Histoire générale des marionnettes/05
DES MARIONNETTES.
Il ne nous reste plus qu’une dernière traite à parcourir. Nous allons, sans désemparer, traverser l’Allemagne et le Nord, et achever ainsi le tour d’Europe que nous avons entrepris, non pas, on le sait, pour constater, comme ont fait de plus habiles, quelque grande loi cosmogonique, mais seulement pour éclaircir une simple question d’esthétique, et étudier, sous diverses latitudes, un penchant bizarre et frivole, digne pourtant d’être observé, parce qu’il est universel et qu’il tient sa place parmi les instincts profonds de l’humanité. Le champ de cette dernière exploration est bien vaste ; l’Allemagne et les états du Nord renferment, outre deux races distinctes, un grand nombre de centres intellectuels, dont chacun mériterait, à bon droit, une visite à part. Cela est vrai ; mais nous tâcherons de résister aux séductions de la route. Nous ferons comme le voyageur qui aperçoit à l’horizon le terme de sa course : nous presserons un peu la marche, et ne grossirons pas imprudemment notre bagage. Vous avez vu quelquefois, sans doute, se répandre au printemps, à travers les bois et les prairies, des essaims de jeunes botanistes. Quand l’herborisation commence, la troupe alerte et curieuse fait main basse sur les moindres plantes ; elle butine, elle recueille tout ce qui s’offre à elle. Pas un buisson, pas un arbuste, pas un brin d’herbe qui ne l’attire ; mais, quand la journée s’avance, quand la boîte de fer-blanc portée en sautoir est presque remplie, on devient plus difficile ; on choisit, on rejette ; on ne conserve de tant de brillantes dépouilles que des échantillons nouveaux ou des variétés indispensables. Ainsi allons-nous faire : nous n’admettrons dans notre corbeille, déjà suffisamment garnie, que ceux des produits de la flore boréale dont l’absence ferait un vide regrettable dans notre herbier.
Les forêts séculaires de la Germanie sont célèbres, et, en raison de la sympathique influence que la nature des lieux exerce sur l’homme, les habitans de cette contrée ont toujours excellé dans l’art de sculpter et de travailler le bois. Non-seulement les artistes proprement dits, mais les simples artisans des bords du Rhin ont réussi constamment à imprimer une perfection magistrale à toutes les œuvres de boiserie, en prenant ce mot dans son acception la plus étendue. Parmi les types de la vieille Allemagne que s’est complu à faire revivre la fantaisie des romanciers modernes, un des plus franchement germaniques est la rude et hautaine figure de maître Martin, le riche syndic de l’honorable corporation des tonneliers de Nuremberg, aussi fier dans son atelier, à la tête de ses robustes et joyeux apprentis, qu’un électeur entouré de ses chambellans et de ses conseillers auliques[2]. Outre cette habileté à travailler le bois, la race teutonne possède, à un degré non moins éminent, le génie de la mécanique, comme le prouve la construction de tant d’horloges savantes, qui égaient de leurs sonneries, de leurs évolutions astronomiques et de leurs jacquemarts, les façades et les tours de la plupart des cathédrales et des hôtels-de-ville de la Hollande, de la Suisse et des bords du Rhin. Aussi cette double aptitude a-t-elle produit en Allemagne un développement plus précoce et plus complet que nulle autre part de la statuaire automatique, avec ses diverses applications, religieuses ou civiles, sérieuses ou récréatives, depuis les statuettes mobiles de saints et les grands mannequins des fêtes municipales jusqu’aux marionnettes proprement dites. Il y a plus : la passion que les peuples de race germanique et slave ont montrée de tout temps pour cette sorte de jeu dérive si évidemment d’une disposition propre au caractère national, qu’outre les témoignages historiques que j’ai recueillis et que j’exposerai tout à l’heure, j’aurais pu aisément deviner ce goût indigène et le conclure à priori de la nature de certaines créations poétiques dont l’extrême popularité au-delà du Rhin suppose dans l’écrivain qui les invente, et dans les lecteurs qui s’y complaisent, une surprenante sympathie pour les prestiges de la sculpture mobile. Ouvrons les Tableaux de nuit d’Hoffmann par exemple ; que voyons-nous dans l’Homme au sable ? Un jeune étudiant, auditeur assidu des cours de philosophie et de physique, appartenant à une honnête famille d’une ville de province, fiancé à une douce et aimable compagne de son enfance, qui devient tout à coup amoureux fou d’une froide et élégante automate. En France ou en Angleterre, sous la plume de l’auteur de Zadig, de Gulliver ou d’Acajou, une donnée aussi fantasque n’aurait pu que servir de texte à une série d’épigrammes plus ou moins piquantes. En Allemagne au contraire, il est sorti de cette conception bizarre une histoire sérieuse, attachante, presque vraisemblable. Ce n’est pas qu’en y regardant de près, on ne puisse apercevoir un grain d’ironie au fond de la nouvelle allemande ; mais cette nuance de léger persiflage disparaît presque entièrement sous la parfaite ingénuité du récit. L’auteur parvient sans peine, par le seul effet d’une analyse scrupuleuse et sagace, à nous faire comprendre et presque partager l’impression vertigineuse que jette dans les sens troublés de Nathanaël chaque tressaillement de cette poupée presque vivante, créature équivoque, produit de combinaisons occultes, mélange de bois et de cire, de poulies cachées, et peut-être… oui, peut-être aussi de quelques gouttes de vrai sang. Il nous est presque aussi difficile qu’au jeune étudiant de nous détacher de l’inquiète contemplation de cette dangereuse beauté, dont la parole monosyllabique, la marche saccadée, le chant pareil aux sons de l’harmonica, l’œil tantôt fixe et comme éteint, tantôt lançant un éclair électrique, la taille cambrée et un peu raide, mais, au signal de l’orchestre, mollement docile au rhythme pressé d’une valse enivrante, entraînent peu à peu le pauvre visionnaire dans l’abîme du vertige, de l’hallucination et de la tombe. Et qu’on ne compare pas l’attraction magnétique qui saisit et fourvoie Nathanaël à l’amour, comparativement naturel et sensé, de Pygmalion pour l’œuvre de son ciseau. Non, Olympia ne tient pas, comme Galatée, au cœur de son amant par les fibres si profondément sensibles de la parenté de l’art. Au contraire, l’œuvre séduisante et presque accomplie du physicien Spallanzani et de l’opticien Coppola fascine précisément Nathanaël par ce qu’elle a de mystérieux, de singulier, d’inexplicable. Ce n’est, je crois, qu’en Allemagne, ce pays des rêves, que pouvait naître l’étrange dessein de mêler d’une manière aussi intime la vie plastique à la vie réelle. Je sais combien il est périlleux pour la critique de chercher à interpréter les conceptions d’une muse étrangère, et surtout celles de la muse allemande. Cependant je ne puis m’empêcher de reconnaître et de signaler dans la préoccupation qui égare et finit par perdre Nathanaël le penchant personnifié des races septentrionales pour la sculpture mécanique, et, dans la prestigieuse Olympia, la vie presque communiquée à la matière par l’union de l’art et de la science ; en un mot, ce qu’on chercherait vainement ailleurs, sous une forme aussi saisissante et aussi poétique, l’idéal de la marionnette.
Parmi les superstitions que la tardive introduction du christianisme n’a pu soudainement extirper du Nord, les mythologues allemands citent le culte de certains génies familiers, lutins espiègles et mystérieux dont toute pauvre ménagère et même tout serviteur de bonne maison recherchaient soigneusement l’assistance et redoutaient les mauvais offices. Un des plus sûrs moyens de rendre ces petits démons doux et serviables était d’entretenir pieusement au logis des figurines peintes ou sculptées à leur image. Ces idoles, que l’influence du christianisme convertit peu à peu en bons ou en mauvais anges, continuèrent d’être taillées dans le bois, et, sous leur nom païen de Kobolds (farfadets, marmousets), présidèrent long-temps encore aux petites prospérités comme aux petits accidens du foyer domestique[3]. Un poète didactique de l’école de Souabe, Hugo de Trimberg, dans une sorte de poème cyclique, intitulé der Renner (le coursier), nous apprend que les jongleurs du XIIIe siècle portaient souvent avec eux de ces figures de follets malicieux. « Ils les tiraient, dit-il, de dessous leur manteau et leur faisaient échanger des railleries, pour faire rire toute l’assemblée avec eux[4]. » En effet, ces petits démons étaient naturellement badins et rieurs ; on disait, en forme de proverbe : « Rire comme un Kobold[5], » et, avec une variante, qui n’est pas pour nous sans intérêt : « rire comme un Hampelmann, » c’est-à-dire comme un pantin[6]. Un autre mot théotisque servait encore à désigner les anciennes marionnettes de l’Allemagne, mais seulement, je crois, les marionnettes populaires et auxquelles ne se rattachait aucun souvenir superstitieux. Dans plusieurs manuscrits du XIIe siècle, et même dans un du Xe, on rencontre le mot Tocha ou Docha, employé dans le sens de poupée, puppa[7] et même avec celui de mima, mimula[8]. Un siècle plus tard, les mots Tokke-Spil ou Dokke-Spil, encore usités dans quelques parties de l’Allemagne pour dire un jeu de marionnettes, se montrent dans les chants des Minnesinger avec cette signification claire et manifeste. Ulrich von Thürheim, dans son poème sur Guillaume d’Orange, a écrit ce vers remarquable, qui rappelle une jolie pièce de Swift (the Puppet-Show), que nous avons traduite[9] :
Der warlde wroude ist tokken spil[10],
« La joie du monde est un jeu de marionnettes. »
Un autre minnesinger, dont Manesse a réuni les fragmens, s’est servi, dans un passage qui se rapporte à l’année 1253, du mot déjà populaire de Tokken-Spil, pour stigmatiser l’influence abusive exercée par la papauté sur les électeurs de l’empire :
« Tout se passait bien, dit le poète, dans l’élection de l’empereur, quand les princes la faisaient librement ; mais elle n’est plus que l’ouvrage des prêtres italiens, qui vendent la bénédiction et le baptême. La couronne écherra au Stouphen. Conrad réglera à Rome le sort du comte de Hollande. Dans cette négociation, Jérusalem, son héritage, sera le prix du marché[11]. Le pape a soif de territoires ; l’Italien joue avec les souverains de l’Allemagne, comme un jongleur avec des marionnettes.
Als der Tokken spilt der Welche mit Tutschen Vürsten ;
il les impose et les dépose, suivant les dons qu’il attend d’eux ; il les pousse dans tous les sens, comme une balle dans un jeu de paume[12]. »
Cette raillerie piquante, adressée par un poète du XIIIe siècle à Innocent IV, a été renouvelée, quatre siècles plus tard, dans un facétieux emblème dirigé contre Louis XIV. Entre autres gravures satiriques auxquelles donna lieu la guerre de la succession, il en existe une qui représente une main sortant d’un nuage et tenant une marionnette à chaque doigt. Ces petites figures portent le costume et les attributs des princes de l’empire, alliés dociles du roi de France. On lit au bas cette devise : In te vivimus, movemur et sumus[13].
Quant à la nature des pièces que les anciens jongleurs allemands faisaient représenter, par leurs marionnettes, nous ne pouvons émettre à cet égard que des conjectures. À en juger par la vignette du manuscrit de Herrade de Lansberg, que nos lecteurs connaissent[14] et qui offre la plus ancienne représentation graphique d’un jeu de marionnettes chez les modernes ; à voir la cotte de mailles et la pose guerroyante des deux figurines peintes par le rubriqueur, il est permis de penser que, du temps de la docte abbesse (c’est-à-dire au XIIe siècle), les récits mis en action par les Tokken-Spieler étaient plus particulièrement empruntés à la vie militaire. Cette supposition très vraisemblable une fois admise, il ne sera pas bien téméraire d’ajouter que les principaux personnages de ces petits drames devaient être les acteurs de la grande épopée nationale, les héros de l’Edda ou des Niebelungen. Lorsque, aux XIVe et XVe siècles, l’adoucissement progressif des mœurs introduisit plus de politesse dans les plaisirs, les Tokken-Spieler puisèrent de préférence la matière de leurs représentations dans les légendes romanesques et populaires qui ont été si souvent imprimées plus tard sur papier gris, à Francfort, dans les Volksbücher, et, chez nous, à Troyes et à Rouen, dans la bibliothèque bleue. Ces récits fabuleux, qui n’ont pas cessé de défrayer jusqu’à nos jours le répertoire des marionnettes de France et d’Allemagne[15], sont principalement Geneviève de Brabant, les quatre fils Aymon, Blanche comme neige, la belle Magdelonne, les sept Souabes, la dame de Roussillon, à qui l’on donne à manger le cœur de son amant et qui se tue de désespoir. Il subsiste un précieux témoignage d’une de ces représentations de marionnettes. Dans un fragment du poème de Malagis, écrit en allemand au XVe siècle, sur une traduction flamande de notre vieux roman de Maugis[16], on voit la fée Oriande de Rosefleur, séparée depuis quinze ans de son élève chéri, Malagis, se présenter, sous un habit de jongleur, au château d’Aigremont, où l’on célébrait une noce. Ayant offert à l’assemblée un jeu de marionnettes, qui est agréé, elle demande une table pour servir de théâtre, et fait paraître deux élégantes poupées représentant un magicien et une magicienne. Oriande met dans la bouche de celle-ci des stances qui retracent son histoire et la font reconnaître de Malagis[17]. Avec le XVIe siècle commence pour les marionnettes populaires un nouvel ordre de sujets ; la foule, dans les foires, n’a plus d’yeux ni d’oreilles que pour la Prodigieuse et lamentable histoire du docteur Faust, écho des légendes du magicien Virgilius et du clerc Théophile, empreinte, à sa naissance, de l’esprit de la réforme, mais retournée bientôt contre l’atrabilaire théologien de Wittenberg.
