Histoire du parlement/Édition Garnier/Chapitre 23

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CHAPITRE XXIII.

DES PREMIERS TROUBLES SOUS LA RÉGENCE DE CATHERINE DE MÉDICIS.

Dès que le faible François II eut fini son inutile vie, Catherine Medici, que nous nommons de Médicis, assembla les états dans Orléans, le 13 décembre 1560. Le parlement de Paris ni aucun autre n’y envoyèrent de députés. À peine, dans ces états, parla-t-on de la régence ; on y confirma seulement au roi de Navarre la lieutenance générale du royaume, titre donné trois fois auparavant à François duc de Guise.

La reine ne prit point le nom de régente, soit qu’elle crût que le nom de reine, mère du roi, dût lui suffire, soit qu’elle voulût éviter des formalités : elle ne voulait que l’essentiel du pouvoir. Les états mêmes ne lui donnèrent point le titre de majesté ; les rois alors le prenaient rarement. Nous avons encore beaucoup de lettres de ce temps-là où l’on dit à Charles IX et à Henri III : votre altesse. La variété et l’inconstance s’étendent sur les noms et sur les choses.

Catherine de Médicis était intéressée à rabaisser les Guises, qui l’avaient humiliée du temps de François II, et dans cette idée elle favorisa d’abord les calvinistes. Le roi de Navarre l’était, mais il craignait toujours d’agir. Le connétable de Montmorency, l’homme le plus ignorant de la cour, et qui à peine savait signer son nom, fut longtemps indécis ; mais sa femme, Magdeleine de Savoie, aussi bigote que son mari était ignorant, l’emporta sur les Coligny, et détermina son mari à s’unir avec le duc de Guise. Le maréchal de Saint-André se joignit à eux, et on donna à cette union le nom de triumvirat, parce qu’on aime toujours à comparer les petites choses aux grandes. Saint-André était en tout fort au-dessous de François de Guise et de Montmorency ; il était le Lépide de ce triumvirat, d’ailleurs plus connu par ses débauches et par ses rapines que par ses actions.

Ce fut là le premier signal des divisions au milieu des états d’Orléans. La reine mère envoya d’abord un ordre, au nom du roi son fils, à tous les gouverneurs de provinces, de pacifier autant qu’ils le pourraient les troubles de religion. Cette déclaration défendait aux peuples de se servir des noms odieux de huguenots et de papistes. Elle rendait la liberté à tous les prisonniers pour cause de religion ; elle rappelait ceux que la crainte avait fait retirer hors du royaume depuis le temps de François Ier. Rien n’était plus capable de ramener la paix, si les hommes eussent écouté la raison.

Le parlement de Paris, après beaucoup de débats, fit des remontrances. Il allégua que cette ordonnance[1] devait être adressée au parlement du royaume, et non aux gouverneurs des provinces. Il se plaignit qu’on donnât trop de liberté aux novateurs. La reine mena son fils au parlement, au mois de juillet : jamais il n’y eut une plus grande assemblée. Le prince de Condé y était lui-même. On y fit enregistrer l’édit qu’on nomme de juillet, édit de concorde et de paix, beaucoup plus détaillé que l’ordonnance dont on se plaignait ; édit qui recommandait à tous les sujets la tolérance, qui défendait aux prédicateurs les termes injurieux, sous peine de la vie, qui prohibait les assemblées publiques, et qui, en réservant aux ecclésiastiques seuls la connaissance de l’hérésie, prescrivait aux juges de ne prononcer jamais la peine de mort contre ceux mêmes que l’Église livrerait au bras séculier.

Cet édit fut suivi du colloque de Poissy, tenu au mois d’auguste 1561[2]. Cette conférence ne pouvait être qu’inutile entre deux partis diamétralenient opposés. D’un côté on voyait un cardinal de Lorraine, un cardinal de Tournon, des évêques comblés de richesses, un jésuite nommé Lainez[3], et des moines, défenseurs opiniâtres de l’autorité du pape ; de l’autre étaient de simples ministres protestants[4], tous pauvres, tous voulant qu’on fût pauvre comme eux, et tous ennemis irréconciliables de cette puissance papale qu’ils regardaient comme l’usurpation la plus tyrannique.

Les deux partis se séparèrent très-mécontents l’un de l’autre, ce qui ne pouvait être autrement.

Jacques-Auguste de Thou rapporte que le cardinal de Tournon, ayant reproché vivement à la reine d’avoir mis au hasard la religion romaine en permettant cette dispute publique, Catherine lui répondit : « Je n’ai rien fait que de l’avis du conseil et du parlement de Paris. »

Il paraît cependant que la majorité du parlement était alors contre les réformateurs. Apparemment la reine entendait que les principales têtes de ce corps lui avaient conseillé le colloque de Poissy.

