardents que le pape lui-même, c’était à bref délai l’extermination de tous ceux qui défendaient saint Augustin contre les sectateurs de Molina, car ils ne pouvaient sans se parjurer et sans forfaire à l’honneur accepter une telle bulle et signer un semblable formulaire, c’eût été faire un mensonge et proférer une calomnie, et c’est à quoi voulait les acculer la rage de leurs ennemis. Pascal venait précisément de mettre les choses au point avec une rigueur mathématique dans cette dix-huitième Provinciale, à laquelle il faut toujours revenir quand on veut établir sur des bases inébranlables la parfaite orthodoxie de Port-Royal et des prétendus jansénistes. Il réfutait respectueusement la bulle et montrait que la religion d’Alexandre VII avait été trompée ; il substituait au formulaire du clergé une admirable profession de foi qui visait Jansénius et Molina, Luther et Calvin, saint Augustin et saint Thomas ; il suggérait enfin la distinction si chrétienne du fait et du droit qui rendait les gens de Port-Royal « catholiques sur le droit, raisonnables sur le fait, et innocents en l’un et en l’autre ».

Toutefois la manœuvre si audacieuse de Marca et du Père Annat était de nature à ébranler les plus fermes. Arnauld lui-même, profondément troublé, consulta Pavillon, et le saint évêque d’Alet, encore plus troublé que lui, lui conseilla de signer mais Pavillon se ressaisit aussitôt ; il étudia, il pria plus encore, et l’on sait avec quelle vigueur il repoussa dix années durant les prétentions du pape qui se constituait juge infaillible de faits non révélés. Si l’on veut juger du mal affreux qui devaient nécessairement causer le Formulaire et la bulle, il suffit de lire les rétractations que crurent devoir faire plus tard de très grands esprits et de très belles âmes, notamment l’illustre Malebranche, qui n’a jamais été janséniste. Il avait signé le Formulaire plusieurs fois ; lorsque la paix de l’Église lui parut bien assurée, le 15 juillet 1673, il signa une rétractation catégorique, et pour plus de sûreté il la mit en dépôt dans les archives de Port-Royal des Champs[3]. Malebranche commence par reconnaître humblement la faute qu’il a faite en signant deux ou trois fois le Formulaire « contre sa conscience, sans connaissance, et, ce lui semble, avec une croyance contraire à l’action qu’il faisait. » Il dit que depuis sa dernière signature il a été assez souvent dans le trouble et dans l’inquiétude pour cette action. On lui a dit pour le rassurer que, la paix ayant été rendue à l’Église, il n’était pas obligé de se dédire ; cependant, ajoute-t-il, « j’ai cru que je devais faire ce désaveu, ne sachant pas si les choses ne changeraient point de face, et souhaitant de tout mon coeur de ne point contribuer à la condamnation de M. Jansénius. Je rétracte donc par cet écrit le témoignage que j’ai rendu par mes signatures contre ce prélat, en le confessant auteur des cinq propositions condamnées par le pape et les évêques, défenseur des hérésies qu’elles renferment et corrupteur de la doctrine de saint Augustin, et je confesse aujourd’hui que j’ai signé contre M. Jansénius des faits dont je ne suis point persuadé et qui me paraissent au moins fort douteux et fort incertains. Je proteste donc que je n’ai souscrit aux formulaires simplement et sans restriction, principalement la dernière fois, qu’avec une extrême répugnance, par une obéissance aveugle à mes supérieurs ; par imitation, et pour d’autres considérations humaines qui ont vaincu ma répugnance ; qu’ainsi j’ai signé par faiblesse la nouvelle formule, comme on a voulu, sans excepter les faits qu’elle atteste contre cet auteur, bien que je ne fusse pas persuadé qu’ils fussent vrais. Si je ne puis faire passer cet acte devant un notaire à cause des déclarations du roi, j’entends qu’il soit considéré comme la principale, et la plus importante partie de ma dernière volonté, et pour cet effet je l’écris et le signe de ma main propre, afin que ceux qui le verront ne puissent prendre mes souscriptions qui sont au bas des formulaires pour un témoignage de ma créance quant aux faits énoncés contre M. Jansénius, mais qu’ils regardent au contraire cet écrit comme une réparation de l’injure que j’ai faite à la mémoire d’un grand évêque en lui attribuant par ma signature des erreurs en la foi, lesquelles je ne pense pas qu’il ait enseignées, quoique alors je n’eusse jamais rien vu de son livre intitulé Augustinus. Je prie ceux entre les mains de qui cet écrit tombera, par ce qu’il y a de plus saint dans la religion, je leur commande selon le pouvoir que j’ai sur eux en cette rencontre ; enfin je les conjure en toutes les manières possibles, s’il est nécessaire pour la défense de la vérité et de l’honneur de M. Jansénius, de faire que ce témoignage ait tout l’effet que je souhaite.