C’était la coutume de tous les Tokken-Spieler des XIVe, XVe et XVIe siècles, comme de tous les auteurs de mystères du même temps (coutume qui s’est perpétuée dans le clown et dans le gracioso des drames anglais et espagnols, et dans le niais de nos mélodrames), d’égayer constamment les pièces les plus graves et les situations les plus tragiques par les plaisanteries d’un bouffon attitré. On conçoit que cet usage n’eût rien de choquant alors, accoutumé que l’on était à voir un fou à titre d’office auprès de tous les grands personnages, empereurs, abbés, rois et prélats. Il nous serait difficile de dire quel fut, au XIVe siècle, le nom de l’acteur chargé, en Allemagne, de ce rôle comique dans les parades et les théâtres de marionnettes, à moins que ce ne fût le fameux Eulenspiegel, sous le nom vrai ou supposé duquel on a compilé un recueil de joyeux propos, ou plutôt peut-être maître Hemmerlein, dont la causticité sarcastique tenait à la fois du diable et du bourreau[18]. À la fin du XVe siècle, le bouffon des marionnettes allemandes nous est parfaitement connu : c’est une espèce de Francatripe, farceur de haute graisse, nommé, à bon escient, Hanswurst, c’est-à-dire Jean Boudin. Cet acteur est, sous un autre masque, le véritable Polichinelle allemand. Je dis sous un autre masque, car, si d’habiles critiques ont pu le comparer, pour le caractère et le tour d’esprit, à Polichinelle et à Arlequin, il diffère entièrement de ces deux types par le costume et par l’allure. Il paraîtra peut-être assez piquant que, pour trouver la plus ancienne et la plus exacte définition de ce grotesque personnage, nous devions recourir aux écrits de Martin Luther. Non-seulement ce docteur assez peu grave a fait souvent intervenir Hanswurst dans ses conversations familières, mais il n’a pas craint de donner ce nom pour titre à un libelle dirigé contre le duc Henri de Brunswick-Wolfenbüttel : « Misérable esprit colérique (c’est au diable que Luther lance cette apostrophe)[19], toi et ton pauvre possédé Henri, vous savez, aussi bien que tous vos poètes et vos écrivains, que le nom de Hanswurst n’est pas de mon invention ; d’autres l’ont employé avant moi, pour désigner ces gens malencontreux et grossiers qui, voulant montrer de la finesse, ne commettent que balourdises et inconvenances : c’est dans ce sens qu’il m’est arrivé souvent d’en faire usage, principalement dans mes sermons. » Et, pour qu’on ne se méprît pas sur l’application insultante qu’il prétendait faire de ce mot, il ajoute : « Bien des personnes comparent mon très gracieux seigneur, le duc Henri de Brunswick, à Hanswurst, parce que ledit seigneur est replet et corpulent[20]. » Depuis deux siècles, le type physique et moral de Hanswurst a peu varié. Ce bouffon, suivant Lessing, possède deux qualités caractéristiques : il est balourd et vorace, mais d’une voracité qui lui profite, bien différent en cela d’Arlequin, à qui sa gloutonnerie ne profite pas, et qui reste toujours léger, svelte et alerte[21]. En Hollande, Hanswurth ne fait plus depuis long-temps que l’office de Paillasse : il bat la caisse à la porte, et invite la foule à entrer. Comme acteur et comme marionnette, il a été supplanté par Hans Pickelhäring, Jean-Hareng-Salé (nous dirions plutôt dessalé), et plus récemment par Jan Klaassen, Jean-Nicolas[22]. Celui-ci, devenu le héros des marionnettes hollandaises, s’est approprié, non sans succès, les mœurs turbulentes et gaiement scélérates du Punch anglais et du Polichinelle parisien. Son nom est aujourd’hui si populaire en Hollande, que l’on dit communément Jan Klaassen-Kast pour Poppe-Kast (le théâtre des marionnettes). En Allemagne, Hanswurst a eu plusieurs rivaux : il a dû céder plusieurs fois le pas à Arlequin, à Polichinelle et à Pickelhäring. Banni, au milieu du dernier siècle, du théâtre de Vienne par l’autorité classique de Gottsched, il a été remplacé par le joyeux paysan autrichien Casperle[23], qui s’empara tellement de la faveur publique, que le principal théâtre de marionnettes des faubourgs de Vienne reçut le nom de Casperle-Theater, et qu’on appela Casperle une pièce de monnaie dont la valeur était celle d’une place de parterre à ce théâtre[24]. Mais ne devançons pas l’ordre des faits.
Avant que de courir les foires et de porter la joie dans les manoirs féodaux, la sculpture mobile avait servi en Allemagne, comme dans tout le reste de l’Europe, à augmenter sur l’imagination des fidèles l’effet des cérémonies sacrées. On a long-temps conservé, dans plusieurs villes des Pays-Bas, de l’Alsace et des bords du Rhin, de curieux débris qui attestent l’emploi prolongé dans les églises de la statuaire à ressorts. C’est ainsi qu’à la fin du dernier siècle on voyait dans la cathédrale de Strasbourg, au bas d’un escalier qui conduisait de la nef aux orgues, un groupe de bois sculpté, représentant Samson monté sur un lion dont il ouvrait la gueule. De chaque côté se tenait une figure de grandeur naturelle : l’une embouchait une trompette, l’autre avait à la main un rouleau pour battre la mesure. « Ces figures, ajoute l’historien qui nous a transmis ces détails, se mouvaient autrefois par des ressorts qui sont aujourd’hui usés[25]. » M. Prutz, dans son histoire du théâtre allemand[26], énonce, comme un fait qui n’a pas besoin de preuves, que dans les anciennes représentations ecclésiastiques, notamment dans celles qui accompagnaient les processions patronales, le personnage du saint ou de la sainte, dont on célébrait la fête était rempli d’ordinaire par une simple figure de bois probablement mue par des ressorts (nur eine Puppe). En Pologne, on faisait le plus fréquent usage de ces moyens d’illusion. Au temps de Noël, dans beaucoup d’églises, surtout dans celles des monastères, on offrait au peuple, entre la messe et les vêpres, le spectacle de la Szopka, c’est-à-dire de l’étable[27]. Dans ces espèces de drames, des lalki (petites poupées de bois ou de carton) représentaient Marie, Jésus, Joseph, les anges, les bergers et les trois mages à genoux, avec leurs offrandes d’or et d’encens, sans oublier le boeuf, l’âne et le mouton de saint Jean-Baptiste. Venait ensuite le massacre des innocens, au milieu duquel le fils d’Hérode périssait par méprise. Le méchant prince, dans son désespoir, appelait la mort, qui arrivait aussitôt sous la forme d’un squelette, et lui tranchait la tête avec sa faux. Puis surgissait un diable noir, à la langue rouge, ayant des cornes pointues et une longue queue, qui ramassait le corps du roi et l’emportait en enfer, au bout de sa fourche. Des représentations du même genre, exécutées par des personnes vivantes ou par des marionnettes, étaient aussi fréquentes dans les églises du rit grec. Tous les ans, le dimanche d’avant Noël, on jouait, à Moscou et à Nowgorode, le mystère des trois jeunes hommes dans la fournaise. La représentation avait lieu devant le maître-autel[28].
Un des premiers résultats des prédications de Luther, surtout quand elles eurent été exagérées et dépassées par ses fougueux émules, les Carlostadt et les Münzer, fut d’exciter un soulèvement général et comme une sorte de croisade contre ce que les religionnaires fanatiques appelaient l’idolâtrie des images. On ne saurait énumérer combien de statues et de tableaux de dévotion furent brisés ou brûlés en Thuringe, en Franconie, en Bavière, en Suisse, en Hollande, par ces nouveaux iconoclastes de toutes sectes, anabaptistes, lollards, zwingliens, beghards, et par les paysans ou bûcherons des environs de la Forêt-Noire. Non-seulement les cérémonies dramatiques furent retranchées de la nouvelle liturgie, mais, dans beaucoup de contrées demeurées fidèles au catholicisme, on crut devoir se conformer plus strictement qu’on n’avait fait jusque-là aux prescriptions des conciles et renoncer à tout ce qui s’était glissé de quelque peu théâtral dans les processions et dans les offices, afin de ne laisser aucun prétexte aux déclamations ou aux railleries des novateurs. Il est vrai que dans diverses contrées, comme en Pologne, en Autriche et dans les Pays-Bas catholiques, on maintint au contraire avec une obstination calculée tous ces anciens spectacles, y compris les jeux les moins graves de la sculpture mécanique, comme une éclatante protestation contre l’hérésie. Un voyageur, homme d’esprit et d’une piété sage, M. Guillot de Marcilly, raconte avoir vu, en 1718 (et on a dû voir long-temps encore après cette époque), dans une des principales églises de Louvain, une grande figure de bois, représentant Notre-Seigneur monté sur un âne, faisant son entrée triomphante dans Jérusalem. « Cette machine, placée près du chœur, sert, dit-il, tous les ans, pour la cérémonie qui a lieu le matin du dimanche des Rameaux[29]. » Vers le même temps, M. l’abbé d’Artigny, voyageant en Autriche, assista dans une église de Vienne à un spectacle tout pareil[30]. Enfin à Anvers, outre la grande procession annuelle, où l’on promenait la figure du géant Goliath, M. Guillot de Marcilly vit dans le petit cimetière, attenant à une des portes latérales de l’église des dominicains, une crypte où ces religieux donnaient, avec des figures expressives et des illusions d’optique, une effrayante et grotesque représentation des peines du purgatoire. « Dans ce souterrain, écrit-il, tout est peint en couleur de feu ; la lumière ne sort que par quelques petites lucarnes dont les vitres sont aussi peintes en rouge, ce qui donne une assez juste idée d’une fournaise ardente. On aperçoit enchaînées au milieu des flammes une infinité de figures au naturel qui font des grimaces épouvantables et semblent pousser des hurlemens. Un ange descend du ciel pour les consoler ; mais ces désespérés ne paraissent seulement pas l’apercevoir. Vient un autre ange avec un grand rosaire à la main ; aussitôt ces pauvres ames se jettent dessus et grimpent, comme à une échelle, le long des grains du rosaire. Quand elles sont parvenues au haut, leurs chaînes se détachent et tombent. Alors la sainte Vierge, accompagnée de saint Dominique, les prend par la main et les présente à Notre-Seigneur, qui donne à chacune la place qu’elle a méritée dans le ciel. — C’est ce que j’ai vu aussi, ajoute le narrateur, à Gand, à Bruges, etc.[31]… »
En Pologne, la Szopka, dont nous venons de parler, a été jouée dans les églises jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Une lettre pastorale du prince Czartorisky, évêque de Posen, ordonna seulement, en 1739, aux bernardins, aux capucins et aux franciscains de cette ville de cesser ces représentations dans lesquelles s’étaient introduites des scènes tout-à-fait déplacées dans le lieu saint[32]. C’étaient des danses très vives entre des soldats et des paysannes, des quolibets et des chansons mis dans la bouche d’un charlatan hongrois, des cabrioles exécutées par un hardi cosaque de l’Ukraine polonaise, plus le babil et le joli costume d’un Drociarz, c’est-à-dire d’un de ces jeunes habitans des monts Karpathes qui viennent dans la plaine vendre des chaînes et de petits ouvrages de fils, de laiton ; enfin les fourberies d’un Juif, joaillier, antiquaire, cabaretier ou maquignon, qu’en dépit de ses ruses le diable, qui ne perd jamais pour attendre, finit par emporter en enfer. Le tout se terminait par une quête que faisait une marionnette à barbe blanche, en agitant une sonnette suspendue à une bourse. Expulsée des églises, la Szopka se répandit dans toutes les provinces de l’ancien royaume de Pologne, où elle s’est conservée sans altération. On lui donne dans l’Ukraine le nom de wertep, en Lithuanie celui de jaselka, c’est-à-dire jeu de la crèche. Partout elle est la même, sauf quelques variétés de costumes, qui naturellement diffèrent de province à province. Depuis Noël jusqu’au mardi gras, des joueurs ambulans promènent la Szopka dans les villes et dans les hameaux, désirée par le peuple, fêtée par les enfans, bien accueillie chez les bourgeois et même dans les demeures de la noblesse. Sous le règne d’Auguste III, quelques entrepreneurs fondèrent dans les grandes villes de la Pologne des établissemens fixes où des comédiens de bois représentaient, outre la Sropka et ses accessoires, des pièces empruntées aux grands théâtres. On cite, entre autres, un nommé Zamojsky, propriétaire d’une grande maison dans le faubourg de Praga à Varsovie, dans laquelle il établit un spectacle de ce genre, qui ne comptait pas moins de mille figures. Revenons au XVIe siècle.
Malgré le maintien de quelques jeux dramatiques dans les églises, on peut dire que les faits de ce genre ne constituaient que des exceptions rares et purement locales, et qu’à partir du concile de Trente, la règle fut la suppression de ces abus. Une des conséquences tout-à-fait imprévues qu’amena ce changement dans la discipline ecclésiastique, fut de répandre au dehors et de multiplier, sur une échelle immense, les représentations que donnaient, depuis quelque temps, des associations mi-parties de clercs et de laïques. Le peuple, privé des enseignemens récréatifs qu’il aimait à recevoir du clergé, les demanda avec instance, dans les grandes villes, aux échafauds des confréries, et, dans les villages, aux boutiques de marionnettes. Le grand promoteur de la réforme lui-même, Luther, en mettant, par sa version allemande de la Bible, l’Écriture sainte entre les mains de toutes les classes, surexcita involontairement la passion du peuple et des corporations d’artisans pour les grandes représentations religieuses. D’ailleurs, il est juste de reconnaître que Luther ne prohibait pas d’une manière absolue le jeu des mystères. Ce grand esprit, que n’avait pas desséché la controverse, conservait, par un heureux désaccord entre ses inclinations et ses doctrines, un vif sentiment de la poésie et des arts. Après avoir écrit et prêché contre les images ; il s’opposa, avec une louable inconséquence, à leur destruction violente. Il déclare quelque part la musique un des plus magnifiques présens de Dieu[33]. Il a composé des cantiques qui l’ont fait surnommer par Hans Sachs le Rossignol de Wittenberg[34]. Consulté un jour sur ce qu’il fallait penser des représentations par personnages tirées de l’Écriture sainte, dont plusieurs ministres condamnaient l’usage, il fit, le 5 avril 1543, cette belle réponse[35] : « Il a été commandé aux hommes de propager le verbe de Dieu par tous les moyens, non-seulement par la parole, mais par écriture, peinture, sculpture, psaumes, chansons, instrumens de musique. Moïse, ajoute-t-il excellemment, veut que la parole se meuve devant les yeux[36]… »
Aussi ces représentations prirent-elles, même dans les états protestans d’Allemagne, un énorme développement. Le Mystère de Saül, en dix actes, composé par Mathias Holzwart, fut représenté près de Prague par six cents personnes, dont cent parlantes et cinq cents muettes[37]. Jean Brummer, recteur de l’école latine à Kaufbeuern en Souabe, fit jouer dans cette ville l’histoire des saints apôtres le lundi de la Pentecôte 1592, et ce mystère, imprimé à Lauengen, sous le titre de Tragicomoedia apostolica, n’employait pas moins de deux cent quarante-six acteurs. Des spectacles aussi dispendieux ne pouvaient se déployer que dans des centres de populations considérables. Les joueurs de marionnettes se chargèrent, dans les lieux moins favorisés, de satisfaire le goût public, en joignant à leurs légendes romanesques et aux facéties de leur Hanswurst des pièces tirées de l’Ancien et du Nouveau Testament, telles que la chute d’Adam et d’Eve, le combat de David et de Goliath, Judith et Holopherne, la parabole de l’enfant prodigue, surtout les scènes de la crèche et de la persécution d’Hérode[38], toutes pièces demeurées en possession des théâtres de marionnettes et qui faisaient, il y a peu d’années encore, l’ornement des foires de Francfort et de Leipzig[39].
Ajoutons que, malgré la fureur des modernes iconoclastes, plusieurs figures mécaniques, jetées par eux hors des églises, étaient si généralement aimées et vénérées des habitans, que, dans plusieurs cités, même protestantes, l’affection populaire fit ouvrir à ces débris des espèces d’asiles permanens où la foule put aller les visiter, comme dans un musée. Telle fut l’origine du Doolhof ou labyrinthe d’Amsterdam, vaste galerie élevée, en 1539, au milieu d’une sorte de parc, où l’on a réuni une collection d’anciennes figures de bois dont plusieurs sont automatiques. Un peu plus tard, on établit un second labyrinthe et on agrandit le premier, auquel on ajouta successivement des figures nouvelles. Cet établissement fut, en Hollande, à la suite des ravages de la réforme, ce que fut en France, après 1793, le musée des Petits Augustins. Les deux Doolhof jouissaient d’une telle célébrité dès 1666, que Pierre Le Jolle, auteur de la Semaine burlesque à Amsterdam, crut, devoir consacrer près de deux cents vers à les décrire[40]. Presque tout ce qu’il y vit alors s’y trouve encore aujourd’hui, comme l’atteste une récente description, insérée dans une revue néerlandaise[41]. Le Jolle signale, entre autres curiosités du nouveau labyrinthe, deux groupes automatiques représentant le roi David. Dans l’un, le prince joue de la harpe, et un ange, quand l’air est fini, vient lui présenter une couronne ; dans l’autre, le roi danse devant l’arche d’alliance que portent les lévites. L’ancien Doolhof, beaucoup plus vaste que le nouveau, offre une suite de statues historiques dont plusieurs sont à ressort. À côté de Cromwell, du roi de France Henri IV, de Guillaume de Nassau, de Gustave-Adolphe, de la reine Christine, de Guillaume-le-Taciturne, on voit Guillaume III qui se lève et se rassied, un musicien qui joue un air sur l’orgue, tandis que le géant Goliath remue la tête et roule des yeux effrayans. Près du colosse est assise sa femme Walburge, robuste gigantesse, dit Le Jolle, qui berce sur ses genoux :
Son fanfan
Tout aussi gros qu’un éléphant.
