Histoire et description naturelle de la commune de Meudon/Avant-propos


Avant-propos.
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Aux Naturalistes-voyageurs.


A quoi bon s’éloigner de son pays, traverser les mers orageuses ou hérissées de glaces, parcourir les contrées les plus sauvages, s’enfoncer dans les forêts vierges, escalader les chaînes de montagnes ou les cimes neigeuses des volcans ! à quoi bon, en un mot, abandonner ses parents, ses amis, tout ce que l’on a de plus cher, pour aller au bout du monde chercher du nouveau, lorsque autour du toit paternel il y a tant d’éléments susceptibles de remplir le même but ! Plus on sonde la nature, plus elle s’agrandit ; le domaine de l’investigation n’a pas de bornes ; l’homme n’a qu’à se baisser ; qu’il se donne la peine de regarder attentivement et il ne manquera pas de faire d’amples moissons ! N’y a-t-il pas même des amis de la science qui ne foulent presque jamais le sol, voient à peine l’espace, et parviennent cependant, dans le fond de leur cabinet, sur des infiniments petits, examinés au microscope, à des résultats éclatants ?

Est-ce donc pour acquérir plus de gloire que l’homme entreprend de longues et périlleuses pérégrinations ? Mais qu’il faut de recherches aujourd’hui, ou plutôt combien le hasard doit favoriser, pour que, dans des courses ordinairement précipitées, l’on mette la main sur des choses remarquables ; ou bien est-ce pour faire des collections dans l’espoir d’attirer l’attention, de captiver la curiosité ? Mais, quels que soient les objets recueillis avec tout le soin désirable, les musées auxquels ils sont adressés regorgent les trois quarts du temps d’objets semblables à ceux que l’on a rapportés, peut-être avec trop d’empressement. L’indifférence en histoire naturelle, comme en toute autre chose qui prend une grande extension, est un mal inévitable. Que de déceptions attend maintenant le naturaliste-voyageur qui, sur des promesses dorées, ou pour satisfaire de vaines espérances, sacrifie repos, santé, position assurée. De tous ceux qui s’adonnent aux voyages ou font partie d’expéditions scientifiques, le géologue endure, je ne crains pas de le dire, le plus de fatigue, et se trouve le moins bien partagé ; on n’y fait guère plus d’attention que n’y pensait certes Virgile, lorsqu’il a écrit ces mots : « Labor improbus omnia vincit. » Cet aphorisme, que l’on jette à la tête de tout le monde comme une fiche de consolation, ne se réalise presque jamais pour celui qui s’occupe sérieusement de l’histoire matérielle du globe et des grandes révolutions qu’ont subies les corps bruts avant la présence de l’homme, pour celui qui, par l’importance de ses matériaux, a largement contribué à des publications générales ; le géologue reste comme enfoui sous les débris de la montagne, qu’il a remués péniblement et souvent au risque de sa vie, experto crede Roberto !

En vérité, si j’aimais moins mon pays, je donnerais volontiers aux naturalistes, et surtout au géologue, le conseil de s’expatrier ; il existe encore de vastes contrées à peine sorties des langes de la barbarie, où l’on ne manquerait pas de l’accueillir avec empressement. Je l’engagerais cependant à ne pas se lancer aveuglément dans toutes les expéditions qui se présentent ; car, à moins d’être dirigées par des hommes justes appréciateurs des individus qu’ils ont sous leurs ordres, et assez bons avocats pour leur rendre justice aux travaux de qui de droit, un naturaliste sans appui, s’il ne sait pas jeter aux yeux un peu de la poudre qu’il fait en brisant la roche, s’expose à ne servir que de marchepied, ou à jouer le rôle du chat qui tire les marrons du feu. Assurément, s’il a assez de patrimoine pour courir le monde avec le goût bien décidé de la science et des connaissances suffisantes, il fera mieux de s’adresser directement à l’un de nos Ministres qui ne manquent jamais d’encourager et de prendre sous leur patronage les voyageurs pleins de zèle et de bonne volonté.

Tout bien raisonné, ne vaut-il pas mieux rester près de ses pénates, employer son temps d’une manière quelconque, là où l’on respire l’air natal, ne fût-ce qu’à planter ses choux ? Pour peu que l’on soit honnête homme, des amis d’enfance ne manqueront pas de vous encourager et de vous entourer de leur estime croissante jusqu’à la fin de vos jours. Telle est la pensée qui m’a inspiré cet ouvrage. Je crois avoir mené comme un autre la vie d’observateur nomade, dans le désir de servir ma patrie en suivant la première voie qui s’est ouverte devant moi ; mais, craignant de m’être trompé à cet égard, de n’être arrivé à aucun résultat utile, toute mon attention s’est dirigée vers une fraction infiniment petite de la surface de notre planète ; je me suis pris de passion pour un humble village, dont la colline ne répète pas le cri de la mouette, mais au pied de laquelle coule paisiblement un fleuve et vient mourir le bruit d’une immense cité. N’est-ce donc pas d’ailleurs, si l’on veut absolument satisfaire la manie d’écrire ses impressions de voyage, un devoir assez grand que de s’occuper de son pays avant les contrées lointaines qui ne sont pas destinées à recevoir vos ossements ?

Considérée historiquement et physiquement, la commune de Meudon dont j’ai entrepris une description sous ce double rapport, malgré le voisinage de la capitale, offre plus de faits intéressants qu’on ne se l’imagine sans doute. Rien ne serait certainement plus facile que d’en composer un gros volume capable de rivaliser avec maintes relations sur Pékin ou tout autre lieu ; mais, pour atteindre ce but, il faudrait une autre plume que la mienne, et je ne sais malheureusement manier que le marteau et la pioche. Appréciant donc la valeur de mes forces, je me suis borné dans cet essai, pour lequel je réclame toute l’indulgence dont un lecteur puisse être doué, à grouper les choses que j’ai apprises, suivant leur nature ou leur plus ou moins grande affinité entre elles. On trouvera peut-être que je suis entré dans une foule de détails puérils, mais ce qui serait insignifiant pour une ville peut, au contraire, offrir de l’intérêt lorsqu’il s’agit d’un village. J’ai tâché d’ailleurs de les présenter avec toute la précision possible ; si je n’ai pu le faire avec élégance, j’ose espérer du moins qu’on ne m’appliquera pas cet adage : A beau mentir qui vient de loin ! et que mes chers compatriotes, les Meudonnais, voudront bien ne pas confondre ce livre avec les contes de Robert mon oncle.