« Fait à Paris, rue du Louvre, le samedi quinzième de juillet mil six cent soixante et treize.

« N. Malebranche, prêtre de l’Oratoire. »


À quelles tortures morales ont donc été soumis ceux qui ont dû passer par de semblables alternatives ? et n’est-on pas autorisé à répéter ce qu’on a dit maintes fois, que le Formulaire était inutile, contraire à l’esprit de christianisme et véritablement odieux ? Tout ce qu’en a écrit Duguet dans sa grande lettre à M. de Montpellier du 25 juillet 1724 trouve sa justification dans cette émouvante rétractation de Malebranche se traitant lui-même de menteur, de lâche et de calomniateur.

« Il est étonnant, dit Duguet, qu’on ait établi un formulaire pour faire signer la condamnation d’un livre épargné à dessein dans le commencement, enveloppé ensuite par artifice dans la censure de quelques propositions dont il enseigne les contradictoires, examiné avec si peu d’attention en France, et ne l’ayant été nulle autre part.

« Il est inouï dans toute l’antiquité qu’on ait condamné un auteur pour des propositions qui ne fussent pas conçues dans ses propres termes. On n’en peut citer aucun exemple, et quand on en pourrait citer, ce serait un scandale, et non pas un exemple, parce qu’il est du droit naturel de ne rendre un auteur responsable que de ce qu’il a dit, et non de ce qu’on a substitué à ses paroles.

« Il est inouï qu’on ait jamais censuré un ouvrage entier sur un extrait arbitraire que ses ennemis en aient fait…. « il est inouï que lorsqu’il n’y a personne qui enseigne ou qui défende l’erreur, qu’il n’y a ni chefs ni disciples, qu’il n’y a point ombre de secte ou de parti, et que les preuves en sont aussi évidentes que le soleil, on ait établi une formule pour faire signer à tout le monde la condamnation d’une erreur qui est rejetée de tout le monde.

« Enfin il est inouï que dans un temps où l’on avait tout à craindre d’une erreur naissante [le molinisme], on se soit appliqué à l’accréditer en frappant d’anathème un livre composé pour la réfuter, et en obligeant tout le monde, sous de grandes peines, à jurer que l’anathème prononcé contre le livre et contre la doctrine qui y est contenue est juste et qu’on en est persuadé[4]. »

La religion n’avait rien à voir avec la rédaction du formulaire ; c’était une machine de guerre dont les politiciens voulaient faire usage contre leurs ennemis, et c’est pour cette raison que l’on fut quelques années, avant de la faire sortir de l’arsenal ; elle y demeura jusqu’en 1660. Mazarin n’était pas pressé d’en fruit ; comme l’a remarqué très judicieusement Antoine Arnauld, il avait intérêt à ne rien conclure. « On sait, dit-il, que le cardinal Mazarin, comme un fort habile politique, n’a jamais regardé l’affaire du jansénisme que comme un moyen de se rendre nécessaire à Rome et de tenir les théologiens dans sa dépendance. S’il appréhendait que le pape ne traversât ses desseins en prenant la protection d’un cardinal ou prisonnier ou banni, il l’effrayait par ce fantôme, qu’il présentait, comme la chose du monde la plus formidable ; et. lorsqu’il avait porté ce pape à abandonner ce cardinal ou à le soutenir faiblement, il payait cette faveur par quelque arrêt du conseil ou par la déclaration de quelque assemblée contre les jansénistes, qu’il laissait d’ordinaire sans exécution, afin que l’affaire ne mourût pas, et qu’il s’en pût toujours prévaloir dans les rencontres. On sait qu’il ne s’est rien fait sur ce sujet que dans des conjonctures de cette nature…. C’est par cette vue qu’on tâche toujours d’entretenir le pape, et le roi dans cette fausse opinion que le jansénisme est un corps effroyable, capable de renverser l’Église et l’État si on ne veille continuellement à l’étouffer[5]. » Pierre de Marca flagornait le pape, mais dans l’intimité il le traitait de faquin qui ne croyait pas en Dieu ; Alexandre VII manquait d’enthousiasme pour un formulaire qui était l’œuvre des évêques de France assemblés par Mazarin, et non pas la sienne. Enfin le Parlement n’était nullement disposé à enregistrer une bulle qui favorisait les prétentions du Saint Siège à l’infaillibilité, et qui aurait pour conséquence l’établissement en France d’une véritable Inquisition. La Lettre d’un avocat qui parut le 1er juin 1657, et que l’on joint ordinairement aux Provinciales, met ce fait en pleine lumière. Toutes ces raisons réunies, et l’affaire des casuistes, et les projets d’accommodement qui en furent la conséquence, empêchèrent Pierre de Marca et le Père Annat d’exécuter leur plan d’extermination ; le Formulaire dormit, dit Sainte Beuve, on le laissa sommeiller jusqu’en 1660.