Un peu plus loin, Sémiramis fait son entrée dans Babylone, et la reine de Saba défile avec un nombreux cortége devant le trône de Salomon. La plus récente et, en même temps, la plus intéressante de ces figures automatiques est celle du jeune et héroïque lieutenant de marine Van Speyk, qui, pendant le dernier siège d’Anvers, commandait une chaloupe canonnière de la flottille chargée de défendre l’entrée de l’Escaut. Ce bâtiment, entraîné par un gros temps au milieu des nôtres, fut sommé de se rendre ; mais Van Speyk, plutôt que d’amener son pavillon, tira un coup de pistolet dans les poudres et se fit sauter le 5 février 1831. Le brave commandant redresse sa tête avec fierté ; d’une main il agite un drapeau, de l’autre il tient son pistolet. Nous soupçonnons le rédacteur du Leeskabinet, à qui nous avons emprunté ces détails, d’avoir un peu exagéré les curiosités du Doolhof ; mais, devant cette dernière figure, nous concevons que l’écrivain patriote s’abandonne à un élan d’orgueil national, et qu’il exhorte les habitans d’Amsterdam à conduire leur jeune famille à une aussi bonne école.
L’établissement du théâtre, sous la forme qu’on lui voit aujourd’hui, date, en Allemagne, des premières années du XVIIe siècle. Jusque-là on n’avait connu, au-delà du Rhin, que les grands échafauds où les confréries représentaient des mystères, et les tréteaux plus modestes où les Meistersinger exécutaient des jeux de carnaval composés par des poètes-artisans, tels que le barbier de Nuremberg Hans Folz, et le peintre d’armoiries Rosenblüt. Ce fut à peu près avec les mêmes moyens de mise en scène que furent jouées dans cette ville, au XVIe siècle, les deux cent huit comédies, tragédies et farces du fameux cordonnier Hans Sachs et les soixante-six comédies, farces et tragédies[42] du tabellion Jacques Ayrer. Enfin, au commencement du XVIIe siècle, quelques acteurs de profession s’établirent dans des salles couvertes, dont quelques-unes devinrent permanentes. Alors Jean Klai et Martin Opitz tentèrent en Allemagne, comme chez nous Garnier et Hardi, de fonder un théâtre national ; mais ils ne furent suivis ni d’un Mairet ni d’un Rotrou. Les agitations de la guerre de trente ans firent misérablement avorter ces premiers essais dramatiques. Durant cette période calamiteuse (de 1619 à 1648), les cantiques religieux furent la seule poésie du peuple et les marionnettes le seul divertissement scénique[43].
Après la paix de Munster, le théâtre allemand essaya de reprendre son essor ; mais, en retard sur tous ses voisins, il ne put échapper à l’influence étrangère. Déjà l’Angleterre avait eu son Shakspeare, l’Espagne son Lope de Vega, la Hollande son Vondel, la France son Corneille. André Gryph, dans ses efforts pour régénérer la scène allemande, ne put que flotter entre l’imitation de ces divers modèles. Il faut lui savoir gré toutefois d’avoir jeté quelques traits de véritable originalité au milieu de ses imitations, même les plus flagrantes. C’est ainsi qu’il a su rajeunir, par quelques touches du plus heureux à-propos, un type depuis long-temps trivial en France, en Italie et en Espagne. Le bravache Horribilicriblifax, copie du Pyrgopolinice de Plaute, du Matamore castillan, du Spavanto milanais, du capitaine Fracasse, a pris sous sa plume une physionomie tout-à-fait allemande, en nous montrant les ridicules prétentions de cette foule d’officiers retraités après la guerre de trente ans, qui rentraient avec beaucoup de répugnance dans la monotonie de la vie civile. Et non-seulement Gryph et ses confrères imitaient les théâtres voisins, mais l’Allemagne pacifiée eut en quelque sorte à subir une invasion des comédiens plus exercés et plus habiles des autres contrées de l’Europe. Des troupes anglaises, françaises, hollandaises, italiennes, espagnoles, affluèrent dans toutes les villes, et surtout dans toutes les cours. Il n’y eut pas jusqu’aux marionnettes qui ne passassent le Rhin. La chronique de Francfort mentionne pendant l’année 1657 d’excellentes représentations de marionnettes italiennes[44]. Il en fut de même à Leipzig et à Hambourg[45]. M. Schlager, dans ses Esquisses de Vienne au moyen-âge, a dressé une liste fort étendue, et pourtant encore incomplète, de tous les saltimbanques allemands et étrangers qui, de 1667 à 1736, furent autorisés à s’établir dans les faubourgs de cette ville. En tête de la liste figure Pierre Resonier, qui montra, pendant le carnaval de 1667, ses marionnettes italiennes sur la place du Marché des Juifs, et continua ainsi pendant plus de quarante ans. Chaque année (sauf les temps de guerre, d’épidémies ou de deuils princiers), des Pulzinella-Spieler ou des Marionnetten-Spieler (car c’étaient là les noms qu’ils se donnaient) s’installaient dans le faubourg de Léopold, sur le Marché-Neuf et sur la Frayung, où ils donnaient leurs représentations le soir, avant l’Angelus, les vendredi et samedi exceptés[46].
Cette influence des marionnettes italiennes s’est fait sentir, le croirait-on ? jusqu’au fond des steppes de la Russie. Un voyageur anglais, Daniel Clarke, traversant la Tartarie en 1812, a trouvé les marionnettes que les Calabrois font danser avec le pied ou le genou, et qu’ils transportent dans toutes les contrées de l’Europe, très en vogue chez les Cosaques du Don[47].
Cependant la scène allemande semblait près de sortir de sa longue léthargie et de regagner le temps perdu, grace aux efforts habiles de Daniel-Gaspar Lohenstein, lorsque le rigorisme du clergé protestant, passant d’une sourde animosité à une violence ouverte, suscita à la renaissance du théâtre de nouveaux retards. Ce fut à Hambourg, en 1680, qu’éclata cette guerre théologique, qui se répandit de là dans toute l’Allemagne. L’occasion des hostilités fut le refus qu’un ministre fit à deux comédiens de les admettre à la sainte cène. Une ardente polémique, prolongée jusqu’en 1690, envenima tellement la querelle, que cet acte d’intolérance isolé devint la cause commune de tout le clergé protestant. En vain les acteurs firent-ils publier des apologies très judicieuses de leur profession, en vain les universités consultées établirent-elles, par les autorités les plus respectables, l’innocence de la condition de comédien, en vain plusieurs princes prirent-ils à cœur de contrebalancer, par des marques éclatantes de bienveillance et d’estime, l’excessive sévérité des théologiens ; le gros du public accorda plus de créance à la voix de ses pasteurs qu’aux argumens des apologistes mondains. On n’alla pas jusqu’à s’interdire la fréquentation des théâtres, mais on fuyait la compagnie des acteurs, qu’on regardait comme des libertins et des vagabonds, de sorte que la plupart de ces artistes humiliés cédèrent la place aux comédiens du dehors et abandonnèrent leurs salles et leur répertoire aux marionnettes. Celles-ci, chose singulière, ne laissèrent pas que d’avoir d’assez vifs démêlés avec les consistoires. À Dordrecht, en 1688, la régence, cédant aux remontrances des ministres, ordonna de cesser, pendant la kermesse, les jeux de hasard, les parades et les représentations de marionnettes, et cette défense fut presque constamment renouvelée d’année en année, jusqu’en 1754[48]. Il est vrai que la plupart des autres cités néerlandaises se refusèrent à ces violences. On sait que, pendant le laborieux séjour que le célèbre Bayle fit à Rotterdam, lorsque, épuisé par la lecture, il entendait la joyeuse trompette annoncer la représentation prochaine des marionnettes, il quittait sa bibliothèque et courait jouir au grand air de sa récréation favorite[49]. Dans une description en vers que J. van Hoven a tracée, en 1709, de la kermesse d’Amsterdam (Rariteit van de Amsterdamsche kermis), cet auteur décrit un Poppespel que montre un Brabançon, et qui n’est autre que le jeu des quatre couronnes (vier-kroonen-spul), qui s’est conservé jusqu’à ce jour pour le plaisir des enfans, et aussi, comme du temps de van Hoven, pour celui de leurs parens et de leurs maîtres[50]. Un autre poète burlesque de la même époque, L. Rotgans, a introduit dans sa Kermesse de village un joueur de marionnettes qui fait danser de grandes demoiselles richement parées et de jeunes seigneurs vêtus à la dernière mode. La supériorité des marionnettes hollandaises était même alors si bien établie, que le sarcastique biographe de l’habile M. Powell reconnaissait, en 1715, que les Hollandais étaient le premier peuple du monde pour les puppet-shows[51].
À Berlin, les marionnettes subirent aussi de vives attaques. Sébastien di Scio, qui avait à Vienne, en 1705, des marionnettes renommées par la perfection de leur mécanisme, étant allé représenter dans le nord de l’Allemagne, et notamment à Berlin, la Vie, les Actes et la Descente aux enfers du docteur Jean Faust, ce spectacle produisit une impression si vive sur la population de cette ville, que le clergé s’en alarma, et que le ministre Ph.-Jacq. Spener présenta une véhémente requête au roi pour en obtenir la suppression[52]. Au resté, ces actes d’hostilité contre les marionnettes ne furent, en somme, que des cas assez rares, et la guerre déclarée aux comédiens par les consistoires, loin d’avoir nui aux marionnettes, fut pour elles au contraire l’occasion d’une excessive prospérité.
À mesure que décrut le nombre des théâtres réguliers, on vit augmenter celui des théâtres de marionnettes. Les troupes de ce genre furent particulièrement nombreuses à Hambourg et à Vienne, et de ces deux villes elles se répandaient dans le reste de l’Allemagne. Je dis troupes de marionnettes, et c’est aussi la dénomination singulière, mais juste, qu’emploient les critiques allemands quand ils parlent des marionnettes de cette époque. En effet, contrairement à l’ancien usage, où une seule voix habilement ménagée parlait pour tous les personnages, chaque poupée mécanique eut un interprète à part, choisi d’ordinaire parmi les comédiens découragés qui n’osaient plus exercer ouvertement leur profession[53]. Ces acteurs, lorsque le temps, les lieux et la disposition du public le leur permettaient, replaçaient au magasin leurs Sosies de bois et se remettaient à jouer leurs rôles en personne. Cette organisation bizarre et complexe des théâtres allemands explique comment nous allons rencontrer, pendant un demi-siècle, les mêmes pièces, et notamment celles que l’on appelait Haupt-und Staatsactionen, jouées tantôt par des acteurs, tantôt par des marionnettes, sans que l’on puisse en faire bien nettement la distinction.
C’est ici le moment d’expliquer la signification assez obscure, même en Allemagne, du nom de Haupt-und Staatsactionen, donné à de certains drames très en vogue depuis la fin du XVIIe siècle jusqu’à la moitié du XVIIIe. Un historien du théâtre allemand, cherchant à déterminer exactement le cercle dans lequel pouvaient se mouvoir les auteurs des pièces de ce genre, a dressé la liste des diverses sources où il leur était permis de prendre leurs sujets. Les Haupt-Actionen pouvaient, suivant M. Prutz, mettre à contribution la mythologie, la Bible, la chevalerie, l’histoire, la féerie ; tout en un mot, comme on voit, ou )eu s’en faut[54]. Trois seules conditions leur étaient imposées : elles devaient contenir beaucoup d’incidens et de spectacle être soutenues de temps en temps par de la musique instrumentale, et égayer le spectateur par les bons mots d’un personnage bouffon. On voit que ces pièces ressemblaient beaucoup à nos mélodrames d’il y a quarante ans. Ajoutons que, pendant la période de leur succès, leur nom fut souvent synonyme de pièces de marionnettes, par suite de l’association singulière que je viens d’exposer. Goethe, dans la fameuse scène entre Faust et Wagner, a fait une allusion sarcastique à ces drames de bas aloi, que lui-même, avec Schiller et après Lessing, a tant contribué à faire oublier.
Maître, n’est-ce pas une bien grande jouissance que de pénétrer dans l’esprit des temps passés, de savoir exactement ce qu’un sage a pensé avant nous, et de mesurer de quel bond vigoureux nous l’avons dépassé ?
Oh ! oui, de toute la hauteur des étoiles ! — Franchement, mon cher, les siècles passés sont pour nous le livre aux sept cachets. Ce qu’on appelle l’esprit des temps n’est que l’esprit de ces messieurs qui a déteint sur les siècles. En conscience, c’est la plupart du temps une misère, et le premier coup d’œil que l’on y jette suffit pour vous faire fuir. C’est un sac à ordures, un vieux garde-meuble, ou tout au plus une pièce à grand spectacle (eine Haupt-und Staatsaction), avec de belles maximes de morale comme on en met dans la bouche des marionnettes.
« A la fin du XVIIe siècle, dit Floegel, les Haupt-und Staatsactionen usurpèrent la place des véritables drames. On a conservé quelques-unes de leurs affiches, rédigées dans un style de charlatan qui répond parfaitement à leur valeur réelle. Ces pièces étaient jouées tantôt par des poupées mécaniques, tantôt par des acteurs. L’emploi exclusif des aventures romanesques et des ressorts surnaturels, les ignobles plaisanteries du bouffon, le mélange de la trivialité et de l’enflure, placent ces ouvrages au dernier degré de l’échelle dramatique[55]. »
Mais si la vogue des Haupt-Actionen a été pour l’art dramatique une cause momentanée de retard et même de décadence, elle a eu pour les marionnettes un effet tout contraire : elle a associé pendant cinquante ans leurs destinées à celles des théâtres réguliers, de sorte que nous ne pouvons séparer leur histoire de celle des troupes ambulantes que gouvernaient alors les actifs directeurs Weltheim, Beek, Reibehand et Kuniger.
Weltheim, né vers 1650 à Leipzig, avait formé, dès 1679, une troupe de comédiens et de marionnettes. Nous le voyons, à cette époque, bien accueilli par les autorités municipales de Nuremberg, de Hambourg et de Breslau. C’est lui qui, le premier, fit jouer en Allemagne la traduction des comédies de Molière[56]. Il recrutait ordinairement ses acteurs et les interprètes de ses pantins parmi les étudians de Leipzig et d’Iéna[57]. Lui-même était habile à improviser à la manière italienne. En 1688, il fit jouer à Hambourg une Haupt-und Staatsaction sur la chute d’Adam et d’Ève suivie d’une pièce bouffonne Pickelhäring im Kasten. Après l’avoir perdu quelque temps de vue, nous le retrouvons en 1702 directeur de la troupe royale et ducale de Pologne et de Saxe, et faisant jouer à Hambourg, le 15 juin, Elie montant au ciel ou la Lapidation de Naboth, excellente Haupt-Action (c’est l’affiche qui le dit), avec une agréable pièce finale intitulée : le Maître d’école assassiné par Pickelhäring ou les Voleurs de lard joliment attrapés[58]. Remarquons que Weltheim avait une prédilection marquée pour Pickelhäring, qu’il substitue presque toujours à Hanswurst. Après une nouvelle éclipse, Weltheim reparaît à Hambourg en 1719, où il fait jouer un drame à grand spectacle : le Tyran amoureux ou Asphalides, roi d’Arabie, avec Arlequin, jurisconsulte sans cervelle, et les Précieuses ridicules de Molière[59]. En 1721, ses marionnettes donnent dans la même ville deux Haupt-Actionen sur des sujets religieux : 1 ° l’Histoire édifiante et digne d’être vue de la chute du roi David et de son adultère avec Bethsabée, suivie de son profond repentir excité par le sermon du prophète Nathan, avec une pièce finale : le Souper coûteux de Pickelhäring ; 2° la Destruction de Jérusalem, dédiée au sénat de Hambourg et suivie de la divertissante comédie le Malade imaginaire. Ce titre, comme celui des Précieuses ridicules, que nous avons vu plus haut, était écrit en français sur l’affiche, à cause de l’extrême célébrité des deux pièces ; mais elles étaient jouées en allemand.