Après cette conférence, dont on sortit plus aigri qu’on n’y était entré, la cour, pour prévenir les troubles, assembla dans Saint-Germain-en-Laye, le 17 janvier 1562, des députés de tous les parlements du royaume. Le chancelier de L’Hospital leur dit que, dans les divisions et dans les malheurs de l’État, il ne fallait pas imiter Caton, à qui Cicéron reprochait d’opiner dans le sein de la corruption comme il eût fait dans les temps vertueux de la république.

On proposa des tempéraments qui adoucissaient encore l’édit de juillet. Par ce nouvel édit, longtemps connu sous le nom d’édit de janvier, il fut permis aux réformés d’avoir des temples dans les faubourgs de toutes les villes. Nul magistrat ne devait les inquiéter ; au contraire, on devait leur prêter main-forte contre toute insulte, et condamner à mille écus d’or d’amende ceux qui troubleraient leurs assemblées ; mais aussi ils devaient restituer les églises, les maisons, les terres, les dîmes, dont ils s’étaient emparés. Ils ne pouvaient, par cet édit, convoquer aucun synode qu’en présence des magistrats du lieu. Enfin on leur enjoignait d’être en tout des citoyens soumis, en servant Dieu selon leur conscience.

Quand il fallut enregistrer ce nouvel édit, le parlement fit encore plusieurs remontrances. Enfin, après trois lettres de jussion, il obéit, le 6 mars[5], en ajoutant la clause « qu’il cédait à la volonté absolue du roi ; qu’il n’approuvait point la religion nouvelle, et que l’édit ne subsisterait que jusqu’à nouvel ordre ». Cette clause, dictée par le parti des Guises et du triumvirat, inspira la défiance aux réformés, et rendit les deux édits de pacification inutiles.

Les querelles d’État et de religion augmentèrent par les moyens mêmes qu’on avait pris pour les pacifier. Le petit triumvirat, la faction des Guises et celle des prêtres, menaçaient et choquaient dans toutes les occasions le parti des Condé, des Coligny et des réformés : on était encore en paix, mais on respirait la guerre civile.

Le hasard qui causa le massacre de Vassy fit enfin courir la France entière aux armes ; et si ce hasard n’en avait pas été la cause, d’autres étincelles auraient suffi pour allumer l’embrasement[6].

Le prince de Condé s’empara de la ville d’Orléans (avril 1562), et se fit déclarer, par son parti, protecteur du royaume de France ; soit qu’il empruntât ce titre des Anglais[7]. comme il est très-vraisemblable, soit que les circonstances présentes le fournissent d’elles-mêmes.

Au lieu d’apaiser cette guerre civile naissante, le parlement, où le parti des Guises dominait toujours, rendit, au mois de juillet 1562, plusieurs arrêts par lesquels il proscrivait les protestants, ordonnait à toutes les communautés de prendre les armes, de poursuivre et de tuer tous les novateurs qui s’assembleraient pour prier Dieu en français.

Le peuple, déchaîné par la magistrature, exerça sa cruauté ordinaire partout où il fut le plus fort ; à Ligueil en Touraine il étrangla plusieurs habitants, arracha les yeux au pasteur du temple, et le brûla à petit feu. Cormery, Loches, l’île Bouchard, Azai-le-Rideau, Vendôme, furent saccagés ; les tombeaux des ducs de Vendôme mis en pièces, leurs corps exhumés, dans l’espérance d’y trouver quelques joyaux, et leurs cendres jetées au vent. Ce fut le prélude de cette Saint-Barthélemy qui effraya l’Europe dix années après, et dont le souvenir inspirera une horreur éternelle.

  1. La première édition porte, entre parenthèses, ces mots : (Célèbre édit de juillet 1561), et qui sont dans toutes les éditions que j’ai vues, données du vivant de l’auteur. (B.)
  2. L’ouverture s’en fit le 9 septembre.
  3. Ce Jacques Lainez, né en 1512, mort en 1505, était, depuis 1558, général des jésuites. Il avait succédé dans cette place au fondateur saint Ignace, et obtint l’introduction de sa société en France. Voyez page 519 ; voyez aussi ce que Voltaire a dit de Lainez, tome XII, page 503. (B.)
  4. De leur nombre était Théodore de Bèze ; voyez tome XII, page 503.
  5. 1562. (Note de Voltaire.)
  6. Il est très-douteux que ce tumulte ait été l’effet du hasard : toutes les apparences y sont contraires. Le duc de Guise, à la mort, protesta, dit-on, de son innocence. Mais le duc de Guise, qui, après avoir immolé cent mille victimes à son ambition, osait dire que sa religion lui ordonnait de pardonner ; le duc de Guise qui, après avoir dirigé, sous François II, les intrigues qui devaient conduire lo prince de Condé sur un échafaud, déclara publiquement, sous Charles IX, que jamais il n’avait trompé dans les projets des ennemis du prince, et offrit de lui servir de second contre eux, ce même duc de Guise mérite-t-il d’être cru sur parole lorsqu’en
  7. Voyez tome XIII, page 79.