Mais dès les premiers mois de 1660 la tempête qui menaçait Port-Royal depuis si longtemps éclata soudain, et, sur l’ordre du roi, on détruisit le 12 mars ce qui restait des Petites Écoles, dispersées une première fois en 1656 et reconstituées dans une certaine mesure lors de l’accalmie de 1658[6]. Enhardis par l’arrêt du Conseil du 23 septembre qui avait condamné au feu la traduction latine des Provinciales, et sûrs d’être soutenus par la reine, qui avait écrit le 30 juin 1659, à Robert Arnauld d’Andilly qu’elle lui rendrait ses bonnes grâces si lui et ses proches souscrivaient le Formulaire « preuve assurée pour discerner ceux qui sont tachés ou soupçonnés de l’hérésie janséniste d’avec ceux qui ne le sont pas », les Jésuites remirent sur le tapis la question du Formulaire et jugèrent que le moment était venu de s’engager à fond. Ils avaient un nouvel allié, un prélat sans religion et sans mœurs, l’archevêque de Rouen, Harlay de Chanvallon, celui-là même qui en 1657 s’était abouché avec Dugué de Bagnols et avec les Messieurs de Port-Royal pour négocier un accommodement. Il se jeta dans la lutte à corps perdu, avec le cynisme dont il fera preuve durant les trente-cinq années qui vont suivre, et il prit la tête du mouvement. Le 15 avril, il réunit à Pontoise tous les évêques de la province de Normandie, il signa et fit signer le Formulaire, et prescrivit à ses suffragants de le faire signer aux maîtres d’écoles. Le 13 décembre, lorsque Louis XIV fit venir à Vincennes, dans la chambre de Mazarin malade, les trois présidents de l’Assemblée du Clergé, le jeune roi ayant déclaré que son intention était d’exterminer entièrement le jansénisme, et que trois raisons l’y obligeaient, sa conscience, son honneur et le bien de son état, l’archevêque de Rouen répondit que cette résolution n’était pas seulement celle d’un roi très chrétien, mais d’un roi saint, et que le clergé répondrait aux intentions de Sa Majesté. Quelques jours après, il exalta devant l’Assemblée la générosité chrétienne du roi, et il alla jusqu’à dire qu’il serait aussi grand saint devant Dieu que grand roi devant les hommes. Dominée et tyrannisée par les archevêques de Rouen et de Toulouse, l’Assemblée délibéra longuement et confusément durant tout le mois de janvier 1661. Mazarin se plaignait que les évêques embrouillaient tout, et en effet on peut lire dans Hermant, d’après des comptes rendus individuels, le récit de ces discussions qui ne font pas honneur au clergé français. On y voit que l’évêque de Laon, César d’Estrées, établit clairement le 21 janvier que les assemblées du clergé n’ont pas le droit de s’occuper de questions dogmatiques, parce qu’elles ne sont pas des conciles nationaux. Convoquées par les rois, elles ne doivent s’occuper que de choses purement temporelles, apurer les comptes des receveurs du clergé et fixer le taux de la contribution connue sous le nom de don gratuit. Faire des formulaires et prétendre les imposer, c’était s’attribuer un droit que l’on n’avait pas. Finalement, César d’Estrées, le futur cardinal, « convainquit toute l’Assemblée qu’elle devait tellement s’expliquer sur le fait de Jansénius qu’elle déclarât ne point obliger en conscience de le croire comme de foi. « C’était déclarer nulles toutes les décisions de l’Assemblée et mettre à néant le Formulaire. Mais les contradictions, les illégalités, les coups d’autorité ne gênaient pas des prélats courtisans : n’allait-on pas entendre l’archevêque de Rouen déclarer le 25 janvier que la doctrine de saint Augustin était saine et excellente, « qu’on la pouvait approuver sans crainte, non seulement dans la matière de la grâce, mais encore dans toutes les autres, et que pour lui il signerait de son sang tout ce « qui était contenu dans les dix tomes de saint Augustin[7] » ? Et alors même il conspirait contre saint Augustin avec les Jésuites, qui mettaient le docteur de la grâce à « cent piques au dessous d’Aristote[8] ». C’était le chaos, et, suivant l’expression de l’archevêque de Sens, Henri de Gondrin, l’Assemblée n’était qu’une cohue.