Ferdinand Beck, directeur de la troupe privilégiée des cours de Saxe et de Waldeck, donna à Hambourg, en 1736, trois pièces de marionnettes remarquables : 1° une Haupt-Action, sur un sujet traité depuis par Schiller : le plus grand Monstre de l’univers ou la Vie et la mort de l’ancien général impérialiste Wallenstein, avec Hanswurst ; 2° un prologue musical, dédié au sénat de Hambourg, intitulé le Séjour de la paix confirmée par le ciel lui-même, avec Cinna ou la Clémence d’Auguste, probablement d’après Corneille[60] ; 3° un petit drame en musique sur la chute d’Adam et d’Ève, qui est, je crois, la pièce assez singulière que M. Schütze (l’historien du théâtre de Hambourg) dit avoir vu jouer dans sa jeunesse[61] : « Les rôles, y compris celui du serpent, étaient, dit-il, remplis par des marionnettes. On voyait celui-ci, roulé autour de l’arbre de science, darder sa langue pernicieuse. Hanswurst, après la chute de nos premiers parens, leur adressait des railleries grossières qui divertissaient beaucoup l’auditoire. Deux ours dansaient un ballet, et, au dénoûment, un ange apparaissant, comme dans la Genèse, tirait du fourreau une épée de papier doré, et tranchait d’un coup le nœud de la pièce. »
Reibehand, d’abord tailleur, s’associa à un certain Lorenz pour élever un théâtre de marionnettes. En 1734, il joignit à ses poupées des comédiens vivans. Son association était probablement rompue dès 1728, car nous voyons à cette date Lorenz, directeur des comédiens de la cour princière de Weimar, donner seul à Hambourg une Hauptund Staatsaction, intitulée Bajazet précipité du faîte du bonheur dans l’abîme du désespoir. Reibehand, après bien des vicissitudes, vint en 1752, muni d’un privilège prussien, donner des représentations à Hambourg. Voici une de ses affiches : « Avec permission, etc., on représentera l’Amour maçon (ces mots sont en français) ou le Secret des francs-maçons, que voudrait bien découvrir Isabelle, franc-maçon femelle, poussée par l’humeur curieuse de son sexe ; suivi du Châtiment de la folle ambition d’un cordonnier, qui reçoit le sobriquet de Baron de Windsak, s’enfuit de chez son maître, et finit par passer pour fou. Le spectacle se terminera par un ballet imité de la plaisante comédie de Molière, le Mari confondu[62]. »
Reibehand trouva le moyen de rendre ridicule la touchante parabole de l’Enfant prodigue. L’affiche de la Haupt-Action qu’il fit jouer sur ce sujet était ainsi conçue : « L’Archi-Prodigue, châtié par les quatre élémens, avec Arlequin, joyeux compagnon d’un maître criminel. » L’objet principal de cette pièce était d’offrir beaucoup de spectacle et de changemens à vue. Ainsi les fruits que le jeune prodigue voulait manger se transformaient en têtes de mort, l’eau qu’il s’apprêtait à boire se changeait en flammes ; des rochers se fendaient et laissaient voir une potence avec un pendu. Les membres de ce malheureux, agités par le vent, se détachaient et tombaient un à un sur le sol, puis se rapprochaient et se recomposaient, de façon que le mort se levait et poursuivait le jeune débauché. Ensuite on voyait ce voluptueux déchu réduit à manger des immondices dans la compagnie des pourceaux. Alors le désespoir personnifié se présentait devant lui, et lui offrait le choix entre une corde et un poignard ; mais la miséricorde divine l’arrêtait, et, comme dans la parabole évangélique, le père, touché du repentir de l’enfant égaré, lui accordait son pardon[63].
Reibehand eut pour émule un certain Kuniger, né à Leipzig, qui, après avoir commencé par être équilibriste et joueur de gobelets, ouvrit un spectacle de marionnettes, et prit, en 1752, la direction d’un vrai théâtre, muni de grandes machines mobiles et d’acteurs vivans. Cette troupe portait le nom de comédiens privilégiés des cours de Brandebourg et Brandebourg-Bayreuth. Entre autres drames à grand spectacle que Kuniger fit représenter à Hambourg, on cite la Vie et la mort de sainte Dorothée, martyre pleine de constance. L’annonce avait bien soin d’avertir « qu’il y aurait dans la pièce assez de décorations et de machines pour satisfaire les yeux les plus exigeans, et qu’on ne pourrait rien voir de plus terrible. » Il est vrai que les scènes de martyre, dont l’exécution est si difficile pour des acteurs vivans, offrent de grandes facilités aux joueurs de marionnettes. Cette circonstance toute technique explique la prédilection des Puppen-Spieler pour les sujets de ce genre, et en particulier pour la légende de sainte Dorothée, dont la décapitation faisait ressortir leur adresse. M. Schütze raconte un incident qui signala d’une manière assez plaisante la représentation d’une des nombreuses pièces de marionnettes composées sur ce sujet. On jouait un soir à Hambourg, dans l’auberge des cordonniers, près le marché aux oies, en face du grand théâtre, le drame intitulé les Joies et les souffrances de Dorothée. La pièce fut accueillie par les applaudissemens unanimes de l’auditoire plébéien, et obtint même des marques de satisfaction de plusieurs spectateurs d’une classe plus relevée. La scène de la décapitation surtout fut si bien rendue, que l’assemblée tout entière cria bis, et aussitôt le complaisant directeur replaça la tête sur les épaules de la sainte, et la décollation eut lieu une seconde fois, au milieu des bravos frénétiques de toute la salle[64].
Nous avons vu que les Haupt-und Staatsactionen ne puisaient pas seulement leurs sujets dans toutes les sources anciennes, sacrées ou profanes ; elles exploitaient encore les événemens modernes, et se jetaient sur tous les grands noms, témoin celui de Wallenstein. Elles n’épargnèrent pas davantage ceux de Marie Stuart, du comte d’Essex et de Cromwell. Enfin à peine l’Alexandre du Nord, Charles XII, fut-il tombé dans la tranchée de Frederichshall, sous le coup d’une balle ennemie, ou, pour parier la langue de la superstition populaire, sous le coup d’une balle enchantée (eine Freikugel), que les faiseurs de Haupt-Actionen s’emparèrent de ce héros, sûrs d’attirer la foule au spectacle de sa fin tragique. Nous avons pu lire une de ces pièces, mêlée de prose et de vers, intitulée la Mort malheureuse de Charles X11, jouée sur le théâtre de Hambourg, en 1746, par la troupe allemande des princes de Brandebourg-Bayreuth et Onolzbach. M. H. Lindner l’a publiée à Dessau en 1845, et M. Prutz l’a réimprimée en partie dans son histoire du théâtre allemand. Les personnages sont Charles XII, Frédéric, prince de Hesse-Cassel, le duc de Holstein-Gottorp, l’adjudant-général Sicker, le major-général Budde, le commandant de Frederichshall, un lieutenant, un tambour, Arlequin, dame Plapperlieschen (c’est le type populaire de la femme bavarde), des soldats, une cantinière, le Destin, Bellone, et (dans l’épilogue) la Renommée, Mercure et Mars. Le drame s’ouvre par un long monologue, où le roi de Suède se raconte à lui-même, en style de gazette, les principaux faits le sa vie militaire. Cette Haupt-Action ne pouvait offrir d’intérêt que celui du spectacle. Frederichshall avait à supporter deux bombardemens, et les projectiles étaient, au dire de M. Schütze, lancés de part et d’autre avec une rare précision. On admirait aussi, comme un prodige, un soldat qui allumait sa pipe et faisait sortir de sa bouche de légers nuages de fumée, tour d’adresse qu’on ne tarda pas à voir à Paris, et que l’on exécute aujourd’hui avec une grande perfection au théâtre de Séraphin.
Il n’y a pas jusqu’aux infortunes des vivans illustres sur lesquelles, les faiseurs de Haupt-und Staatsactionen ne missent la main. C’est ainsi que l’éclatante disgrace du prince de Menzicoff fournit de son vivant le sujet d’une Haupt-Action, représentée en 1731, dans plusieurs villes d’Allemagne, par les grandes marionnettes anglaises de Titus Maas, comédien privilégié de la cour de Baden-Durlach[65]. L’affiche de cette pièce est assez curieuse : « Avec permission, etc., on jouera sur un théâtre entièrement nouveau et avec une bonne musique instrumentale, une Haupt-und Staatsaction, récemment composée et digne d’être vue, qui a pour titre : Les vicissitudes extraordinaires de bonheur et de malheur d’Alexis Danielowitz, prince de Menzicoff, grand favori, ministre du cabinet et généralissime du czar de Moscou Pierre Ier de glorieuse mémoire, aujourd’hui véritable Bélisaire, précipité du haut de sa grandeur dans le plus profond abîme de l’infortune, le tout avec Hanswurst, un crieur de petits pâtés, un garçon rôtisseur, et d’amusans braconniers de Sibérie[66]. » Titus Maas avait obtenu l’autorisation de représenter ce merveilleux drame à Berlin ; mais le gouvernement de Frédéric-Guillaume Ier, craignant de désobliger son puissant voisin du Nord, défendit, le 28 août, sous les peines les plus sévères, de représenter Menzicoff[67].
L’excès d’absurdité auquel était descendu le répertoire de Reibehand et de ses émules provoqua une réaction classique en faveur de la poésie, de la langue et du sens commun. Gottsched fut le promoteur et l’avocat de ce mouvement, qui prit un caractère national. Bientôt une autre école, douée d’un sentiment plus délicat et plus profond de la beauté dans l’art et dans la poésie, se forma sous la haute inspiration de Lessing, qui, comme Gottsched et mieux que Gottsched, donna le précepte et l’exemple. L’Allemagne lettrée était enfin arrivée à se préoccuper des questions les plus fines et les plus fécondes de la philosophie de l’art. Déjà la voix de Klopstock se faisait entendre. Goethe et Schiller enfans croissaient au milieu de ces espérances confuses et de ces élans contradictoires qu’ils devaient bientôt régler et satisfaire. Cependant la réforme entreprise par Gottsched eut, entre autres résultats salutaires, celui de rendre au théâtre son importance et aux acteurs leur dignité. Poètes et comédiens commencèrent à marcher ensemble vers un même idéal. Cette réhabilitation des artistes dramatiques amena naturellement leur divorce d’avec les marionnettes. La rupture se fit de bon accord et sans secousse, sauf en quelques lieux, comme à Vienne, où il y eut un peu de mauvaise humeur et de rivalité, entre les grands théâtres, notamment celui de la porte de Carinthie[68] et les marionnettes de la Frayung, de la place du marché des Juifs et du faubourg de Léopold. Les marionnettes rentrèrent à petit bruit dans leur sphère modeste ; elles revinrent de bonne grace à leur ancien répertoire, composé de drames bibliques et de légendes populaires. Le docteur Faust surtout et son humble élève, son famulus Wagner, continuèrent d’attirer la foule qui se passionnait de plus en plus, pour les subtilités métaphysiques et était tout près d’être atteinte par les rêves de l’illuminisme. Les Puppen-Spieler, de leur côté, ne négligèrent rien pour varier leurs spectacles. Un roman fameux de Lewis, Abellino le grand Bandit, fournit aux marionnettes d’Augsbourg le sujet d’un drame à grand spectacle[69]. Le prodigieux succès de l’opéra de Don Juan fit espérer aux joueurs de marionnettes qu’ils pourraient tirer du libertin de Séville un aussi bon parti que du métaphysicien de Wittenberg. Don Juan Tenorio, en effet, n’est-il pas un Faust de cape et d’épée, un frère méridional et sanguin du bilieux émule de Nostradamus et de Théophile ? Cependant, malgré tout ce qu’il semblait promettre et quoique très germanisé par Mozart, don Juan se trouva encore trop Espagnol pour atteindre, sur les théâtres de marionnettes, à toute la popularité de Faust. Il eut pourtant un long succès. M. le docteur Kahlert a trouvé dans le vieux répertoire des Puppen-Spieler d’Augsbourg, d’Ulm et de Strasbourg, trois pièces dont le convive de pierre est le sujet. On les peut lire dans le Closter, avec une dissertation préliminaire sur la légende espagnole rapprochée de la légende allemande[70].
Durant toute la seconde moitié du XVIIIe siècle, les marionnettes furent reçues avec une extrême bienveillance dans l’intérieur des riches familles bourgeoises et même dans plusieurs cours ducales et princières. Je pourrais me borner à cette énonciation ; mais j’ai à produire sur ce point le témoignage de deux des plus grands génies de l’Allemagne. Il y a plaisir à entendre déposer en faveur des marionnettes des hommes tels que Goethe et Haydn.