La mort de Mazarin, survenue le 9 mars 1661, mit fin aux atermoiements et précipita la marche des événements. Trois jours après, Louis XIV établit un conseil de conscience composé de Pierre de Marca, archevêque de Toulouse, de Péréfixe, évêque de Rodez, et du Père Annat. Le 13 avril, au moment même où il se préparait par un semblant de retraite à la communion pascale, il ordonna l’expulsion immédiate de toutes les pensionnaires et de toutes les novices des deux monastères de Port-Royal. Les pensionnaires durent rendues à leurs familles dans les trois jours, les novices sortirent le 5 mai, et parmi elles se trouvait une fille du duc de Luynes. Le 8 mai, jour où la Mère Angélique, presque mourante, fit faire une procession de pénitence, au cours de laquelle elle s’évanouit, le supérieur de Port-Royal, Antoine Singlin, dut se retirer et se cacher pour éviter une lettre d’exil. Il fut remplacé par un moliniste outré, extravagant, grossier et vaniteux à l’excès, qui se nommait Bail[9].

C’est dans Racine qu’il faut lire le récit de ces événements dramatiques, il l’a fait avec une réelle émotion, et le grand poète tragique s’est retrouvé dans la peinture des principaux personnages, de Louis XIV, d’Arnauld, de la Mère Angélique surtout, qu’il avait eu le malheur d’insulter dans ses vilaines et admirables Lettres de 1667. Il entre dans de longs détails sur les derniers jours d’Angélique, sur sa lettre du 25 mai à la reine mère, où elle fait intervenir avec tant d’à-propos saint François de Sales, sainte Chantal et finalement sainte Thérèse, persécutée elle aussi, même par le pape. Il la suit enfin jusqu’à sa mort, survenue le 6 août 1661 pendant que les grands vicaires faisaient dans son monastère une visite qui ressemblait fort à une descente de justice. La lecture de ces belles pages de Racine supplée parfaitement à ce qu’il y a d’insuffisant dans Sainte-Beuve, qui n’a même pas songé à peindre en pied la grande Angélique, « fille véritablement illustre, dit Racine, et digne, par son ardente charité envers Dieu et envers le prochain, par son extrême amour pour la pauvreté et pour la pénitence, et enfin par les grands talents de son esprit, d’être comparée aux plus saintes fondatrices.[10]. »

Il se produisit, pendant que la Mère Angélique agonisait, des événements qui montrent bien dans quel désordre, dans quel désarroi était alors l’église de Paris, à laquelle la mort de Mazarin n’avait pas rendu son archevêque. Les deux grands vicaires de Retz, M. de Contes, doyen de Notre-Dame, et M. de Hodencq, curé de Saint-Séverin, furent sommés par le roi de faire signer le Formulaire, parce que la cour s’imaginait que l’exemple de Paris entraînerait les autres diocèses, où l’on ne témoignait pas beaucoup d’enthousiasme pour les signatures. Le doyen de Contes était au fond très favorable à Port-Royal, et les intrigues de l’Assemblée du Clergé lui faisaient horreur ; mais il avait des neveux et des nièces, tout comme le pape, et la crainte des persécutions devait suffire pour l’amener à composition. Il débuta pourtant par un acte de courage, car le 19 juin 1661, au moment où son indigne archevêque écrivait de Rome au Père Annat et le félicitait de ce qu’il faisait pour l’extermination du jansénisme, de Contes publia un mandement qui aurait pu amener la pacification religieuse. Il avait été rédigé, dit-on, avec la collaboration de Pascal, et il établissait la distinction du fait et du droit, proposée, comme on l’a vu dans la dix-huitième Provinciale[11]. Ce mandement eut pour effet d’irriter la cour, d’exaspérer les évêques auteurs du Formulaire ainsi que tous les partisans des Jésuites, et en outre il divisa profondément les défenseurs de saint Augustin. Quelques-uns l’accueillirent avec enthousiasme et crièrent au miracle ; d’autres, comme Arnauld et Singlin, voulaient que l’on signât purement et simplement, puisqu’il n’exigeait sur le fait de Jansénius que le silence respectueux. Arnauld, le terrible batailleur, était au premier rang de ces modérés, et il faisait valoir des arguments bien forts. « Si la cour, disait-il, ne détruit pas ce que les grands vicaires ont fait, on peut dire qu’ils ont renversé en un jour tout ce que l’iniquité et la malice travaillent à établir depuis sept ans, et qu’ils ont rendu vaines toutes les inventions diaboliques des Jésuites pour persécuter les gens de bien… En vérité, c’est un si grand bien que la destruction d’un fantôme dont le diable se sert pour troubler l’Église depuis tant de temps, qu’on peut bien se baisser un peu, pourvu que ce soit sans préjudice de la vérité, pour contribuer à un si grand bien, et si nous avons du scrupule de trop plier, nous en devons avoir aussi de nous tenir trop raides, et d’avoir rejeté un accommodement raisonnable qui aurait pu rendre la paix à l’Église[12]. » D’autres, plus intransigeants, jugeaient, comme Le Roi, abbé de Haute-Fontaine, qu’une signature pure et simple manquait de sincérité ; ils auraient voulu qu’on joignît à la souscription quelques mots d’explication. Port-Royal de Paris, docile aux instructions d’Arnauld, signa le 22 juin, et l’on raconte que la Mère Angélique témoigna une véritable joie de ce que la maladie lui était un sujet légitime de ne pas signer, ne pouvant y avoir qu’une nécessité absolue qui pût contraindre à prendre part, en quelque manière que ce fût, à cet ouvrage de ténèbres et à ce mystère d’iniquité. C’est ainsi qu’elle appelait le Formulaire du Clergé, et elle n’avait pas tort. Mais la nécessité absolue dont elle parlait était là, car il fallait signer ou encourir l’indignation du roi, et Angélique elle-même ne trouva pas mauvaise la signature donnée par toute la communauté, surtout, avec la petite « tête » que les Sœurs y avaient mise pour déclarer « qu’elles embrassaient absolument et sans réserve la foi de l’Église catholique, qu’elles condamnaient toutes les erreurs qu’elle condamne, et que leur signature était un témoignage de leur disposition[13] ».

Port-Royal des Champs ne fut pas d’aussi bonne composition ; il y eut notamment deux religieuses, la Mère du Fargis et la Sœur de Sainte-Euphémie, qui avaient des scrupules terribles. Elles cédèrent enfin, et elles signèrent comme leurs sœurs du faubourg Saint-Jacques mais la prieure en fut malade à la mort, et la sœur de Pascal en mourut à trente-six ans le 4 octobre 1661. Les signatures ainsi extorquées ne servirent de rien, car le mandement sauveur fut cassé et déclaré nul par un arrêt du Conseil du roi le 9 juillet, et le pape, auquel on l’avait déféré, le désapprouva par un bref où il accusait les grands vicaires de mensonge ; ce fut une véritable affaire d’État que l’histoire de ce mandement à Paris, à Fontainebleau et à Rome. Finalement, après bien des péripéties que Sainte-Beuve n’a peut-être pas étudiées d’assez près dans Hermant, dans l’excellente Histoire des persécutions, ou dans l’Histoire de dom Clemencet, qui est ici très exact, les grands vicaires épouvantés se rétractèrent et publièrent dans les premiers jours de novembre un second mandement tout différent de celui que Pascal avait revu ; car le texte qu’ils publièrent leur avait été imposé par Pierre de Marca, d’accord avec le Père Annat. Il ne pouvait plus être question de signer purement et simplement comme l’exigeait le roi ; les filles de la Mère Angélique ne pouvaient consentir à commettre deux péchés mortels, en proférant un mensonge et en rendant un faux témoignage. Tout ce qu’elles purent faire, après avoir été sollicitées et tentées de toutes les manières, ce fut de remettre aux grands vicaires, le 28 novembre 1661, un acte qui contenait leurs signatures, mais avec une déclaration préalable qui les rendait absolument nulles. Les grands vicaires comprenaient leurs scrupules et approuvaient secrètement leur attitude, mais ils sentaient bien qu’elles allaient au-devant des catastrophes, et, comme ils auraient voulu les sauver, ils leur proposèrent différents expédients. Le doyen de Contes alla même, après leur avoir dit qu’il prenait le péché sur lui, jusqu’à leur proposer de lui remettre une déclaration catégorique qu’il tiendrait secrète jusqu’au jour où il serait possible d’en faire usage. Cette proposition fut, comme bien l’on pense, repoussée avec horreur par l’abbesse et par toutes les, religieuses, qui s’en tinrent à ce qu’elles avaient fait le 28 novembre. Le ier janvier 1662, ce fut le saint évêque de Châlons, Félix Vialart, qui vint les voir et qui fit les plus grands efforts pour les amener à signer purement et simplement. Il ne put ébranler la nouvelle abbesse, la Mère Madeleine de Ligny, qui venait d’être élue régulièrement, avec le concours des grands vicaires, et qui avait remplacé le 12 décembre la Mère Agnès Arnauld. Six jours plus tard, les religieuses furent affermies dans leur refus de signer par un évènement réputé miraculeux, par la guérison radicale et soudaine de la Sœur Catherine de Sainte-Suzanne, fille de l’illustre Philippe de Champagne. Elle était paralysée depuis quatorze mois elle ne pouvait élever sa main droite jusqu’à sa bouche, et on la portait comme un enfant pour la faire communier. Guérie instantanément, elle descendit sans peine les quarante marches d’un escalier qui subsiste encore à Port-Royal de Paris, et on a d’elle des petits livres calligraphiés, dont un daté de 1662, qui sont de véritables merveilles[14] Le 22 janvier, le doyen de Contes vint encore à Port-Royal pour informer au sujet du miracle, et aussi pour proposer de la part de la cour, qui s’en contenterait, une signature accompagnée d’un préambule. Aux considérations que les religieuses avaient signées le 28 novembre, on ajoutait simplement ces quelques lignes ; « Et puisque Sa Sainteté et le pape Innocent X ont décidé que ces erreurs se trouvent dans les cinq propositions au sens qu’elles ont dans la doctrine de Jansénius, nous nous soumettons sincèrement à cette décision, et rejetons de cœur et de bouche lesdites propositions et les sens qu’elles ont dans la doctrine de Jansénius. Ainsi signé. » C’était se moquer des pauvres religieuses que de défigurer ainsi leurs considérants, ou leur tendre un piège grossier, ou plutôt leur montrer clairement qu’on voulait les exterminer, puisqu’on leur proposait des conditions déshonorantes. Elles s’en tinrent donc résolument à ce qu’elles avaient fait elles attendirent les événements, et elles se consolèrent et se fortifièrent les unes les autres en se répétant « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice. »