Dans les premières pages de ses mémoires, Goethe nous apprend que la plus grande joie de son enfance fut le présent que son excellente et presque prophétique aïeule lui fit, un soir de Noël, d’un théâtre de marionnettes. Il faut l’entendre raconter l’impression profonde que fit sur sa fraîche imagination la vue de ce monde nouveau qui venait peupler tout à coup la monotone solitude de la maison paternelle. Quelques années plus tard, pendant les jours de tristesse et de malaise que jetèrent sur Francfort quelques épisodes de la guerre de sept ans, notamment l’occupation de la ville par un corps de l’armée française, nous voyons le jeune Wolfgang, retenu au logis par ses parens, se faire de son cher théâtre, autour duquel il convoquait la jeunesse du voisinage, non pas seulement un plaisir, mais comme un champ de manœuvre et une école de stratégie scénique, où il apprenait déjà le grand art de faire mouvoir sans confusion, devant une rampe, les créations de sa pensée[71]. Dans un autre ouvrage, où les vives impressions de sa jeunesse ont pris une forme plus idéale sans rien perdre de leur réalité, dans les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister, avec quel charme et quelle effusion de souvenir ne revient-il pas sur ses bienheureuses marionnettes, l’aiguillon de son naissant instinct dramatique ! Il ne nous laisse rien ignorer de la construction du théâtre, du mécanisme des petits acteurs, de la manière de les faire mouvoir, du soin qu’il prenait de les faire parler avec convenance et clarté. Excellent exercice pour l’enfance et le meilleur apprentissage de diction soutenue et même d’improvisation ! Caché derrière la toile de fond, l’interprète novice lisait d’ordinaire ou récitait les pièces les plus applaudies dans les foires, particulièrement David et Goliath. Le jeune Goethe alla plus loin ; il imagina de faire jouer à ses poupées quelques grands ouvrages dramatiques qui ne se trouvèrent (il en fait l’aveu) ni dans les proportions de cette petite scène, ni à la portée de son auditoire[72]. Les théâtres de marionnettes privés étaient assez nombreux dans les grandes villes, notamment à Hambourg, à Vienne et à Berlin, pour que quelques écrivains de profession n’aient pas dédaigné de composer de petits drames à leur usage. Je citerai, entre autres, Jean-Frédéric Schinck, auteur distingué de romans et de drames, qui, en 1777, a écrit plusieurs petites pièces de ce genre et les a réunies en un volume[73]. Goethe lui-même, à peine âgé de vingt ans, mais déjà préoccupé de la conception de Goetz de Berlichingen et de Werther, écrivit à Francfort, dans une société d’amis, une bagatelle de ce genre intitulée Fêtes de la foire à Plundersweilern[74]. « Cette petite pièce, dit-il, n’est qu’une épigramme ou plutôt un recueil d’épigrammes en action. Sous l’apparence d’une parade figuraient en réalité des membres de notre société. Le mot de l’énigme était un secret pour la plupart, et tel rieur ne se doutait guère que l’on s’amusait à ses dépens[75]. » Cette œuvre sans conséquence me parait pourtant remarquable, en ce que la marelle et un peu la pensée des premières scènes a une remarquable analogie avec la disposition du commenceraient de Faust. Elle s’ouvre par un prologue où s’étalent quelques aphorismes moraux dans le goût des Haupt-Actionen, au travers desquels Hanswurst jette, à sa manière, une de ses plaisanteries banales. Vient ensuite un prologue sur le théâtre, comme dans Faust ; c’est un dialogue entre un charlatan directeur de marionnettes et un docteur (peut-être le bourgmestre de Plundersweilern). Ce directeur, homme de goût classique et quelque peu disciple de Gottsched, soutient que, pour plaire aux spectateurs, il faut peindre les hommes en beau. Puis se déroule sous nos yeux, en guise d’introduction, tout le tohu-bohu d’une foire de village. D’un côté, des marchands de jouets de Nuremberg, des vendeuses de petits balais, des boutiques de comestibles, un joueur d’orgue et un petit paysan qui fait danser sa marmotte ; de l’autre, les visiteurs et les chalands, un petit bohémien sans sou ni maille et en guenilles, qui méprise cette foire, un pasteur et sa gouvernante qui ne regardent pas du même œil une jeune marchande de pain d’épice, tel est le tableau, à la manière d’Hogarth ou de Callot, qui précède la tragédie que va faire jouer le directeur de marionnettes. Cette tragédie a pour sujet l’histoire d’Esther et de Mardochée. Quand le rideau tombe, on a de nouveau devant les yeux le champ de foire et tous les personnages que l’on y a vus déjà, plus un bateleur qui, pour terminer les Fêtes de la foire, montre ses ombres chinoises.
Peut-être Goethe a-t-il eu tort de se souvenir de cette bluette et d’en faire jouer quelques parties en 1780, à la cour de Weimar,-dont il était le commensal favori depuis le succès immense de Goetz de Berlichingen et de Werther. Il y ajouta, pour la fête de la princesse Amélie, un épilogue, rempli, comme la Nuit de Walpurgis, d’allusions et de critiques littéraires, absolument insaisissables pour nous, qu’il intitula Ce qu’il y a de plus nouveau à la foire de Plundersweilern. Je m’étonne encore plus que ce grand homme ait donné place dans ses rouvres à ces deux badinages, qu’il a réunis sous le titre collectif de : Un Spectacle de marionnettes moral et politique nouvellement ouvert[76].
Mais la cour toute poétique de Weimar n’était pas la seule en Allemagne où l’on demandât des distractions aux ombres chinoises et aux marionnettes. Au fond de la Hongrie, à Eisenstadt, dans l’antique et magnifique château des princes d’Esterhazy, la muse aimable qui préside aux marionnettes a remporté peut-être ses plus merveilleux triomphes. Nous tenons ce que nous allons rapporter d’une confidence faite à Vienne en 180 par l’illustre compositeur Haydn à M. Charles Bertuch, un de ses fervens admirateurs.
On savait bien que le prince Nicolas-Joseph d’Esterhazy, protecteur éclairé des artistes et surtout des musiciens, entretenait à grands frais une chapelle composée des chanteurs et des instrumentistes les plus habiles, et qu’il en confia, en 1762, la direction à Joseph Haydn, dont le nom était encore peu connu, mais dont le vieux prince Antoine Esterhazy avait deviné l’avenir et assuré le sort en l’attachant à sa maison. On savait qu’il y avait dans le château d’Eisenstadt un grand théâtre où ces princes faisaient exécuter les meilleurs opéras allemands et italiens ; mais ce qu’on savait moins, c’est qu’il y avait encore un petit théâtre de marionnettes, le plus admirable peut-être qui ait jamais existé pour la perfection des petits acteurs de bois, les décorations et les machines ; et ce que nous avons appris enfin par le témoignage même de Haydn, c’est que ce sublime compositeur, qui savait si bien d’ailleurs porter la gaieté dans la musique instrumentale, témoin sa symphonie comique[77], se plut à écrire de 1773 à 1780, c’est-à-dire dans toute la vigueur et la plénitude de son génie, cinq operette pour les marionnettes d’Eisenstadt. Dans la liste de toutes ses œuvres musicales que l’illustre vieillard remit, signée de sa main, à M. Charles Bertuch pendant son séjour à Vienne[78], on lit la mention que je transcris : — Operette composées pour les marionnettes : Philémon et Baucis, 1773. — Genièvre, 1777. — Didon, parodie, 1778. — La Vengeance accomplie[79] ou la Maison brûlée (sans date). — Dans la même liste est indiqué le Diable boiteux, probablement parce qu’il fut joué par les marionnettes du prince d’Esterhazy ; mais cet ouvrage avait été composé à Vienne, dans la première jeunesse de l’auteur, pour Bernardone, directeur d’un théâtre populaire à la porte de Carinthie, et avait été payé 24 sequins[80]. On avait cru que ces curieuses partitions, toutes inédites, avaient péri dans un incendie qui consuma une partie du château d’Eisenstadt, et notamment le corps de logis qu’y occupait Haydn. Il n’en est rien ; elles ont été vues en 1827 dans la bibliothèque musicale des princes d’Esterhazy, avec une vingtaine d’autres dont on aimerait à connaître les titres[81].
Ce fut peut-être pour servir d’ouverture à une de ces divertissantes représentations, plus particulièrement destinées aux plaisirs des jeunes membres de la famille d’Esterhazy, que Haydn imagina de composer la singulière symphonie qu’il a intitulée Fiera dei fanciulli. Carpani nous en a raconté l’histoire. Un jour, Haydn se rendit seul à la foire d’un village des environs. Là, il fit provision, et rapporta un plein panier de mirlitons, de sifflets, de coucous, de tambourins, de petites trompettes, bref tout un assortiment de ces instrumens plus bruyans qu’harmonieux qui font le bonheur de l’enfance. Il prit la peine d’étudier leur timbre et leur portée, et composa, avec ces périlleux élémens harmoniques, une symphonie de l’originalité la plus bouffonne et la plus savante.
Il faut avouer que ce n’est pas une médiocre gloire pour nos marionnettes que de voir Goethe préluder à ses chefs-d’œuvre dramatiques en se faisant leur organe, et Haydn, dans toute la splendeur de son génie, se plaisant à écrire pour elles une série de petits chefs-d’œuvre.
Pendant les vingt dernières années du XVIIIe siècle, les marionnettes aimées, recherchées, fêtées, comme on vient de le voir, dans quelques résidences aristocratiques, toujours chéries du peuple et bienvenues dans les villages et dans les faubourgs des villes, n’avaient cependant, il faut le dire, d’existence et de point d’appui qu’aux deux extrémités de l’échelle sociale. Dans toute l’immense population intermédiaire, parmi les lettrés, les poètes, les critiques, dans toute cette foule éclairée qui aimait ou cultivait la littérature et les arts, personne ne songeait à elles, et l’on conçoit assez, en effet, qu’au milieu de l’admirable développement épique, lyrique et dramatique, qui se préparait et qui commençait déjà à poindre sous l’influence des glorieux successeurs de Lessing, il ne restât plus dans aucun esprit sérieux d’intérêt disponible pour les marionnettes. Cependant il se passait alors quelque chose dans la tête d’un jeune homme obscur qui allait ramener l’attention du grand public allemand sur la vieille légende de Faust, et par suite sur les marionnettes qui étaient en possession de l’interpréter. Goethe enfant avait vu certainement jouer Faust par les marionnettes de la foire de Francfort, sa patrie. Il l’avait revu probablement encore aux foires de Leipzig pendant les trois années qu’il passa dans cette ville à suivre, je devrais dire à observer en critique les cours de l’université ; mais ce qui est certain, c’est qu’arrivant à Strasbourg à la fin de 1769, il y portait le dessein arrêté d’élever cette légende si profondément humaine et si profondément germanique aux proportions du drame et de l’épopée. Loin de dissimuler l’origine de son incomparable chef-d’œuvre, Goethe nous l’a fait connaître lui-même de la manière la plus intéressante dans ses mémoires. Pendant les trente mois qu’il passa à Strasbourg, sous prétexte d’achever ses études de droit, mais en réalité pour y méditer et préparer ses trois premières grandes compositions, Goethe vécut dans l’intimité d’un homme d’un esprit éminent, de Herder, dont il fit son confident littéraire et son mentor. Cependant le jeune homme faisait un mystère à son sage ami de quelques-uns de ses projets les plus hasardeux : « J’avais bien soin de lui cacher, dit-il, combien j’étais préoccupé de certaines pensées qui avaient pris racine en moi, et qui allaient grandir peu à peu jusqu’à la hauteur de créations poétiques. » Ces favoris de son imagination, c’étaient Goetz de Berlichingen et Faust. La pensée de Faust surtout l’obsédait. « L’idée de cette pièce de marionnettes, ajoute-t-il, retentissait et bourdonnait en moi sur tous les tons ; je portais en tous lieux ce sujet avec bien d’autres, et j’en faisais mes délices dans mes heures solitaires, sans toutefois en rien écrire[82]. » Grande fut la surprise du monde littéraire quand, dix ans plus tard, Goethe publia les premiers fragmens de cette œuvre originale. L’Allemagne épiait avec espérance tous les mouvemens de ce beau génie, qui avait fait, à vingt-cinq ans, une révolution dans l’art dramatique par Goetz de Berlichingen, et une révolution dans le roman, et presque dans les mœurs publiques, par Werther : elle s’émut de lui voir choisir cette légende de marionnettes pour en faire le sujet d’une épopée dramatique ; mais quand, au commencement du siècle, deux publications successives eurent enfin montré dans son ensemble la première partie de Faust, l’admiration fut générale, le succès immense. Tous les théâtres, allemands et étrangers, voulurent avoir leur Faust ; on mit ce sujet en romans, en opéras, en ballets, en pantomimes ; on l’arrangea pour les ombres chinoises[83]. Chose singulière, l’émotion causée par l’apparition de cette œuvre transcendante, souvenir poétisé et agrandi des marionnettes, ramena presque aussitôt l’attention publique sur la vieille légende et sur l’humble scène qui en avait fourni l’occasion et la pensée. Des joueurs de marionnettes intelligens, Schütz et Dreher, Geisselbrecht, Thiémé et Éberlé[84], exploitèrent habilement cette nouvelle disposition des esprits. En 1804, les deux associés, Schütz et Dreher, vinrent de la Haute-Allemagne, apportant une vieille rédaction de Faust, purgée des interpolations ridicules qu’y avaient insérées Reibehand et Kuniger au temps des Haupt-Actionen[85]. Toute la haute compagnie de Berlin y accourut. Les femmes, les poètes, les philosophes, les critiques s’y pressaient en foule, curieux de comparer le vieux drame populaire avec le nouveau chef-d’œuvre qui en était émané[86]. Dreher et Schütz se concilièrent tous les suffrages, et attirèrent long-temps la foule par la bonne composition de leur répertoire, à la fois décent et varié. Ils jouèrent successivement, pendant les années 1804 et 1805, le Chevalier brigand, la Jeune Antonia, Geneviève de Brabant, Mariana ou le Brigand féminin, Trajan et Domitien, la Nuit du meurtre en Ethiopie, Fanny et Durmon, don Juan, Médée, Alceste, Aman et Esther, Judith et Holopherne, l’Enfant prodigue[87]. Les marionnettes redevinrent si bien à la mode, que quelques poètes distingués se remirent à écrire pour elles. Auguste Mah1mann, auteur de plusieurs ouvrages estimés, publia à Leipzig, en 4806, sous le titre de Marionettentheater, un volume qui contenait quatre petites pièces de ce genre : le roi Violon et la princesse Clarinette, l’Enterrement et la résurrection du docteur Pandolfo, la Nouvelle Zurli ou la Prophétie, et Arlequin raccommodeur de mariage.
Dreher et Schütz, après quelques courses, notamment à Breslau, se séparèrent. Schütz s’établit à Potsdam, et revint, en 1807, à Berlin, donner de nouvelles représentations qui furent encore très suivies. Une de ses affiches, du 12 novembre 1807, commence ainsi : « A la demande de beaucoup de personnes, on donnera le Docteur Faust. » Il avait rouvert son théâtre à Berlin par une pièce intitulée Bourgeois et Propriétaire à Potsdam, qui contenait probablement des allusions à son nouvel établissement dans cette ville. Outre Faust, il jouait un vieux drame dont Wagner, le famulus, l’élève attardé de Faust, était le personnage principal. Elle était intitulée : le Docteur Wagner ou la Descente de Faust en enfer, et avait porté autrefois pour second titre : Infelix sapientia. Ce second Faust était loin de valoir le premier. Schütz, assez lettré et auteur lui-même, se réservait d’ordinaire les premiers rôles, c’est-à-dire don Juan, Faust, Casperle ; il affectionnait ce dernier, où il était fort goûté, surtout dans une petite comédie de sa composition : Casperle et sa famille. Deux opéras-comiques figuraient encore, à cette époque, dans son répertoire, Adolphe et Clara et la Bague enchantée[88]. Après un assez long intervalle, Schütz revint à Berlin en 1820. M. François Horn le vit alors faire jouer trois pièces par sa troupe, Don Juan, Faust, et un drame romanesque et probablement féerique, la Belle-Mère ou l’Esprit de la montagne[89].
À l’autre extrémité de l’Allemagne, Geisselbrecht, mécanicien de Vienne, exploita avec non moins d’habileté la vogue que le Faust de Goethe avait rendue aux marionnettes. Il représenta à Vienne, à Francfort, à Weimar, où résidait Goethe, un drame de Faust d’une rédaction un peu plus moderne que celle de Schütz et Dreher, intitulé : le Docteur Faust ou le grand Nécromancien, en cinq actes, mêlé de chants. Il avait à Francfort sa résidence principale. Un habitant de cette ville, le docteur Kloss, lui a vu représenter Faust en 1800, et, pour la dernière fois, en 1817[90].
On a conservé le souvenir d’une pièce de son répertoire, probablement féerique, et qui obtint un succès de vogue. Elle portait le titre bizarre de la Princesse à la hure de porc. Il s’efforçait de surpasser Dreher et Schütz par la perfection mécanique de ses petits acteurs, auxquels il faisait lever ou baisser les yeux ; il était même parvenu à les faire tousser et cracher très naturellement, exercice que Casperle, comme on pense bien, devait répéter le plus souvent possible[91]. M. von der Hagen, pour se moquer de cette puérile merveille, applique au mécanicien viennois les deux vers suivans du Camp de Wallenstein, que Schiller a imités des Femmes savantes de Molière
Cette étude vous a mal réussi. Vous avez peut-être appris comment le général tousse et comment il crache ; mais son génie…
Wie er raeuspert und wie er spuckt,
Das habt ihr ihm glücklich abgeguckt ;
Aber sein Schenie
Quelques critiques ont avancé que la légende de Faust est née sur les théâtres de marionnettes. Il est plus vraisemblable qu’elle a commencé, comme toutes les légendes, dans les veillées et dans les foires par des récits et par des chansons. On a dit encore que l’ancienne comédie de Faust (Historia Fausti, Tractätten von Faust, eine Comödie), attribuée à deux étudians de Tubingue et imprimée en 1587, avant l’histoire de Widmann, était une pièce de marionnettes[93]. Le fait seul de l’impression rend cette supposition tout-à-fait improbable. Dans l’origine, les pièces de cette nature, loin d’être imprimées, n’étaient même pas toujours écrites et ne l’étaient jamais en entier. Dans la plupart des copies qui nous sont parvenues, on remarque des scènes laissées en blanc ou dont le motif seul est indiqué. Ces passages appartiennent ordinairement aux rôles de Hanswurst et de Casperle. Les joueurs les remplissaient à leur fantaisie, ou à la gusto (sic), comme il est dit à la marge[94]. Les directeurs qui possédaient de ces rares copies, les gardaient précieusement et les transmettaient à leurs successeurs. C’est à l’aide d’un de ces vieux manuscrits que Geisselbrecht représentait son Faust. Après sa mort ou sa retraite, arrivée en 1817, sa copie devint la propriété du roi de Prusse, et M. le colonel de Below obtint, en 1832 l’autorisation de la faire imprimer à vingt-quatre exemplaires qui furent distribués en présens[95].
Avant cette époque, et dès 1808, M. von der Hagen avait formé, de concert avec quelques amis, le projet de donner au public le texte du fameux Faust de Schütz. On fit au directeur la demande de son manuscrit ; mais celui-ci, ne voulant s’en dessaisir à aucun prix, feignit de croire que le désir qu’on lui témoignait n’était pas sérieux et cachait une mystification. Bref, il refusa obstinément, quoi qu’on pût faire. Il prétendit même qu’il n’avait point de copie et qu’il jouait partie de mémoire, partie à l’impromptu. Alors plusieurs personnes se concertèrent pour écrire la pièce pendant les représentations ; mais la confrontation des copies fit remarquer un grand nombre de variantes qui prouvèrent qu’en effet Schütz recourait dans beaucoup de passages à l’improvisation. Toutefois M. von der Hagen rassembla ces matériaux et les combina de manière à en former un texte. Malheureusement il n’a publié que le premier acte, et s’est borné pour les trois autres à une analyse. Ce travail n’a paru que long-temps après, en 1841, dans le recueil intitulé Germania, puis dans le Closter.
En 1846, M. Charles Simrock, honorablement connu par ses poésies et par son livre sur les légendes du Rhin, profitant de la publication de M. von der Hagen, de quelques études analogues de MM. François Horn et Émile Sommer, et surtout aidé de ses propres et récens souvenirs, publia à Francfort, le texte complet de la pièce populaire sous le titre de « Doctor Johannes Faust, pièce de marionnettes, en quatre actes. » M. Simrock avoue de bonne foi que sa rédaction est tirée de plusieurs sources, que le dialogue, auquel il n’a pourtant rien ajouté d’essentiel, lui appartient en partie, et qu’il est seul responsable des vers[96]. Dans cette pièce, l’action se passe à Mayence, et non à Wittenberg, séjour de Faust dans tous les livres populaires, d’où quelques critiques ont été induits à dire que cette substitution de lieu avait été généralement admise par les joueurs de marionnettes, qui avaient confondu le Faust de la légende et le célèbre imprimeur associé de Guttemberg. Ce changement de lieu ne se trouve que dans le texte de Ch. Simrock ; la scène, dans la pièce de Geisselbrecht, est à Wittenberg, ainsi que dans plusieurs des rédactions dont nous allons parler.
On ne possédait que les deux textes peu satisfaisans de MM. Simrock et von der Hagen, lorsqu’en 1847 M. Scheible, à force de recherches et de dépenses, parvint à retrouver et publia dans le Closter en 1847 cinq autres rédactions de Faust-marionnette, à savoir : 1° le Docteur Jean Faust, en deux parties de sept actes chacune, appartenant au théâtre des marionnettes d’Ulm (la scène est à Wittenberg) ; 2° Jean Faust, tragédie en trois parties et en neuf actes, du répertoire des marionnettes d’Augsbourg, rédaction très ample et une des plus anciennes, dont la scène est également à Wittenberg ; 3° Jean Faust ou le Docteur mystifié, comédie mêlée d’ariettes, plus récente, appartenant : au même théâtre ; 4° le Docteur Faust, célèbre dans le monde entier, pièce en cinq actes, du théâtre des marionnettes de Strasbourg, entremêlé d’un assez bon nombre de phrases françaises ; 5° Faust, histoire du temps passé, arrangé pour les marionnettes de Cologne par M. Chr. Winters[97]. M. Scheible a publié ces pièces comme elles lui sont parvenues, avec leurs lacunes, leurs altérations, leurs incorrections grossières, surtout dans les passages latins, curieux vestiges du XVIe siècle, que les dynasties successives de joueurs de marionnettes ont maintenus, sinon respectés. On peut dire qu’aucune nation en Europe n’a pris autant de soin que l’Allemagne pour reconstituer l’histoire de son théâtre populaire.
Ce n’est pas tout : il a paru encore, en 1850, à Leipzig, un nouveau texte de Faust (das Puppen-Spiel vom Faust) qui affecte de plus hautes prétentions. Le titre déclare que dans cette nouvelle édition l’ancien et véritable Faust des marionnettes est publié pour la première fois sous sa forme originale. L’éditeur ne s’est pas nommé, mais sa préface et ses notes sont d’un homme de goût et de savoir. Son texte, s’il faut l’en croire, est d’un siècle au moins antérieur à celui des éditions précédentes ; mais, par un étrange oubli, il ne parle pas des textes publiés par M. Scheible. Il doit le sien ou plutôt il l’a enlevé (Bacchus aidant) à un joueur, nommé Bonnescky, qui, à une époque qui n’est indiquée que vaguement, donnait des représentations à Leipzig. Je dirai franchement que, malgré ces assurances accumulées dans la préface, le texte de 1850 est celui dont l’authenticité m’est le moins prouvée. Je crois y voir plutôt un résumé fait avec adresse de tous les matériaux recueillis antérieurement que la transcription pure et simple d’un manuscrit réel. Je ne fais ici qu’énoncer un doute ; je pourrais, au besoin, l’appuyer de plusieurs indices. On voit, en tête de la pièce, deux gravures représentant Faust et Casperle, tels qu’ils figurent d’ordinaire dans les jeux de marionnettes.
Aujourd’hui enfin, grace à tant de curieux documens, la critique peut se faire une idée juste de ce qu’ont été les représentations du Docteur Faust sur les théâtres populaires. Elle peut confronter les rédactions, les rapprocher de la légende, et, si ce n’est pas un trop grand sacrilège, comparer ces Puppen-Spiele avec le Faust de Goethe. Je ne me propose pas de traiter tous ces points ; mais je crois ne pouvoir mieux terminer mon travail qu’en me posant cette question finale, qui aurait sans doute paru bien impertinente au début : Le Faust de Goethe doit-il quelque chose aux marionnettes ? Examinons.
Lessing avait, avant Goethe, conçu la pensée de tirer de la légende de Faust et des pièces jouées sur ce sujet dans les foires un grand drame surnaturel et philosophique. Non-seulement il avait vu souvent représenter cette histoire par les marionnettes, mais il avait eu en sa possession la copie d’une de ces anciennes pièces. Lié d’une étroite amitié avec Mme Neuberin, qui avait été long-temps directrice d’un théâtre secondaire et qui possédait une collection précieuse de livres et de manuscrits relatifs à sa profession, il hérita de la bibliothèque de cette dame, dans laquelle se trouvait un ancien manuscrit de Faust à l’usage des joueurs de marionnettes ambulans. On a avancé que Lessing avait composé deux Faust. Il est plus probable qu’il a seulement tracé deux plans, sans en achever aucun. Ayant emporté avec lui en Italie tout ce qu’il avait écrit sur ce sujet, dont il était vivement préoccupé, il eut le malheur de perdre la malle qui contenait ces papiers[98]. Il ne subsiste plus que deux fragmens de tout ce travail : le premier est une scène complète qu’il a publiée dans une de ses lettres sur la littérature contemporaine[99] ; le second est un brouillon trouvé après sa mort, et contenant l’esquisse des cinq premières scènes. En outre, un de ses amis, M. J.-J. Engel, qui avait reçu, pendant plusieurs années, ses confidences poétiques, a fait connaître au public ce qu’il avait retenu du plan de cette pièce[100]. En rapprochant les souvenirs de M. Engel des indications contenues dans le fragment posthume, on peut entrevoir, non pas tous les incidens du drame, mais au moins le cadre et l’idée principale.
La première scène se passe dans une église gothique. Il est minuit : Béelzébut et sa cour tiennent conseil dans la nef, assis sur les autels, mais invisibles. Le spectateur devait seulement entendre résonner sous les voûtes leurs voix rudes et discordantes. Le résultat de la délibération est qu’il faut s’efforcer de faire tomber dans l’enfer le fameux docteur Faust. Pâle et exténué, il est, en ce moment même, courbé devant sa lampe nocturne, agitant les problèmes les plus ardus de la philosophie scolastique. Trop d’amour pour la science peut conduire à bien des fautes. Un démon dresse, sur cet espoir, un redoutable plan d’attaque. Il ne demande que vingt-quatre heures pour l’accomplir ; mais l’ange de la Providence, qui planait, invisible, comme les esprits malfaisans, au-dessus de l’assemblée, s’écrie : Non, maudit, tu ne vaincras pas ! Ce bon ange devance l’envoyé de l’enfer, plonge Faust dans un profond sommeil et lui substitue un fantôme que le démon a la sottise de prendre pour l’objet de ses attaques. Quant aux ruses que Lessing faisait employer à l’esprit malin pour séduire le docteur, on les ignore ; on sait seulement que Faust assiste en rêve à la vaine lutte du démon et de son fantôme ; il se réveille pour être témoin de la honte et de la fuite de l’agent infernal. Il remercie avec effusion la Providence de l’avis salutaire qu’elle lui a envoyé au moyen d’un songe si instructif. Tel était le canevas de cette pièce, ingénieux peut-être, mais bien éloigné de la simplicité et de la gravité de l’histoire populaire. Le rêve qui rend Faust simple spectateur de sa propre tentation est une fiction froide et malheureuse, qui détruit tout le tragique intérêt et toute la portée chrétienne de la légende, pour ne lui laisser que les proportions mesquines d’un puéril apologue.
Le fragment publié du vivant de Lessing est d’un tout autre caractère et ne paraît pas avoir pu appartenir à la pièce dont nous venons d’exposer la marche. C’est la scène de l’évocation des esprits infernaux (Geister Scene). La première fois que je lus ce morceau[101], je fus frappé des traits de poésie originale qu’il renferme. Ma surprise fut extrême en retrouvant depuis, dans les pièces de marionnettes, presque toutes les beautés dont j’avais fait honneur à Lessing. Que l’on songe, en lisant cette scène, que les traits les plus énergiques appartiennent aux marionnettes.
Faust, qui a signé un pacte avec Satan, veut, en retour, avoir pour serviteur le plus actif des habitans de l’enfer. Il prononce la formule d’évocation. Les démons l’entendent et obéissent : au lieu d’un, il en vient sept[102].
Êtes-vous les esprits les plus agiles de l’enfer ?
Oui.
L’êtes-vous tous également ?
Non.
Qui de vous l’est davantage ?
Moi.
O prodige ! Sur sept diables, il n’y a que sept menteurs ! Mais je veux vous connaître de plus près.
Cela t’arrivera un jour.
Comment l’entends-tu ? Les démons prêchent-ils aussi la pénitence ?
Oui, aux pécheurs désespérés ; mais ne nous arrête pas plus long-temps.
Comment t’appelles-tu ? Quelle est ta promptitude ?
Il me faudrait moins de temps pour t’en donner la preuve que pour te répondre.
Eh bien ! regarde. Que fais-je ?
Tu passes ton doigt à travers la flamme de la bougie.
Et je ne me brûle pas. Va passer sept fois de même dans les flammes de l’enfer sans te brûler… Eh bien ! tu demeures ; je m’aperçois qu’il y a aussi des fanfarons parmi vous : il n’y a si petits péchés dont vous voulussiez vous faire faute. — Et toi, comment t’appelles-tu ?
Chil, ce qui, dans notre langue prolixe et traînante, signifie les traits de la peste.
Quelle est ta vitesse ?
Penses-tu que je porte en vain mon nom ? J’ai la rapidité des traits de la peste.
Sers donc un médecin ; tu es beaucoup trop lent pour moi. — Et toi, quel est ton nom ?
Dilla, car les ailes du vent me portent.
Et toi ?
On me nomme Jutta. Je vole sur les rayons de la lumière.
Vous tous, dont la promptitude peut être exprimée par des nombres finis, vous êtes de pauvres diables.
Ils ne sont pas dignes de ta colère ; ils ne sont les messagers de Satan que pour le monde physique. Nous autres, nous sommes ses agens pour le monde immatériel, et tu nous trouveras beaucoup plus prompts.
Et quelle est ta vitesse ?
Celle de la pensée de l’homme[103].
C’est quelque chose !… Mais les pensées de l’homme ne sont pas également promptes dans tous les temps : elles ne le sont guère quand la vérité et la vertu les appellent. Combien elles sont lentes alors ! Tu es prompt, il est vrai, quand tu le veux ; mais qui m’est garant que tu le voudras toujours ? Je ne saurais avoir plus de confiance en toi que je ne puis m’en accorder à moi-même, hélas ! — Et toi, quelle est ta promptitude ?
Celle de la colère du vengeur[104].
De quel vengeur ?
Du puissant, du terrible, de celui qui s’est réservé la vengeance, parce qu’elle est son plaisir.
Tu blasphèmes, malheureux ! tu trembles… Prompt, dis-tu, comme la vengeance de… j’ai failli le nommer… Que son nom ne soit pas prononcé entre nous ! Sa vengeance est prompte, sans doute ; cependant je suis vivant, et je pèche encore.
Te laisser pécher, c’est déjà se venger de toi.
Et c’est un démon qui me l’apprend ! .. aujourd’hui, il est vrai, pour la première fois… Non, sa vengeance n’est pas rapide, et, si tu ne l’es pas plus qu’elle, va-t’en ! — Et toi, quelle est ta vitesse ?
Tu seras l’homme du monde le plus difficile à contenter, si la mienne ne te satisfait pas.
Réponds, quelle est-elle ?
Comme le passage du bien au mal.
Ah ! tu es mon diable[105] ! Aussi prompte, dis-tu, que le passage du bien au mal. Oh ! rien n’est aussi rapide… Retirez-vous, colimaçons de l’enfer ! Rapide comme le passage du bien au mal ! Oh ! oui, je sais combien il est prompt. J’en ai fait l’épreuve, hélas !