Sainte-Beuve, qui se pose en juge impartial et de bonne foi, est ici bien injuste pour les religieuses de Port-Royal. Leur résistance l’impatiente, et « il a peine à pardonner à ces pieuses filles un entêtement si absolu sur un point accessoire et qui paraît si peu considérable…. Tous les faux fuyants, tous les airs d’humilité et d’ignorance dont elles s’efforcent d’envelopper et de couvrir leur pensée ne sont que pour la forme et pour le prétexte. » Cette pensée de derrière la tête, c’est qu’elles ne veulent pas condamner Jansénius, l’ami le plus intime de Saint-Cyran leur réformateur et leur père. Et quelques pages plus haut, il insinue que malgré les déclarations si nettes de la Mère Angélique à la reine mère, les pieuses filles en savaient beaucoup plus long qu’on ne le disait sur les questions doctrinales, et qu’en somme refuser la signature « c’était pour des filles faire acte plus ou moins de docteur, et décidément prendre fait et cause pour certaine doctrine[15] » ! C’est là une imputation grave, car elle revient à accuser d’hypocrisie et de mensonge celles qui se sont exposées à tout pour ne pas mentir, et Sainte-Beuve disant qu’elles en savaient sans doute bien long sur la question du jansénisme, a peut-être été un peu léger en ne tenant pas assez de compte d’un document qu’il a pourtant connu et utilisé, les interrogatoires de religieuses faits par le doyen de Contes et par Louis Bail lors de la visite qu’ils firent ensemble du 11 juillet au 2 septembre 1661, au moment même où se posait dans toute son acuité la question des signatures. Les visiteurs avaient tout examiné avec un soin méticuleux ; ils avaient interrogé l’une après l’autre soixante-dix-neuf religieuses de chœur et vingt et une converses dont quelques-unes ne savaient ni lire ni écrire ; et ces cent interrogatoires leur avaient révélé l’innocence de ces filles, leur ingénuité, leur horreur du mensonge et des faux fuyants, et plus que tout leur parfaite ignorance de ce qui s’appelle le jansénisme. Elles n’avaient lu ni La Fréquente Communion ni les Provinciales ; on ne leur avait jamais parlé des cinq propositions, et sans doute quelques-unes d’entre elles ne connaissaient pas même de nom M. Jansénius. Tout ce qu’elles en savaient c’était ce que M. Bail leur avait dit dans ses allocutions furibondes du 11 juillet et du 22 août, dans l’église de Paris et dans celle des Champs.