Passons à Goethe. On a vu qu’il a pris, comme Lessing, l’idée de sa tragédie de Faust aux marionnettes. Plus encore que son prédécesseur, il s’est éloigné de la pensée si naïvement chrétienne de la légende ; mais avec quelle intelligente fidélité, quelle harmonieuse exactitude de couleur, de forme et de proportions n’a-t-il pas su rendre toute la partie extérieure et plastique de son sujet ! Les fragmens de Lessing ne donnent aucune idée de cette vivante résurrection du passé. Aussi les deux écrivains ont-ils suivi des procédés de composition tout opposés. Lessing, en critique expert, note avec soin tous les traits vifs, tous les mots frappans qu’il rencontre dans ses modèles populaires, et il les transporte sur sa toile. Goethe, chez qui la poésie de détail coule à pleins bords, dédaigne cette industrie mesquine ; il n’emprunte pas une phrase, pas un mot isolé, soit à la légende, soit aux pièces de marionnettes. De simples germes, des motifs en apparence insignifians et sans valeur, c’est là ce dont il devine la portée d’un coup d’œil, c’est là ce qu’il développe et ce qu’il féconde. Son travail, comme celui de la nature, est tout intérieur et organique. Il est de ceux qui, à l’aspect du gland, devinent le chêne. Nous allons choisir dans le Faust de Goethe quatre ou cinq scènes, surtout celles où brille la plus poétique et la plus incontestable originalité, et nous serons surpris de trouver dans nos petites pièces de marionnettes les racines et, si je puis ainsi parler, les molécules élémentaires dont ces vigoureuses productions se sont formées.
LE PROLOGUE DANS LE CIEL. — Goethe, en faisant précéder sa tragédie de Faust d’un prologue surnaturel, a obéi à une délicate convenance du sujet que la plupart des joueurs de marionnettes avaient également pressentie. Seulement, à la différence du Prologue dans le ciel, l’avant-jeu des marionnettes se passe ordinairement en enfer devant le trône de Satan ou de Pluton[106].
LE MONOLOGUE. — L’idée d’ouvrir par un monologue ce drame où les angoisses de la pensée solitaire tiennent une si grande place, remonte aux anciennes pièces de marionnettes. Sans doute, le monologue de Goethe est d’une profondeur et d’une richesse d’aperçus incomparables. Cependant il n’est pas moins intéressant de voir dans les théâtres de marionnettes Faust, au lever du rideau, seul, entouré de livres, de compas, de sphères et d’instrumens cabalistiques, sonder le redoutable problème de la certitude, et flotter entre la théologie, qui est la science divine, la philosophie ou la science humaine, et la magie, la science infernale.
SCÈNE DE L’ÉCOLIER. — Cette scène, si justement admirée, où Méphistophélès, sous la robe de Faust, mystifie et persifle si diaboliquement son candide interlocuteur, se trouve en germe, si je ne me trompe, dans la pièce des marionnettes d’Augsbourg. Entre autres conditions que Méphistophélès a insérées dans le pacte qu’il engage Faust à signer, il y a celle de ne pas remonter dans sa chaire de théologie. « Mais, s’écrie Faust, que dira-t-on de moi dans le public ? – Oh ! que cela ne t’inquiète pas, répond Méphistophélès ; je prendrai ta place, et, crois-moi, j’augmenterai beaucoup la gloire que tu t’es acquise dans les discussions bibliques[107]. »
SCÈNE DE LA TAVERNE. — Vous vous rappelez la taverne d’Auerbach à Leipzig, où Méphistophélès conduit Faust, et où il joue plus d’un tour de son métier. Il y a aussi dans la pièce des marionnettes de Cologne une scène de cabaret qui me semble avoir pu faire naître dans l’esprit de Goethe la première idée de la sienne. Qu’on en juge. Quelques étudians sont attablés auprès de Faust et de son compagnon. Ils content des histoires plus merveilleuses les unes que les autres. Faust lui-même, dont la réputation de magicien commençait à se répandre, est mis par eux sur le tapis. « Quel homme ! dit un étudiant. Il passait dernièrement près d’un marché ; un charretier s’avisa de lui barrer la route. Vous croyez peut-être que Faust lui donna un soufflet ? Pas du tout. Que fit-il donc ? Il avala le paysan, les chevaux, la charrette et le foin[108]. » Chacun de se récrier, et l’imprudent conteur d’ajouter « Que le diable m’emporte, si je mens ! » Puis, sans défiance, il trinque avec Méphistophélès, qui lui tend son verre en faisant remarquer que ce vin a du feu. L’étudiant prend le verre et le porte à ses lèvres ; aussitôt une flamme sort du vase avec fracas. Le jeune homme tombe évanoui, et ses compagnons s’enfuient épouvantés. « Ce chien de menteur ! dit froidement Méphistophélès ; il n’a que ce qu’il a mérité[109]. »
SCÈNE DU SABBAT. — L’idée de la réunion au Blocksberg et de la chevauchée du sabbat se trouve dans plusieurs pièces de marionnettes : Méphistophélès, dans celle du théâtre de Cologne, promet à Hanswurst une monture avec laquelle il galopera dans les airs ; mais, au lieu d’un cheval ailé que le sot attendait, il lui envoie un bouc, avec une lumière sous la queue[110]. Dans une autre pièce, Hanswurst, pour rejoindre son maître chez le comte de Parme, monte sur la nuque du diable qui s’offre à lui comme la sœur de Méphistophélès[111]. Cette idée d’un Méphistophélès femelle est remarquable.
FAUST A LA COUR DE L’EMPEREUR. — Les états de Parme, trop étroits pour le plan de Goethe, deviennent, dans la seconde partie de Faust, la cour impériale. Oreste, le conseiller du comte de Parme, ne laisse pas que de ressembler au maréchal et au chambellan de l’empereur. Faust, sur le théâtre des marionnettes comme dans la pièce de Goethe, fournit au digne souverain, mieux intentionné qu’inventif, toutes sortes de panacées pour la prospérité du peuple et la santé du royaume. Dans les deux cours, Faust, à la demande de ses hôtes, évoque, à l’aide de la nécromancie, un grand nombre de fantômes, rois, généraux, femmes renommées pour leur beauté, et la plus belle entre les belles, Hélène, la Troyenne, qu’il montre bien à la compagnie, mais dont il se réserve la possession. C’est, en effet, par la sensualité que, dans toutes les pièces de marionnettes, Faust se damne. Une des maximes de Méphistophélès est que - Quod diabolus non potest, mulier evincit[112].
MARGUERITE. — La tendre et simple Marguerite appartient tout entière à Goethe, et le germe même n’en apparaît dans aucune pièce de marionnettes. C’est à peine si, dans une seule, celle des marionnettes de Cologne, dont quelques parties sont assez récentes, la jeune Bärbel, maîtresse du valet de Faust, présente quelques lointaines ressemblances avec l’angélique création de Goethe. Bärbel, comme Marguerite, ressent pour Méphistophélès une répulsion instinctive. — « Quels sont ces deux vilains hommes noirs ? A leur vue j’ai failli mourir de terreur. — Ces hommes ne doivent pas reparaître devant mes yeux… » Je m’arrête ; ces courts rapprochemens suffisent pour démontrer à quel point le génie de Goethe possédait la faculté de féconder, en se les assimilant, les pensées, les incidens, les images qui entraient dans le cercle de son activité et de ses conceptions.
Je regrettais tout à l’heure que ce grand génie n’eût pas appliqué à la partie intérieure et spirituelle, à l’ame en quelque sorte si naïvement chrétienne de la légende de Faust, la puissance de développement sympathique qu’il a appliquée avec tant d’éclat à la forme extérieure. Comment n’a-t-il tiré aucun parti de ces deux anges, bon et mauvais conseillers, qui, dans toutes les pièces de marionnettes, se tiennent aux côtés de Faust, soit sous leur forme naturelle, soit sous la forme symbolique de colombe et de corbeau ? Comment surtout n’a-t-il pas conservé ces voix formidables, qui, à chaque pas qui le rapproche de l’abîme, lui apportent un salutaire et terrible avertissement : Fauste, Fauste ! prœpara te ad mortem ! — Fauste ! accusatus es ! — Fauste, Fauste ! in otenum damnatus es ? Encore s’il s’était tenu dans une opinion unique, et grande au moins par cette unité ; mais non : il flotte entre des systèmes qui ne sont même pas à lui. Sceptique dans son premier Faust comme le XVIIIe siècle, il semble chercher dans le second Faust à poétiser la formule du panthéisme hégélien. Sans doute, ce beau génie a usé de ses droits de poète en imprimant souverainement à son œuvre le cachet de sa personnalité et celui de son temps, et il l’a fait avec un art et une grandeur infinis. Toutefois il reste encore après lui un Faust possible à créer, un Faust où l’artiste devrait faire énergiquement valoir les belles parties de la légende et des Puppen-Spiele que Goethe a volontairement sacrifiées… Au moment où j’exprimais ces pensées, il m’est arrivé à l’improviste un vaillant auxiliaire, je veux parler de l’intéressante communication de M. Henri Heine, qui n’a échappé à aucun des lecteurs de cette Revue. Non-seulement, dans ce beau travail, le grand poète nous fait presque assister au merveilleux ballet de Méphistophéla. qu’il avait préparé, à la demande de M. Lumley, pour l’Opéra de Londres ; mais l’habile critique interprète le mythe de Faust avec une sagacité toute magistrale. Lui aussi est convaincu que Goethe n’a pas épuisé toutes les beautés du sujet, et qu’on peut encore demander un Faust à la vieille légende. Je n’examine pas, en ce moment, si le cadre chorégraphique où il a dû s’enfermer permettait au poète de réaliser complètement cette sévère et heureuse idée ; mais toujours est-il que M. Heine n’hésite pas à déclarer que, pour réussir dans cette difficile tâche, l’inspiration doit se retremper aux sources populaires de la légende et des marionnettes. Je suis heureux de pouvoir, en terminant, prendre acte d’une telle opinion, sortie d’une plume si fine, si judicieuse et si compétente.
Et à présent, messieurs, que ma tâche est achevée, et que la pièce est finie ; à présent que vous avez vu passer et repasser sous vos yeux tous nos petits personnages ; à présent que vous savez toute leur histoire et tous les efforts dont ils sont capables pour vous plaire, permettez que le directeur sollicite en leur faveur votre indulgence. Oui, jetez, mesdames, jetez vos bouquets à la gracieuse FANTASIA, la jolie fée, l’espiègle muse des marionnettes ! Et vous, messieurs, applaudissez ! Voyez quel cortége de beaux génies se presse autour d’elle ! Remarquez dans ce groupe (c’est celui des célébrités qu’elle a délassées et charmées) Leone Allacci, Bayle, Charles Perrault, la duchesse du Maine, Addison, Mme de Graffigny, le docteur Johnson, Charles Nodier et votre ami Henri Heine. Dans cet autre groupe (celui des grands écrivains qui ont taillé leur plume exprès pour elle ou qui lui ont prêté leur voix), voyez Lesage, Piron, Favart, Fielding, Voltaire, John Curran, Byron, Goethe, et, leur égal dans un autre art, Haydn. Ne me reprochez pas de ne parler presque que du passé ! Aujourd’hui même, les journaux et les revues anglaises annoncent à grand bruit l’ouverture d’un nouveau, que dis-je ? d’un royal théâtre de marionnettes (Royal Marionette Theatre). Punch a retrouvé à Londres sa langue affilée, sa pratique et son bâton. Il a déjà, dans un piquant prologue, bravement croisé bois contre bois sur le dos de M. Wood. Bravo ! Punch ! — Et chez nous, ne serait-il pas à propos de réveiller un peu Polichinelle ? N’aurait-il plus rien à nous apprendre, ce petit Ésope en belle humeur ? Surtout ne dites point qu’il est mort. Polichinelle ne meurt pas. Vous en doutez ? Vous ne savez donc point ce que c’est que Polichinelle ? C’est le bon sens populaire, c’est la saillie alerte, c’est le rire incompressible. Oui, Polichinelle rira, chantera, sifflera, tant qu’il y aura par le monde des vices, de la folie, des ridicules. — Vous le voyez bien : Polichinelle est immortel !
CHARLES MAGNIN.
- ↑ Voyez les no du 15 juin, 1er août, 15 septembre 1850 et 1er juin 1851.
- ↑ Voyez le conte de Maître Martin dans les Frères de Sérapion d’Hoffmann.
- ↑ Jac. Grimm, Deutsche Mythologie, t. Ier, p. 468.
- ↑ Der Renner (Francfort, 1549), v. 5064.
- ↑ Voy. Deutschenfranzos, p. 274.
- ↑ Voy. Abraham à Santa Clara, Reim Dict., p. 149.
- ↑ Glossar. Latin-Theodiscum ; ap. Eccardi Commentar. de rebus Gaule orientalis, t. II, p. 999, et Glossœ Florentine, ibid., p. 989.
- ↑ Voyez le mot Tocha dans les Glosse super vit as patrum, ap. B. Pezii Thesaur. anecdot. noviss., t. I, p. 413. Cf. Graff, Althochdeutscher Sprachschatz, t. V, p. 364.
- ↑ Revue des Deux Mondes (les Marionnettes en Angleterre), 1er juin 1851, p. 817.
- ↑ Wilhelm der Heilige, von Oranse, Erster Theil, edente Casparson, p. 16. La seconde partie de ce poème a été composée par Wolfram d’Eschenbach.
- ↑ Conrad était héritier titulaire de Jérusalem du chef de sa mère.
- ↑ Voyez Von der Hagen, Minnesinger, etc., t. II, p. 351, et la notice sur l’auteur, t. IV, p. 661-664. Cf. Manessesche Sammlung, t. II, p. 220.
- ↑ Cet emblème a été reproduit dans un livre assez curieux, Abhandlung von der Fingeren… (Traité des doigts, de leurs fonctions et de leur signification symbolique), Leipzig, 1756, in-8o, p. 85. La devise est tirée des Actes des Apôtres, XVII, 28.
- ↑ Revue des Deux Mondes (les Marionnettes au moyen-âge), no du 1er août 1850, p. 443 et 444.
- ↑ Voyez sur ce sujet M. le docteur J. Leutbecher, Der AElteste dramatische… (Le plus ancien drame composé sur la légende de Faust), extrait de l’ouvrage intitulé Ueber den Faust… (Sur le Faust de Goethe, pour l’intelligence des deux parties de ce poème), reproduit dans le Closter, t. V, p. 719.
- ↑ Ce roman en vers n’existe plus chez nous qu’à l’état de livre populaire en prose ; il est intitulé : Histoire de Maugis d’Aygremont, dans laquelle est contenu comme le dict Maugis, à l’ayde d’Oriande la fée s’amye, alla en l’isle de Boucaut…
- ↑ M. Von der Hagen a publié ce fragment d’après le manuscrit de Heidelberg, no 340. Voyez Germania ; neues Jahrbuch der Berlinischen Gesellschaft für deutsche Sprache und Alterthumskunde, t. VIII, p. 280. Cette scène ne se trouve point dans notre roman en prose.
- ↑ Maître Hemmerlein, suivant Frisch, avait un affreux visage de masque ; il appartenait aux marionnettes de la dernière classe, sous les vêtemens desquelles le joueur passe la main pour les faire mouvoir. Cet auteur ajoute qu’on donnait quelquefois le nom de Hemmerlein au bourreau et qu’on appelle ainsi le diable dans le Breviarium historicum de Sebald. Voyez Deutsch-Lateinisches Wörterbuch.
- ↑ Luther avait de très fréquens pourparlers avec le diable. C’est un des motifs qui ont fait que les catholiques l’ont si souvent identifié avec Faust.
- ↑ Hanswurst, Wittenherg, 1541, in-4e, cité par Floegel, Geschichte des groteskecomischen, p. 118.
- ↑ Lessing, Theatralischer Nachlass (Œuvres dramatiques posthumes), t. I, p. 47.
- ↑ Ce personnage a paru sur le théâtre d’Amsterdam dès la fin du XVIIe siècle, notamment dans une comédie où il joue le rôle d’un amoureux ridicule. Voyez un recueil de J. Jonker, intitulé De Vrolijke Bruiloftsgast (le joyeux convive des noces), Amsterdam, 1697, p. 162.
- ↑ Floegel, ouvrage cité, p. 154 ; Prutz, Vorlesungen (Leçons sur l’histoire du théâtre allemand), p. 174.
- ↑ Voyez Das Puppenspiel vom Doctor Faust (Leipzig, 4850, in-8o), introd., p. XII.
- ↑ Grandidier, Essai sur l’histoire de la cathédrale de Strasbourg, p. 281.
- ↑ Prutz, Vorlesungen… (Leçons sur l’histoire du théâtre allemand), p. 16.
- ↑ Du mot szopa, qui signifie une cabane de terre couverte de paille, on a formé le diminutif szopka, une étable.
- ↑ Ph. Strahl, Geschichte der Russischen Kirche (Histoire de l’église russe), Halle, 1830, t. 1er, p. 695. Une analyse détaillée du mystère des trois jeunes hommes se trouve dans le recueil intitulé : Altrussische Bibliothek, t. V, p. 1-36.
- ↑ Relation historique et théologique d’un voyage en Hollande, Paris, 1719, p. 429.
- ↑ D’Artigny, Nouveaux Mémoires, etc., t. IV, p. 315, note ; et Fr. Ern. Brükmann, Centuriœ tertiœ epistola itineraria XXVIII, ex ibens memorabilia Viennensia.
- ↑ M. Guillot de Marcilly, Relation historique, etc., p. 433-435.
- ↑ J. Dan. Janosky, Polonia litterata, pars la, p. 16, et t. Golembiowsky, Moeurs et coutumes des Polonais, t. II, p. 280.
- ↑ Mart. Luther, Werke (Wittenberg, 1539), t. II, p. 13 et 58 ; Briefe, ed. Leberecht de Wette, Berlin, 1825 ; décembre, 1521 ; m. 3 vol. in-8o. Il admit les images même dans le temple de Wittenberg. Briefe, 14 mai et 16 juillet 1528 ; 11 janvier 1731 ; Voyez M. Michelet, Mémoires de Luther, t. II, p. 130, 155, 286 et t. III, p. 115.
- ↑ C’est le titre d’une des meilleures pièces lyriques de Hans Sachs.
- ↑ Luther, Briefe, t. V, p. 553.
- ↑ Deuter., cap. VI, v. 8 et 9. L’application que Luther fait de ce passage aux représentations par personnages est belle et poétique assurément ; mais elle va, je crois, bien au-delà de la pensée du texte hébreu que lui-même il a rendue fort exactement dans sa traduction de la Bible.
- ↑ Koch, Grundriss… (Esquisse d’une histoire de la langue et de la littérature allemandes) ; t. Ier, p. 266 et 269.
- ↑ Voyez une pièce de marionnettes intitulée le Roi Hérode, publiée d’après le manuscrit d’un joueur ambulant, Jean Walck de Neustadt, qui la représentait encore en 1834. M. Scheible, a conservé, dit-il, autant que possible, le style de l’original. Voyez Das Schaltjahr (l’Année bissextile) ; Stuttgard, 1846, t. IV, p. 702-709.
- ↑ M. le docteur J. Leutbecher (Der älteste dramatische Bearbeitung…) regrette que les Puppen-Spieler aient totalement cessé de représenter des sujets bibliques dans ces deux villes depuis 1838. Voyez Das Closter, t. V, p. 719.
- ↑ Description d’Amsterdam, en vers burlesques, selon la visite de six jours d’une semaine ; Amsterdam, 1666, in-12, p. 240-246.
- ↑ Het Leeskabinet, no 5.
- ↑ Ce n’est là que le chiffre de ses pièces imprimées ; il en avait composé beaucoup d’autres restées inédites.
- ↑ Phil. von Leitner, Ueber den Faust von Marlow… (sur le Faust de Marlow ; Faust joué par des marionnettes…) ; extrait des Annales dramatiques, Leipzig, 1837, p. 145-152, reproduit par M. Scheible, Das Closter, t. V, p. 706.
- ↑ Voyez Lersner, cité par M. Scheible, Das Closter, t. VI, p. 552.
- ↑ M. Schütze, dans son histoire du théâtre de Hambourg, a réuni de nombreux documens sur les marionnettes de cette ville. Voy. Hamburgische Theatergeschichte, p. 93-126.
- ↑ Schlager, Wiener Skizzen… (Esquisses de Vienne au moyen-âge), p. 268 et 359.
- ↑ Dan. Clarke, Travels in various countries, part 1 ; Russia, etc., cap. 12 ; t. Ier ; 3e édit., in-4o, p. 233.
- ↑ Voyez d’intéressans détails sur ce sujet dans l’ouvrage de M. le docteur Schotel, Tilburgsche avondstonden… (Soirées de Tilbourg… ), Amsterdam, 1850, p. 208 et suiv.
- ↑ Ce goût bien connu de Bayle a fourni au spirituel auteur du Roi de Bohême et ses sept châteaux un demi-verset pour ses litanies de Polichinelle. Voy. P. 205.
- ↑ Je dois ces détails et plusieurs autres aux obligeantes communications de M. J.-J. Belinfante de La Haye.
- ↑ The second Tale of a tub, cité par l’auteur de Punch and Judy, p. 45.
- ↑ Voyez l’article Faust de M. Em. Sommer dans l’'Encyclopédie d’Ersch et Gruber, et Das Puppen-Spiel vom Doctor Faust, Leipzig, 1850 ; préface, p. XIII.
- ↑ Suivant l’éditeur du Puppen-Spiel vom Doctor Faust (Leipzig, 1850), le nombre des interprètes dans cette pièce a été réduit récemment à quatre au théâtre de marionnettes de Leipzig, p. 83.
- ↑ Prutz, ouvrage cité, p. 207 et suiv.
- ↑ Flogel, ouvrage cité, p. 115.
- ↑ Voyez Scheible, Dos Closter, t. VI, p. 359.
- ↑ Floegel, Geschichte der Komischen litteratur, t. IV, p. 319.
- ↑ C’est-à-dire Pickelhäring dans une boutique de Polichinelle. Prutz, ouvrage cité.
- ↑ Schütze, ouvrage cité, p. 34-40. — Prutz, ouvrage cité, p. 211.
- ↑ Schütze ; ouvrage cité, 45-60. — Prutz, ibid., p. 207-211.
- ↑ Schütze, cité par M. Prutz, ibid., p. 207. L’âge de M. Schütze, qui a publié son livre en 1794, s’accorde avec ma supposition.
- ↑ C’est, comme on le sait, le second titre de George Dandin. Voy. Prutz, p. 220.
- ↑ Schütze, ouvrage cité, p. 83. – Prutz, ibid.
- ↑ Schütze, cité par M. Prutz. Ce récit de M. Schütze paraît se rapporter à 1705.
- ↑ Floegel, Geschichte des groteskekomischen, p. 116.
- ↑ Voy. Plümische, Entwurf… (Esquisse d’une histoire du théâtre de Berlin), p. 109., cité par Prutz, p. 180.
- ↑ Les théâtres de marionnettes sont très sévèrement surveillés par la police de Prusse. En 1794, on supprima beaucoup de ces théâtres, dont les représentations blessaient, dit-on, les mœurs. (Edickten-Sammlung, 1794, no 55.)
- ↑ C’est à la porte de Carinthie que Jos. Stranisky établit en 1708, selon M. Schlager, ou en 1713, selon M. Floegel, le premier théâtre de comédiens allemands qu’on ait vu à Vienne. Stranisky avait aussi des marionnettes ; il les sépara de ses acteurs en 1721 et les relégua sur la Frayung (voyez Schlager, p. 268, 269 et 363). Sa veuve s’opposa en 1728 à la demande formée par la veuve Theodora Danesin d’établir un jeu de marionnettes italiennes dans un des faubourgs de Vienne. Voyez Schlager, p. 271 et 371.
- ↑ M. Scheible a publié cette pièce d’après le manuscrit du théâtre de marionnettes d’Augsbourg. Voyez Das Schaltjahr, Stuttgard, 1846, t. IV, p. 555-591.
- ↑ Scheible, Das Gloster, t. VIII, p. 667-765.
- ↑ Goethe, Aus meinem Leben. Dichtung und Wahrheit (Mémoires de ma vie. Poésie et Vérité), Ire partie, livre 1er. Werke, t. XXIV, p. 18 et 74.
- ↑ Wilhelm Meisters Lehrjahre, liv. Ier, chap. 4 et suiv. Werke, t. XVIII, p. 12.
- ↑ J.-Fr. Schinck, Marionettentheater, Berlin, 1777, in-8o.
- ↑ Il y a dans ce nom forgé par Goethe une allusion au mot Plunder, chiffon, guenilles.
- ↑ Aus meinem Leben… (Mémoires), 3e partie, livre XIII. — Werke, t. XXVI, p. 235.
- ↑ Goethe, Werke (Stuttgart, 1829), t. XIII, p. 1-53.
- ↑ Dans ce morceau, tous les instrumens et les instrumentistes disparaissent successivement, de façon que le premier violon se trouve jouer tout seul. Voyez dans Carpani l’histoire ou plutôt les histoires relatives à cette symphonie. Pleyel a fait la contre-partie de cette bouffonnerie musicale. Le premier violon est seul à son poste et les exécutai en retard arrivent, l’un après l’autre, prendre part à la symphonie. Lettere su la lita del celebre maestro Gius. Haydn, p. 119.
- ↑ C. Bertuch, Bemerkungen… (Observations faites dans un voyage de Tubingue à Vienne), t. les, p. 179.
- ↑ Carpani, en reproduisant cette liste, a substitué à la Maison brûlée une pièce qu’il intitule Sabbato delle Streghe, qui ne semble pas pouvoir être le même ouvrage. Voyez Carpani, ouvrage cité, p. 296.>
- ↑ Gins. Carpani, ouvrage cité, p. 81.
- ↑ Voy. Gazette musicale de Leipzig, 1827 ; t. XXIX, no 49, p. 820.
- ↑ Goethe, Aus meinem Leben (Mémoires), 2e partie, livre Xe. Werke, t. XXV, p. 318.
- ↑ Faust fut joué aux ombres chinoises des frères Lobe. À Dantzig, en 1797, on imprima le Doctor Faust, ein Schattenriss, et à Leipzig, en 1831, M. Harro Harring publia dans le Litterarische museum Faust accommodé à la mode de ce temps, ein Schattenspiel.
- ↑ Voyez Chr. Ludw. Striglitz aîné, Faust als Schauspiel… article du Taschenbuch de Raumer, 1834, p. 193-202 reproduit, dans le Closter, t. V, p. 692.
- ↑ Voyez notamment ce que rapporte M. Schütze (ouvr. cité, p. 62) d’une représentation du Doctor Faust, remplie d’extravagances, qui fut donnée à Hambourg en 1733.
- ↑ Franz Horn, Ueber Volksschauspiele…(Sur le théâtre populaire en général et sur la pièce de Faust en particulier), extrait de Die Poesie… (La Poésie et l’Éloquence en Allemagne avant Luther), Berlin, 1823, t. II, p. 256-284, et dans le Closter, t. V, p. 672.
- ↑ Von der Hagen, Das alte und neue Spiel von doctor Faust (l’ancienne et la nouvelle pièce de Faust). Voyez Germania, 1841, t. IV, p. 211-224, et Das Closter, t. V, p. 730. M. von der Hagen dit que Dreher et Schütz vinrent à Berlin quarante ans avant l’époque où il écrivait, ce qui, en prenant ces mots à la lettre, fixerait les représentations de Faust données par ces artistes à 1801.
- ↑ Von der Hagen, ibid., et Das Closter, t. V, p. 730 et 731.
- ↑ Franz. Horn, Faust, ein Gemälde… (Faust, tableau d’après l’ancien allemand), extrait de Freundlicher Schriften… (Joyeux écrits pour de joyeux lecteurs), t. II, p. 51-80, et Das Closter, t. V, p. 652 et suiv.
- ↑ Carl Simrock, Doctor Johannes Faust, Puppen-Spiel ; Francf., 1846, notes, p. 107.
- ↑ Von der Hagen, Das Alte…, etc. Voyez Das Closter, t. V, p. 738.
- ↑ Schiller, Wallenstein Layer (Le Camp de Wallenstein), scène VI.
- ↑ Le sens qu’avait le mot comédie au moyen-âge, et qu’il a conservé long-temps, permet de douter que cette pièce fût autre chose qu’un récit.
- ↑ On trouve notamment plusieurs exemples de scènes en blanc dans le Faust des marionnettes d’Augsbourg. Voyez Das Closter, t. V, p. 829 et 844.
- ↑ Von der Hagen, Das Alte…, etc. Voyez Das Closter, t. V, p. 733. Vers la fin de sa vie, Geisselbrecht paraît avoir éprouvé des scrupules sur quelques passages de la pièce de Faust, où la religion et les bonnes mœurs lui semblaient offensées. Il avait souligné ces passages dans son manuscrit, pour les passer à la représentation. Une note de sa main nous apprend que, par délicatesse de conscience, il renonça tout-à-fait à donner cette pièce avant de quitter sa profession.
- ↑ Voy. Carl Simrock, Doctor Johannes Faust ; Puppen-Spiel in wier Aufzügen ; préface.
- ↑ Ces cinq pièces, outre le travail de M. von der Hagen et le texte de Geisselbrecht, sont réunies dans le Closter, t. V, p. 747-922.
- ↑ Une lettre de M. Blankenburg, intitulée de la perte du Faust de Lessing, contient des détails sur cet accident. Voy. Literatur und Völkerkunde, juillet 1754, t. V.
- ↑ Lettre 17e.
- ↑ Ces trois morceaux ont été rassemblés dans les œuvres complètes de Lessing. Voy. Theatralischer Nachlass, § 6, t. XXII, p. 213.
- ↑ Voir les notes du roman intitulé les Aventures de Faust, par MM. Saur et de Saint-Geniès, t. Ier, p. 226.
- ↑ Dans les pièces de marionnettes, le nombre des démons varie. Quelques pièces n’en ont que trois, d’autres en ont huit.
- ↑ Cette réponse se trouve, mot pour mot, dans presque toutes les rédactions du Faust des marionnettes, notamment dans celles de Schütz, de Geisselbrecht et de Bonneschky. M. Ph. de Leitner, citant ce passage, ajoute : « C’est là une belle pensée pour un théâtre de marionnettes. » Ueber den Faust von Marlow… (Sur le Faust de Marlow et le Faust des théâtres de marionnettes) ; Jahrbücher… (Annales dramatiques, Leipzig, 1837, p. 144-152) ; — Das Closter, t. V, p. 706.
- ↑ Je ne trouve cette réponse que dans le Faust des marionnettes de Strasbourg.
- ↑ Textuel dans la pièce de Strasbourg. Méphistophélès, dans celle d’Augsbourg, répond à Faust : « Aussi prompt que le premier pas du vice au second. » Dans plusieurs pièces, il y a des réponses bouffonnes. « Je suis, dit un démon dans la pièce de Strasbourg, aussi rapide que la langue d’une femme qui ne se repose jamais. »
- ↑ Voyez le Faust des marionnettes d’Ulm. Dans le grand Faust des marionnettes d’Augsbourg, pendant tout le premier acte, la scène est en enfer.>
- ↑ Voyez la pièce du théâtre des marionnettes d’Augsbourg.
- ↑ Luther raconte très sérieusement une histoire toute semblable, attribuée à un magicien du temps nommé Wildefer. Voyez Propos de table, traduits par M. G. Brunet, p. 33.
- ↑ Pièce du théâtre des marionnettes de Cologne.
- ↑ Pièce du théâtre des marionnettes d Augsbourg.
- ↑ Voy. das Closter, t. V, p. 832.
- ↑ Das Closter, t. V, p. 844. Le texte porte : Quid diabolus non potest, mulier evidit. Cela peut servir comme échantillon du latin de toutes ces pièces.