Il faut cependant faire quelques exceptions, car il y avait à Port-Royal un certain nombre de religieuses qui étaient parfaitement au courant des questions au sujet desquelles on bataillait si fort ; mais ce n’est pas chez la Mère Angélique qu’elles en avaient eu connaissance. Ainsi la Sœur Anne-Eugénie de Saint-Ange Boulogne, veuve et mère de deux enfants, déclara au visiteur qu’elle n’ignorait pas une des choses qu’on disait contre Port-Royal, et qu’elle avait lu la plus grande partie des livres relatifs aux disputes du temps. Une fois devenue religieuse, on ne lui en avait jamais parlé, et elle n’en avait jamais entretenu les autres. La Sœur Madeleine de Sainte-Candide Le Cerf, âgée de cinquante-trois ans, et qui avait été près de vingt ans professe à Maubuisson, était très bien informée « des questions du temps et de l’hérésie qu’on dit être céans » ; elle avait eu affaire à des molinistes fanatiques qui lui avaient dit beaucoup de mal du jansénisme et de Port-Royal en particulier. Le cas de la Sœur Marie-Angélique de Ste-Thérèse, fille de Robert Arnauld d’Andilly, est encore plus curieux. Élevée à Port-Royal, elle en était sortie parce qu’elle n’avait pas envie d’être religieuse. Elle ne savait pas alors que son oncle eût fait des livres. Rentrée dans le monde, elle lut La Fréquente Communion, et trouva, dit-elle au doyen de Contes, « que ce livre était très bon et très beau. M. de Contes dit qu’il l’était aussi et que j’avais bien fait. J’ai continué en disant qu’étant revenue ici je n’avais jamais osé demander à le lire, quoique j’en eusse bien envie, parce qu’on ne le lit point céans, ni les autres qui traitent des matières du temps[16] » Jacqueline Pascal eut le temps de s’instruire avant que son frère lui permit de se faire religieuse, et il est trop évident que celles qui à titre d’abbesses ou de prieures ou de maîtresses des novices, furent en rapport avec des personnes du dehors, savaient quelque chose des disputes ; mais ces exceptions ne font que confirmer la règle, et elles prouvent que la Mère Angélique ne saurait être soupçonnée d’insincérité.

Le plus important des interrogatoires, celui qui aurait le mieux éclairé Sainte-Beuve sur les véritables sentiments des religieuses de Port-Royal, c’est le quatorzième, celui de Sœur Angélique de Saint-Alexis (d’Hécaucourt de Charment), une femme de talent dont on a une très belle relation de captivité[17]. Il a ceci de particulier que la Sœur de Saint-Alexis remit au visiteur une profession de foi écrite qui était une réponse péremptoire aux invectives de son sermon du 11 juillet. Voici ce qu’on lit entre autres choses dans cette belle page:

« Je vous donne assurance que depuis plus de vingt ans que Dieu m’a fait la grâce d’être dans cette maison, je n’ai jamais entendu parler des matières dont il est question, et que vous êtes le premier, monsieur, qui nous ait entretenues de cette doctrine ; que nos confesseurs ne nous en ont jamais instruites ni en public ni en particulier ; mais qu’ils nous ont seulement exhortées à l’observation de notre règle, à la correction de nos fautes, et à la pratique des vertus chrétiennes et religieuses, qui sont l’humilité, la charité, l’obéissance, etc. ; qu’ils nous ont toujours enseigné que le moyen d’obtenir ces vertus était d’avoir recours à la prière, de demander sans cesse à Dieu son secours et sa grâce ; qu’il ne la refusait à personne, qu’il la donnait à tous, comme il était mort pour tous…

« Je crois fermement que les commandements de Dieu et toutes les autres vertus à quoi nous sommes obligés en qualité de chrétiens ne sont point des choses impossibles, mais au contraire je crois assurément que le joug de Jésus-Christ est doux, et que sa charge est légère, comme il le dit lui-même.

« Je crois que comme c’est Dieu qui nous a donné des commandements, c’est lui aussi qui nous donne la grâce qui nous est nécessaire pour les accomplir, et qu’ainsi on ne doit attribuer la perte de ceux qui périssent, sinon à leur propre corruption et au mépris qu’ils font de la grâce que Dieu leur avait donnée; c’est pourquoi Dieu leur fait justement ce reproche Ta perdition vient de toi, ô Israël.

« Je crois que le pape est le chef de l’Église, et le vicaire de Jésus-Christ en terre. C’est en suite de cela que je le révère, que je le respecte, que je l’honore, que je prie Dieu tous les jours pour lui, et surtout que je condamne toutes les hérésies qu’il a condamnées.

« Je crois tout ce que l’Église croit. Je n’ai pas de plus grand désir que de mourir dans son sein, et je m’estimerais heureuse de donner ma vie pour la défense de ma foi. »

On conçoit aisément que le visiteur lui ait répondu : « Votre foi est catholique et orthodoxe, ma fille… J’ai déjà reconnu dans la maison tant de vertu, de sincérité, de bonté, et surtout une foi si pure que je n’aurais pas besoin de m’éclairer davantage… Il y a bien de la vertu dans cette maison ! » Quel besoin donc de torturer de si saintes religieuses en leur imposant des signatures inutiles et odieuses ? Une déclaration écrite comme celle de la Sœur Saint-Alexis valait mieux que tous les formulaires du monde. Et cependant les persécuteurs s’acharnèrent à exiger la signature du second mandemement, une signature pure et simple sans le moindre mot d’explication, et ils en seraient venus aux dernières extrémités si les évènements extérieurs ne les en avaient empêchés. Mais la démission de Retz, la mort soudaine de Pierre de Marca son successeur, la maladresse des Jésuites, qui obligea le roi à combattre la proclamation prématurée de l’infaillibilité des papes, et enfin les démêlés de Louis XIV et d’Alexandre VII, qui empêchèrent Péréfixe, le nouvel archevêque de Paris, de recevoir ses bulles, arrêtèrent encore une fois la foudre prête à crever la nue, et Port-Royal eut un peu de répit de 1662 à 1664.



  1. Gerberon, Hist. du jansénisme, tome II, p. 253.
  2. Hermant, III, 313. Le P. Lupus vivait encore lorsque ce chapitre fut écrit, et Hermant assurait que ce Père n’en donnerait jamais le démenti. Gerberon écrivait d’après des personnes de Louvain qui tenaient ces propos de la propre bouche du P. Lupus. D’autres ont cru que, pour éviter les frais inutiles, les faussaires auraient fait imprimer une seule feuille, c’est-à-dire quatre pages, et que les propositions à faire voir étaient réparties dans ces quatre pages. C’est une de ces choses que l’on ne saura jamais au vrai.
  3. Elle a été publiée vers 1725, avec une infinité de pièces provenant des mêmes archives. On en conteste l’authenticité, comme l’on fait toujours en pareil cas quand il s’agit de documents gênants ; elle est absolument certaine : il en est question dans une lettre d’Arnauld, qui refuse d’en faire usage, et l’autographe de cette lettre, rejetée aussi comme fausse, est à la Bibliothèque Nationale.
  4. Cité par Fourquevaux, Catéchisme historique et dogmatique, tome I, p. 298.
  5. Œuvres d’Arnauld, Paris-Lausanne 1775, tome XXI, p. 440.
  6. Sainte-Beuve n’a pas connu les détails de cette exécution ; Hermant l’a fait connaître d’après une relation contemporaine (Mémoires, tome IV, p. 406). On peut en lire le récit commenté dans La Revue internationale de l’Enseignement (année 1907), il en a été fait un tirage à part qui n’a pas été mis dans le commerce, et qui est à la Bibliothèque Nationale.
  7. Hermant, tome IV, p. 572.
  8. Ibid., p. 581.
  9. « Ses cheveux se hérissaient, dit Racine, au seul nom de Port-Royal, et il avait toute sa vie ajouté une foi entière à tout ce que les Jésuites publiaient contre cette maison ; très dévot d’ailleurs, et qui avait fort étudié les casuistes. »
  10. La Mère Angélique, qui redoutait la mort, est morte avec plus de sérénité que sa sainte amie Jeanne de Chantal. Elle fut enterrée dans l’avant-chœur de Port-Royal de Paris, et il ne se fit point de miracles sur son tombeau.
  11. À ce titre il figure dans l’édition de Pascal Brunschwicg-Gazier-Boutroux, tome X, p. 82.
  12. Hermant, tome V, p. 49. Hermant, qu’on n’accusera pas de faiblesse, était au nombre des enthousiastes.
  13. Clémencet, tome IV, p. 157.
  14. On peut voir au Louvre le tableau commémoratif de cette guérison, c’est le chef-d’œuvre de Ph. de Champagne, un des plus beaux joyaux du musée.
  15. Port-Royal, tome IV, p. 132 et sq.
  16. Hist. des persécutions, p. 108.
  17. Cet interrogatoire est du 15 juillet, en l’absence du doyen de Contes. — Hist. des persécutions, p. 100.